Corps de l’article

La recherche sur la santé des communautés francophones en situation minoritaire (CFSM) s’est substantiellement développée ces deux dernières décennies, notamment grâce à Santé Canada et au volet recherche du Consortium national de formation en santé. Quelques recensions d’écrits portant sur cette production scientifique en témoignent (Forgues et coll., 2009; Molgat et Trahan-Perreault, 2015; Sauvageau, 2018; van Kemenade et Forest, 2015; Vézina et coll., 2009). À titre d’exemple, Sauvageau (2018) a dénombré une soixantaine de publications scientifiques sur les CFSM parues entre 1990 et 2001 et quelque 235 par la suite jusqu’en 2016. Elle soulignait l’importance d’aborder de manière qualitative les changements et les récurrences dans la production des connaissances, puisqu’une analyse du nombre des publications était peu révélatrice des connaissances acquises (Sauvageau, 2018). Dans cette perspective, nous avons entrepris de dresser un bilan qualitatif des connaissances issues de la recherche portant sur les enjeux de santé concernant les communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM)[1] au cours de la décennie 2010-2019 pouvant d’une part éclairer l’identification des axes prioritaires de recherche et d’autre part, mobiliser les connaissances acquises par les recherches afin de mieux répondre aux besoins et d’améliorer l’accès aux services des CLOSM. Ainsi, nous avons élaboré un cadre d’analyse qui permette d’organiser les connaissances en fonction d’une problématique centrale de recherche liée à la situation minoritaire en tant que déterminant potentiel des états de santé, de l’accès aux services et de la qualité et sécurité des soins. Le cadre d’analyse intègre quatre grandes dimensions de recherches portant sur :

  1. l’environnement légal et politique;

  2. les besoins de santé des CLOSM;

  3. l’offre de services sociaux et de santé;

  4. les expériences de soins et les interactions entre les usagers et les intervenants (Savard et coll., en finalisation).

Dans le but de parfaire ce bilan brossé à grand trait, il nous est apparu nécessaire d’approfondir l’impact de la situation minoritaire pour certains sous-groupes spécifiques.

L’objectif de cet article est de présenter les résultats d’une revue de littérature exhaustive qui vise à synthétiser et évaluer la connaissance produite concernant les enjeux de santé et de soins ou services pour le groupe des aînés francophones vivant en contexte linguistique minoritaire comme déterminant potentiel des états de santé, de l’accès aux services et de la qualité et sécurité des soins.

Méthode

À l’instar de Landry et coll. (2007), un processus en cinq étapes a été suivi :

  1. formulation d’une question de recherche;

  2. établissement de critères d’inclusion et d’exclusion;

  3. identification des études pertinentes;

  4. sélection des écrits et extractions des données;

  5. interprétation et synthèse des résultats par une analyse thématique de contenu.

La question à laquelle nous voulons répondre est la suivante : « Qu’est-ce que la recherche nous a appris sur la santé et l’accès aux services de santé des aînés francophones en situation minoritaire ? »

Nous avons effectué un repérage exhaustif de l’ensemble de la production scientifique (incluant les rapports, les thèses et les mémoires) publiée depuis 2000, relatif au domaine, en combinant différentes sources de cueillette des documents et en utilisant les critères d’inclusion suivants :

  • la population à l’étude est constituée d’aînés (65 ans et plus) des CFSM ou si l’étude porte sur une population plus large, des données sur ce sous-groupe peuvent être extraites;

  • l’étude présente des données nouvelles sur les déterminants de santé, la santé, l’utilisation des services sociaux et de santé ou l’organisation de ces services pour cette population.

Les recensions d’écrits n’apportant pas de nouvelles données ont été exclues de la présente analyse.

Pour localiser les études, au fil du temps, notre équipe de recherche sur la formation et les pratiques en santé et service social en contexte francophone minoritaire, le GReFoPS, a constitué une base de références (1 300 textes sur le contexte linguistique minoritaire ainsi que des sujets connexes) de laquelle ont été extraits les documents concernant les aînés francophones au Canada. Nous avons également consulté la base de références de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques. Nous avions également interrogé les bases de références de Social Science Citation Index, Academic Search Premier, Social Science Premium Collection, Google Scholar dans le cadre de travaux antérieurs d’une revue rapide de littérature sur l’exclusion sociale des personnes âgées des minorités linguistiques au Canada, en Finlande et au Pays de Galles (Nyqvist et coll., 2021) et nous avons complété la stratégie de recherche pour les documents en français en consultant les bases de références d’Érudit, Cairn et enfin, pour le repérage des mémoires et des thèses, la plateforme ProQuest. La stratégie de recherche que nous avons utilisée pour l’identification des documents en français comprenait la chaîne conceptuelle suivante : minorit* ET (aîné* OU âgé* OU retrait* OU « âge avancé » OU vieillissement) ET Canada. Enfin, en dernier lieu, nous avons complété notre corpus en consultant les listes de références des documents sélectionnés.

Les trois auteures ont procédé chacun individuellement à l’extraction des données d’un certain nombre d’articles, puis une discussion entre les auteures sur les données extraites a permis d’arriver à un consensus sur les résultats à retenir pour chacune des quatre dimensions du cadre d’analyse mentionné ci-dessus.

Résultats

Au total, 43 articles, 25 rapports et 13 thèses ou mémoires ont été repérés couvrant la période temporelle de 2000 à 2021. Pour la présente analyse, nous avons retenu 42 documents, dont 35 articles, deux chapitres de livres, quatre rapports et une thèse, soit la presque totalité des articles qui contenaient des données originales primaires ou secondaires sur les personnes âgées de 65 ans et plus, ainsi qu’une sélection de rapports et des documents cités dans les articles retenus qui nous sont apparus les plus pertinents. La revue compte 18 études qualitatives, 17 quantitatives et sept études reposent sur un devis mixte. Vingt-sept publications sont en français et 15 en anglais. De plus amples informations sur les méthodes utilisées dans les documents retenus sont disponibles dans une annexe en ligne.

Les résultats sont présentés en fonction du cadre d’analyse de la recherche exposé ci-dessus abordant les thèmes suivants : les connaissances sur la santé et ses déterminants, sur l’expérience des usagers quant à la langue des services et des échanges, sur l’environnement légal et politique des services en français, sur l’organisation des services et la performance du système de santé eu égard aux enjeux linguistiques.

Les connaissances sur la santé et ses déterminants

Les articles qui traitent des états de santé des personnes âgées francophones ou de leurs déterminants sont le fruit d’analyses secondaires d’enquête nationale de santé, principalement l’Enquête sur la santé des collectivités canadiennes (ESCC), l’enquête sur la Vitalité des minorités de langue officielle (EVMLO) et de données administratives de la santé.

Les déterminants de santé

Le vieillissement plus rapide de la population francophone en situation minoritaire comparativement à la majorité anglophone est établi dans presque toutes les études recensées; pour l’ensemble de la population francophone et de façon plus prononcée dans les provinces de l’Ouest (Bouchard et coll., 2015, 2017), en Ontario (Thériault, 2009), au Manitoba (Chartier et coll., 2012), en Acadie (Simard et Bouchard, 2020). Leur situation socioéconomique apparait plus défavorable; une plus grande proportion d’aînés francophones n’a pas de diplôme d’études secondaires, se situe dans le quintile de revenu le plus faible et cette prévalence est plus marquée dans les provinces de l’Atlantique. C’est aussi en Atlantique que les aînés francophones sont proportionnellement plus nombreux à vivre en milieu rural (Bouchard et Desmeules, 2017). Au moyen d’une analyse multidimensionnelle, Bouchard et coll. (2015) ont montré que la situation linguistique minoritaire s’avérait être un déterminant de la pauvreté. Même après la prise en compte de plusieurs déterminants — contexte de vie, statut d’immigrant, éducation, emploi et santé —, les aînés francophones restent plus susceptibles de se situer dans le quintile de revenu le plus faible comparativement aux aînés anglophones. Une analyse différenciée selon le sexe (van Kemenade et coll., 2015) révèle que les femmes aînées, plus nombreuses que les hommes, sont aussi plus vulnérables sur le plan socioéconomique. Peu de personnes aînées francophones sont issues de l’immigration comparativement aux aînés anglophones et ils se retrouvent davantage en Ontario et à l’ouest qu’en Atlantique (Bouchard et Desmeules, 2017).

Ce vieillissement accentué et féminisé, ces conditions de vie plus défavorables sur le plan socioéconomique et la concentration des francophones en milieu rural sont vus, à l’instar des modèles conceptuels en santé des populations, comme des déterminants potentiels de la santé, de l’accès et de la qualité des services. Des intervenants ont observé que certaines personnes âgées francophones plus défavorisées pouvaient se passer de services nécessaires au maintien à domicile en raison des coûts, notamment pour le transport (Kubina et coll., 2018), et qu’un faible niveau de littératie de plusieurs aînés francophones, numérique notamment, influence l’accès aux informations pertinentes, la capacité à naviguer dans les systèmes de soins et la participation aux initiatives d’engagement communautaire (Drolet et coll., 2014; Kubina et coll., 2018; Montesanti et coll., 2017).

Les états de santé

Les études comparant les états de santé ou les comportements sanitaires des aînés francophones à ceux de leurs homologues anglophones montrent peu de différences. Une tendance est néanmoins constante : les aînés francophones sont toujours plus nombreux à se percevoir en mauvaise santé (Bouchard et coll., 2015, 2017; Chartier et coll., 2012; Simard et Bouchard, 2020; Thériault, 2009). Fait intéressant au Manitoba, l’étude de Chartier et coll. (2012) comparait trois cohortes de francophones suivant l’évolution des droits linguistiques dans la province. Les plus jeunes francophones sont en meilleure santé que les jeunes anglophones, ce qui suggère, selon ces auteurs, une amélioration de la santé avec chaque nouvelle génération qui a vécu une amélioration de droits linguistiques. Sans toutefois établir une relation de cause à effet entre les politiques linguistiques et les résultats, il importe néanmoins d’en tenir compte dans les études sur la santé.

Au Nouveau-Brunswick, une différence significative a été observée pour l’indice de masse corporelle, les anglophones sont plus nombreux à avoir un IMC inférieur à 24 et les francophones, plus nombreux à avoir un IMC supérieur à 30 (obésité) (Dupuis-Blanchard et coll., 2014).

Les études de mortalité rapportées par Simard et Bouchard (2020) révèlent que les hommes francophones présentaient un taux de mortalité légèrement supérieur à celui de leurs homologues anglophones. Dans les groupes plus défavorisés, il était supérieur chez les femmes francophones n’ayant pas de diplôme d’études secondaires et chez les hommes francophones à faible revenu comparativement à leurs homologues anglophones.

Concernant la santé psychologique, les aînés franco-ontariens étaient plus susceptibles de dépression et de détresse et consommaient en plus grand nombre des médicaments psychotropes (Thériault, 2009). Les aînés franco-manitobains étaient aussi plus susceptibles de recevoir des prescriptions potentiellement inappropriées de benzodiazépines (Chartier et coll., 2012). Bien que les aînés francophones et anglophones de l’Ontario se comparaient sur plusieurs indicateurs de santé et de services, les analyses multiniveaux de certaines études ont montré que ceux-ci étaient plus favorables lorsque l’aîné vivait dans une communauté francophone de plus forte densité (Thériault, 2009). Selon Alimezelli et coll. (2013), une forte vitalité communautaire, le sentiment d’appartenance, une forte visibilité de la langue et un niveau élevé d’alphabétisation étaient associés positivement à la santé des aînés francophones.

Les connaissances sur l’expérience des usagers quant à la langue des services

Dans une étude ontarienne, des aînés francophones souffrant de maladies chroniques affirmaient être plus à l’aise de recevoir leurs services de santé en français et préféraient que l’on s’adresse à elles en français, bien qu’elles utilisaient l’anglais par nécessité pour obtenir des services (Bouchard et coll., 2012). Pour certains aînés et proches-aidants de l’Est ontarien, l’accès à des services dans leur langue maternelle est une question d’identité et de valeurs, alors que pour d’autres, il s’agit de mieux comprendre les services, de participer aux discussions et aux décisions, et de se sentir plus à l’aise lors des consultations (Carbonneau et Drolet, 2014; Drolet et coll., 2015). Certains aînés francophones autrefois bilingues mentionnent qu’il devient plus difficile de s’exprimer en anglais en vieillissant ou à la suite d’une maladie (Dupuis-Blanchard, 2013; Savard et coll., 2020). Des intervenants ont aussi observé de l’anxiété ou une moins grande participation à des interventions de groupe chez les aînés francophones qui devaient accepter des services en anglais (Drolet et coll., 2014). Au Manitoba, dans un sondage mené en 2011, 63,2 % des aînés francophones rapportaient mieux comprendre l’information écrite sur la santé en français et 72 % disaient mieux saisir les diverses instructions et options de traitement exprimées verbalement en français (de Moissac et coll., 2016). Bien que certains gestionnaires soient sensibilisés à l’importance des services dans sa langue (Thériault et Dupuis-Blanchard, 2017), des répondants rapportent que certains ne réalisent pas les difficultés que peuvent vivre les aînés francophones pour exprimer leurs besoins en anglais. On présume que ces personnes sont bilingues et peuvent se débrouiller en anglais (Savard et coll., 2020).

De manière générale, l’accès aux services en français était perçu comme difficile, voire impossible à obtenir pour les deux tiers des francophones de l’Acadie, y compris, dans une moindre mesure, dans le Centre et le sud-ouest du Nouveau-Brunswick, pourtant une province officiellement bilingue (Simard et Bouchard, 2020). Bouchard et Desmeules (2017) ont rapporté que 69 % des aînés des provinces de l’Atlantique déclaraient parler habituellement le français avec leur médecin, c’était 33 % en Ontario et seulement 6 % dans les provinces de l’Ouest. Dans l’étude de Pakzad (2012), les aînés francophones unilingues étaient moins confiants que leurs homologues bilingues quant à la possibilité d’obtenir une évaluation de la démence s’ils le souhaitaient. De plus, lorsque des services en français sont disponibles, comme ils sont moins nombreux, ils sont plus difficiles à repérer (Drolet et coll., 2015). L’analyse des incidents critiques démontre que les réussites se produisent lorsque des personnes pivots prennent les choses en main, qu’il s’agisse d’un aidant ou d’un intervenant (Drolet et coll., 2017). Drolet et coll. (2015), identifient des stratégies mises en place par les proches-aidants qui ont le mieux réussi dans leur quête de services en français. Ces proches-aidants efficaces savent identifier les intervenants engagés et faire appel à leur aide. Ils soulignent les efforts de francophones et d’anglophones dévoués qui savent répondre aux usagers en français ou les diriger rapidement vers des collègues francophones (Drolet et coll., 2015, 2017). Les groupes de soutien communautaires sont aussi décrits comme des lieux de réseautage permettant d’obtenir de l’information sur les services disponibles en français (Savard et coll., 2020).

Si certains jugent que l’expérience des services en français en vaut la chandelle (Drolet et coll., 2015), d’autres jettent l’éponge. Des aînés et des proches-aidants ont rapporté avoir cessé de demander des services sociaux et de santé en français, étant habitués à ne pas en recevoir, ne voulant pas attendre ou risquer de ne pas obtenir de services, ou encore paraître trop exigeants (Carbonneau et Drolet, 2014; Drolet et coll., 2015; Kubina et coll., 2018), ce qui se comprend dans un contexte où l’organisation des services est complexe et fragmentée et qu’il est difficile de trouver les services adaptés à la situation de l’aîné (Carbonneau et Drolet, 2014; Drolet et coll., 2015). Des intervenants francophones rapportent avoir observé une tendance des aînés francophones à s’effacer en présence de personnel anglophone par déférence pour eux (Drolet et coll., 2014). Au Nouveau-Brunswick, quoique les participants aux études sur le maintien à domicile exprimaient une préférence pour recevoir leurs services en français, l’utilisation de l’anglais ne semblait pas constituer un obstacle. Ils affirmaient bien comprendre la langue et que si des difficultés linguistiques survenaient, ils pouvaient compter sur l’accompagnement d’un membre de la famille ou d’un ami (Dupuis-Blanchard et coll., 2013, 2015; Simard et coll., 2015). Par ailleurs, dans la recherche d’un foyer de soins, le critère de proximité de leur milieu de vie habituel ou de celui de leurs aidants prend généralement plus d’importance aux yeux des aînés que la langue des services (Michaud et coll., 2015).

L’environnement francophone semble constituer un facteur de confort et de qualité de vie tant pour le maintien à domicile (Dupuis-Blanchard et coll., 2013, 2015; Garcia et coll., 2014; Simard et coll., 2015 ) que pour les foyers de soins (Michaud et coll., 2015). Par exemple, en foyers de soins, les aînés demandaient plus fréquemment d’écouter des émissions en français, et que les menus tiennent compte de leur culture, que de recevoir des communications écrites en français (Michaud et coll., 2015). Des aidants ont mentionné que le fait de partager une langue et une culture contribuait à créer une relation de confiance avec l’équipe de soins lorsqu’ils naviguaient dans l’étape du prédiagnostic de démence d’un proche (Garcia et coll., 2014).

Les connaissances sur l’environnement légal et politique

Des études montrent les limites des lois sur les services en français et des mécanismes de désignation de quatre provinces résumées ici. En Ontario, en vertu de la Loi sur les services en français, les services du gouvernement doivent être offerts en français dans 26 régions désignées. Par ailleurs, les organismes non gouvernementaux (certains hôpitaux, cliniques, foyers de soins...) peuvent obtenir une désignation s’ils respectent les critères d’offre de services en français. Une désignation peut être partielle si elle ne vise que certains services (Bureau des services de santé en français, 2017; Foucher, 2017). Selon la politique linguistique du Manitoba, le gouvernement doit offrir des services dans les deux langues officielles dans certaines régions (de Moissac et coll., 2016). Les organismes désignés bilingues ou francophones par règlement doivent se conformer à cette politique (Foucher, 2017). Au Nouveau-Brunswick, selon la Loi sur les langues officielles, chaque personne a le droit de recevoir des soins de santé en français ou en anglais dans les établissements publics, mais il subsiste des zones d’incertitude pour les organismes privés financés par l’État (Foucher, 2017). En Nouvelle-Écosse, la Loi sur les services en français désigne des institutions qui ont l’obligation de développer des plans de mise en oeuvre de services en français, ce qui n’équivaut pas à un droit de recevoir des services en français de la part des institutions désignées (Foucher, 2017).

En étudiant des trajectoires de services d’aînés francophones dans l’Est ontarien, Drolet et coll. (2017) ont observé que les services obtenus d’établissements désignés étaient presque tous reçus en français. Cependant, lorsque ces aînés ont fréquenté des établissements partiellement désignés, des services en français n’étaient disponibles qu’à certains moments. Il était le plus souvent impossible de savoir quels départements ou services étaient désignés. Par ailleurs, lorsque la limite des services publics est atteinte, plusieurs se tournent vers des services privés ou vers des organismes communautaires pour combler leurs besoins. Ces services n’ont pas d’obligation ni d’incitatifs à obtenir la désignation pour offrir des services en français (Drolet et coll., 2017) et les services offerts en français dépendent alors de la culture et des ressources de chaque organisme. De plus, la désignation se faisant par établissement, elle est insuffisante pour garantir une continuité de services en français lorsque la trajectoire de soins comporte des services de plusieurs organismes. Outre le fait que les intervenants ne connaissent pas toujours les services en français pour y diriger les usagers, certains mécanismes de triage empêchent des usagers de demander des services auprès d’un établissement désigné. Des aînés ont rapporté avoir été dirigés vers des institutions non désignées, parce que l’urgence de l’hôpital désigné avait déjà atteint sa pleine capacité, parce que leur code postal les conduisait vers un autre établissement ou parce que l’hôpital désigné avait atteint son quota de patients pour certains services (Savard et coll., 2020). Il est noté que ces établissements désignés ne priorisent pas les usagers francophones, servant autant des anglophones que des francophones selon la demande.

De même, de Moissac et coll. (2016) concluent que la désignation d’établissements, quoique bénéfique, n’est pas suffisante pour assurer un accès à plusieurs services sociaux et de santé en français, même dans le quartier urbain francophone de Winnipeg dans lequel les services en français sont plus nombreux, les francophones étant parfois difficiles à identifier et à jumeler avec les services en français et les professionnels bilingues.

Au sujet des foyers de soins au Nouveau-Brunswick, Forgues et coll. (2011) rapportent qu’ils ne sont pas assujettis aux obligations linguistiques de la Loi sur les langues officielles. Mais comme les exploitants de foyers doivent obtenir un permis du gouvernement, ce dernier devrait s’assurer qu’il y a des foyers de soins qui répondent aux besoins des communautés francophones. S’intéressant aux foyers de soins dans trois provinces, Michaud et coll. (2015) notent qu’en Nouvelle-Écosse la Homes for Special Care Act ne contient pas de disposition linguistique tandis qu’en Ontario, au moment de l’étude, seuls 19 des 613 foyers de soins de longue durée étaient désignés en vertu de la Loi sur les services en français. Dans les trois provinces à l’étude, un aîné en attente d’une place en foyer de soins pouvait refuser une place dans un foyer anglophone sans conséquences négatives sur son degré de priorisation. Les auteurs remarquent qu’il peut tout de même être difficile pour les aînés francophones d’exercer ce refus, sachant que les foyers intervenant en français ou bilingues se font rares dans leur région.

Les connaissances sur l’organisation des services

L’accessibilité géographique. L’éloignement géographique des services disponibles en français constitue un enjeu significatif. Dans l’enquête de Pakzad et coll. (2013) au Nouveau-Brunswick, les aînés francophones et anglophones avaient une perception globalement positive de la qualité, de la disponibilité des services de médecine familiale dans la langue de leur choix et à leur accessibilité. Cependant, les personnes vivant en milieu rural et les francophones du milieu urbain se percevaient légèrement moins favorisés comparativement aux participants urbains anglophones. Les résidents des milieux ruraux, peu importe leur contexte linguistique, avaient aussi une perception relativement négative de l’accessibilité aux services de diagnostic précoce de démence. Cela défavoriserait les aînés francophones qui vivent majoritairement dans les régions non métropolitaines alors que les aînés anglophones sont répartis de façon sensiblement équivalente entre les régions métropolitaines et rurales de la province.

La région de Restigouche-Ouest du Nouveau-Brunswick serait moins bien nantie en services hospitaliers francophones, obligeant cette population à se déplacer (Simard et Bouchard, 2020).

Au Manitoba, une personne âgée aura davantage accès à un continuum de services en français si elle vit dans le quartier francophone de Saint-Boniface que si elle vit dans un quartier anglophone de Winnipeg ou même dans une région rurale francophone, ces dernières disposant de peu de services de santé (Kubina et coll., 2018).

En Ontario, les personnes âgées de langue maternelle française ayant reçu des soins à domicile semblaient recevoir moins de services d’ergothérapie et de physiothérapie, ce qui pourrait être attribuable au fait que les Franco-ontariens vivent davantage dans le nord-est et dans l’est de la province, milieux davantage ruraux (Armstrong et coll., 2015). Dans l’Est ontarien, il y a peu de services en français dans l’ouest de la ville d’Ottawa et dans la région de Renfrew/Pembrooke, de faible densité francophone, alors que le centre et l’est de la ville d’Ottawa ainsi que la région rurale de Prescott Russel à forte densité francophone en sont mieux pourvus. Même dans ces régions, les ressources ne sont disponibles que dans certains villages. La dispersion de la clientèle occasionne des défis pour la programmation offerte en français qui est parfois annulée à défaut d’un nombre suffisant de participants (Kubina et coll., 2018).

Une série d’études de cas explore les perceptions d’aînés francophones quant aux services de maintien à domicile au Nouveau-Brunswick (Dupuis-Blanchard et coll., 2013; Simard, 2019; Simard et Dupuis-Blanchard, 2013; Simard et coll., 2015). Il en ressort que les aînés souhaitaient vieillir chez eux, mais le manque de services et de soutien constituait un obstacle (Simard, 2019). Ce manque de services, notamment quant au logement, au transport, aux activités de sociabilité, de loisirs ou religieuses, aux soins de santé spécialisés ou à domicile faisait l’objet d’insatisfaction, et pouvait contribuer à l’exode vers de plus grandes villes. Ces enjeux étaient exacerbés dans les milieux ruraux touchés par des fermetures de services. Le degré de vitalité communautaire, l’entraide, le sentiment d’appartenance à sa communauté pouvaient atténuer les facteurs limitatifs du maintien à domicile (Simard et Dupuis-Blanchard, 2013). Selon ces auteurs, pour les communautés dévitalisées, le maintien à domicile ne peut être viable sans l’aide de l’État et d’une réelle politique territoriale du vieillissement.

Forgues et coll. (2011) ont étudié la répartition des foyers de soins spéciaux (pour la clientèle ayant des besoins moins importants) et des foyers de soins agréés (pour la clientèle en perte d’autonomie) au Nouveau-Brunswick. Si la langue désignée des foyers de soins spéciaux reflète proportionnellement les populations francophones et anglophones de la province, les foyers de soins agréés anglophones sont surreprésentés. Les foyers de soins spéciaux et agréés francophones sont fortement concentrés dans les régions du nord et du sud-est de la province. Il n’y en a pas dans le centre et le sud-ouest de la province, des régions à plus faible densité de francophones.

L’accessibilité à un continuum de services. Même dans les régions mieux pourvues en services en français, lorsque la condition d’un aîné nécessite un continuum de services, il est difficile pour cet aîné de tous les obtenir en français. L’organisation des services sociaux et de santé n’étant pas conçue sur une base linguistique, la préoccupation principale n’est pas toujours d’aiguiller les personnes âgées francophones vers des services dans leur langue (Drolet et coll., 2017; Kubina et coll., 2018). Ainsi, lorsque les intervenants ont cette préoccupation, ils se butent souvent à un manque de ressources en français (Drolet et coll., 2014; Savard et coll., 2013). Ce manque est observé principalement pour l’accès à des médecins spécialistes et d’autres services spécialisés, aux services d’aide personnelle le soir ou la fin de semaine, à certains services privés (Drolet et coll., 2017; Garcia et coll., 2014; Savard et coll., 2020). Le manque de spécialistes modifie parfois les rôles. Par exemple, les trajectoires des francophones de l’Est ontarien pour obtenir un diagnostic de démence sont semblables à celles rapportées pour les anglophones, si ce n’est que pour les francophones, le médecin de famille doit jouer un rôle transactionnel accru entre, d’une part, la personne évaluée et son proche-aidant et, d’autre part, le spécialiste, puisque les spécialistes parlant français sont rares (Garcia et coll., 2014).

L’accès à des services en français rapporté par des aînés du quartier francophone de Winnipeg en 2011 variait de 65 % à 4 % selon le type de services. Les services moins fréquemment obtenus en français étaient ceux des pharmaciens, optométristes, audiologistes, orthophonistes et médecins spécialistes (de Moissac et coll., 2016). L’inventaire des services en français indiquait que les ressources d’hébergement offrant divers degrés d’assistance, ainsi que les services de counselling, d’information et de référence en santé mentale, étaient assez nombreux. Cependant, seules deux pharmacies offraient des services en français à l’occasion (en fonction des horaires de travail des employés bilingues). Huit cliniques affichaient offrir des services en français, mais seulement une faible proportion de leurs médecins pouvait le faire. Au programme de soins à domicile de l’Office régional de santé de Winnipeg, si tous les gestionnaires de cas étaient bilingues, seulement 27 % des postes désignés bilingues pour les soins directs (ex. : préposés aux soins) étaient pourvus par du personnel bilingue. Dans l’étude des dossiers de soins à domicile de cet organisme, la clientèle ayant indiqué le français comme langue de préférence recevait globalement moins d’heures de services, malgré des listes de diagnostics similaires. Les auteurs se questionnent sur la possibilité que ces résultats soient dus au fait que les francophones aient été moins bien évalués que les aînés anglophones ou bilingues (de Moissac et coll., 2016).

Même dans une province officiellement bilingue comme le Nouveau-Brunswick, le tiers des 49 gestionnaires de services de maintien à domicile interrogés disaient ne pas pouvoir offrir des services en français et la majorité d’entre eux confirmait n’avoir que peu de ressources humaines bilingues (Thériault et Dupuis-Blanchard, 2017).

L’accessibilité aux services appropriés en temps opportun. Le temps d’attente pour être admis dans un foyer de soins était plus élevé pour les aînés franco-manitobains que pour les aînés anglophones du Manitoba, et les premiers avaient un taux d’hospitalisation plus élevé (Chartier et coll., 2012). En Ontario, les aînés francophones en fin de vie, comparativement aux anglophones, résidaient en plus grande proportion dans des établissements de soins de longue durée et étaient moins nombreux à recevoir leurs soins à domicile (Guérin et coll., 2018). Au Nouveau-Brunswick, un dépistage nutritionnel plus complet était plus souvent présent aux dossiers des personnes âgées admises dans les hôpitaux et les foyers de soins du réseau anglophone que du réseau francophone (Villalon et coll., 2013).

L’organisation des services en français. Les écrits recensés font état de plusieurs éléments de l’organisation des services qui constituent des obstacles à l’offre de services en français.

Les services disponibles en français ne sont pas toujours bien connus, ni des usagers, ni des intervenants (Kubina et coll., 2018; Savard et coll., 2013) et l’offre active[2] n’est pas toujours pratique courante, ce qui limite le repérage des personnes qui préfèreraient des services en français. Le pairage d’intervenants et d’usagers francophones n’est pas nécessairement généralisé (de Moissac et coll., 2016; Savard et coll., 2020). Les usagers déplorent aussi des pratiques d’affichage bilingue qui, dans certaines organisations, ne sont pas suivies d’une réelle offre de services en français (Kubina et coll., 2018).

Dans les institutions de santé bilingues, les gestionnaires et les professionnels soulignent le manque de ressources pour s’attaquer aux défis liés à l’accessibilité linguistique qui s’ajoutent à leurs autres tâches (Kubina et coll., 2018). Des professionnels ont souligné un manque d’outils d’évaluation en français et la difficulté d’accès à des services d’interprétation ou de traduction faisant en sorte que l’évaluation ne puisse pas toujours être adéquate (de Moissac et coll., 2020; Drolet et coll., 2014). L’utilisation d’interprètes non formés demeure problématique (de Moissac et coll., 2020). De plus, si certains outils d’évaluation utilisés auprès des aînés sont traduits et validés en français (p. ex., le SAFER-Home, adapté par Hébert et coll., 2009), les études ne précisent pas comment ils sont utilisés dans les organisations majoritairement anglophones. Des usagers rapportent une mauvaise qualité de la traduction de certains documents reçus en français ou un vocabulaire trop relevé qui les rendent peu accessibles pour la clientèle ciblée (de Moissac et coll., 2020).

Alors qu’il serait aisément envisageable de regrouper les bénéficiaires de foyers de soins ayant les mêmes préférences linguistiques, Michaud et coll. (2015) révèle que dans 75 % des 78 foyers sondés au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et dans le nord de l’Ontario, il n’y a pas de bloc de lits réservés aux francophones. Les résidents sont plutôt regroupés en fonction de leur état de santé. Puisque les foyers de soins sont aussi des milieux de vie pour les résidents, l’enjeu concerne plus largement leur sentiment d’appartenance communautaire. Bien que reconnu pour contribuer à une meilleure santé mentale, cet enjeu semble peu pris en compte dans l’organisation des soins et des activités des foyers de soins majoritairement anglophones.

Les écrits font aussi état d’éléments qui favorisent l’accès et la continuité des services en français. Parmi ceux-ci, on note quelques pratiques novatrices ainsi que des outils de communication et de réseautage.

Parmi les pratiques novatrices, soulignons deux exemples documentés de regroupements d’aînés francophones au sein d’un même pavillon (ou maisonnée francophone) dans des foyers de soins majoritairement anglophones (Forgues et coll., 2014; Savard et coll., 2019), quelques exemples de partenariat avec des organismes de la communauté pour informer les aînés francophones au sujet des diverses problématiques de santé et des ressources existantes (Savard et coll., 2019), un projet visant un meilleur accès aux services en français pour les aînés, entre autres par des mécanismes de coordination et de navigation (Forgues et coll., 2014) et la création d’un centre d’accès regroupant plusieurs agences gouvernementales et un centre de santé communautaire avec une équipe de soins interdisciplinaire bilingue, ce qui facilite l’intégration des services en français (Forgues et coll., 2014; Kubina et coll., 2018). On a également rapporté des ententes formelles, par ailleurs peu fréquentes, de partenariats entre des organismes sociaux et de santé pour assurer une offre plus complète de services en français par des points de services satellites (Kubina et coll., 2018). Toutefois, la plupart des collaborations étaient plutôt informelles (de Moissac et coll., 2020 ; Kubina et coll., 2018).

La consultation par télémédecine a été utilisée pour offrir des services spécialisés aux aînés en régions rurales, soit auprès d’un spécialiste francophone ou encore auprès d’un spécialiste anglophone avec la présence d’une infirmière du milieu rural qui offre un accompagnement en français (de Moissac et coll., 2020). La vidéoconférence a aussi été utilisée pour offrir des exercices de prévention des chutes à des aînés francophones en milieu rural, animés par un intervenant en réadaptation qui se trouve en milieu urbain (Savard et coll., 2018).

Parmi les outils de communication, le fait d’inscrire la variable linguistique au dossier du bénéficiaire favorise la coordination des services avec d’autres intervenants bilingues. Cette pratique est plus courante dans les organismes désignés et plus rare dans les milieux à faible densité de francophones (de Moissac et coll., 2020). Elle est maintenant institutionnalisée à l’Île-du-Prince-Édouard, puisque cette donnée est inscrite sur la carte santé des résidents (Savard et coll., 2019). Les répertoires de services sociaux et de santé en français aident à la coordination des services, cependant les répertoires formels ne sont pas toujours à jour et pas connus de tous (de Moissac et coll., 2020; Savard et coll., 2013). Certains intervenants maintiennent des listes informelles de ressources communautaires qui se créent et se maintiennent selon le temps et la disponibilité du personnel (Kubina et coll., 2018).

Au sujet du réseautage, des regroupements de gestionnaires francophones permettent de coordonner les efforts (Kubina et coll., 2018) et la participation des acteurs francophones locaux à des réseaux relationnels incluant les acteurs du système de santé majoritairement anglophones est nécessaire à l’amélioration de l’accès aux services en français (de Moissac et coll., 2020; Forgues et coll., 2014). Certains francophones se sentent personnellement responsables d’offrir des services en français à leur clientèle francophone. En l’absence de mécanismes formels de coordination, ils utilisent leurs contacts personnels pour assurer une transition fluide vers les services appropriés (Savard et coll., 2013). Plusieurs travaillent ensemble depuis longtemps et croient que cet historique de confiance et de liens serrés favorise la coordination de ressources (de Moissac et coll., 2020). Selon Savard et coll. (2013), ce développement du capital social au sein de la communauté des intervenants sociaux et de santé francophones et bilingues représente un objectif à poursuivre. Cette collaboration informelle est cependant plus susceptible de se fragiliser lors de roulement de personnel (Kubina et coll., 2018).

Utilisant une approche de recherche participative, le GReFoPS propose 13 recommandations susceptibles de favoriser tant l’accès aux services en français que leur continuité (Kubina et coll., 2018). De Moissac et coll. (2020) insistent sur l’importance de promouvoir un dialogue entre les organisations qui offrent des services en français. Comme le précisait déjà de Moissac et coll. (2016), un modèle de services intégrant des services communautaires et des services institutionnels offerts en français par des équipes interdisciplinaires pourrait s’avérer une avenue intéressante pour mieux jumeler les aînés francophones aux intervenants francophones.

Les ressources humaines. De nombreux gestionnaires ont témoigné de difficulté de recrutement du personnel bilingue (de Moissac et coll., 2016; 2020; Dupuis-Blanchard et coll., 2013; Thériault et Dupuis-Blanchard, 2017). Ces difficultés sont moins criantes dans les régions à plus forte densité de francophones, mais il y subsiste des difficultés pour recruter certains types d’intervenants. Au Manitoba, le défi du recrutement pour les préposés aux soins fait en sorte que même dans les établissements désignés bilingues, les services en français ne sont pas garantis (de Moissac et coll., 2016). Des gestionnaires soulignent qu’il faut s’assurer que le personnel puisse aussi répondre à la majorité anglophone; la préférence ira donc vers l’embauche d’un employé unilingue anglophone plutôt que francophone avec peu d’aisance en anglais (de Moissac et coll., 2020).

Certains intervenants bilingues ne sont pas sensibilisés à l’offre active et ont tendance à utiliser spontanément l’anglais même avec les usagers francophones (Savard et coll., 2020). Toutefois, des intervenants engagés peuvent compenser l’absence de mécanismes formels pour offrir des services en français. Des proches-aidants soulignent les habiletés de communication d’intervenants clés qui interagissent efficacement avec eux, leurs collègues et les intervenants d’autres organismes pour explorer les différentes options de services en français (Drolet et coll., 2017).

Parent et coll. (2014) ont analysé les apprentissages du programme de formation interculturelle Aînés francophones et intervenants multiethniques en santé destiné à de futurs intervenants en santé. Le programme a favorisé le développement de la capacité d’étudiants issus de la diversité à adopter une approche holistique pour fournir des services culturellement et linguistiquement adaptés à leurs patients.

La performance du système eu égard aux enjeux linguistiques. Quelques études quantitatives utilisant des données administratives de santé ont vérifié si le fait de résider dans un établissement de soins de longue durée majoritairement francophone ou désigné selon la Loi sur les services en français de l’Ontario pouvait influencer la qualité ou la sécurité des soins. Dans une première étude, les francophones résidant dans un établissement désigné semblaient avoir moins d’hospitalisations et de visites à l’urgence que ceux vivant dans un établissement non désigné (Batista et coll., 2019). Dans une autre, la situation semblait être plus défavorable pour les francophones dans les établissements non désignés et pour les anglophones dans les établissements désignés quant à la prévalence de certaines mesures de qualité des soins (aggravation de la dépression, chutes, douleur modérée ou sévère, médication antipsychotique, contention physique) (Batista et coll., 2021). Enfin, les préjudices hospitaliers advenaient moins souvent lorsque les francophones recevaient leurs soins dans des établissements désignés et à l’inverse davantage chez les anglophones et les allophones dans ces mêmes établissements (Rhéaume et coll., 2020). Cependant, dans les trois études, lorsqu’étaient pris en compte les facteurs confondants comme les caractéristiques individuelles et organisationnelles, les différences n’étaient plus statistiquement significatives; elles ne pouvaient être attribuées au seul facteur linguistique (Batista et coll., 2019, 2021; Rhéaume et coll., 2020). Pour leur part, Riad et coll. (2020) ont trouvé que les francophones étaient plus susceptibles que les anglophones de résider dans un établissement de soins de longue durée qualifié de discordant sur le plan linguistique.

Synthèse et discussion

Cette revue de littérature sur la santé et les services aux aînés francophones visait d’une part, à mieux cerner les résultats les plus probants et, d’autre part, à faire état des lacunes de la recherche. Le but étant de contribuer à une meilleure valorisation des connaissances et d’orienter les besoins de futures recherches. À la différence des précédentes recensions d’écrits répertoriées au sujet de la recherche sur la santé des CFSM, cette présente étude est la première à se concentrer principalement sur l’extraction des connaissances acquises plutôt que sur la réalisation d’un portrait de l’ampleur et de la variété des thèmes abordés par la recherche, et la première à porter exclusivement sur le sous-groupe de la population âgée de 65 ans et plus. Si quelques résultats de recherche y sont parfois rapportés, ils sont résumés très succinctement et rarement en tenant compte des particularités des aînés.

Concernant la santé et ses déterminants, la population francophone en situation minoritaire est vieillissante et compte une plus grande proportion de personnes âgées comparativement à la moyenne canadienne. Elle présente des conditions de vie qui sont généralement associées à ce qu’on identifie en santé des populations aux déterminants sociaux de la santé, auxquels les chercheurs de la francophonie canadienne ajoutent la situation minoritaire elle-même. Cependant, l’effet de ces déterminants, dans le sens d’une corrélation statistique sur les états de santé, n’est pas clairement démontré. Peu de différences sont observées entre les aînés francophones et leurs homologues anglophones concernant différents indicateurs de santé ou de comportement sanitaires. Une tendance est néanmoins constante. Les aînés francophones sont toujours plus nombreux à se percevoir en mauvaise santé. Quelques résultats plus robustes en termes statistiques sont rapportés au sujet du risque de dépression, du taux de prescription de médicaments psychotropes pour certaines cohortes d’aînés, ainsi que du taux supérieur de mortalité des hommes francophones. Les analyses multiniveaux de certaines études ont montré que les indicateurs de santé et d’accès aux services étaient plus favorables lorsque l’aîné vivait dans une communauté francophone de plus forte densité. Ainsi, la vitalité communautaire et le sentiment d’appartenance étaient associés à une perception positive de la santé.

Quant aux préférences linguistiques lors des échanges avec les intervenants du système de santé, quelques études quantitatives indiquent que le français était parlé avec le médecin dans une proportion plus élevée au Nouveau-Brunswick qu’ailleurs, ce qui est reflète le statut de bilinguisme officiel de la province. Les études qualitatives indiquent que si les aînés disaient préférer interagir en français avec les intervenants de la santé, la connaissance de l’anglais était nécessaire à l’obtention de certains services. Pour plusieurs, l’utilisation de l’anglais ne semblait pas être un obstacle. Pour d’autres, il devenait plus difficile de s’exprimer en anglais en vieillissant et la concordance linguistique offrait une meilleure qualité de services. Certains faisaient des démarches multiples pour obtenir ces services.

Concernant l’environnement légal et politique des services aux aînés, les études confirment que l’accès à des services en français, bien qu’imparfait, est davantage présent dans des établissements désignés ou agréés en vertu de lois sur les services en français. La désignation a toutefois des limites puisque tous les services ne sont pas offerts dans des établissements désignés et que plusieurs organismes non gouvernementaux n’ont pas d’obligations de s’assujettir aux règles linguistiques.

Quant à l’accessibilité des services de manière générale et en français, elle varie selon la région géographique. Certains services sont peu accessibles en milieu rural. Puisque, dans les provinces étudiées, les aînés francophones vivent majoritairement en zones rurales alors que les aînés anglophones se répartissent autant dans les régions métropolitaines que rurales, les aînés francophones seraient globalement plus défavorisés. Même dans des régions offrant plusieurs services en français, l’accessibilité à tout le continuum de soins en français relève de l’utopie notamment pour l’accès à des soins spécialisés, à des services d’aide personnelle hors des horaires habituels et à certains services privés.

Les écrits recensés font état de plusieurs éléments de l’organisation des services qui limitent l’offre de services en français. L’offre active n’est pas toujours pratique courante et le pairage d’intervenants francophones avec les usagers francophones ou encore le regroupement d’usagers francophones dans les foyers de soins ne sont pas généralisés. Les intervenants soulignent le manque de ressources pour s’attaquer aux défis liés à l’accessibilité linguistique, un manque d’outils d’évaluation en français et la difficulté d’accès à des services d’interprétation ou de traduction. Le recrutement de ressources humaines en santé bilingues demeure un grand défi, plus particulièrement pour les milieux à faible densité de francophones. Même dans des organismes désignés bilingues, les services en français ne sont pas garantis.

La recherche révèle quelques pratiques novatrices qui favorisent l’accès et la continuité des services en français : maisonnée francophone au sein de foyers majoritairement anglophones; partenariat entre des organismes de la communauté pour augmenter l’offre de services en français; télémédecine pour des soins spécialisés en zone rurale; identification du patient francophone; répertoire de services en français; modèle de centre communautaire bilingue; sensibilisation des gestionnaires.

L’impact de la langue comme déterminant de la qualité et de la sécurité des soins aux aînés n’est pas encore bien documenté au Canada. Trois études quantitatives ont examiné si le fait de résider dans un établissement de soins de longue durée désignés en Ontario pouvait influencer la qualité ou la sécurité des soins. Dans ces études, la situation semblait être plus défavorable pour les francophones résidant dans des établissements non désignés et de même pour les anglophones dans les établissements désignés. Toutefois, lorsqu’étaient pris en compte les facteurs confondants, les différences observées n’étaient pas statistiquement significatives et ne pouvaient être attribuées au seul facteur linguistique.

L’étude de petites populations comme les CFSM, de surcroit, dispersées sur plusieurs provinces et à l’intérieur de leur province respective pose d’importants défis méthodologiques pour les analyses secondaires des enquêtes nationales de santé. Les faibles échantillons de francophones ne permettent pas ou peu de désagréger les données par sous-populations telles que celle des aînés et encore moins en fonction des déterminants sociaux de santé. Il est donc difficile d’établir des portraits de santé totalement fiables. On pourrait arguer qu’étant donné sa capacité infrastructurelle, Statistique Canada, qui mène ces enquêtes et qui produit régulièrement des rapports sur la santé, devrait mieux documenter la santé des CFSM et de leurs sous-populations.

Les études qui découlent d’analyses secondaires des données administratives de la santé se butent quant à elles à différentes définitions des populations francophones, les variables linguistiques n’étant pas toujours colligées ou pas toujours standardisées d’une base de données à l’autre. Par exemple, l’analyse des barrières linguistiques est limitée par l’absence de données sur les compétences linguistiques des intervenants.

Les études qualitatives viennent compenser certaines lacunes, mais leur caractère souvent exploratoire auprès de très petits nombres de participants en réduit la portée. Ces recherches sont aussi concentrées dans les provinces ayant traditionnellement de plus fortes proportions de francophones (Ontario, Manitoba et Nouveau-Brunswick) et où se retrouve la majorité des chercheurs ayant un intérêt pour les CFSM. Très peu d’études ont été réalisées en Alberta ou en Colombie-Britannique où la communauté francophone prend de l’importance avec les migrations interprovinciales.

Cette recension d’écrits comporte certaines limites. Entre autres, si la recherche dans les bases de données a été exhaustive, les stratégies de recherches ont pu quelque peu différer selon la base de données. De plus, en utilisant les mot-clés concernant les personnes âgées ou aînées pour la recherche dans les bases de données bibliographiques, il est possible que certaines données ayant trait aux aînés, publiées dans des articles portant sur tous les groupes d’âge, nous aient échappé. Plusieurs des thèses et rapports répertoriés n’ont pas été analysés. Néanmoins, une révision des titres et le fait que certains de leurs résultats soient repris dans des articles scientifiques nous portent à croire que la majorité des enjeux abordés par la recherche sur la santé et les services destinés aux aînés ont été couverts.

Conclusion

La recherche répertoriée permet de brosser un portrait qui nous semble assez complet des enjeux et défis que pose la situation linguistique minoritaire sur les conditions de vie des aînés francophones, leur santé, leur accès aux services et leur trajectoire de soins plus ou moins adaptés sur le plan culturel et linguistique. Elle permet également de répertorier un certain nombre de bonnes pratiques qui amélioreraient l’expérience des soins et répondraient plus adéquatement aux besoins des aînés francophones.

La recherche étant un processus continu, il est nécessaire de parfaire certaines études, notamment celles portant sur la santé et ses déterminants dont les données demeurent largement insuffisantes pour soutenir la planification de la santé. Il reste encore des domaines moins explorés qui mériteraient des efforts de recherche. Notamment des études sur les populations immigrantes francophones, sur les populations des provinces à plus faible densité de francophones, sur les impacts de l’absence de services dans sa langue (par ex. : pour quels services ces impacts sont-ils les plus grands ?) et sur les façons de faciliter l’implantation de changement dans l’organisation des soins pour augmenter l’offre de services en français en tenant compte des limites des ressources.

Les synthèses de connaissances sont des outils indispensables pour, d’une part, orienter les futures recherches et, d’autre part, valoriser les résultats de la recherche auprès d’utilisateurs de connaissances qui oeuvrent à mieux répondre aux besoins de la population francophone, à l’amélioration de sa santé et de son accès à une gamme de services de qualité égale à ceux offerts à la majorité.