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Les filles réussissent mieux à l’école que les garçons. Largement reconnu par la communauté scientifique ainsi que par les acteurs et actrices du milieu scolaire, statistiques et études à l’appui, cet état de fait laisse cependant grandes ouvertes les portes à l’interprétation lorsqu’il est question des raisons permettant d’expliquer la différence de réussite entre les élèves des deux sexes. Pourquoi les adolescentes réussissent-elles mieux que les adolescents à l’école? Le tome 1 de l’ouvrage Dynamiques familiales de la réussite scolaire au secondaire propose une part d’explication à une situation complexe et méconnue. Bouchard, St-Amant, Rinfret, Baudoux et Bouchard explorent en effet les pratiques familiales en jeu dans la réussite et l’influence de l’engagement des pères et des mères dans la réussite de leurs filles et fils. La description des données de recherche met en lumière l’importance des dynamiques familiales dans la réussite scolaire, ces dynamiques étant « l’actualisation dans la famille des rapports sociaux – et […] la conjugaison de leurs effets –, saisis dans les représentations de l’école et les pratiques de socialisation qui les accompagnent » (p. 16). Cette approche a le mérite de mettre sous les feux de la rampe un aspect trop souvent rapidement évoqué, soit ce qui se passe à la maison, entre parents et enfants, autrement qu’en empruntant la voie statistique. Ici, la participation respective des filles, des garçons, des pères et des mères à la réussite est envisagée tout en situant plus globalement les dynamiques familiales dans un contexte social d’émancipation des femmes dans la société québécoise. Ainsi, dans leur compte rendu de recherche, ces spécialistes mettent surtout en relief l’impact des pratiques éducatives des mères sur la réussite de leurs filles « dans une perspective de changement social et visant l’affranchissement des modèles de sexe limitatifs » (p. 5).
Le premier chapitre de l’ouvrage circonscrit les fondements théoriques et conceptuels sur lesquels repose la recherche. L’approche interactionniste et une grille de lecture sociopolitique président à la démarche de recherche. Ainsi, partant des théories de la socialisation (dont Chombart de Lauwe (1988) et Duru-Bellat (1990), Bouchard et son équipe adoptent une vision originale de leur objet d’étude. L’approche « s’inspire d’abord des théories de la résistance, auxquelles ont été incorporés les concepts de configuration du social, de médiation et, enfin, de mobilité de sexe, concepts empruntés à diverses sources et susceptibles de fournir les outils nécessaires pour saisir les écarts de réussite entre garçons et filles » (p. 7). Brièvement mentionnés, les théories et les concepts fournissent cependant un éclairage pertinent des dynamiques familiales de la réussite scolaire.
La démarche méthodologique de cette recherche, exposée dans le deuxième chapitre, se distingue par son échantillon et la mise en relation des données. Les sujets féminins de l’étude (N=20) devaient répondre à certains critères attestant leur réussite scolaire. C’est à la fois une originalité de la recherche et une de ses limites : quels seraient les résultats pour un échantillon de filles et de garçons aux résultats scolaires similaires? Choisies pour moitié dans un milieu populaire et pour moitié dans un milieu aisé, les participantes ont également comme caractéristique d’avoir un frère fréquentant la même école secondaire qu’elles, et qui a aussi participé à l’étude. La méthode retenue se singularise aussi en mettant en relation des données obtenues indépendamment auprès des sujets (père, mère, fille et fils de chacune des vingt familles) pour expliciter les dynamiques familiales de la réussite scolaire. Les données sont tirées d’entretiens et d’un questionnaire standardisé sur la motivation scolaire.
Le troisième chapitre de l’ouvrage propose une analyse descriptive des rapports à l’école et aux savoirs scolaires des sujets de l’étude. Les répondantes et les répondants se sont prononcés sur deux dimensions, soit les représentations de l’école et les relations au travail scolaire. Les données (comme celles des autres chapitres) sont décrites par catégorie de sujet (filles, garçons, mères, pères) et par type de milieu (populaire, aisé). Ce chapitre aurait cependant gagné en précision si la position conceptuelle de Bouchard et de son équipe sur le rapport à l’école et aux savoirs scolaires avait été précisée. On retiendra que, de façon générale, les adolescentes tirent du plaisir de l’apprentissage, perçoivent plus souvent l’utilité des savoirs scolaires et étudient davantage que leurs frères. En outre, les parents recourent moins souvent à un système de punitions et de récompenses à l’égard des filles et « leur poussent moins dans le dos » pour qu’elles travaillent et réussissent à l’école. D’autre part, les adolescentes des milieux populaires, parce qu’elles sont doublement « désavantagées » par leur classe sociale et leur sexe, doivent multiplier les efforts pour réussir.
Le quatrième chapitre comprend une description des données relatives à la sociabilité primaire des filles et des garçons. Plusieurs dimensions ont été explorées, dont celles-ci : la connaissance des parents relativement à la situation scolaire de leurs enfants; le degré de liberté accordé par les parents; les discussions entre les enfants et l’un ou l’autre des parents; le parent suivant de plus près la situation scolaire; l’importance de l’école pour les parents; la source parentale de pression sur les enfants. Il en ressort sans grande surprise que, si les deux parents sont au courant de la situation scolaire de leurs enfants, ce sont les mères qui effectuent la plus grande part du suivi scolaire. C’est également vers elles que se tournent les enfants, la plupart du temps, lorsque vient le moment de discuter. Les mères sont d’ailleurs plus susceptibles que le père de partager avec leurs rejetons leurs propres expériences scolaires.
Des résultats particulièrement intéressants émergent lorsqu’il est question de l’importance de l’école pour les parents, du point de vue de leurs enfants. Si tous et toutes, garçons et filles, s’entendent sur son importance, les propos des adolescentes laissent voir des intentions de mobilité de sexe et de mobilité sociale formulées par leurs mères. À noter également que les mères expliquent plus souvent la réussite des filles par le travail et les efforts que ne le font les pères.
Les données décrites au cinquième chapitre concernent la représentation des rôles sociaux de sexe. Trois grandes dimensions y sont définies : la construction d’une réalité sexuée; la différenciation de l’intervention parentale selon le sexe de l’enfant; l’identité de sexe. Pour les deux premières dimensions, il est remarquable de constater que, dans les propos de tous les répondants et répondantes, apparaissent des indices de discrimination entre les sexes. Les motifs de différenciation portent en particulier sur l’âge, le sexe, la sécurité des filles, la personnalité et les résultats scolaires. La différenciation selon le sexe est plus souvent l’oeuvre des pères, mais les mères s’y commettent aussi, bien qu’elles s’en inquiètent. En ce qui a trait à l’identité de sexe, il s’en dégage que pour la moitié des filles, surtout chez celles de milieu populaire, « être une femme », c’est s’affirmer, prendre sa place, alors que pour les garçons les choses vont de soi : ils auront leur place d’hommes. D’ailleurs, les filles s’avèrent plus catégoriques que leurs frères dans le rejet d’affirmations de différenciation en fonction du sexe. En ce sens, la majorité des filles de l’étude, ainsi que les mères, considèrent que l’égalité entre les sexes n’est pas encore atteinte. Du côté masculin, les positions sont plutôt de l’ordre d’une égalité « à peu près atteinte » et même, chez les pères, d’un renversement de l’inégalité, au désavantage des hommes.
Le sixième chapitre concerne les représentations de l’avenir des jeunes. Il inclut plusieurs dimensions relatives à la satisfaction aux résultats à l’école et au diplôme d’études secondaires, mais, surtout, il aborde les questions suivantes : ce que les jeunes et leurs parents envisagent pour l’avenir et ce qu’ils deviendront comme femmes et hommes. Les résultats parmi les plus significatifs émergent de cette portion d’analyse descriptive. Effectivement, il apparaît que les mères espèrent que leurs filles, par l’entremise de l’école, s’émancipent des rôles traditionnels de sexe et que leur avenir soit marqué par une mobilité de sexe et une mobilité sociale. De leur côté, les filles font montre d’ambition en ce sens et leurs propos dénotent une forte détermination à faire leur place dans la vie.
Le septième et dernier chapitre du livre propose une description des résultats tirés d’un questionnaire standardisé sur la motivation scolaire. Ces résultats appuient les propos des répondants et des répondantes en entrevue. Retenons notamment que les filles ont plus souvent une motivation intrinsèque ou autodéterminée que leurs frères. Bouchard et son équipe déduisent de cette portion d’analyse sur la motivation que les différences sont « plus marquées entre soeurs et frères qu’entre élèves de même sexe provenant de milieux socioéconomiques différents » (p. 137), ce qui appuie l’hypothèse de l’importance des dynamiques familiales dans la réussite scolaire.
Au terme de cet ouvrage, Bouchard et son équipe concluent que les mères et les pères interviennent de façon différente dans le projet scolaire de leurs fils et dans celui de leurs filles. Pour les parents, les filles – en situation de réussite dans cette étude – auraient des qualités et des comportements qu’ils considèrent comme liés à leur réussite actuelle et à venir. Le plaisir d’apprendre est inscrit en filigrane dans les réponses des filles et l’ensemble de ce qu’elles expriment se révèle cohérent avec cette position. La volonté de « faire leur place » est très présente chez elles et cette visée pour l’émancipation fait écho aux propos des mères qui souhaitent pour leurs filles une mobilité de sexe et une mobilité sociale, auxquelles l’école leur donnera accès. L’ouvrage se termine par une invitation à lire le second tome, « Les héritières du féminisme ». Le premier tome laissant la plus grande part à la description des données, l’intérêt pour le second tome de l’ouvrage en est avivé, puisqu’il propose une interprétation de celles-ci en laissant place, en particulier aux familles interviewées.