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Les enfants qui présentent une déficience intellectuelle (DI) ou un trouble envahissant du développement (TED) sont confrontés à une multitude de barrières nuisant à leur inclusion et à leur participation sociale, que ce soit à l’école, dans leur milieu de garde ou dans les activités dans la communauté (Buttimer et Tierney, 2005; Watson, 2009; Lowenthal, 1999). Devant un tel constat, on comprend l’enjeu de taille derrière la proposition de l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) pour accroître la participation sociale à part entière des personnes handicapées, en soulignant le caractère impératif d’assurer un virage fondamental par l’élimination de ces obstacles, pour la plus grande participation de tous (Office des personnes handicapées du Québec, 2007). C’est dans ce contexte que le Pavillon du Parc, le centre de réadaptation en DI et en TED (CRDITED) de la région de l’Outaouais, s’est doté en 2008 d’une programmation de recherche ayant pour objectif premier de contribuer à construire des communautés inclusives (Pavillon du Parc, 2008).

Comment mesurer la participation sociale?

Malgré l’intérêt grandissant à l’endroit de ce concept, peu d’instruments de mesure permettent d’obtenir un réel portrait de la participation sociale des personnes en situation de handicap. Cela est particulièrement vrai auprès des enfants ayant une DI ou un TED. La majorité des instruments existants tentent de se conformer au cadre de la Classification internationale du fonctionnement et du handicap (CIF) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), que ce soit, par exemple, The Participation Scale (Van Brakel et al., 2006), l’Impact on Participation and Autonomy (IPA; Cardol, De Jong et Ward, 2002), le MHAVIE (Noreau et al., 2007) ou le Lifestyle Assessment Questionnaire (LAQ-G; Jessen, Colver, Mackie et Jarvis, 2003). Néanmoins, une des critiques généralement formulées à l’endroit de la CIF est son manque de dimensions adaptées précisément à la réalité des enfants (Morris, Kurinczuk et Fitzpatrick, 2005; Peremboom et Chorus, 2003). Ces instruments ont aussi tendance à inclure des dimensions de la CIF qui s’apparentent beaucoup plus à l’autonomie qu’à la participation sociale. Plusieurs exemples tirés de l’instrument de l’OMS, le WHODAS-II (2001), permettent de bien illustrer cette réalité : « se rappeler les choses importantes » (Apprentissage et application des connaissances) ; « Se laver le corps tout entier » (Entretien personnel) ; « Se déplacer à l’intérieur de votre maison » (Mobilité); « Entreprendre les tâches ménagères » (Vie domestique). En fait, seules les dimensions se rapportant aux relations et interactions avec autrui, les grands domaines de la vie, ou vie communautaire, sociale et civique pourraient s’apparenter davantage à de la participation sociale. Comme Proulx (2008), nous sommes en désaccord avec la conception selon laquelle des tâches se rapprochant davantage de l’autonomie puissent être interprétées comme étant de la participation sociale (voir aussi Van Brakel et al., 2006). Cette confusion pourrait être due en partie au modèle du Processus de production du handicap de Fougeyrollas, Bergeron, Cloutier, Côté et St-Michel (1998) qui place le handicap et la participation sociale sur un seul et même continuum.

Face à un tel constat, certains auteurs proposent d’évaluer la participation sociale auprès des enfants en se référant à leurs principales situations de vie, soit la maison, l’école, les activités dans la communauté et la famille (Dunst, Hamby, Trivette, Raab et Bruder, 2002; Wilson, Mott et Batman, 2004). Le Conseil de la santé et du bien-être (2001) identifie quant à lui huit dimensions principales en ce qui a trait à la participation sociale des jeunes : la famille, les services de garde, l’école, les amis, le marché du travail (chez les plus âgés), les loisirs et les activités dans la communauté et la politique.

Le développement d’un questionnaire sur les barrières et les accommodements

Zubrow et al. (2009) ont analysé des données de l’Enquête sur la participation et les limitations d’activités de Statistique Canada (version 2001) en sélectionnant certaines questions spécifiques (Statistique Canada 2001, citée par Statistique Canada, 2004). De ces analyses est issu un index des barrières et accommodements rencontrés par les Canadiens de 15 ans et plus qui vivent avec un handicap. Leurs recherches ont permis d’identifier les dimensions qui posent le plus d’obstacles : les ressources financières, le transport, la structure de l’environnement, l’accès aux aides techniques et humaines, ainsi que les attitudes de la communauté. Nous aurions aimé reproduire ces analyses sur l’échantillonnage de Statistique Canada de moins de 15 ans et circonscrire les données de participants ayant un handicap lié à la DI ou à un TED. Ceci s’est avéré impossible étant donné la trop faible proportion de l’échantillon qui aurait ainsi servi aux analyses, dont les résultats seraient devenus non représentatifs de la population canadienne et auraient pu mener à l’identification de sujets. De plus, certaines incapacités se manifestent avec ou sans DI (e.g. paralysie cérébrale) et sans pouvoir le vérifier, il aurait fallu exclure ces sujets, réduisant d’autant l’échantillon.

C’est ainsi que nous avons construit notre propre questionnaire dans le but de créer un index des barrières et des accommodements auprès des enfants de 14 ans et moins ayant une DI ou un TED, en Outaouais. Notre projet de recherche s’inscrit en continuité avec les travaux de Rioux, Zubrow, Miller et Bunch (2003) de même que Zubrow et al. (2009). Nous avons d’abord sélectionné les questions pertinentes de l’ Enquête sur la participation et les limitations d'activités (EPLA, 2006), version enfant 0-14 ans, auxquelles nous avons ajouté plusieurs questions liées à des accommodements, puisque le questionnaire de l’EPLA avait tendance à surestimer le nombre de barrières (EPLA 2006, cité par Statistique Canada, 2007; Rioux, communication personnelle, automne 2008). En réfléchissant aux divers milieux de vie des enfants, nous avons élargi la perspective du questionnaire au-delà des milieux ciblés dans l’EPLA, soit l’école (25 questions), la garderie (12 questions) et la communauté (13 questions). Donc, en plus d’ajouter des questions portant sur les accommodements perçus dans ces trois milieux de vie des enfants, nous avons aussi ciblé les barrières et accommodements rencontrés en service de garde scolaire (quatre questions), dans diverses activités de loisirs en famille (quatre questions), de même qu’en littératie (10 questions). Nous avons privilégié un mode de réponse permettant aux parents d’identifier, pour chacun de ces milieux de vie des enfants, un éventail de barrières et d’accommodements. Les barrières ou les accommodements offerts dans les choix de réponses sont de nature structurelle, financière, liées au transport, au niveau du soutien et à la formation du personnel, aux aides techniques et aux croyances des parents et de leur entourage, reproduisant ainsi les catégories répertoriées dans l’Index des barrières et des accommodements de Zubrow et al. (2009). D’autres questions plus générales portent sur les barrières et accommodements rencontrés par les parents dans l’aide et les services professionnels reçus (neuf questions), l’aide à la prise de rendez-vous (deux questions), l’aide humaine (cinq questions), le transport en commun et celui pour accéder à des soins professionnels (12 questions), la médication (cinq questions), les aides et prothèses physiques spécifiques au handicap de l’enfant (11 questions), le sentiment d’appartenance à la communauté (deux questions) et les impacts de la condition de l’enfant sur les parents (trois questions). Des questions sociodémographiques renseignent sur le lieu de résidence (code postal), la situation de vie, la langue maternelle de l’enfant, le niveau de scolarité des parents, ainsi que leur niveau de revenu familial.

L’utilisation du questionnaire

Participants

Deux cent trente-quatre parents dont les enfants de 0-14 ans reçoivent des services du CRDITED Pavillon du Parc ont été sollicités par envoi postal et par relance téléphonique à participer au projet de recherche. De ce nombre, 50 parents (43 mères, sept pères) ont accepté de participer au projet. Près de la moitié des répondants de l’échantillon (24/50) avaient un enfant avec un diagnostic de DI et l’autre moitié (26/50), un diagnostic de TED. Les enfants concernés étaient 35 garçons et 15 filles. Seize enfants étaient d’âge préscolaire (0 - 5 ans), tandis que 34 d’entre eux avaient entre 6 et 14 ans. La langue maternelle de ces enfants était majoritairement le français, tandis que20 % avaient pour langue maternelle l’anglais, ce qui reflète bien la région de l’Outaouais. Parmi ces enfants, 31 fréquentaient l’école, 17 un service de garde et 2 demeuraient à la maison à temps complet. La majorité des enfants provenaient d’un milieu familial composé de deux parents (36 enfants), 3 étaient en garde partagée, 9 vivaient avec leur mère, 1 enfant était en résidence et 1 enfant demeurait avec un tuteur légal autre que ses parents.

Déroulement

Des rendez-vous ont été planifiés avec les parents au moment de leur choix afin de procéder aux entrevues téléphoniques. Un seul des parents de l’enfant était sollicité à prendre part à l’entrevue d’une durée approximative de 45 minutes. Chaque question et choix de réponse était lu au téléphone par l’intervieweur. Pour chaque barrière ou accom-modement, le parent répondait si oui ou non il était présent dans la vie de son enfant. Ces catégories ne nous permettent pas d’en évaluer l’intensité, la fréquence ou le degré d’importance relative. Dans tous les cas, les parents pouvaient nommer tout autre barrière ou accommodement qui aurait été omis des choix de réponse proposés par l’intervieweur.

Analyse

Les données ont été compilées dans un fichier SPSS, un logiciel de traitement de données. Des analyses de nature descriptive ont été effectuées pour comparer le vécu des sujets sur la base des caractéristiques suivantes : groupe d’âge (0-5, 6-11 et 12-14 ans), la présence ou non d’une incapacité motrice, le diagnostic (DI vs TED) et le sentiment d’appartenance des parents (fort vs faible).

Résultats

Une première série d’analyses visait à comparer la participation sociale des enfants de 0 à 14 ans avec une incapacité motrice[1] (n = 7) à ceux sans incapacité motrice (n = 42)[2] ajoutée à leur diagnostic premier de DI ou TED. Les résultats ont soulevé des différences importantes au niveau des activités de loisirs organisées, particulièrement celles se déroulant avec un instructeur (voir Figure 1). Ainsi, 18 enfants (42,86 %) avec une DI ou un TED participaient à des activités avec un entraîneur, comparativement à un seul enfant sur sept (14,30 %) lorsqu’une incapacité motrice s’ajoutait au diagnostic. Au niveau d’autres activités de loisirs, tels que des cours de musique ou d’arts, et des programmes communautaires comme les scouts ou des groupes religieux, la proportion d’enfants qui y participaient était plutôt faible, oscillant entre 14,3 % et 28,6 %. C’est sans surprise que les parents d’enfants avec une incapacité motrice ont nommé les activités, le matériel et l’environnement physique non adaptés à la condition de leur enfant comme étant les principales barrières à sa participation aux activités de loisirs organisées, alors que ces barrières étaient moins citées par les autres parents. En outre, le coût trop élevé de ces activités a été évoqué par deux parents sur trois – mais il faut savoir que les familles d’enfants avec limitations motrices de notre échantillon avaient un niveau socioéconomique moins élevé que les autres. Dans les deux groupes, les ¾ des parents dénonçaient le manque de ressources d’accompagnement comme barrière.

Il est intéressant de noter que chez les familles dont les enfants participaient à des cours, des clubs et des sports organisés (n = 27), les ressources d’accom-pagnement étaient rarement citées comme motifs ayant favorisé la participation de leur enfant (9/25), sauf s’il avait une incapacité motrice (2/2). Cent pour cent des parents concernés (27/27) ont répondu qu’ils trouvaient « important que [leur] enfant participe à cette activité ». Les autres facilitateurs les plus nommés furent que les gens étaient accueillants (26/27), le transport requis était disponible (22/27), l’environnement physique était adapté (20/27) et le personnel sensibilisé (21/27).

En ce qui a trait aux activités libres disponibles dans la communauté, aucune différence remarquable n’a été identifiée quant à la proportion d’enfants qui jouaient dans les parcs, les jeux d’eau ou les terrains de jeux (40/42 enfants, 7/7 enfants), ou qui participaient à des sports tels que le badminton, le patin ou la natation (bain libre) (38/42 enfants, 5/7 enfants). De même, la majorité fréquentait la bibliothèque (28/42 enfants, 5/7 enfants), le cinéma ou le théâtre (32/42 enfants, 5/7 enfants). Les motifs évoqués comme ayant favorisé la participation sociale de leurs enfants ne distinguaient pas non plus les parents entre eux. Quarante-six parents sur 47 jugeaient important que leur enfant prenne part à l’activité et la presque totalité ont rapporté que les gens étaient accueillants (43/47), les activités se réalisaient avec des amis ou des membres de la famille (45/47), celles-ci étaient situées près de leur domicile (44/47), et que le transport étaitdisponible (39/47). Par contre, lorsqu’on a demandé aux parents dont les enfants n’avaient pas participé aux loisirs supposément accessibles à tous, « quelles conditions ont limité la participation de [leur] enfant » à ces activités, cinq parents sur sept (5/7) disaient que ces activités ou le matériel « n’étaient pas adaptés à la condition de [leur] enfant ». Dans une moindre mesure, trois parents sur dix (3/10) sentaient que les gens étaient peu accueillants, 3/11 ont signalé le manque de ressources d’accompagnement, et 3/9 déploraient que ces activités ne soient pas offertes près de chez eux.

Discussion

Les données recueillies illustrent, de façon générale, peu de différences dans la participation sociale des enfants avec une DI ou un TED, qu’ils aient une incapacité motrice ou non. La différence la plus marquée entre les deux groupes se trouve dans les activités qui se font avec un entraîneur; sans être nommées, elles réfèrent largement à des sports de compétition. Ceci est sans doute attribuable à l’incapacité motrice qui rend plus difficile la participation de ces enfants à ce type d’activités (Kowalchuk et Crompton, 2009). Ce que l’on peut relever pour l’ensemble de notre échantillon, c’est que les enfants avec une DI ou un TED sont beaucoup moins susceptibles de participer à des activités de loisirs organisés qu’à des activités libres, accessibles à tous, avec leur famille. La variable qui semble la plus déterminante à ce que des enfants avec une DI ou un TED prennent part à des activités de loisirs dans la communauté est l’attitude des parents, qui jugent qu’il est important que leur enfant participe à ces activités. Ces parents perçoivent par ailleurs que les gens qu’ils rencontrent dans ces contextes sont ouverts à la différence et les environnements adaptés aux capacités de leur enfant. Le transport est accessible à ces familles et il n’a jamais été cité comme présentant un obstacle pour les quelques familles dont les enfants ne participent pas à de telles activités. Tant que l’enfant peut voyager avec ses parents, il se voit offrir des occasions de fréquenter les autres et de prendre part à des activités ou événements. En revanche, pour la population adulte avec des incapacités, le transport est une barrière de premier ordre (Beart, Hawkins, Kroese, Smithson et Tolosa, 2001; Zubrow et al., 2009).

Figure 1

Proportion des enfants avec une DI ou un TED qui participe à des activités de loisirs dans la communauté

Proportion des enfants avec une DI ou un TED qui participe à des activités de loisirs dans la communauté

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Somme toute, on constate que les familles qui ont participé à l’étude permettent à leur enfant de mener une vie la plus « normale » possible. Par contre, nous ne connaissons pas cette « norme ». Il serait souhaitable de comparer ces taux de participation à celui d’enfants de la population générale du même âge (chronologique et développemental) et du même niveau socioéconomique. À l’heure actuelle, on ne peut pas se prononcer si les taux de participation que nous avons observés sont anormalement bas et attribuables aux barrières citées par les parents d’enfants avec une DI ou un TED. Il est possible que tous les enfants soient plus présents dans des activités de loisirs non structurées, et que le taux de participation à des activités sportives avec un entraîneur et des cours de musique, par exemple, soit plus fortement relié au revenu familial qu’à la condition de l’enfant. Par ailleurs, un échantillon plus important d’enfants ayant une incapacité motrice permettrait d’avoir des résultats qui illustrent plus fidèlement leur réalité.

Conclusion

Cet article a présenté un nouvel instrument, soit le questionnaire de l’Index des barrières et des accommodements à l’inclusion et la participation sociale des enfants ayant une DI ou un TED. Cet instrument permet de mesurer le degré de participation sociale au sein de chacun des milieux de vie des enfants, ainsi que d’identifier les barrières rencontrées et les accommodements ou facilitateurs qui permettent une plus grande participation sociale de certains enfants. De futures analyses sont prévues qui compareront les défis particuliers des familles selon le diagnostic de l’enfant (DI vs TED), son groupe d’âge (0-5 vs 6-11 vs 12-14 ans) et selon sa provenance (milieu rural vs urbain). L’utilisation du questionnaire dans d’autres régions et avec un groupe témoin d’enfants jumelés sur leurs caractéristiques démographiques est aussi souhaitée.