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Georges Labrecque, après avoir publié en 2016 l’ouvrage Archéologie de la pensée sexiste consacré à l’Antiquité, revient avec un second volume, qui englobe cette fois la période allant du Moyen Âge au xxie siècle. Son introduction rappelle que les femmes ont suscité à la fois remarques sexistes et plaidoyers féministes à travers l’histoire. Le projet de l’auteur semble être de donner un aperçu de ces réflexions sur les femmes, tant du côté des remarques misogynes que de celui des premiers argumentaires féministes, en incluant également certains hommages et plaidoyers bienveillants qui ne sont pas féministes à proprement parler, comme en témoigne bien la citation suivante (p. 9) :
Ces insultes choquent mais ne doivent pas occulter le fait que les femmes, trop peu nombreuses à prendre la plume, ont été par ailleurs défendues par bien des hommes qui les ont sincèrement aimées et appréciées.
L’ouvrage est divisé en six chapitres, chacun traitant d’une période distincte : Moyen Âge, Renaissance, xviie siècle, xviiie siècle, xixe siècle et xxe siècle. Chaque chapitre est à son tour divisé en sections – par exemple, « Droit », « Philosophie », « Théologie » et « Littérature ». Chaque section présente un certain nombre d’auteures et d’auteurs dont l’apport est jugé particulièrement marquant.
Comme la nature de l’ouvrage rend difficile le fait de le résumer plus précisément sans le répéter dans son intégralité, j’aborderai ci-dessous quelques points qui me semblent mériter une attention particulière.
Il convient d’emblée de saluer le caractère ambitieux du projet et l’ampleur de la période étudiée : avec ses presque 500 pages, le volume permet de constater l’érudition impressionnante de l’auteur. Celui-ci recense ainsi un ensemble de textes qui ont traité, d’une façon ou d’une autre, du sujet de « la femme ». Alors que la vaste majorité des noms cités figurent au panthéon des classiques, le volume a aussi la grande qualité de faire connaître des personnalités moins connues : par exemple, Marie de Gournay et François Poulain de la Barre, tous deux responsables de plaidoyers féministes uniques en leur genre et méritant d’être mieux connus. Celui ou celle qui désire lire davantage sur le sujet des femmes et sur les arguments qu’elles ont inspirés au fil de l’histoire y trouvera donc de précieuses références.
Cette vaste portée du projet de Labrecque le rend toutefois difficile à circonscrire par moments. D’abord, en ce qui a trait au choix des auteures et des auteurs. Labrecque mentionne lui-même avoir dû faire des « choix déchirants » (p. 371) mais sans pourtant les justifier outre mesure. Une attention particulière est bien évidemment accordée aux auteures et aux auteurs de France, mais l’ouvrage comporte aussi quelques noms anglais (par exemple David Hume, Edmund Burke et Mary Wollstonecraft), allemands (Samuel von Pufendorf, Gottfried Wilhelm Leibniz, Immanuel Kant, etc.) ou italiens (Dante Alighieri, Francesco Petracco, Giovanni Boccaccio, etc.). S’il est clair que les auteures et les auteurs non français ont été sélectionnés sur la base de leur renom, ce n’est pas le cas des Françaises et des Français. Une fois encore, il est tout à l’honneur de Labrecque d’introduire son lectorat à ces noms moins connus. Il aurait peut-être valu la peine de se consacrer uniquement à la France ou alors de justifier davantage les choix effectués. Le résultat en est que certains textes qui me semblent incontournables sont passés sous silence : pensons, par exemple, aux écrits de Gabrielle Suchon et d’Anna Maria van Schurman au xviie siècle ou à ceux d’Émilie du Châtelet, de Catharine Macaulay, de Theodor von Hippel et d’Amalia Holst au xviiie. Certes, il est impossible d’inclure tout le monde; cependant, les textes retenus ou non me paraissent insuffisamment justifiés.
Ce caractère un peu arbitraire du choix de textes se répercute parfois sur la division interne des chapitres en sections. Il est ainsi difficile de comprendre la raison pour laquelle Wollstonecraft, par exemple, dont l’oeuvre s’avère bien plus philosophique ou politique que juridique, est classée sous « Droit » aux côtés de Cesare Beccaria et d’Emmanuel-Joseph Sieyès.
Enfin, la démarche de Labrecque peut laisser perplexe à certains égards. L’ouvrage, qui prend rapidement une tournure encyclopédique, inclut nombre d’auteurs misogynes aux côtés de pionnières et de pionniers du féminisme, ce qui est indubitablement précieux en vue d’une compréhension étendue du sujet (les voix féministes s’élevant contre la misogynie de leur temps). L’importance accordée aux auteures et aux auteurs est cependant très variable : Friedrich Nietzsche, par exemple, mérite une entrée d’une dizaine de pages, alors que la contribution de François Poulain de la Barre, pourtant grand défenseur de la cause des femmes, tient en une seule page. Il est évidemment impossible d’accorder une place égale à tout le monde; toutefois, l’ouvrage ne rend pas toujours justice à l’importance des parcours. Certaines notices sont ainsi exclusivement biographiques et bibliographiques : on y présente quelques citations, mais les arguments clés de la personne citée ne sont pas nécessairement mentionnés. Soulignons à tout le moins la section « Droit » du chapitre consacré au xviiie siècle, dont les notices m’ont paru particulièrement bien tournées.
Cela me ramène à l’érudition démontrée par Labrecque qui vaut la peine d’être soulignée de nouveau. La littérature secondaire employée se révèle également intéressante : on remarque d’abondantes références à un ouvrage de Françoise Collin, Evelyne Pisier et Eleni Varikas (2000), vraisemblablement source d’inspiration majeure. Il arrive cependant que le recours à la littérature secondaire soit moins rigoureux : on note ainsi certaines références à l’oeuvre de Jean-Baptiste Botul (par exemple, aux pages 235 et 241) et à Wikipédia (par exemple, à la note 917 de la page 435).
Ces quelques réserves n’enlèvent rien aux qualités de l’ouvrage, qui constitue assurément une bonne introduction pour qui veut s’initier au sujet des femmes et à ce qui a été dit sur elles au cours de l’histoire.
Parties annexes
Références
- COLLIN, Françoise, Evelyne PISIER et Eleni VARIKAS, 2000 Les femmes de Platon à Derrida : anthologie critique. Paris, Plon.