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Ce livre est le fruit d’un colloque organisé le 8 mars 2006 à Paris, à la Bibliothèque nationale de France, pour le cinquantenaire du Mouvement français pour le Planning familial (MFPF). L’évènement a suscité de nombreuses manifestations dans le pays, signe de la place importante tenue par le Planning familial. C’était aussi l’occasion de revenir sur une histoire qui a commencé en 1956, avec la naissance de l’association La Maternité heureuse, devenue le MFPF en 1960. Cependant, l’ouvrage ne se présente pas comme un récit historique sur ce mouvement emblématique de la lutte pour les droits des femmes en France. Il propose plutôt une approche thématique en interrogeant les rapports entre le Planning familial et le féminisme, les religions et la laïcité, la politique, ainsi que les nombreux relais de ce mouvement dans la société et la sphère culturelle. Ces thèmes font l’objet de onze articles rédigés par des historiennes, sociologues et politistes. La dernière partie fait place à la mémoire, avec quatre témoignages de personnalités du MFPF ayant participé activement aux différentes phases de son histoire : Pierre Simon, médecin engagé dans les débuts de ce mouvement, Simone Iff, Danielle Gaudry et Françoise Laurant, militantes et responsables à différents niveaux de l’organisation, des années 1970 aux années 2000. Ces récits fournissent un matériau riche pour l’histoire du Planning familial, un chantier déjà entamé mais qui demeure largement ouvert comme l’explique, en introduction, Christine Bard, codirectrice de cette publication réalisée en collaboration avec l’association Archives du féminisme[1]. Les sources ne manquent pas : archives, publications, dont le grand nombre témoigne du dynamisme éditorial du MFPF, riche collection d’affiches, dont certaines figurent dans le livre.
Comptant un demi-siècle d’existence, le Planning familial présente une longévité rare parmi les mouvements de femmes en France. Apparu durant les années 1950, période de reflux du féminisme, il a occupé une place originale et bénéficié d’une réelle visibilité. Pour Michelle Perrot, auteure de la postface du livre, ce mouvement a constitué une matrice du féminisme qui s’est affirmé en France à partir de 1970 avec le Mouvement des femmes. À l’origine du MFPF, il y a la détermination de quelques femmes, dont la fondatrice, Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé, médecin gynécologue, révoltée par les suites tragiques d’avortements clandestins auxquels les femmes avaient recours dans la France des années 50. Le 8 mars 1956, les statuts de l’association La Maternité heureuse sont déposés. L’objectif est d’en finir avec les drames de l’avortement, en permettant aux femmes d’accéder aux moyens modernes de régulation des naissances, comme en Amérique du Nord ou dans certains pays européens adeptes du birth control. Pour atteindre cet objectif, il faut en France lever l’interdit sur la propagande anticonceptionnelle inscrit dans une loi votée en 1920 peu après la terrible saignée de 1914-1918. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la conjoncture est bien différente avec les nombreux enfants du baby-boom. Les dirigeantes de l’association La Maternité heureuse sont d’ailleurs des mères de famille, pour la plupart de milieux bourgeois progressistes. Le thème du bonheur des couples et des familles tient une grande place dans les textes de cette association qui mettent aussi l’accent sur la liberté et la responsabilité des femmes et des hommes.
Peut-on alors parler d’un mouvement féministe? Sylvie Chaperon et Françoise Picq montrent que, à l’association La Maternité heureuse puis dans les débuts du MFPF, on ne se dit pas féministe. C’est le cas des hôtesses chargées de l’accueil des femmes et des couples venus s’informer sur la contraception, comme des responsables du MFPF. La fondatrice, de culture catholique, mariée à un pédiatre de renom, envisage la contraception d’abord comme praticienne. Elle entend agir de manière efficace, en réunissant des formes de soutien variées, mais refuse toute dérive militante. Le tournant féministe du Planning familial s’effectue dans le contexte turbulent des « années 68 »[2], marquées par de multiples formes de contestation. La très lente application de la loi de 1967 légalisant la contraception, signe d’une mauvaise volonté évidente des pouvoirs publics, nourrit le processus de radicalisation du MFPF. L’arrivée de jeunes militantes engagées dans le Mouvement des femmes et la prise de position en faveur de la légalisation de l’avortement en 1973 suscitent des débats internes et entraînent le départ de celles qui ne se reconnaissent plus dans un mouvement fondé, à ses débuts, pour lutter contre l’avortement. Le MFPF s’engage alors aux côtés du Mouvement pour la libération de l’avortement et de la contraception (MLAC) créé en 1973, qui, en choisissant d’agir dans l’illégalité, a joué un rôle important dans le processus menant à la loi de 1975 légalisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Au cours de cette période très animée, le Planning familial entame une transformation de son mode de fonctionnement. En 1973, les hôtesses-animatrices prennent le pouvoir sur les médecins et les notables qui quittent le MFPF. Pour la première fois, une femme qui n’est pas médecin, Simone Iff, accède à la présidence. Liberté de parole, confrontation des expériences, partage du pouvoir, mais aussi respect du choix majoritaire, délégation de pouvoir et tenue rigoureuse des finances sont les règles que se donne l’organisation. Celle-ci est en réalité une confédération organisée en associations départementales et fédérations régionales dont les congrès sont préparés par de nombreux allers et retours entre la base et le sommet, comme le montre Françoise Thébaud[3]. Pendant les années 80, le Planning familial est à la fois mouvement d’éducation populaire et organisation féministe – expression introduite officiellement dans les statuts de 1983 –, mouvement militant et association de services, interlocuteur de l’État tout en gardant une position contestataire et une volonté d’autonomie. Ces différentes facettes ont engendré des tensions récurrentes dont Isabelle Friedmann rend compte pour la période 1980-2000. Cependant, ces tensions ont aussi été facteurs de dynamisme pour un mouvement qui a renouvelé son champ d’action et qui a également dû affronter de nombreux obstacles.
« Le Planning familial et les politiques, cinquante ans d’affrontements » : c’est ainsi que Janine Mossuz-Lavau analyse l’histoire des relations entre le MFPF et le monde politique. À ses débuts, le MFPF a rencontré l’hostilité de la droite, mais aussi du Parti communiste qui voyait dans la régulation des naissances une arme contre la classe ouvrière. En revanche, la gauche laïque et non communiste a été d’emblée favorable à l’idée de régulation des naissances, de même que la mouvance libertaire et d’extrême gauche. La bataille a été rude au Parlement lors des débats qui ont précédé le vote des lois Neuwirth (1967) et Veil (1975), présentées par des gouvernements de droite, mais votées grâce aux voix de la gauche et d’une droite libérale ayant pris ses distances par rapport à la tradition conservatrice. Rappelons ici le rôle joué par Simone Veil, qui a soutenu avec fermeté et courage cette loi. Toutefois, l’adoption des lois ne signifie pas la fin des résistances. Les débats seront encore vifs en 1979, quand la loi Veil devient définitive, puis en 2001, avec l’allongement du délai légal pour l’IVG. La tonalité des débats est cependant moins violente, à l’exception de groupes extrémistes très minoritaires, signe que la société française a changé, le MFPF ayant été, selon Florence Rochefort, l’agent actif d’une forme de laïcisation. Ainsi, la remise en cause de la contrainte très forte qui pesait sur les femmes – avec l’obligation d’accepter une grossesse non désirée – est entrée dans les moeurs, malgré la forte résistance de l’Église catholique.
L’attitude de l’Église a pesé lourd dans un pays marqué par la culture catholique, malgré sa tradition laïque. C’est l’héritage d’une longue tradition de refoulement de la sexualité évoquée par Guy Michelat. Certes, le discours catholique évolue au XXe siècle avec la reconnaissance du principe de régulation des naissances, mais l’interdiction de la contraception dite non naturelle et de l’avortement demeure. Des femmes catholiques sont pourtant engagées au MFPF, mais plus nombreuses sont les protestantes, aussi bien chez les cadres que parmi les militantes de base venues souvent par l’intermédiaire du mouvement protestant Jeunes Femmes né en 1946. Cet engagement en faveur de la liberté et de la responsabilité des individus est aussi le fait de femmes et d’hommes de culture juive ou liés à la franc-maçonnerie qui apportent leurs compétences et fournissent des relais pour le MFPF dans le monde médical, la presse et la sphère culturelle.
La création, en 1962, du Collège des médecins du Planning familial – un coup de force symbolique, selon Sandrine Garcia – remet en cause le monopole du très conservateur Conseil de l’Ordre des médecins. Se présentant comme des modernes et des humanistes, ces médecins – des hommes pour la plupart – s’intéressent aussi à l’accouchement sans douleur, facteur de progrès dans la vie des femmes et pour la société en général, pensent-ils. C’est le cas de Pierre Simon, mentionné plus haut, ou de Henri Fabre, très actif à Grenoble où il a créé en 1961 le premier centre de planification familiale du pays. Pour légitimer leur action, ces médecins rallient de grands noms de la profession, dont des Prix Nobel, et font appel à des collègues étrangers par l’intermédiaire de l’International Parenthood Federation (IPPF) dont le Planning est la branche française. Cela représente un soutien précieux pour l’action de lobbying auprès des parlementaires et une occasion de faire parler du MFPF dans la presse.
La question de la médiatisation s’est posée dès les débuts du MFPF. Bibia Pavard souligne le rôle joué, de 1955 à 1975, par deux hebdomadaires, L’Express et LeNouvel Observateur, qui ont contribué à lever le tabou sur la contraception et l’avortement, relayant ainsi l’action du MFPF et des féministes. Le 6 avril 1971, Le Nouvel Observateur va plus loin en publiant un manifeste signé par 343 femmes déclarant avoir avorté, malgré l’interdiction légale. Le coup médiatique réussit et la question de l’avortement entre bruyamment dans le débat public. De tribunes, certains journaux sont devenus acteurs d’un combat pour le changement, au risque parfois de ne pas toujours rendre compte de la complexité des positions exprimées à l’époque.
D’autres relais ont fonctionné dans le champ culturel. Delphine Naudier évoque le traitement littéraire des dégâts de l’avortement clandestin avec Le journal d’une femme en blanc, de André Soubiran, livre publié en 1963, qui obtient un grand succès et est adapté au cinéma par Claude Autan-Lara, en 1965. Cependant, le film ne sera diffusé à la télévision qu’en 1973. La même année verra la réalisation, avec un financement du MFPF, du film documentaire – Histoires d’A, de Charles Belmont et Marielle Issartel – qui montre un avortement dans un cadre non médical et des témoignages de femmes. Très politique, ce film interdit de projection, circule clandestinement dans le pays. Ces relais culturels ont ainsi contribué à populariser et à légitimer l’action du MFPF.
Malgré quelques répétitions et la présence de deux articles assez éloignés du sujet – ceux de Guy Michelat et de Fiametta Venner –, ce livre d’une lecture agréable ouvre une nouvelle étape dans l’écriture de l’histoire du Planning familial. Celle d’un examen critique des lectures de cette histoire, dont les lectures féministes produites par le MFPF, dans une autohistoire nourrie par la mémoire des actrices de ce mouvement. Le regard des sciences humaines permet une analyse plus distancée. En effet, il replace dans un contexte plus général ce mouvement qui demeure aujourd’hui un acteur important dans le combat toujours d’actualité pour les droits des femmes.
Parties annexes
Notes
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[1]
L’association Archives du féminisme, fondée en 2000, s’occupe du Centre des Archives du féminisme installé à Angers. Elle a récemment édité le Guide des sources de l’histoire du féminisme, Presses universitaires de Rennes, 2006 (www.archivesdufeminisme.fr).
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[2]
L’expression « années 68 » désigne une période de contestation sociale et politique qui précède les évènements de mai 1968 et se poursuit au-delà.
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[3]
Françoise Thébaud a travaillé sur les archives de l’Élysée (la présidence de la République) concernant le ministère d’Yvette Roudy (1981-1986), première expérience, en France, d’un féminisme d’État.
Références
- CHAPERON, Sylvie, 2000 Les années Beauvoir, 1945-1970. Paris, Fayard.
- DREYFUS-ARMAND, Geneviève et autres (dir.), 2000 Les années 68. Le temps de la contestation. Bruxelles, Complexe.
- FRIEDMANN, Isabelle, 2006 Liberté, sexualités, féminisme, 50 ans de combat du Planning pour les droits des femmes. Paris, La Découverte.
- MOSSUZ-LAVAU, Janine, 2002 Les lois de l’amour. Les politiques de la sexualité en France (1950-2002). Paris, Payot.
- Mouvement français pour le planning familial (MFPF), 1991 D’une révolte à l’autre, 25 ans d’histoire du Planning familial. Paris, Tierce.
- PICQ, Françoise, 1993 Libération des femmes. Les années mouvement. Paris, Seuil.
- WEILL-HALLE, Marie-Andrée, 1959 Le Planning familial. Paris, Maloine.
- ZANCARINI-FOURNEL, Michelle, 2003 « Histoire(s) de MLAC (1973-1975) », CLIO, Histoire, femmes et sociétés, 18 : 243-249.