Résumés
Résumé
Au cours de leur vie, un certain nombre d’enfants autistes présentent des symptômes de nature sensorielle. Afin de mieux comprendre l’ontogénie de ces symptômes, cet article présente une recension des écrits récents concernant les manifestations neurosensorielles de ces enfants. L’auteur résume ensuite les manifestations sensorielles qui ont été observées chez cinq jeunes enfants autistes, à partir des données recueillies dans une grille remplie respectivement par leurs parents, une intervenante et le chercheur. Ces grilles permettent d’identifier certaines manifestations communes aux cinq enfants, et d’autres, qui sont spécifiques à chacun. L’analyse des résultats de cette étude révèle que les cinq jeunes participants autistes présentaient plusieurs manifestations sensorielles, un constat qui souligne combien il est important de tenir compte des symptômes de nature sensorielle dans tout travail cherchant à tracer le profil de l’enfant autiste. L’article conclut sur une discussion des conséquences de ces observations pour les enfants autistes.
Abstract
Over the course of their lifetime, a certain number of autistic children will manifest symptoms of a sensory nature. In order to understand the ontogeny of these symptoms, this article presents a review of the recent literature pertaining to neurosensory manifestations in autistic children. The author then provides an overview of the different sensory manifestations which were observed among 5 autistic children, based upon the data from a checklist which was completed by their parents, an educator, and the researcher. These data enabled the researcher to identify some manifestations that were common to the 5 children, and some that were unique to each child. The results from this study indicate that all 5 autistic children who participated in the research showed sensory manifestations. Documenting the presence of sensory manifestations therefore appears to be an essential requirement when diagnosing a child with autism. The author concludes by addressing the possible consequences of the findings of this study for autistic children.
Corps de l’article
Introduction
La littérature (Baranek, 1999; Baranek, Fabian, Poe, Stone et Watson, 2006; Dunn, 1997; Dunn, Saiter et Rinner, 2002; Gepner et Mestre, 2002; Ingersoll, Schreibman et Tran, 2003; Kientz et Dunn, 1997; Reese, Richman, Zarcone et Zarcone, 2003; Reitan et Wolfson, 2003; Talay-Ongan et Wood, 2000) suggère que, malgré le caractère idiosyncrasique de leurs troubles sensoriels, un certain nombre d’enfants autistes manifestent des difficultés sensorielles importantes. Ces auteurs s’entendent pour affirmer que les facteurs neurosensoriels sont omniprésents et constituent des indicateurs privilégiés de l’autisme, un statut qui, au plan ontogénique, en fait les premiers symptômes. En somme, les difficultés neurosensorielles qui, selon ces auteurs, présentent une forte association avec les autres manifestations autistiques jouent un rôle clé pouvant aggraver la symptomatologie.
Dans le présent article, l’auteur définit ce qu’est le profil neurosensoriel et présente les différents concepts associés. Il aborde ensuite les troubles sensoriels selon une perspective neurofonctionnelle. Dans un troisième temps, l’auteur décrit les résultats obtenus à partir de la grille utilisée pour colliger les manifestations sensorielles immédiates ou différées de cinq enfants autistes, grille qui a été remplie par leurs parents, par l’intervenante au préscolaire et par le chercheur. Dans un quatrième et dernier temps, les limites de cette recherche sont présentées.
Définition du profil neurosensoriel
D’entrée de jeu, il importe d’indiquer que le profil neurosensoriel est un « ensemble des mesures de plusieurs variables constatées chez un même sujet comme formant une structure caractérisant cet individu » (Bloch et al., 1993). Ce profil est dit neurosensoriel lorsqu’il combine les composantes neurologiques aux composantes se rapportant « aux organes des sens, aux structures nerveuses qu’ils mettent en jeu et aux mesures qu’ils véhiculent » (Bloch et al., 1993, p. 713). L’étude des profils neurosensoriels des enfants autistes vise à cerner, d’une part, quel sens est affecté et, d’autre part, en quoi cette affection a des répercussions sur le fonctionnement global des personnes atteintes.
Le profil neurosensoriel des enfants autistes
La littérature scientifique propose différentes descriptions des perturbations sensorielles chez les enfants autistes, qui soulèvent diverses questions sur le plan des facteurs explicatifs. Baranek et al. (2006), Kientz et Dunn (1997), Iarocci et McDonald (2006), Liss, Saulnier, Fein, et Kinsbourne (2006), Myles, Hagiwara, Dunn, Rinner et Reese (2004), Rogers et Ozonoff (2005), Reitan et Wolfson (2003) ainsi que Rogers, Hepburn et Wehner (2003) avancent deux positions quant au lien entre le dysfonctionnement neurosensoriel précoce et les anomalies neurofonctionnelles identifiées par la suite comme des facteurs annonciateurs de l’autisme. Selon la première position, l’autisme résulte d’un déficit de la formation réticulaire dans le travail de filtrage des informations sensorielles. La seconde position propose que les entrées sensorielles soient filtrées adéquatement, mais que, suite à une distorsion de l’influx nerveux, le signal soit déformé lorsqu’il arrive au niveau des étages supérieurs de nature plus cognitive. Pour consolider notre compréhension de l’autisme, Iarocci et McDonald (2006) proposent qu’une meilleure compréhension des différences neurologiques associées aux troubles sensoriels puisse expliquer certaines manifestations autistiques. À titre d’exemple, la détection d’une surconnectivité locale pourrait expliquer certaines anomalies (les capacités auditives ou visuelles supérieures à la norme) et certaines aptitudes exceptionnelles (hypermnésie) et, inversement, une connectivité insuffisante entre diverses régions du cerveau pourrait expliquer que certaines personnes autistes ont de la difficulté à filtrer les informations provenant de modalités différentes (multisensorielles).
Dans leur étude sur les troubles sensoriels, Ben-Sasson et al. (2007) ont identifié, chez des enfants autistes âgés de 28 mois – à l’aide d’un questionnaire rempli par les parents – des problèmes de modulation, en particulier une hyposensibilité face à certains stimuli et l’évitement de certains stimuli ou de certains environnements. Ces auteurs ajoutent que certains enfants (67 %) présentaient un profil mixte d’hypo — et d’hypersensibilité selon le contexte, et que certains des problèmes de modulation associés à l’hyposensibilité et à l’évitement coïncidaient avec les caractéristiques associées à l’autisme. En réponse à cette association possible entre les troubles sensoriels et le degré de sévérité de l’autisme, Kern et al. (2007) ont comparé les résultats de 104 personnes autistes âgées de 3 à 56 ans à partir du Sensory Profile et de la Childhood Autism Rating Scale (CARS). Ils ont constaté une différence marquée entre les problèmes sensoriels et le degré de sévérité de l’autisme chez les participants âgés de 3 à 12 ans. De fait, les résultats indiquent que les enfants atteints d’autisme modéré présentent des troubles de modulation sensoriels plus importants comparativement aux enfants atteints d’autisme léger.
À cet égard, dans une étude de la relation entre les compétences sociales et les troubles sensoriels menée auprès de 36 enfants autistes de 6 à 10 ans, Hilton, Graver et LaVesser (2007) ont trouvé que 8 de ces enfants, soit 22 %, manifestaient des problèmes sensoriels variant de légers à modérés, tandis que les 28 autres (78 %) démontraient des troubles plus sévères. Ces auteurs ont constaté que les 8 enfants du premier groupe démontraient une grande sensibilité sensorielle (sensory sensitivity) et se protégeaient en ayant recours à l’évitement sensoriel (sensation avoiding). Ces deux éléments réunis, soit la sensibilité et l’évitement sensoriel, provoquent leur hyperfocalisation (heightened awareness), de même que l’évitement de certains événements sensoriels, qui se manifeste essentiellement par un repli sur soi et une tendance à s’isoler (Dunn et al., 2002).
Dans une étude sur l’identification de troubles sensoriels conduite auprès d’enfants âgés en moyenne de 51 mois et qui comptait 281 enfants atypiques (256 enfants autistes, 21 enfants avec un trouble envahissant du développement non spécifié et 4 enfants atteints du syndrome d’Asperger) et 235 enfants neurotypiques, Tomchek et Dunn (2007) ont identifié – à l’aide d’un questionnaire rempli par les parents – des différences importantes chez 90 % des enfants avec un TSA dans les domaines de l’hyposensibilité, surtout aux plans auditif, vestibulaire, tactile et proprioceptif.
De manière analogue, dans leur étude sur les troubles sensoriels et les comportements de persévération menée auprès de 100 enfants autistes, Reese et al. (2003) ont constaté que 14 % des enfants cherchaient à éviter certaines stimulations sensorielles et qu’à cette fin, ils présentaient des comportements d’évitement comme de donner l’impression de ne pas entendre, d’éviter tout contact visuel et d’utiliser des autostimulations sensorielles. Or, paradoxalement, le recours à ces comportements a pour effet d’augmenter leurs difficultés de compréhension et de communication avec le monde environnant, ce qui, comme le souligne Lenoir (2006), entraîne en retour des symptômes secondaires comme le retrait social et les troubles du langage.
Parvenus à cette étape de notre analyse, il est important de revenir sur les 28 enfants du second groupe de l’étude de Hilton et al. (2007), et de signaler que ces enfants démontraient une hypofiltration des stimuli sensoriels (low registration) associée à des troubles de communication sociale. Or, de manière semblable, dans leur étude sur les symptômes autistiques infantiles menée auprès de 28 enfants autistes de moins de 3 ans, Gillberg et al. (1990) avaient constaté, près de 20 ans auparavant, que 30 % des enfants autistes souffrent d’un déficit auditif variant de léger à sévère, ce qui explique que ces enfants ont de la difficulté à traiter l’information auditive. Enfin, dans l’étude qu’ils ont effectuée auprès de 199 enfants et adolescents autistes, Rosenhall, Nordin, Sandström, Ahlsën et Gillberg (1999) ont constaté, eux aussi, que 10 % (soit 19) des participants à leur étude présentaient des déficits au plan auditif. Pour compenser ce déficit, ces participants de la catégorie des jeunes enfants recherchaient constamment une stimulation et, au besoin, ils s’autostimulaient.
Considérées dans leur ensemble, ces études suggèrent donc que ce serait un trouble de la modulation cérébrale qui provoque les problèmes observés au plan neurosensoriel. Dunn (1997) explique que la modulation est la capacité du système nerveux central de traiter et de réguler l’information pour ensuite réagir aux différents stimuli. Les concepts importants rattachés au processus de modulation sont l’habituation et la sensibilisation. L’habituation se produit lorsque les cellules nerveuses du système nerveux central reconnaissent un stimulus comme familier et n’ont plus besoin de s’y attarder pour y répondre. En d’autres mots, l’habituation permet de filtrer les sensations déjà encodées dans la mémoire pour, justement, accorder l’attention aux autres stimuli dans l’environnement.
La sensibilisation est davantage associée aux changements anatomiques requis pour accomplir une tâche, dont l’augmentation des connexions neuronales. La sensibilisation permet de rester attentif à l’environnement. Le système nerveux central analyse l’information sensorielle et la module à partir d’un échange équilibré entre l’habituation et la sensibilisation, un synchronisme qui permet de choisir les comportements adaptés selon la situation et l’expérience antérieure.
En résumé, l’ensemble des données de recherche dont nous disposons à l’heure actuelle concernant ce syndrome suggère très fortement qu’il faut repenser le phénotype comportemental dans l’autisme. Il est raisonnable d'avancer que les problèmes moteurs, cognitifs, langagiers et sociaux associés à l'autisme découlent d'anomalies sensorielles. Ces dernières apparaissent donc comme primaires, c’est-à-dire comme définissant le syndrome et entretenant un rapport direct avec le plus vaste regroupement symptomatique.
La présente étude pointe effectivement vers l’établissement d’une association possible entre les troubles sensoriels et certaines manifestations comportementales associées à l’autisme. S’inscrivant dans un nouveau courant qui s’attarde à mieux expliquer le rôle du sensoriel dans l’autisme en incorporant les nouvelles recherches émanant des neurosciences, cette recherche aborde l’autisme du point de vue du développement neurosensoriel.
Si les enfants autistes manifestent des difficultés neurosensorielles importantes, une meilleure compréhension du profil neurosensoriel est susceptible de nous aider à mieux cerner les facteurs annonciateurs de l’autisme. À cette fin, il est intéressant de se pencher sur la question : comment l’examen du profil neurosensoriel de cinq enfants autistes d’âge préscolaire peut-il nous permettre de mieux comprendre leurs comportements et les effets de leurs comportements dans les divers environnements de ces jeunes enfants?
Méthodologie
Objectifs
Deux des objectifs fondamentaux de cette étude sont : 1) de recenser les connaissances les plus récentes concernant les rapports éventuels entre les facteurs qui affectent le développement neurosensoriel des très jeunes enfants autistes et 2) d’examiner, parallèlement, les comportements sensoriels atypiques rapportés par les parents de jeunes enfants autistes, une intervenante préscolaire et le chercheur, à partir d’une grille descriptive.
Participants
Cinq garçons autistes ont participé à cette étude; ils avaient tous reçu, entre l’âge de 27 à 60 mois, un diagnostic d’autisme prononcé par un pédiatre spécialisé en autisme, conformément aux critères du DSM IV (American Psychiatric Association [APA], 1996) ou du CIM-10 (Organisation mondiale de la santé [OMS], 1993). Ce diagnostic a été appuyé par une psychologue, qui a évalué ces mêmes enfants à partir de la Childhood Autism Rating Scale (CARS). Les participants ont obtenu des scores entre 30 et 38, ce qui correspond à un degré d’autisme léger à moyen. Deux critères d’homogénéité ont été appliqués dans cette étude (Tableau 1). Le premier est que le même pédiatre spécialisé en autisme et la même psychologue ont posé le diagnostic pour les cinq enfants.
Le deuxième critère d’homogénéité est l’indice de sévérité, qui varie de léger à moyen; il a été appliqué de sorte à garantir que les cinq enfants pourraient participer activement et, ainsi, répondre adéquatement aux exigences de l’étude. Ce second critère a été établi en fonction de l’évaluation diagnostique de la psychologue. Afin de n’exercer aucune pression sur les participants ou sur leurs parents, le processus de sélection des participants a été réalisé par une intervenante indépendante, provenant d’une garderie spécialisée pour enfants avec un trouble envahissant du développement.
Les parents des 5 jeunes enfants autistes et l’intervenante au préscolaire ont rempli, pour chaque enfant, la même grille descriptive des manifestations sensorielles qu’a remplie le chercheur. Ainsi, l’étude permet de mettre en relation trois grilles descriptives par enfant.
Procédure
Pour assurer l’exhaustivité du processus, trois évaluateurs (un parent pour chaque enfant, l’intervenante préscolaire auprès des enfants et le chercheur) ont colligé leurs connaissances des comportements sensoriels de chaque enfant. Le but de cette triple consignation était d’assurer une diversité de perspectives qui permette d’obtenir le profil le plus exhaustif possible, et ce, de manière analogue à la perspective adoptée par Bogdashina (2003) dans le but d’enrichir notre connaissance de chaque enfant en répertoriant toutes les variations comportementales. Cette grille non standardisée ne tient donc pas lieu d’outil d’évaluation pour diagnostiquer des troubles sensoriels; elle remplit la fonction d’outil d’information pour décrire les profils neurosensoriels des jeunes participants autistes de manière exhaustive et rigoureuse.
Pour saisir l’expression des composantes sensorielles dans la vie quotidienne des jeunes participants de manière rigoureuse et exhaustive, le profil de chacun de ces enfants autistes a été réalisé à partir d’une sélection d’items empruntés à Bogdashina (2003) (Grille descriptive du profil sensoriel (Sensory Profile Checklist Revised). Les items empruntés de la grille ont été observés par au moins deux observateurs durant les moments d’observation. Cette grille a été retenue, d’une part, parce que son auteure, Olga Bogdashina, l’a développée à partir des récits autobiographiques d’adultes autistes et, d’autre part, parce qu’elle permet de documenter toute la richesse du profil de l’enfant autiste de la manière la plus rigoureuse et la plus exhaustive sans présumer certaines catégories ou certains facteurs. De plus, cette grille permet d’expliquer le rôle possible du sensoriel dans les différentes manifestations associées au syndrome de l’autisme. Enfin, cette grille apporte un éclairage sur le rôle possible des expériences sensorielles atypiques dans les déficits cognitifs (dans les domaines de la perception visuelle, de l’attention, de la mémoire et de l’apprentissage).
La grille non standardisée mise au point par Bogdashina permet de décrire les comportements qui faisaient partie du répertoire et/ou ceux qui faisaient encore partie du répertoire de l’enfant au moment de l’étude. À cet égard, Mervis et Robinson (1999) précisent que certaines des caractéristiques observées dans les études sont souvent spécifiques à un individu et non à un groupe d’individus. Ces auteurs suggèrent par conséquent de tracer un profil de chaque participant, même si tous les participants ont reçu le même diagnostic. Ces auteurs (p. 127) concluent qu’« au lieu d’essayer de démontrer que telle ou telle caractéristique est ou n’est pas unique ou universelle, le chercheur doit plutôt expliquer ces mêmes caractéristiques en utilisant les concepts de sensibilité et de spécificité, car cela permet au lecteur de mieux saisir le profil. En d’autres mots, le but de tracer un profil concis dépend justement de ces deux concepts, soit le sensible et le spécifique ».
Dans la présente recherche, le concept utilisé est la spécificité (Sp), ce qui explique pourquoi l’auteur n’a pas décrit l’ensemble des comportements de types sensoriels répertoriés dans la grille descriptive. L’information qui suit porte uniquement sur les données qui, selon au moins deux observateurs, étaient vraies quand l’enfant était plus jeune ou qui étaient toujours vraies au moment où a été menée l’étude. En d’autres mots, le chercheur décrit, dans cet article, les comportements qui faisaient déjà partie du répertoire de l’enfant et/ou qui en faisaient encore partie au moment de la recherche. Naturellement, seuls les parents et l’intervenante ont pu se prononcer sur les comportements observés antérieurement, le chercheur ne pouvant décrire que les comportements observables pendant la période où a été effectuée l’étude. Les données sont présentées dans l’ordre suivant : (a) audition (b) vision (c) proprioception, et enfin (d) système vestibulaire (Tableaux 2, 3, 4, 5).
Pour ces quatre ensembles de données, l’auteur procède à la description des observations faites par les parents, l’intervenante et le chercheur. Ces données sont ensuite examinées et interprétées à la lumière de la recension des écrits dressée au début de cet article.
Résultats obtenus à partir de la grille des manifestations neurosensorielles
Audition
La description des observations permet de constater que les parents 1, 2 et 3 ont indiqué que leur enfant démontrait une bonne mémoire auditive pour les rimes et les chansons. L’intervenante a constaté cette bonne mémoire auditive chez les participants 3, 4 et 5 tandis que le chercheur l’a observée uniquement chez le participant 3.
Par contre, tous les parents et le chercheur ont indiqué que les enfants présentaient des problèmes importants sur le plan de l’articulation, tandis que l’intervenante a constaté la présence de problèmes d’articulation chez 4 des 5 participants (soit les participants 1, 2, 4 et 5). Il y a également consensus en ce qui concerne l’incapacité de certains enfants de décoder l’ensemble d’une phrase. Les parents 1, 3, 4 et 5 ont indiqué que leur enfant s’attardait plutôt sur certains mots que sur des phrases complètes. L’intervenante a identifié cette façon de procéder chez les participants 1, 3, 4 et 5, et le chercheur, chez tous les participants. D’autre part, les parents 1, 3 et 5 ont constaté que leur enfant était incapable de saisir des consignes lorsque plus d’une personne parlait à la fois. Cette difficulté a été documentée par le chercheur pour l’ensemble des participants. Pour sa part, l’intervenante l’a signalée pour un seul des participants (enfant 4).
Il est important, de plus, de préciser que les parents 2 et 5 ont indiqué que leur enfant s’irritait lorsqu’il devait accomplir une tâche dans un environnement bruyant, observation appuyée par le chercheur, tandis que le parent 4 a souligné que ce genre de réaction faisait partie du répertoire de son enfant par le passé. Le chercheur est le seul à avoir observé ce comportement chez l’enfant 1.
Les parents 3 et 5 ont indiqué que leur enfant était parfois incapable de distinguer différents sons, tandis que le chercheur a signalé ce type de réaction comportementale chez tous les participants. Les parents 1, 4 et 5 ont remarqué aussi une hyposensibilité auditive chez leur enfant, qui les incitait à émettre à haute voix des bruits rythmiques. Le chercheur a fait la même observation chez ces trois jeunes participants. Cependant, la majorité des observateurs ont trouvé que les enfants démontraient une certaine habileté à identifier la source d’un bruit (les enfants 1, 2, 3 et 4 selon les parents et le chercheur, et tous les enfants selon l’intervenante). Les parents 2, 3, 4 et 5 ont rapporté une hyposensibilité auditive chez leur enfant, et tous ont déclaré que leur enfant avait développé une fascination pour certains bruits et sons. Cette hyposensibilité a également été observée chez tous les enfants par le chercheur. De son côté, l’intervenante l’a constatée uniquement chez l’enfant 5. Une telle hyposensibilité peut-elle expliquer l’incapacité de certains enfants à écouter et regarder en même temps? Les parents 3 et 5 ont effectivement constaté ce problème, et l’intervenante l’a noté dans le cas des enfants 4 et 5, tandis que le chercheur l’a observé chez tous les participants.
Cette incapacité à écouter et regarder en même temps survient de manière concomitante avec le fait que certains enfants deviennent submergés par les bruits. Les parents 3 et 4 ont constaté que leur enfant devenait en effet submergé par les bruits. L’intervenante n’a remarqué ce problème que chez le participant 4, tandis que le chercheur l’a identifié chez tous les jeunes participants. De façon générale, cet ensemble de difficultés sur le plan auditif semble avoir pour conséquence un problème au niveau de la conversation. En effet, l’intervenante et le chercheur ont observé que tous les enfants démontraient des difficultés importantes à suivre une conversation. Toutefois, cette impression ne fait pas l’unanimité, puisque les parents 1, 3, 4 et 5 ont indiqué que leur enfant avait développé cette habileté sociopragmatique; le parent 2 n’a pas pu se prononcer à ce sujet.
Vision
La majorité des participants ont été décrits comme ayant une bonne mémoire visuelle. À titre d’exemple, les parents 1, 2, 3 et 5 ont indiqué que leur enfant démontrait une bonne mémoire visuelle. Pour sa part, l’intervenante a observé cette bonne mémoire visuelle chez les participants 1, 3, 4 et 5, alors que le chercheur l’a identifiée chez tous les jeunes participants.
Les parents 1, 2, 3 et 5 ont observé une fascination pour la lumière chez leur enfant. Ils ont rapporté que cette fascination pouvait devenir source de distraction dans certains environnements. Le chercheur a remarqué cette même tendance chez tous les participants, à la différence de l’intervenante, qui a indiqué que les enfants 1 et 3 ne manifestaient pas ce comportement. Or, il est important de préciser que certains participants semblent aussi réagir fortement aux reflets de lumière dans certains contextes. En effet, le parent 1 a indiqué que, par le passé, son enfant avait réagi fortement à certains reflets de lumière. Le chercheur a observé cette manifestation chez les enfants 1, 3 et 5, tandis que l’intervenante l’a constatée chez l’enfant 2.
Sur un autre plan, les parents 1, 3 et 5 ont indiqué que leur enfant était plutôt hyposensible à la reconnaissance visuelle : ils ont rapporté que, typiquement, leur enfant recherchait des objets de couleur vive, qu’il tendait à fixer du regard. L’intervenante a noté ce même comportement chez deux participants, soit les enfants 4 et 5, tandis que le chercheur a remarqué cette tendance chez tous les participants. Les parents 1, 2, 3 et 5 ont observé aussi, chez leur enfant, une hyposensibilité visuelle les empêchant de bien repérer les objets ou les personnes. Cette hyposensibilité représente un trait marquant, puisque l’intervenante et le chercheur l’ont constatée dans l’ensemble du groupe. Cette hyposensibilité s’accompagnait, chez ces mêmes enfants, d’un comportement de fixation intense pour certains objets ou personnes. Par voie de conséquence, les parents 3 et 5 ont rapporté que leur enfant semblait incapable de reconnaître certains objets quand on lui demandait de les identifier. Comme il a été mentionné précédemment, leur enfant s’attardait plutôt aux contours des différents objets se trouvant dans son environnement. Ce même comportement consistant à tracer le contour des objets avec les doigts a également été identifié chez les participants 2 et 5 par l’intervenante, et chez les participants 3 et 5 par le chercheur.
Par ailleurs, les parents 4 et 5 ont indiqué que leur enfant acceptait difficilement les changements dans son environnement. L’intervenante, elle aussi, a identifié des réactions exagérées chez les cinq participants lorsqu’ils devaient faire face à des changements dans leur environnement. Cette observation est appuyée par le chercheur qui, pour sa part, a identifié ces mêmes réactions chez les participants 1, 2 et 5, tout en reconnaissant une résistance générale aux changements chez les cinq participants. La résistance aux changements est un des comportements typiques observés chez les enfants autistes. Cette observation s’avère confirmée dans le cas des jeunes enfants autistes ayant participé à cette étude. Tous les parents ainsi que l’intervenante et le chercheur ont indiqué que les enfants manifestaient une résistance vis-à-vis des changements.
Une autre manifestation comportementale souvent associée à l’autisme est l’évitement du contact visuel. Or, cette manifestation a été observée par l’ensemble des observateurs dans cette étude. Les parents 1 et 5 ont indiqué que leur enfant évitait le contact visuel, tandis que le parent d’un troisième enfant — le parent 3 — a associé ce comportement à une période antérieure. L’évitement du contact visuel a aussi été remarqué par l’intervenante chez les enfants 2, 4 et 5. Le chercheur a observé l’évitement du contact visuel chez tous les participants. De plus, les parents 3 et 5 ont remarqué, chez leur enfant, une sorte d’hyperfocalisation pour certains stimuli visuels.
Enfin, le comportement consistant à faire des mouvements des doigts ou à agiter des objets devant les yeux a été souligné par les parents des enfants 1, 2, 3 et 5. L’intervenante et le chercheur l’ont constaté chez deux enfants : les participants 2 et 5. Cette manifestation était accompagnée d’une réponse excessive lorsque les cinq enfants étaient approchés sans avertissement, réponse excessive observée par l’intervenante chez les enfants 1, 2, 4 et 5, et chez tous les participants par le chercheur.
Proprioception
Les parents, l’intervenante et le chercheur ont tous trois observé des comportements atypiques au plan proprioceptif chez tous les enfants. Sur le plan tonico-postural, les parents 2 et 4 ont indiqué qu’en bas âge, leur enfant montrait une posture inhabituelle et rigide. Les parents des trois autres enfants ont indiqué que leur enfant manifestait encore cette posture. L’intervenante a remarqué une posture inhabituelle et rigide uniquement chez le participant 4, à la différence du chercheur, qui l’a identifiée chez les participants 4 et 5. De plus, le parent 1 a indiqué que, par moments, son enfant démontrait un faible tonus musculaire. Même constat de la part de l’intervenante, qui l’a signalé chez le participant 4, tandis que le chercheur l’a remarqué chez les participants 2, 4 et 5.
Toujours au plan tonico-postural, les parents 1, 3 et 4 ont indiqué que leur enfant démontrait une hyposensibilité le forçant à prendre appui sur les personnes, les meubles ou les murs pour s’assurer d’un certain équilibre. L’intervenante a identifié cette hyposensibilité chez l’enfant 1, et le chercheur, chez deux enfants, soit les participants 4 et 5. Dans le même ordre d’idées, certains enfants ne semblent pas reconnaître la position de leur corps dans l’espace. Le parent 1 a décrit ce type de réaction chez son enfant, tandis que le parent 3 a dit l’avoir remarqué antérieurement. Pour sa part, l’intervenante a indiqué que les participants 1, 4 et 5 semblaient démontrer ce problème, tandis que le chercheur a indiqué qu’il l’avait observé, à un moment donné, dans l’ensemble du groupe. Enfin, les parents 3 et 4 ont observé chez leur enfant, dès un jeune âge, une certaine maladresse accompagnée d’une rigidité dans les mouvements. Les trois autres parents ont indiqué que leur enfant présentait encore ces problèmes. Cette maladresse et cette rigidité ont été observées par l’intervenante chez un seul participant, soit l’enfant 4, alors que le chercheur a remarqué ces déficits chez tous les jeunes participants.
À ces manifestations s’ajoute un autre comportement atypique : la tendance, chez certains enfants, à se heurter contre les objets ou contre les personnes. Le parent 3 a décrit son enfant comme présentant cette difficulté. L’intervenante a indiqué qu’elle avait remarqué cette tendance chez les participants 4 et 5, tandis que le chercheur a observé cette difficulté chez les participants 1, 3, 4 et 5.
Sur le plan de la motricité fine, les parents 1, 2 et 4 ont remarqué une hypersensibilité motrice causant des difficultés importantes lorsque leur enfant devait manipuler des petits objets. L’intervenante a identifié ces mêmes difficultés chez les participants 2 et 4 (mais non chez le participant 1) et chez le participant 3, tandis que le chercheur, lui, a fait ce constat dans l’ensemble du groupe. De plus, un parent (enfant 1) a constaté que son enfant parvenait difficilement à tenir certains objets en main, difficulté qui se manifestait par le fait que l’enfant les laissait échapper de ses mains fréquemment, un constat que le chercheur a fait chez tous les enfants.
La capacité pour un enfant d’employer le degré de force approprié lorsqu’il trace des lignes, des lettres ou qu’il écrit des mots s’avère une étape importante de pré-écriture. Trois parents, soit les parents 2, 3 et 4, ont observé des difficultés importantes à ce niveau chez leur enfant. L’intervenante a fait le même constat chez les participants 3 et 4, tandis que le chercheur a observé ces difficultés chez tous les participants.
Sur le plan de la motricité globale, le plaisir d’observer son enfant s’amuser à sauter ou à rouler à bicyclette n’est pas assuré aux parents d’enfants autistes. En effet, les parents 1, 2 et 5 ont indiqué que leur enfant avait de la difficulté à sauter à pieds joints ou sur un pied à la fois ainsi qu’à faire de la bicyclette. Pour sa part, l’intervenante a identifié des problèmes importants, dans ce type d’activité, chez les participants 1, 2, 4 et 5. Même constat pour le chercheur, qui a remarqué ces difficultés chez tous les participants. À cette difficulté s’ajoute le problème de fatigue que manifestent certains enfants lorsqu’ils doivent se tenir debout. Par exemple, les parents 3 et 5 ont indiqué que leur enfant se fatiguait rapidement lorsqu’il devait se tenir debout. Le chercheur a observé cette caractéristique chez tous les participants, lorsqu’ils devaient rester debout pendant une certaine période de temps.
Enfin, la capacité pour un enfant d’imiter certains mouvements, une manifestation importante, car elle favorise l’apprentissage vicariant, est déficitaire chez certaines personnes avec l’autisme. Ce déficit est même considéré comme un signe précurseur pouvant mener vers le diagnostic. Dans le présent échantillon, les parents 1 et 5 ont indiqué que leur enfant éprouvait de la difficulté à imiter certains mouvements. L’intervenante a remarqué ce problème chez trois des cinq participants, soit les enfants 2, 4 et 5, tandis que le chercheur a constaté un manque d’habileté uniquement chez le participant 5. Se pourrait-il que ces deux problèmes combinés (rester debout et imiter certains mouvements) forcent certains enfants à éviter certains mouvements du corps?
C’est ce que le chercheur a observé chez tous les participants. Cependant, seul le parent 2 a signalé ce type de comportement chez son enfant, tandis que l’intervenante l’a indiqué pour l’enfant 1. Certains enfants démontrent une hypersensibilité dans le cas de certains mouvements du corps. À titre d’exemple, le parent 3 a observé une hypersensibilité de son enfant lorsqu’il devait se retourner complètement pour regarder quelqu’un. Cette même observation a été rapportée par l’intervenante dans le cas de l’enfant 4, et par le chercheur pour les enfants 2 et 5.
Système vestibulaire
Au plan vestibulaire, on remarque parfois que certains mouvements provoquent des réactions de peur exagérées chez les jeunes enfants autistes. Au cours de leurs observations, le parent 3 (1 = était vrai) et les parents 2 et 5 (2 = vrai) ont rapporté une hypersensibilité, chez leur enfant, dans le cas de certains mouvements, que le chercheur a également remarquée chez les enfants 2, 4 et 5. Il est important de préciser que le parent 3 a observé ce comportement chez son enfant en bas âge. De fait, ce parent indique que ce n’est plus un problème maintenant. Ces parents ont indiqué que certains mouvements associés à certaines activités provoquaient chez leur enfant des réactions de peur exagérées. À titre d’exemple, les parents ont cité les hauteurs, qui représentent, selon eux, un problème important : en cas de hauteurs, il arrivait souvent que leur enfant manifeste une peur de tomber. De son côté, le chercheur a observé que les participants 2 et 5 avaient éprouvé des difficultés reliées à des hauteurs pendant une activité à cet effet.
Les autres données recueillies sur le plan vestibulaire indiquent aussi que la recherche de mouvements brusques de va-et-vient ou circulaires s’avère une nécessité pour les enfants 1, 3, 4 et 5, selon leurs parents. L’intervenante a observé ce même besoin chez tous les participants, tandis que le chercheur l’a constaté uniquement chez trois des cinq participants, les enfants 1, 3 et 4.
D’autre part, les parents 2 et 3 ont indiqué qu’ils avaient remarqué que, lorsque leur enfant était en bas âge, il marchait sur la pointe des pieds de façon exagérée; le parent 5 a indiqué que son enfant marchait encore sur la pointe des pieds. Ces observations concordent avec celles de l’intervenante et du chercheur. De fait, l’intervenante a identifié trois participants qui avaient recours à la marche sur la pointe des pieds : l’enfant 4 marchait ainsi par le passé, et les enfants 2 et 5 marchaient toujours ainsi au moment de l’étude. Le chercheur a fait les mêmes observations chez les participants 2 et 5. De plus, les parents 1 et 3 ont rapporté qu’ils avaient observé une certaine insécurité chez leur enfant lorsqu’il devait marcher sur une surface inégale ou instable. Cela suggère fortement que leur enfant démontrait des réactions d’hypersensibilité. Pour sa part, l’intervenante a constaté une anxiété aiguë chez le participant 4 durant les premiers mois en garderie, et elle a constaté qu’au moment de l’étude, la même anxiété se manifestait encore chez les enfants 1 et 2 lorsqu’ils devaient ramper ou marcher sur des surfaces inégales ou instables. Quant au chercheur, il a observé ces mêmes réactions chez les participants 1, 2, 4 et 5. C’est sans doute ce qui explique que certains enfants montrent une résistance à l’égard de nouvelles activités motrices dans certains contextes. Le parent 1 a reconnu ce genre de comportement chez son enfant, tandis que l’intervenante a indiqué qu’elle l’avait observé chez les enfants 1 et 4. Enfin, le chercheur a indiqué que les enfants 1, 2, 4 et 5 manifestaient ce type de comportement durant le processus d’évaluation.
Interprétation générale
Si l’on considère les résultats de cette étude dans leur ensemble, il en ressort que cette recherche apporte une contribution à quatre égards. Premièrement, la présente étude répond aux recommandations formulées par Nachshen, J., Garcin, N., Moxness, K., Tremblay, Y., Hutchinson, P., Lachance, A., Beaurivage, M., et al. (2008). Ces auteurs ont indiqué que le protocole d’évaluation doit être centré sur la famille et axé sur l’identification des forces et faiblesses de chaque enfant. La responsabilité du chercheur est de s’assurer qu’il a pris en considération toutes les sources d’informations possibles (parents, enseignants) et que l’évaluation a été faite dans divers contextes (maison, école).
Lorsque le chercheur a examiné les résultats, les grilles remplies par les parents ont servi d’étalon, car les parents ont le privilège d’observer leur enfant dans divers environnements sans être contraints par le temps ou le type de situation. Il est bon de souligner par ailleurs qu’alors que les parents et l’intervenante de garderie ont colligé ces grilles à la lumière de leurs connaissances actuelles et antérieures, le chercheur a procédé à partir de situations d’observations directes. Bien qu’un objectif essentiel ait été maintenu — celui de s’assurer que la grille était colligée en prenant pour appui des situations aussi naturelles que possible lors de périodes structurées et non structurées — la tâche des trois répondants différait : pour le chercheur, il s’agissait d’identifier précisément quelles manifestations étaient observables et dans quelles circonstances structurées ou non elles se produisaient, alors que pour les parents et l’intervenante, il était question de remplir la grille à la lumière de leur longue expérience des enfants et de distinguer, parmi les manifestations, celles qui étaient constantes de celles qui n’étaient pas toujours présentes.
À cet égard, Posserud, Lundervold et Gillberg (2006) et Szatmari, Archer, Fisman et Streiner (1994) ont démontré que la relation entre l’adulte et l’enfant ainsi que l’environnement dans lequel les observations sont faites influencent directement la présence ou l’absence de certains comportements. Ces auteurs ont souligné que chaque évaluateur ajoute des informations inédites pour les autres évaluateurs, compte tenu du contexte, du moment, et de la nature de sa relation.
Deuxièmement, Nachshen et al. (2008) ont souligné combien il est important de tracer le profil sensoriel de l’enfant autiste. Pour expliquer les troubles neurosensoriels, Acton et Schroeder (2001), Baranek, (1999), Dunn (1997), Dunn, Saiter et Rinner (2002) ainsi que Kientz et Dunn (1997) ont postulé qu’il existe une modulation défectueuse des afférences sensorielles; ils ont constaté, chez les personnes autistes, des comportements d’hypo — ou d’hypersensibilité aux stimuli. Dans la présente étude, tous les parents, l’intervenante et le chercheur ont rapporté avoir observé des comportements d’hyposensibilité. Voici quelques exemples de comportements d’hyposensibilité : (a) mouvement des doigts ou agitation d’objets devant les yeux (vision) (b) fascination pour certains bruits et sons (auditif) (c) faible tonus musculaire (proprioceptif) (d) recherche de mouvements brusques de va-et-vient (vestibulaire). Ces mêmes observateurs ont aussi noté des comportements d’hypersensibilité tels : (a) aversion pour l’exposition aux reflets de lumière trop brillants (vision) (b) difficulté à manipuler des petits objets (proprioceptif) (c) réactions de peur exagérées face à certains mouvements durant les activités (vestibulaire).
De plus, Baranek et al. (2006), Bogdashina (2003), Hilton et al. (2007), Liss et al. (2006), Myles et al. (2004), Piek et Dyck (2004), Reese et al. (2003) ainsi que Reitan et Wolfson (2003) s’entendent pour affirmer que les réponses neurosensorielles ont une incidence indéniable sur l’ensemble des habiletés d’un individu, et que cette incidence affecte à son tour le développement global de l’enfant autiste.
Dans la présente recherche, l’auteur explore une définition possible des critères primaires et secondaires provenant de la distinction entre les manifestations initiales de nature plus sensorielle et celles en découlant, de nature plus motrice. À titre d’exemple, la présente recherche indique que, parmi les comportements précoces, susceptibles de constituer des facteurs annonciateurs de l’autisme, se trouvent, au premier plan, des comportements d’hyper — et d’hyposensibilité sensorielles. Or, seuls les parents, présents au quotidien dans la vie de leur enfant, sont susceptibles d’observer la panoplie de ces comportements. En somme, les résultats obtenus révèlent des similarités importantes en ce qui a trait à certaines hyper — et hyposensibilités sensorielles. Or, une autre contribution de la présente recherche est de proposer que ces comportements d’hyper — et d’hyposensibilités sensorielles jouent un rôle direct dans les difficultés motrices des enfants examinés, agissant comme des problèmes associés aux secondes difficultés.
Troisièmement, dans le document sur les meilleures pratiques préparé par Nachshen et al. (2008, p. 61), le comité de parents a recommandé aux chercheurs de ne pas porter de jugement à leur égard et, surtout, de ne jamais perdre de vue le fait que le processus d’évaluation ne doit pas servir uniquement à l’identification de symptômes. Cette évaluation fait aussi ressortir des émotions, des frustrations et des espoirs non négligeables, et l’engagement des parents dans ce processus mérite d’être respecté. Ce respect inclut naturellement la reconnaissance de leurs dires comme valables. À cet égard, la présente recherche reconnaît l’importance du travail interdisciplinaire requis pour tracer le profil de l’enfant autiste. Ce travail demande, entre autres, la participation active des parents à titre d’experts, de concert avec tous les professionnels oeuvrant auprès de l’enfant.
Comme le soulignent Rogers, Hepburn et Wehmer (2003), une grille de manifestations comportementales réalisée de manière multipartite et incluant les parents est essentielle pour tracer un profil exhaustif des défis propres aux diverses périodes de développement de l’enfant. La grille descriptive, dans la présente recherche, a été utilisée de préférence à tout test ou à toute observation systématique, parce que, comme le rappellent Campbell, Reichle et Van Bourgondien (1996), les notions préconçues des divers évaluateurs ou observateurs peuvent influencer les résultats. Il est important de signaler que la grille sélectionnée pour cette recherche n’est pas standardisée. Cette grille a néanmoins été retenue parce que, comme le précisent d’autre part Koegel, Koegel et Smith (1997), lorsque les grilles standardisées sont utilisées auprès d’enfants avec autisme qui manifestent des déficits importants aux plans social (deficits in socialinteraction) et comportemental (self-stimulation, task avoidance, escape behaviours), elles s’avèrent très peu fiables, les résultats obtenus variant selon l’humeur du jour et la qualité de l’interaction.
D’autres chercheurs, comme Harrison et Hare (2004) par exemple, ont également choisi d’utiliser une grille comportementale (Sensory Behaviour Schedule), parce que leur but n’était pas d’évaluer, mais de tracer un profil de la personne avec autisme de manière à guider leur intervention. Pour Rogers et al. (2003) comme dans le cas de la présente étude, l’intérêt d’utiliser ce type d’instrument ne provient pas d’un désir d’obtenir des profils analogues, mais d’un désir d’assurer une diversité de perspectives qui permette d’obtenir le profil le plus exhaustif possible.
Enfin, dans un quatrième ordre d’idées, les résultats de la présente étude permettent d’approfondir nos connaissances du phénomène du sensoriel en retraçant les troubles multisensoriels chez cinq enfants autistes variant de léger à modéré. Les résultats de cette étude appuient les constatations de Kern et al. (2007), qui ont documenté une relation possible entre les troubles sensoriels et le degré de sévérité de l’autisme pour le groupe de participants âgés de 3 à 12 ans. Comme nous l’avons mentionné au début de cet article, cette association possible entre les troubles sensoriels et le degré de sévérité de l’autisme permet d’identifier les facteurs annonciateurs du syndrome. Les résultats de la présente étude suggèrent que le degré de sévérité des troubles multisensoriels observés chez les enfants autistes offre une explication très concrète du rôle possible du sensoriel dans l’autisme modéré ou léger.
En ce qui concerne les limites de la présente étude, il importe de préciser que, pour ce qui est des troubles sensoriels, O’Neil et Jones (1997) ainsi que Rogers et Ozonoff (2005) se sont interrogés sur l’existence même de ces troubles, mais surtout, sur les conséquences que ces troubles pouvaient avoir dans le cas de l’autisme. Généralement, la sévérité des symptômes rend la distinction entre des manifestations autistes primaires et secondaires fort difficile. Cette difficulté est d’autant plus importante que les premières manifestations peuvent être de nature variée selon l’âge de la personne concernée et le contexte où elles sont observées. À titre d’exemple, Stone et Hogan (1993) reconnaissent que l’explication de certains comportements dans une perspective sensorielle s’avère souvent difficile à formuler pour les parents. Cette remarque peut expliquer le fait que certaines études indiquent que les troubles sensoriels sont présents chez certains enfants autistes et absents chez d’autres, lorsqu’on interroge les parents à ce sujet. Stone et Hogan expliquent que certains parents n’établissent pas de lien entre les difficultés sensorielles et les troubles du comportement chez leur enfant. Il y a deux explications possibles : soit certains parents parviennent à établir un lien plus tard, une fois que le diagnostic a été posé, soit, au contraire, certains des comportements sensoriels manifestés en bas âge disparaissent avec le temps, ce qui ne permet pas aux parents de faire ce lien. De plus, certains parents hésitent à se prononcer sur certaines manifestations observées en bas âge, préférant croire que leur enfant s’est développé normalement jusqu’à l’âge de 18 mois environ. Enfin, il est fort possible que certains des enfants n’aient pas manifesté de problèmes sensoriels en bas âge, ce qui demeure actuellement une question à explorer.
Une autre limite de la présente recherche est que les résultats ne peuvent être généralisés à l’ensemble de la population d’enfants autistes, étant donné les divergences entre les observations rapportées par les parents, l’intervenante et le chercheur. Suite à son étude sur le partenariat entre familles et professionnels – menée auprès de 12 parents ayant un enfant avec une déficience intellectuelle ou physique, par le biais d’entretiens semi-structurés – Bouchard (2007) a conclu que la relation entre les parents et les professionnels demeure problématique. Schopler (1996) a indiqué que les parents rapportent certaines manifestations qui témoignent des nombreuses années d’observations effectuées dans de multiples situations et contextes. Ces informations, même subjectives, sont cruciales, car les professionnels, eux, obtiennent des informations basées sur un moment spécifique dans le temps et dans un contexte qui diffère de la normale. Schopler conclut que ces deux sources d’informations si importantes fonctionnent selon des priorités et des perspectives différentes. À titre d’exemple, les parents décrivent les manifestations spécifiques de leur enfant, tandis que le professionnel compare ce qu’il voit aux caractéristiques universelles du syndrome. De plus, les parents cherchent à obtenir des services axés selon le profil de leur enfant, tandis que le chercheur risque de s’efforcer de reproduire ce qu’il a appris et il définit sa recherche en conséquence.
Dans leur étude sur le degré de convergence entre parents et enseignants dans l’observation de certains comportements – recherche menée auprès de 75 enfants autistes de 4 à 6 ans – Szatmari et al. (1994) ont constaté un manque de fidélité interjuge entre les parents et les enseignants. Ces chercheurs ont conclu que chaque observateur apporte une contribution unique, souvent non accessible à un autre observateur. De plus, certains comportements peuvent se manifester dans certains environnements et non dans d’autres, ce qui explique également les divergences entre les deux groupes. Ceci suggère qu’il est fort possible que certaines manifestations ne soient observables que dans des contextes spécifiques. Enfin, l’évaluation d’un observateur peut être influencée par ses convictions personnelles, son point de vue théorique et sa conception de ce que sont des comportements normaux.
Sur le plan méthodologique, l’utilisation d’une grille d’observation non standardisée présente aussi certaines limites. En effet, bien qu’elle soit utile pour confirmer l’identification de certaines manifestations décrites par diverses personnes, elle est fondée uniquement sur des souvenirs ou des observations et elle ne repose sur aucun cadre théorique pouvant favoriser la formulation d’hypothèses de recherche ou une meilleure compréhension de la problématique. De plus, les grilles d’observation non standardisées, en dépit d’une bonne validité écologique, sont contaminées par l’effet de l’environnement. Cette méthode présente moins d’objectivité, car elle est le reflet des impressions des parents, de l’intervenante et du chercheur concernant les comportements sensoriels manifestés par l’enfant autiste dans différents contextes.
Enfin, la taille de l’échantillon est une autre limite de la présente étude. Le très petit nombre de participants ne permet pas de tirer de conclusion catégorique; les données recueillies permettent seulement de confirmer que les jeunes enfants qui ont participé à cette recherche, qui avaient tous reçu le diagnostic d’autisme, présentaient telle et telle manifestation sensorielle, que ces manifestations sensorielles étaient apparues à un âge très précoce, et que plusieurs de ces manifestations étaient encore présentes au moment de l’étude. De plus, ces premières manifestations de nature sensorielle demeurent difficiles à distinguer des anomalies comportementales, situation qui a incité un certain nombre de parents à déclarer qu’il ne s’agit jamais uniquement d’un problème sensoriel, mais d’un problème sensoriel doublé d’anomalies comportementales.
Il est impératif que des recherches plus approfondies soient entreprises au plan neuro-sensoriel, de sorte à mieux circonscrire les signes neurosensoriels, la période de leur apparition et leurs effets sur le développement des jeunes enfants autistes.
Conclusion
La présente recherche souligne le caractère hétérogène des profils neurosensoriels, et ce, en dépit du diagnostic unique d’autisme. Ce profil hétérogène rappelle l’unicité de chaque enfant et laisse à penser qu’une partie de ces différences pourrait provenir du moment de l’apparition des manifestations, une hypothèse qui devra faire l’objet de recherches complémentaires. Enfin, cette étude rappelle combien il est important qu’il y ait collaboration entre parents et professionnels pour que nous puissions parvenir à une description exhaustive des profils des enfants autistes. Les résultats de cette recherche soulignent le fait que les parents peuvent être des sources d’informations fiables lorsque l’on tente de préciser les manifestations sensorielles en bas âge. Les parents peuvent fournir certaines informations que les professionnels ne sont pas en mesure d’obtenir autrement et ils sont capables d’évaluer les manifestations sensorielles de leur enfant avec discernement.
La question qui se pose maintenant est de savoir si ces manifestations neurosensorielles constituent un facteur étiologique primaire dans la pathologie de l’autisme, car les recherches, en dépit de résultats encourageants, ne sont pas encore parvenues à trancher sur cet épineux sujet, les rapports de causalité restant toujours difficiles à établir de manière probante. Selon les différentes positions théoriques qui prévalent, l’interprétation varie. En tout état de cause, le plan sensoriel doit désormais faire partie intégrante des investigations reliées à l’autisme. En accord avec la littérature scientifique, ces investigations doivent prendre en considération les composantes de la maturation neurologique de l’enfant avec autisme pour nous guider dans la compréhension de comment l’autisme se développe.
Parties annexes
Note
-
[1]
Les symboles utilisés dans la grille descriptive de Bogdashina. Ces symboles sont H (hearing), V (vision), P (proprioception) et VE (vestibular).
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