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Cet ouvrage de David Marsden, sur l’étude comparée des systèmes de régulation de l’emploi, apporte une contribution réelle à la théorie en relations industrielles. L’auteur s’applique à construire un cadre pouvant rendre compte de la diversité des approches sociétales et à en montrer la pertinence à partir d’une revue des principaux acquis de la recherche dans cinq pays. La position théorique avancée s’inspire de celle des choix rationnels et de l’analyse sociétale du Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (LEST) avec laquelle cet auteur britannique entretient des liens depuis de nombreuses années. L’ouvrage se termine d’ailleurs avec force sur une discussion de la distinction entre le « sociétal » et le « national », rappelant avec à propos l’avantage du premier concept. En très bref, « societal patterns may span national borders », et les forces de la mondialisation et de la régulation transnationale « are likely to drive an increasing wedge between national jurisdictions and the scope of societal influences » (p. 272).
Le cadre théorique élaboré de façon déductive dans la première partie de l’ouvrage identifie quatre types de règles de transaction pouvant caractériser un système de répartition du travail et de classification des emplois. Un premier axe fait la distinction entre un système construit selon la production à réaliser ou selon la formation des employés disponibles. Un second axe fait la distinction entre un système d’allocation du travail centré sur les tâches d’un individu et un autre défini autour de la fonction plus large. Le croisement de ces deux dimensions donne quatre types possibles. Si cette construction théorique est plutôt statique dans les premierschapitres, elle prend tout son sens, du moins pour le lecteur averti, à compter du chapitre 5 alors que l’analyse traite des systèmes dominants dans les cinq pays à l’étude : la France, les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon et l’Allemagne. Par exemple, le système de règles traditionnel aux États-Unis met l’accent sur la production et la tâche individuelle (ce qui correspond au « work post rule »), alors que l’Allemagne, comme à l’habitude, est associée à l’approche formation et à l’organisation selon la fonction plutôt que la tâche individuelle (ce qui correspond au type « qualification rule »). En résumé, « there emerges thus a picture in which industrial firms in France, the US and Japan tend to adopt the production approach, and those in Britain and Germany the training approach. Turning to the second contractual constraint, enforceability, firms in France, the United States and Britain tend to govern work assignments with task-centred rules, whereas those in Japan and Germany tend to adopt the more diffuse function-centred rules » (p. 133).
La typologie élaborée par Marsden montre un pouvoir analytique élevé lorsqu’il s’agit de comparer les systèmes de règles en ce qui a trait à la flexibilité fonctionnelle et au développement des qualifications. Alors que l’approche centrée sur la production renforce le marché interne, celle fondée sur la formation favorise une plus grande transférabilité des qualifications. Sur l’autre axe, le fait de se centrer sur la fonction plutôt que sur la tâche offre de bien meilleures possibilités sur le plan de la flexibilité fonctionnelle, ce qui est incarné dans le modèle japonais ou le modèle allemand. De là à faire valoir la supériorité de ces derniers modèles par rapport aux cadres institutionnels dominants aux États-Unis et en Grande-Bretagne, il n’y aurait qu’un pas, mais l’auteur résiste à adopter toute position normative ou à suggérer un « modèle idéal ». Certes, « the two function-centred rules were in the limelight during the success of the Japanese and German economies in the 1970s and 1980s ». Mais les temps ont changé et Marsden souligne aussitôt : « the function-centred rules are expensive because of the need for mutual commitment between firms and workers, one of the most important gages of good faith that firms can offer being long-term employment » (p. 254). En somme, le cadre élaboré et appliqué incite à comparer les apports institutionnels avec plus de recul, et plus de nuances.
Une idée maîtresse de Marsden est que les systèmes de régulation de l’emploi sont d’abord développés par les acteurs impliqués dans la relation d’emploi, ce qui l’amène d’ailleurs à ne pas échafauder sa théorie à partir de l’apport de l’État et de ses instances. Un peu à la manière de Dimaggio et Powell, l’idée est que ces agents reproduisent et diffusent les règles qui « fonctionnent ». « Thus, even without the support of inter-firm institutions, one would expect a measure of societal diversity in the organization of employment relations » (p. 109). Néanmoins, le rôle des institutions, notamment celui de la négociation collective et de la participation institutionnelle des syndicats, est considérable et fait l’objet d’une discussion élaborée. Ce rôle consiste particulièrement à susciter la réciprocité et la confiance parmi les agents économiques, les incitant à se donner les moyens pour agir de façon moins opportuniste, avec de meilleurs résultats sur le plan de l’efficacité. En revanche, certains traits institutionnels peuvent rendre l’innovation organisationnelle plus difficile malgré la bonne volonté des acteurs sur les lieux de travail.
Cette mention rapide d’une telle situation où l’appui institutionnel peut être déficient, ce que l’auteur qualifie de « institutional weakness », nous amène à souligner les implications bien concrètes de cette analyse portant sur les types de régulation sociale et les institutions. Des implications que l’auteur aurait pu mettre davantage en lumière. Sur le plan de la pratique, l’analyse avancée signifie que certaines pratiques en vogue en matière de gestion du travail, telles la rémunération selon les compétences ou encore la polyvalence au sein d’équipes de travail, rencontrent parfois des difficultés d’implantation parce qu’elles se butent aux fondements mêmes des systèmes de règles qui prédominent dans un pays ou un secteur donné. Le bricolage organisationnel a ses limites et celles-ci ne sont habituellement pas dues à « l’incompréhension » ou à la « résistance au changement » des acteurs individuels et collectifs ; des logiques et des ancrages d’ordre institutionnel jouent bien souvent un rôle dans la structuration des orientations et des comportements.
Cet ouvrage est rigoureux et exigeant pour le lecteur, à la fois parce que l’analyse est approfondie et nuancée et parce que l’auteur n’offre pas facilement les clés de lecture. Le cadre théorique avancé me paraît convaincant et mérite d’être considéré dans la poursuite de la recherche sur les différentes approches sociétales en matière de régulation de l’emploi.