Dans une démarche d’analyse multidimensionnelle du phénomène de la pornographie, l’autrice Johanne Jutras engage une discussion approfondie sur les aspects sensibles et controversés de ce sujet. Elle adopte une approche qui exclut explicitement les images pornographiques de son travail. À travers sa recherche, elle examine un large spectre allant de la pornographie impliquant des mineurs, aux conséquences de la consommation de la pornographie de masse, jusqu’aux agressions sexuelles envers les femmes. Son travail méticuleux englobe la littérature scientifique sur le phénomène de la pornographie de 1980 à 2019, complétée par des données récentes issues de diverses entités gouvernementales. Cette recherche psychologiquement exigeante s’articule autour de nombreux discours imprégnés de haine à l’encontre des femmes. Le livre contient trois parties : la première s’intéresse à la pornographie de masse, la deuxième, à la pornographie gaie et la troisième, à la pornographie juvénile. Les trois parties, inégales, proposent des structures similaires avec, notamment, une définition de leur contenu, les débats suscités et les effets de leur consommation sur les individus. D’emblée, Jutras décrit les réactions extrêmes engendrées par la pornographie en exposant les divergences d’opinions des féministes (radicales, libérales et prosexes), soulignant son caractère polarisant. Elle suggère que la définition de la pornographie est aussi variée que le nombre d’individus l’interprétant et qu’elle évolue selon les normes sociétales, l’essor technologique des médias et ses implications économiques. En cataloguant les idées préconçues, Jutras évoque les problématiques associées aux conceptions stéréotypées de la pornographie tout en offrant une perspective élargie, prenant en compte l’interdisciplinarité des facteurs qui la façonnent. Notamment, elle aborde l’épineuse notion juridique qui définit et balise la pornographie de masse et la pornographie juvénile. Son ouvrage ouvre également un débat sur les conséquences de la consommation de la pornographie chez ses utilisateurs en s’interrogeant sur ses aspects positifs et négatifs : « Cependant, la réponse obtenue est aussi confuse que les définitions de la pornographie et de l’obscénité » (p. 55). Si, d’un côté, on déclare qu’elle n’est pas dommageable, de l’autre, on la relie à des crimes sexuels violents. En effet, en délimitant initialement les paramètres de ce qu’est la santé sexuelle, Jutras met en évidence certains effets bénéfiques de la pornographie de masse chez les individus, tels que : « une amélioration de leur vie sexuelle, une augmentation de leurs connaissances ainsi qu’une attitude plus positive et permissive à l’égard de leur sexualité » (p. 127). Cependant, elle remet en question ces avantages de l’exposition à la pornographie et son influence sur la reproduction des comportements violents, en expliquant que les principaux consommateurs de pornographie de masse sont de jeunes garçons, qui tombent souvent par hasard sur ce type de contenu sur Internet. Elle conclut que la pornographie de masse est principalement orientée vers le plaisir masculin et que la satisfaction au féminin a peu d’importance ou n’en a pas du tout. Dans la pornographie de masse, les actes dégradants ou humiliants envers les femmes sont monnaie courante, tout comme les gestes agressifs et violents pour lesquels plusieurs actrices affichent du plaisir (voire de l’extase). Ces constats « renforcent les affirmations d’universitaires féministes qui ont signalé depuis 1975 le potentiel violent de la pornographie et de ses méfaits sur les femmes, car la pornographie favorise la misogynie et la violence à l’égard des femmes en les présentant comme des objets sexuels qui aiment être humiliés » (p. 68). Jutras dresse un panorama de l’industrie qui la produit et des revenus considérables qu’elle génère (par des statistiques étoffées de l’explosion des activités sur Internet) et constate que les jeunes femmes qui travaillent dans l’industrie subissent en retour coercition et violence. …
Johanne Jutras, Pornographies…, Montréal, BouquinBec, 2021, 250 p.
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Marie-Josée Saint-Pierre
Université Laval
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