Corps de l’article

Les immigrants francophones constituent une communauté croissante et importante en contexte linguistique francophone minoritaire au Canada (Yssaad et Fields, 2018). Leur intégration, soit le fait de s’identifier avec le groupe et la culture majoritaire sans toutefois s’y assimiler (Berry, 2001), peut être problématique pour ceux qui sont confrontés à de multiples facteurs personnels et contextuels sur le plan économique et social (Kirmayer et coll., 2011). Les troubles de santé mentale des immigrants et des réfugiés se voient amplifiés par les circonstances de vie rencontrées dans le cadre de leur intégration au pays d’accueil, les mettant ainsi davantage à risque. Compte tenu du poids social associé à ces troubles, il semble opportun de mettre en place des mesures qui faciliteraient la promotion du bien-être tout en réduisant les différentes barrières au recours aux services de santé mentale. De plus, en contexte linguistique minoritaire, d’autres facteurs s’ajoutent, tels que la barrière linguistique et l’insuffisance de services dispensés en français (Alper et al., 2010 ; de Moissac et al., 2015). Des entrevues individuelles auprès de personnes réfugiées et immigrantes francophones vivant en milieu urbain ont été menées dans trois provinces canadiennes majoritairement anglophones. Cet article présente les défis que vivent les immigrants francophones, les répercussions sur leur bien-être et les facteurs modérateurs qui peuvent influencer leur adaptation et leur intégration au sein d’une communauté francophone en situation minoritaire (CFSM). Cet article permettra de mieux cerner les expériences diverses des personnes immigrantes à partir du continuum d’intégration tout en portant un regard sur leur bien-être.

Contexte

Plusieurs recherches démontrent que l’adaptation linguistique et culturelle représente un enjeu particulier pour l’intégration des nouveaux arrivants francophones (Levesque et Rocque, 2015 ; Mianda, 2018 ; Piquemal, Bolivar et Bahi, 2009 ; Violette, 2014). Toutefois, peu de données ont été publiées portant sur la santé mentale et l’accès aux services dans ce domaine pour les personnes francophones immigrantes, réfugiées et de groupes ethnoculturels minoritaires vivant dans les CFSM au Canada. Trois études témoignent d’une problématique, soit 1) une revue de la littérature intitulée Santé mentale des immigrants qui décrit le profil immigrant francophone en Ontario, les défis de cette population et des fournisseurs de soins de santé mentale (Regroupement des intervenantes et intervenants francophones en santé et en services sociaux de l’Ontario, 2014), 2) une étude démontrant un manque de disponibilité de médecins francophones et d’accessibilité auprès de la population immigrante et réfugiée francophone au Manitoba (Bernier, Brière et Roch-Gagné, 2012), et 3) un état des lieux des besoins en matière de santé des nouveaux arrivants francophones en Saskatchewan (Moukoumi, 2010). Aucune de ces trois études n’explore le lien entre les défis auxquels ces immigrants sont confrontés et leur bien-être. Pour combler cette lacune dans la littérature, nous avons mené une étude dans une ville de chacune de ces trois provinces canadiennes qui se distinguent de par leur population immigrante francophone et leur soutien à l’immigration : Ottawa est une des trois villes qui accueillent le plus d’immigrants francophones hors Québec (Houle, Pereira et Corbeil, 2014), tandis que Winnipeg et Saskatoon sont de plus petites villes avec une plus faible proportion d’immigrants francophones. Ces deux villes se distinguent dans la mesure où une approche intégrée pour l’accompagnement des nouveaux arrivants est plus développée au Manitoba qu’en Saskatchewan (Fraser et Boileau, 2014). À notre connaissance, cette étude est la première à explorer et à comparer les défis que vivent les personnes migrantes francophones, ainsi que les répercussions sur leur santé mentale et leur intégration dans ces CFSM.

Revue de la littérature

Le Canada est l’un des chefs de file en ce qui concerne l’accueil de personnes immigrantes. En 2019, il comptait 341 203 personnes immigrantes, soit 20 % de la population canadienne (Institut de la statistique du Québec, 2020). Le Canada reconnaît que ces personnes contribuent non seulement à l’économie, mais également à la vitalité et à la diversité des collectivités canadiennes, notamment au sein des CFSM (Fraser, 2015 ; Immigration, réfugiés et citoyenneté Canada [IRCC], 2018). En fait, le nombre annuel d’immigrantes et immigrants d’expression française dans ces communautés est passé de 850 en 2003 à 2 400 en 2017 (IRCC, 2018, 2 mars). Au Manitoba, par exemple, ce nombre a presque quadruplé entre 2002 et 2014, avec une forte représentation de personnes provenant de la République Démocratique du Congo, du Mali et de la France (Gouvernement du Manitoba, 2015). Afin de favoriser l’intégration des nouveaux arrivants dans les CFSM (IRCC, 2018, 2 mars), le plan d’action souligne le besoin de prioriser l’emploi, l’accès aux services en français et les communautés inclusives

Cadre de référence

D’abord, il nous a semblé pertinent de présenter ce cadre de référence, car il permet d’avoir une vue d’ensemble sur les jalons, les repères et les balises intellectuelles du contexte de notre recherche et de son interprétation. Au cours des dernières années, malgré la hausse de la population immigrante dans les CFSM, nous assistons à une baisse du nombre de Canadiens ayant la langue française comme première langue officielle parlée. Dans un tel contexte, l’immigration est perçue comme une source de « vitalité » pour les communautés francophones en milieu minoritaire. Depuis le début des années 2000, diverses modalités d’attraction et de rétention des immigrants francophones en milieu minoritaire se sont déployées dans les sociétés d’accueil (Fourot, 2016). Pour favoriser une intégration réussie des immigrants, l’approche par continuum (recrutement, accueil, intégration, rétention) semble privilégiée (Fourot, 2016). Bien que cette approche s’apparente à l’approche intégrationniste canadienne en général (Li, 2003), des particularités importantes caractérisent ce continuum. De plus, pour compléter ce continuum, nous avons jugé opportun d’exposer une brève recension des écrits portant sur la santé, l’accès aux soins et les compétences professionnelles du personnel soignant.

Recrutement

Pour Fourot (2016), le concept théorique du recrutement repose sur « la capacité de sélectionner ses “propres” immigrants » (p. 36). Considérant le fait qu’il ne semble pas évident d’attirer des immigrants francophones dans les communautés francophones en situation minoritaire, les différents paliers gouvernementaux de même que les communautés et les universités ont déployé plusieurs stratégies d’attraction. Par la mise en place de celles-ci, les immigrants pourront mieux répondre non seulement aux besoins économiques du pays d’accueil, mais également aux besoins linguistiques selon une dimension utilitaire.

Accueil

L’Accueil, seconde étape du continuum, revêt un caractère polémique pour les communautés francophones (Fourot, 2016). Selon Fourot (2016), « c’est toujours par rapport aux modèles nationaux d’intégration (multiculturalisme, interculturalisme, universalisme) que les capacités d’accueil sont évaluées » (p.38). Soulignons que ces modèles d’intégration demeurent discutables selon l’angle d’approche. Néanmoins, la position de Dalley (2003) semble rejoindre notre perspective, à savoir que l’accueil consiste à « un acte de communication qui suit des normes de comportement culturellement constituées » (p.76). Selon cette prémisse, une position réciproque de dialogue entre l’Autre et Soi reposant sur le désir d’apprendre la culture de l’Autre est au coeur de l’accueil.

Intégration

La troisième étape du continuum est l’intégration des immigrants. Déjà en 2003, Li énonçait que l’intégration des immigrants reposait sur la performance et la responsabilité individuelle au niveau politique, économique et social. Soulignons que cette responsabilité est partagée par les différents paliers gouvernementaux et par la communauté d’accueil. Toutefois, la performance des communautés d’accueil à intégrer les immigrants semble moins présente. Au niveau politique, il a été démontré que la représentativité des immigrants varie d’une province à l’autre. « Plus le discours sur la diversité ethnoculturelle semble ouvert, plus la représentation politique des immigrants est favorisée au sein des instances de la francophonie » (Fourot, 2016, p.40). Pour Boudarbat et Grenier (2014), la contribution des immigrants au développement économique du pays d’accueil passe inévitablement par l’emploi. L’accessibilité à un emploi permet la perception d’un revenu, diminuant ainsi le recours aux programmes d’aide sociale tout en augmentant les recettes des finances publiques par le « paiement d’impôts et de taxes à la consommation » (Boulet, 2016, p.4). Toutefois, l’analyse des indicateurs associés à l’impact de l’immigration sur le développement économique est positive, mais faible selon Thomassin (2008). Cette dernière explique cette situation par le fait que les immigrants francophones unilingues admis au Canada ne reçoivent pas les informations appropriées concernant le marché du travail dans les provinces majoritairement anglophones puisqu’ils ont de la difficulté à trouver un emploi. L’intégration à l’emploi est fondamentale, mais ne peut satisfaire, à elle seule, à rehausser la qualité de vie ni favoriser la rétention des personnes migrantes au sein des communautés d’accueil. Cette intégration sociale repose sur différents facteurs qui s’articulent de façon systémique :

Le travail, le logement, les possibilités d’éducation des jeunes et des adultes, les services et les ressources, les lieux de culte, et les possibilités de transport forment un capital local qui permet aux immigrants de se sentir accueillis et intégrés dans leur communauté. Les réseaux locaux de connaissances, d’amis et de services, parfois ethniques, parfois multiethniques ou encore de voisinage ou de groupes communautaires divers, font partie de ce capital qui attire, intègre et retient les immigrants

Voies vers la prospérité, 2020

Rétention

Selon la littérature, la rétention est le dernier stade du continuum et « est généralement considérée comme un indicateur d’un parcours migratoire “complété” » (Fourot, 2016, p.41). Vatz Laaroussi et coll. (2010) reconnaissent que diverses conditions sine qua non doivent être présentes au sein de la communauté d’accueil afin que les personnes migrantes puissent s’y établir. En effet, Lenoir et coll. (2016, juillet) précisent « entre autres, que le bassin d’emploi doit y être d’envergure et diversifié, permettant la promotion socioprofessionnelle de l’ensemble des membres de la famille alors que les infrastructures en logement, en transport et les services éducatifs et socioculturels doivent y être suffisamment importants afin qu’ils puissent s’y investir » (p. 11). Toutefois, selon Vatz Laaroussi et coll. (2010) et plus récemment Traisnel (2020, janvier), ces conditions ne sont pas nécessairement réunies dans les petits centres ; des défis majeurs continuent à persister en matière d’accueil, d’emploi et au sein des entreprises pour faciliter l’intégration des immigrants.

Santé

Retenons que ce continuum ne repose pas sur une conception linéaire de l’intégration, mais plutôt sur une succession de mouvements migratoires qui dépendent des politiques d’immigration en vigueur. À ce propos, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) (Gouvernement du Canada, 2020) stipule que l’immigrant qui n’est ni réfugié ni issu d’un regroupement familial, doit subir une vérification d’admissibilité médicale avant son entrée au Canada. De ce fait, et comme décrit dans plusieurs études, la majorité des immigrantes et immigrants bénéficient d’une bonne santé physique et mentale dans les premiers mois suivant leur arrivée (Fuller-Thomson, Noack et George, 2011 ; Khanlou, 2010 ; Lu et Ng, 2019, avril ; Robert et Gilkinson, 2012). La santé mentale, telle que définie par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), est « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. La santé mentale englobe la promotion du bien-être, la prévention des troubles mentaux, le traitement et la réadaptation des personnes atteintes de ces troubles » (OMS, 2020). Elle relève de la responsabilité à la fois individuelle et collective de rechercher un équilibre entre différents aspects de la vie : physique, mental, spirituel et émotif, ainsi que d’avoir la capacité de faire face aux conditions de vie, aux valeurs collectives dominantes de même qu’aux valeurs personnelles qui l’influencent (Association canadienne pour la santé mentale, 2019). Cependant, ce sentiment de bien-être ne procure qu’un avantage éphémère à la suite des multiples facteurs personnels et contextuels auxquels ces personnes migrantes se butent dans leur processus d’adaptation et d’intégration (Xu et McDonald, 2010 ; Bergeron, Auger et Hamel, 2009).

Parmi les facteurs post migratoires qui peuvent augmenter la vulnérabilité des personnes immigrantes, la littérature rapporte le stress lié à la recherche d’un logement et d’un emploi, à l’adaptation et à l’acculturation, ainsi qu’au sentiment d’exclusion sociale découlant de la discrimination et du manque de compétences linguistiques (Kirmayer et al., 2011 ; Mckenzie et al., 2010 ; Mianda, 2018). Il est également démontré que la plupart des personnes immigrantes, réfugiées et membres de groupes ethnoculturels minoritaires perdent leur capital social et leur statut social en quittant leurs pays d’origine (Kirmayer et al., 2011 ; Luo et Menec, 2018). Plusieurs d’entre elles descendent au bas de l’échelle sociale ; elles rencontrent des difficultés à faire reconnaître leur éducation, leur diplôme et leurs compétences professionnelles, ce qui mène au sous-emploi et à une moindre rémunération (Statistique Canada, 2013 ; Kirmayer et al., 2011). En conséquence, certains évoluent dans des milieux de vie moins salubres (Alper et al., 2012 ; Hansson et al., 2010). Tous ces facteurs agissent en synergie, fragilisant leur santé mentale et ajoutent au risque de disparités sur le plan de la santé.

Accès aux soins

Outre le fait qu’elles soient potentiellement vulnérables en termes de santé mentale et sociale, les personnes immigrantes, réfugiées et membres de groupes ethnoculturels minoritaires rencontrent de multiples barrières à divers niveaux dans leurs parcours de soins généraux, et ont, par ricochet, beaucoup de difficultés à accéder aux services spécialisés de santé mentale (Brisset et al., 2014 ; Islam et al., 2018). Parmi ces barrières, bon nombre d’entre elles se situent au niveau personnel. Par exemple, plusieurs personnes immigrantes et réfugiées n’utilisent pas les services de santé mentale à cause des préjugés de ces derniers concernant le système de santé et les prestataires de soins (Dean et Wilson, 2010 ; Whittal et Lippke, 2016). Soulignons que les barrières linguistiques et culturelles découragent aussi ces personnes d’utiliser les services et d’exprimer leurs besoins (Brisset et al., 2014 ; Clarke et Isphording, 2017 ; Kirmayer et al., 2011).

Comportements professionnels

Un deuxième niveau de barrières se situe dans les comportements des professionnelles et professionnels, ainsi que dans les présomptions et attitudes des dispensateurs de soins qui peuvent influencer négativement ceux qui demandent des soins (Spencer et al., 2010 ; Guilfoyle, 2008). Par exemple, une perception de discrimination peut conduire les patients à utiliser les services informels plutôt que les services formels tels ceux offerts par des professionnels accrédités (Spencer et coll., 2010). L’organisation du système de santé constitue un troisième niveau de barrières ; ce système parait complexe et certains trouvent qu’il est difficile d’y naviguer, surtout ceux qui se sentent marginalisés, exclus et discriminés par leur ethnicité et leurs compétences linguistiques limitées dans la langue de service (Ginieniewicz et McKenzie, 2014). Ces nombreuses barrières font en sorte que, souvent, les besoins des personnes immigrantes en matière de santé mentale ne sont pas comblés (Thomson et coll., 2015).

Méthodologie

En raison des objectifs de cette recherche, une approche méthodologique de nature qualitative a été retenue. Comme le souligne Savoie-Zajc (2018), le but des tenants de la recherche qualitative est principalement « de mieux comprendre le sens qu’une personne donne à son expérience » (p.124). La recherche qualitative se concentre davantage « […] sur l’analyse des processus sociaux, sur le sens que les personnes et les collectivités donnent à l’action, sur la vie quotidienne, sur la construction de la réalité sociale » (Deslauriers, 1991, p.6). Ainsi, ce type de recherche peut être visualisé comme un système d’activités humaines favorisant l’émergence d’un processus de collaboration entre le chercheur et les participants (Manning, 1997 ; Savoie-Zajc, 2018).

Un comité consultatif comprenant des représentants de groupes culturels africains et de prestataires de soins a été formé pour valider le bien-fondé de l’étude et des outils de recherche ainsi que pour faciliter le recrutement et valider les données. Cette étude a reçu l’approbation éthique du Comité d’éthique de la recherche de l’Université de Saint-Boniface, de l’Institut de recherche de l’Hôpital Montfort et de l’Université d’Ottawa. Soulignons qu’avant la réalisation des entrevues auprès des participants, nous avons obtenu leur consentement libre et éclairé.

Les participantes et participants ont été recrutés par l’entremise d’une lettre les invitant à participer à l’étude transmise par les membres du comité consultatif à Winnipeg ou par les représentants d’organismes similaires à Saskatoon et à Ottawa[1]. Au total, soixante personnes immigrantes économiques et d’affaires ou réfugiées ont participé à l’étude, soit vingt personnes par site. Les critères de sélection étaient les suivants : 1) être d’âge adulte (18 ans et plus) ; 2) être migrante ou migrant de première génération ; 3) être francophone, et 4) avoir vécu à Winnipeg, Saskatoon ou Ottawa depuis au moins 2 ans.

Des entrevues individuelles semi-dirigées (nb=20 par province/ville) ont été menées en utilisant une grille d’entrevue adaptée à celle utilisée dans une étude antérieurement menée par PGF Consultants (2015), mandaté par Reflet Salvéo. Les grandes thématiques explorées lors des entretiens étaient 1) l’expérience de vie et le soutien émotionnel ; 2) la connaissance des services d’appui émotionnel en français ; et 3) les stratégies nécessaires pour améliorer ces services. Les entretiens, d’une durée approximative de 45 à 60 minutes, ont été menés par un assistant de recherche, également migrant d’un pays africain, ce qui a créé le lien de confiance avec les participants. Les entrevues ont été enregistrées à des fins de transcription et importées dans le logiciel NVivo v.10 (QSR International) pour faciliter l’analyse du contenu. Les données des entrevues ont été codifiées de façon indépendante par trois membres de l’équipe de recherche. Une première lecture a permis d’identifier les thèmes émergents de premier ordre hiérarchique, soit les catégories déterminées en fonction des principaux thèmes abordés lors des entretiens. Par la suite, pour chacune des catégories retenues, des catégories de second niveau hiérarchique ont été identifiées de façon inductive. Ainsi, une liste de codes a été développée et validée par l’équipe de recherche (Huberman et Miles, 1994). Cette grille d’analyse a été utilisée pour codifier les entrevues dans les trois sites.

Les participantes et participants de l’étude ont également répondu à un sondage portant sur des questions sociodémographiques. Des analyses descriptives (moyennes, effectifs et pourcentages) selon les trois provinces ont été effectuées à l’aide du logiciel SPSS version 21 (Inc., Chicago, IL). Des tests-t et des tests de chi-deux ou exact de Fisher ont été utilisés pour comparer les trois régions selon la variable continue ou catégorielle.

Résultats

Profil sociodémographique 

Les résultats du profil sociodémographique des 60 participants sont présentés selon le genre au Tableau 1. Plus de la moitié des participants sont des hommes (61,7 %) et la moyenne d’âge est de 43,6 ans. Un peu plus de la moitié sont des utilisateurs des services d’appui, le complément étant des membres de la famille des utilisateurs.

Tableau 1

Profil sociodémographique et financier des participantes et participants en fonction du genre

Profil sociodémographique et financier des participantes et participants en fonction du genre

Tableau 1 (suite)

Profil sociodémographique et financier des participantes et participants en fonction du genre

Note : Les données sont présentées sous forme de pourcentages, à l’exception de l’âge.

* = Différence statistiquement significative entre les genres à 5 %. La valeur p a été calculée selon le test de chi-deux ou exact de Fisher.

a = comprend le diplôme d’une école ou d’un institut professionnel.

-> Voir la liste des tableaux

La majorité des participantes et participants sont mariés (70 %) et ont des enfants (78,3 %), avec en moyenne trois enfants. La majorité viennent d’un pays de l’Afrique centrale (41,7 %) ou de l’Ouest (21,7 %). Un peu plus du quart des participantes et participants (28,8 %) sont aux études postsecondaires, bien que 76,7 % d’entre eux aient déjà obtenu un diplôme de premier cycle (35 %) ou de second ou troisième cycle (41,7 %). Même si la plupart des participantes et participants ont un emploi (76,7 %), un cinquième d’entre eux ont un revenu familial inférieur à 20 000 $ par an (21,7 %). Plus de la moitié des participantes et participants sont des immigrants (66,7 %) ; les réfugiés et les étudiants internationaux ou résidents permanents représentent 23,3 % de l’échantillon. En ce qui concerne les compétences linguistiques de la langue majoritaire, 24 des 60 participantes et participants, soit 40 %, rapportent une très bonne connaissance de l’anglais, tandis que 53,3 % affirment en avoir une connaissance modérée ou faible pour maintenir une conversation.

En fonction du genre, les femmes participantes ont une moyenne d’âge moindre que les hommes, sont plus souvent aux études en milieu postsecondaire, détiennent plus souvent un diplôme universitaire de premier cycle qu’un diplôme de 2e ou 3e cycle, rapportent un revenu familial plus faible, sont moins souvent des réfugiées et disent avoir une moins bonne connaissance de l’anglais que leurs homologues masculins. Cependant, on ne note pas de différence statistiquement significative avec 5 % pour ces variables.

Comme présenté au Tableau 2, les caractéristiques sociodémographiques des groupes provenant des trois villes participantes diffèrent peu. Les participantes et participants de Winnipeg sont plus nombreux à être des utilisateurs de services d’appui (74 %), tandis qu’à Ottawa, ce sont plutôt des membres de famille, conjoints ou amis d’utilisateurs des services qui ont participé à l’étude. Les participantes et participants de Winnipeg sont en moyenne plus nombreux à vivre dans la même demeure que ceux de Saskatoon. Enfin, ce sont les participantes et participants de Winnipeg qui rapportent le plus souvent un revenu familial annuel de moins de 20 000 $, tandis qu’à Saskatoon, la plus forte proportion a un revenu entre 40 000 $ et 60 000 $, et à Ottawa, les revenus sont presque également répartis entre 20 000 $ et 40 000 $ ou plus de 80 000 $.

Tableau 2

Profil sociodémographique et financier des participantes et participants en fonction du site

Profil sociodémographique et financier des participantes et participants en fonction du site

Tableau 2 (suite)

Profil sociodémographique et financier des participantes et participants en fonction du site

Note : Les données sont présentées sous forme de pourcentages, à l’exception de l’âge.

* = Différence statistiquement significative entre les sites à 5 %. La valeur p a été calculée selon le test de chi-deux ou exact de Fisher.

a = comprend le diplôme d’une école ou d’un institut professionnel.

-> Voir la liste des tableaux

Défis rencontrés au Canada

Les répondantes et répondants des trois sites ont soulevé un certain nombre de défis auxquels ils ont fait face à la suite de leur arrivée au Canada. Ces défis se regroupent en neuf catégories thématiques, soit les barrières linguistiques, l’emploi, le dépaysement, le climat, l’isolement et l’intégration sociale difficile, la précarité financière, le logement, la discrimination et le transport, tel qu’illustré à la Figure 1. À noter que dans cette figure, un simple trait illustre que deux thèmes ont été discutés en parallèle, alors qu’une flèche démontre qu’un défi a eu un impact sur un autre. Ainsi, quelques défis sont discutés ensemble (par exemple, le transport et le climat) ; d’autres semblent avoir un effet direct sur un autre défi. Une des tendances générales repose sur la barrière linguistique qui a un impact sur l’emploi et sur l’intégration sociale, cette dernière étant également influencée par le climat et le sentiment de dépaysement. D’autre part, l’emploi joue un rôle déterminant dans la situation financière du participant, ce qui influence la situation de logement de ce dernier et de sa famille. Les défis seront abordés individuellement ci-dessous selon l’ordre de fréquence à laquelle ils ont été identifiés par les participantes et participants lors des entrevues. Quelques citations sont présentées pour illustrer l’ampleur de la difficulté encourue en lien avec la santé mentale.

Figure 1

Défis en lien avec l’immigration

Défis en lien avec l’immigration

-> Voir la liste des figures

Barrières linguistiques

Les barrières linguistiques représentent une problématique majeure qui a été soulevée par 81,7 % des participantes et participants. En effet, ces personnes expliquent que bien que le Canada soit perçu comme un pays bilingue, dans la réalité quotidienne et dans les provinces hors Québec, l’anglais domine les échanges. Ainsi, le fait de ne pas maitriser la langue de la majorité populationnelle pose un défi important pour les personnes migrantes. Cette barrière a souvent des répercussions, entre autres, sur la recherche d’un emploi et sur l’intégration sociale. L’apprentissage ou la mise à niveau de la langue anglaise devient donc un point essentiel.

Par ailleurs, la barrière linguistique se fait également sentir dans le contexte de soins de santé : « Quand tu vas te faire soigner, tu as besoin d’un appui et quand tu n’as que des gens qui te parlent anglais, alors que tu as besoin qu’on te comprenne (WP7). »

Certains participants et participantes ont été attirés par la dualité linguistique des communautés d’immigration. En revanche, d’autres participantes et participants, en particulier à Ottawa, font référence aux régionalismes linguistiques, tant en français qu’en anglais, qui peuvent parfois constituer une barrière à l’inclusion :

C’est vrai que la langue anglaise parlée ici n’est pas la même langue anglaise parlée au Cameroun. La langue anglaise parlée au Cameroun, c’est une langue d’Angleterre, ici la langue anglaise est un peu un gros mélange. Comme le français qu’on parle ici ; quand je parle français, les gens ne comprennent pas ce que je dis parfois, pas tout ce que je dis. Donc il y a une différence de français qu’on dit ; il y a le français de ceux qui arrivent et le français de ceux qui sont là. Et le français de ceux qui sont là, avec leur français, eux-mêmes n’accueillent pas les autres Français qui arrivent qui sont des étrangers

OT3

Emploi

Au total, 88,3 % des participantes et participants ont révélé avoir rencontré des défis liés à la recherche d’un emploi, et de façon plus importante les hommes (94 %). Une des principales causes évoquées par plusieurs était le fait de ne pas maitriser la langue de la majorité. Les difficultés liées à l’emploi étaient également attribuables au fait que les acquis antérieurs, soit le diplôme d’études ou l’expérience de travail à l’étranger, n’étaient pas reconnus au Canada. Par conséquent, quelques personnes se sont vues obligées de reprendre des études dans le but de trouver un emploi convenable. Pour plusieurs, cette réalité a eu un effet direct sur leur bien-être :

La personne s’est découragée parce qu’elle s’est dit que, tu sais, comme elle a étudié, elle a un diplôme d’ici, donc son diplôme n’est pas déjà là accepté, donc, ça a commencé à déclencher justement les troubles de santé mentale, de frustration et problèmes de couple et tout

OT6

Cette citation illustre le fait que le migrant ne peut pas trouver un emploi en raison d’une non-reconnaissance de sa formation, ce qui engendre des troubles de santé mentale, de la frustration et d’autres problèmes. Notons que nous n’avons pas su si ce migrant a obtenu un emploi ou non à la suite de sa formation au Canada.

Certains ont finalement déniché un emploi, quoique de niveau inférieur à leurs compétences professionnelles et avec un salaire moindre. D’autres ont choisi de travailler sur le marché noir ou dans différents emplois, le jour et la nuit, pour pouvoir subvenir aux besoins financiers de leur famille.

Dépaysement

Le dépaysement a été identifié comme un défi de taille par 78,3 % des participantes et participants, dont presque tous ceux de la région d’Ottawa et plus souvent les femmes (86 %). En effet, dès leur arrivée au Canada, plusieurs ont dit s’être sentis complètement dépaysés ou « perdus ». D’une part, comprendre et savoir naviguer dans le système canadien, notamment pour trouver un logement, inscrire les enfants à l’école, avoir accès à certains services gouvernementaux, ouvrir un compte bancaire ou obtenir une carte de crédit, représente une grande difficulté à surmonter pour le nouvel arrivant :

On se dit que le système, c’est un système ouvert et qui a également ses rouages et ses réalités. Et ces réalités-là n’ont pas été bien perçues avant le départ, et ce qui fait que quand on arrive, on est un peu soit frustré ou surpris

OT5

Il semble y avoir chez certains une peur d’assimilation et de perte d’identité culturelle. Parmi les différences culturelles, certains ont fait référence à l’individualisme qui prévaut au Canada. Les participantes et participants soulignent à quel point cela diffère de leur expérience dans leur pays d’origine :

[…], mais le Canadien il est renfermé. Le Canadien est assez renfermé là, il faut vraiment se le dire. Pour notre culture, nous autres Africains, généralement on est ouvert d’accord. Quand vous habitez au voisinage, vous ne pouvez pas dire bonjour à votre voisin, qui ne répondrait même pas si jamais vous le lui dites, ça fait mal. Ça fait mal

OT18

Un participant perçoit toutefois cet individualisme comme étant une perspective positive qui permet, en quelque sorte, de maintenir son identité culturelle. Cependant, d’autres déplorent le manque d’interdépendance et d’entraide qui fait en sorte qu’ils se sentent souvent délaissés face aux nombreux défis et aux moeurs du pays d’adoption, ce qui contribue à l’isolement que plusieurs ont rapporté avoir ressenti. Ce sentiment de dépaysement semble amplifié par l’insuffisance d’information portant sur la société canadienne et sur le fonctionnement de ses institutions avant et à leur arrivée en sol canadien, rapportent certains participants et participantes.

Climat et transport

Avoir à s’adapter aux hivers canadiens a été relevé comme un défi pour 56,7 % des participantes et participants, et ce de façon plus marquée pour ceux de Winnipeg et pour les femmes (67 %). Pour ceux qui sont arrivés au cours de la saison hivernale, le premier souvenir du Canada réfère au choc qu’ils ont subi lorsqu’ils ont été exposés pour la première fois au froid. Le climat a fait en sorte que certains ont évité de sortir pendant l’hiver, ce qui contribue davantage à leur isolement. Certains ont discuté du transport en parallèle avec le climat, étant donné la plus grande difficulté à se déplacer pendant l’hiver.

Isolement et intégration sociale difficile

L’isolement et l’intégration sociale difficile ont été rapportés comme un défi par 56,7 % des immigrantes et immigrants. D’abord, le fait d’immigrer réduit la participation aux réseaux sociaux auxquels appartenaient les participantes et participants dans leur pays d’origine. Certains sont même venus au Canada sans leur époux ou épouse ou leurs enfants.

Une fois au Canada, et en l’absence d’amis ou de membres de la famille sur place, plusieurs participantes et participants ont eu de la difficulté à s’intégrer socialement et à se faire des amis, que ce soit au niveau de la société canadienne en général ou bien au niveau des communautés ethniques. En conséquence, plusieurs ont rapporté se sentir isolés. Cette réalité s’est accentuée lorsqu’un immigrant s’est retrouvé en milieu rural, tel que le décrit ce participant :

Mine de rien, 6 ans dans une ville, on crée un réseau, ce qui est un réseau de soutien émotionnel. Quand ça ne va pas, on les appelle, oui, vous êtes là, on peut voir les gens, mais à Gravelbourg, il n’y avait personne. Je ne connaissais personne. Tout ce que j’avais, c’était mon cellulaire, et en plus, mon réseau ne fonctionnait pas

SK1

Précarité financière

La précarité financière est une problématique soulevée par 33,3 % des participantes et participants et plus souvent parmi les femmes (38 %). Elle découle en grande partie des difficultés auxquelles ont été confrontées les personnes migrantes par rapport à l’emploi qui s’aligne peu avec leurs compétences professionnelles. Certains rapportent donc ne pas être en mesure de combler leurs besoins, source d’inquiétude considérable : « On ne m’avait jamais dit que je devais faire face, par exemple, à d’autres situations comme la pauvreté. Je pensais que j’ai oublié la pauvreté » (WP17).

Logement

Les difficultés associées au fait de trouver un logement ont été rapportées par 26,7 % des participantes et participants et souvent par des hommes (34 %). Les défis relèvent de barrières logistiques liées à l’incompréhension du système canadien et de la façon d’y naviguer ainsi qu’à la précarité financière et au fait de ne pas avoir de références canadiennes. Certains ont eu accès à un logement, mais ce dernier ne convenait pas aux besoins de la famille :

On me montrait les logements qui n’étaient pas convenables pour mes enfants… La personne qui est chargée de logement ne fait que te montrer des maisons-là qui sont vraiment bizarres, dans des coins bizarres tout en oubliant que l’environnement où la personne se situe, ça aide aussi à des enfants, à… à l’accroissement des enfants, ce qui se passe aux alentours des enfants, même des parents. On me donnait des maisons dans le Downtown, dans le centre-ville, des maisons qui puaient

WP3

Discrimination

Au total, 15 % des immigrantes et immigrants ont rapporté avoir été victimes de préjugés et de traitements discriminatoires, majoritairement dans leur milieu de travail et de la part de supérieurs ou de collègues. La discrimination a également été ressentie lors du processus d’embauche :

Mais comment ça se fait, comme tu déposes ta candidature toi et un Canadien. Un Canadien qui n’a zéro expérience et toi qui a accumulé beaucoup d’expérience, tu as les mêmes compétences, les mêmes certificats. Il prend un Canadien et il ne te prend pas. Donc, ça c’est comme, je trouve ça comme un genre de discrimination

OT10

De plus, certains participants ont dû quitter leur emploi en raison de traitements discriminatoires qui n’ont pas été considérés comme sérieux par leur employeur.

Répercussions

Les défis auxquels les participantes et participants ont été exposés après leur arrivée au Canada ont eu des répercussions sur leur santé mentale, sur leurs relations avec leurs proches et sur leur santé physique.

Santé mentale

Au total, 78,3 % des participantes et participants ont rapporté un changement au niveau de leur santé mentale lors de leur migration dans une communauté canadienne. Qu’il s’agisse d’une atteinte au bien-être émotionnel, à la personnalité ou à la cognition, ou d’une difficulté d’adaptation, la majorité ont vécu des moments difficiles, et ce davantage pour les participantes.

En effet, la plupart des participantes et participants ont partagé avoir ressenti des émotions ou sentiments négatifs après leur arrivée au Canada, notamment des sentiments de dépression, d’anxiété, de tristesse, de perte d’estime de soi et des troubles de l’humeur, en conséquence du stress qui semblait être omniprésent. Cette détresse influençait également les besoins essentiels, tels que prendre soin de soi, dormir et pouvoir se concentrer sur une tâche quelconque. Quelques témoignages démontrent un lien direct entre l’expérience de la personne migrante et son état de santé mentale :

«Ça un impact sur ma santé mentale réelle parce qu’en fait, ça crée beaucoup de stress » (OT3) ; « c’était une période très difficile » (WP8) ; « vous êtes moralement bas, vous ne pouvez même pas vous lever pour vous laver » (OT5) ; « quand j’ai des problèmes de stress, je dors plus, je mange plus… » (WP5) ; « ça attaqué mon estime de soi » (OT6) ; « ça se manifestait vraiment par le manque de concentration, l’envie vraiment de ne rien faire » (OT7) ; « j’ai eu à pleurer des jours » (SK1) ; « il y a eu une période où j’avais des insomnies » (SK2) ; « vous vous sentez vraiment stressé, dépaysé, perdu » (SK8) ; « tu déprimes franchement » (WP7) ; « émotionnellement, on est déséquilibré » (WP13) ; « c’est l’individu tout entier qui est secoué »

WP2

Ces paroles témoignent de la détresse vécue par les participantes et participants lors de leur arrivée au Canada.

Quelques-uns rapportent que leur personnalité a été modifiée en raison du stress lié à l’expérience migratoire, au point d’être transformé négativement : « Et avec le stress que j’ai, je ne suis plus la même personne » (OT20) et « je dirais que je n’étais pas la même personne qu’avant. La même personne qui aimait plus les gens, aimait aller vers les gens » (WP17). Pour d’autres, certaines fonctions cognitives ont été affectées, et cela se manifeste comme un mode de pensée différent, avec des incertitudes et des oublis.

L’ampleur des défis auxquels les participantes et participants ont été confrontés après leur arrivée au Canada était telle que 28,3 % ont partagé avoir vécu ou vivre à ce jour des difficultés à s’adapter à leur nouvelle vie au Canada, au point de vouloir retourner dans leur pays d’origine :

Mentalement, c’était vraiment, c’était terrible. Il y a de fois je… je me disais, il y a un temps, je me suis dit, tu sais quoi ? Je veux rentrer au pays. Qu’on me retourne à la maison parce que je ne pouvais pas, je ne pouvais pas m’en sortir. Si on me dit aujourd’hui : est-ce que tu peux rentrer, je préfèrerais rentrer

WP3

Pour cette dernière participante, la situation était tellement sévère qu’elle a failli à certains moments sombrer dans le désespoir et perdre le contrôle d’elle-même : « Il y a un moment je me sentais que j’allais être devenue folle… Je me sens tellement surchargé. Il n’y a personne » (WP3). Certains participants et participantes (16,7 %) ont même qualifié leur expérience migratoire de « traumatisme », de « choc émotionnel » ou de « choc psychologique », et quelques participants ont fait mention de connaissances qui ont succombé au suicide, démontrant à quel point le désespoir les habitait.

Impact sur les relations interpersonnelles

L’expérience migratoire a eu, pour 53,3 % des participantes et participants, des répercussions plutôt négatives sur les relations interpersonnelles de couple ou avec les membres de la famille, tant ceux au Canada que ceux restés dans leur pays d’origine. Cette réalité semble avoir touché davantage les participantes et participants d’Ottawa et de Winnipeg, et les femmes. De façon générale, les relations familiales sont devenues tendues :

Tu arrives ici, tu as des enfants, le mari, tout se passait très bien à la maison. Tu arrives ici, tout d’un coup, il y a des conflits ici et là parce qu’il y a ce manque de clarification dans la communication. Peut-être il y a le papa qui travaille seulement et la maman ne peut pas travailler parce qu’elle ne parle pas le français ou l’anglais, donc d’où toute la charge de la famille revient sur papa et des fois peut-être même parfois il fait l’argent qui ne peut pas subvenir à tous les besoins de la famille là. Mentalement, il devient un peu dérangé. Il y a les enfants qui ne t’écoutent plus et toi les parents, vous ne savez pas comment en parler

WP3

L’éloignement de la famille restée au pays vient également contribuer au stress de l’immigration et de l’intégration dans un nouveau pays. C’est une période plus difficile pour moi. Je ne m’y étendrai pas beaucoup parce que ça me fait mal. Mais le fait d’avoir laissé mes enfants parce qu’ils étaient plus âgés, ils ne pouvaient pas venir avec moi

OT1

D’autres, au contraire, ont ressenti du positif : un rapprochement, une relation consolidée, plus de temps passé en famille. La communication téléphonique est rapportée comme le moyen principal et essentiel de maintenir les liens avec la famille restée en Afrique.

Santé physique

Au total, 46,7 % des participantes et participants ont rapporté que l’immigration a eu des répercussions plutôt négatives sur leur santé physique, qui était d’ailleurs souvent discutée en lien avec la santé mentale puisqu’elles s’influencent mutuellement. Certaines des difficultés ou certains des symptômes physiques qu’ils ont mentionnés comprennent des troubles cardiovasculaires, ulcères à l’estomac, maux de tête, douleurs non spécifiques, troubles respiratoires, troubles du sommeil, troubles menstruels, problèmes articulaires, prise ou perte de poids, et ce non seulement chez les adultes, mais chez les enfants également. Ils attribuent principalement ces difficultés au stress de l’immigration : « Le fait qu’on ne dort pas bien, le fait qu’on a des problèmes à l’estomac, parce que je sais que souvent, quand on est beaucoup stressé, ça peut amener des petites perturbations à ce niveau » (WP5) et « il y a des gens, j’ai vu, pour le stress, ils ont pris du poids… d’autres qui ont maigri… d’autres qui ont développé certaines maladies cardiovasculaires » (OT16).

Facteurs modérateurs

L’effet des défis associés à l’immigration semble toutefois être modéré ou influencé par un ensemble de facteurs. En effet, plusieurs participantes et participants ont fait référence à des facteurs susceptibles d’amplifier l’impact négatif des défis qu’ils ont dû affronter ou, à l’inverse, de les protéger. Nous présenterons les facteurs aggravants, puis les facteurs de protection favorisant la santé mentale positive. Précisons que ces derniers rapportés dans le cadre de cette recherche ont été identifiés par les participants et participantes, ce qui explique les références aux facteurs personnels ou individuels.

Facteurs aggravants

Parmi les facteurs aggravants rapportés par les participantes et participants figurent, entre autres, le fait d’avoir des personnes à charge, le manque de soutien, le cumul des défis et, dans une moindre mesure, l’âge, la migration involontaire et des attentes irréalistes. Le facteur le plus souvent rapporté par les participantes et participants (46,7 %) était d’avoir des enfants ou d’autres personnes à charge, ce qui est revenu particulièrement chez les participantes, surtout celles de Winnipeg. Cette réalité représente une source additionnelle de stress pour les personnes migrantes, en plus des défis avec lesquels ils doivent composer en arrivant au Canada :

Je suis une maman seule avec 4 enfants ; et quand tu es le pilier, ce n’est pas aussi facile parce que je me rappelle un jour, quand je suis tombée malade, il y a une de mes enfants qui m’a dit « Maman, tu n’as pas le droit de tomber malade. » Automatiquement, cela m’a galvanisé, je me suis levée, et depuis dans ma tête je me dis, tu ne dois pas tomber malade

WP12

En deuxième lieu, le manque de soutien après l’arrivée au Canada a été rapporté comme facteur aggravant par 38,3 % des participantes et participants, tel qu’évoqué ici : « On n’avait pas de personne ressource » (OT4), « Je ne connaissais personne » (SK1), « Trouver quelqu’un qui peut t’aider, t’accompagner pour te montrer où aller, t’exprimer comme tu le veux, ce n’était pas du tout facile » (WP9). Cette problématique semblait être plus courante chez les participantes et participants de Saskatoon et chez les hommes. Selon les données recueillies, nous ne sommes pas en mesure d’expliquer un tel résultat. Le manque de soutien a eu comme conséquence pour certains participants et participantes d’amplifier les autres défis avec lesquels ils devaient composer, que ce soit la recherche d’emploi, la navigation dans le système canadien ou l’isolement. En l’absence de soutien, ces défis ont été difficiles à surmonter, contrairement à l’expérience dans le pays d’origine :

En Afrique les gens sont prêts à t’aider. Oui, oui, tous les gens sont prêts à t’aider, mais ici, ce n’est pas le cas. Ici, il y a en quelque sorte quelque chose d’individualisme du fait que chaque personne est occupée, donc c’est toi qui dois faire un effort. Ici, quelqu’un peut être stressé facilement puisqu’en Afrique, même si tu n’as pas à manger, tu peux ou ne pas avoir le stress… les gens sont déjà là qui te facilitent la vie

WP9

En troisième lieu, ce ne sont pas les défis pris isolément qui ont eu un impact significatif sur les personnes migrantes, mais bien le cumul des défis qui peuvent finalement surpasser les ressources disponibles. En effet, certains participants et participantes ont confié se sentir surchargés face aux nombreuses responsabilités en lien avec le travail, les études et la famille, en particulier les femmes :

Ce n’est pas évident d’arriver à une nouvelle place, tu as une famille, ce n’est pas évident de t’assoir pour aller apprendre une langue, et ensuite aller chercher le travail parce que pendant que tu apprends la langue, ça devient difficile financièrement, la famille, les enfants

SK5

L’effet négatif des défis avec lesquels les personnes migrantes doivent composer est encore plus important lorsque ces dernières entretiennent des attentes irréalistes ou sont mal informées. Ainsi, en arrivant au Canada, plusieurs ont dû confronter leurs attentes à la réalité, surtout au niveau de la langue, de l’emploi et de la situation financière, nécessitant ainsi un plus grand effort d’adaptation, particulièrement les hommes.

Finalement, l’âge et la raison évoquée pour migrer au Canada peuvent également augmenter l’effet néfaste des défis que vivent les personnes migrantes. En effet, il peut être plus difficile de s’adapter à un âge plus avancé ou lorsque l’immigration est de nature involontaire :

Tu sais qu’en tant que réfugié, pour venir au Canada, tu n’as pas le choix d’abord parce que c’est le gouvernement et le HCR qui décident. Parfois, quelqu’un peut venir sans connaître là où tu vas. C’est pour cette raison que je n’avais pas de choix. C’est juste le moyen de sauver ma vie

WP6

Facteurs de protection

Parmi les facteurs de protection évoqués par les participantes et participants, et susceptibles de faciliter leur adaptation, on note d’abord et avant tout le soutien social connu à l’arrivée. 76 % des participantes et participants ont évoqué une source de soutien qu’ils ont estimé essentielle, particulièrement les femmes. Le plus communément rapporté a été le soutien des membres de la famille qui sont venus avec eux, tels le conjoint, ou les membres qui étaient déjà au Canada, et plus précisément dans la même ville. Le fait d’avoir des membres de la famille qui connaissaient déjà la communauté canadienne a facilité l’adaptation dans cette dernière. D’autres ont mentionné les réseaux d’amis, et plus particulièrement ceux des provinces de l’Ouest, ainsi que l’accueil de la communauté : « Une communauté ici extrêmement, extrêmement accueillante... je voyais la communauté locale très disposée, très ouverte, très efficace, au point que je n’ai jamais senti un grand vide » (SK5). L’appui reçu d’organismes destinés à soutenir les nouveaux arrivants a été apprécié. La présence d’organismes francophones, telle une école, a également contribué au sentiment d’appartenance. Enfin, l’accueil à l’aéroport a aussi été rapporté comme un soutien grandement apprécié.

Près de 60 % des participantes et participants, et surtout des femmes, ont soulevé certains facteurs personnels susceptibles de stimuler la résilience. Notamment, une attitude positive ou une personnalité forte, motivée et déterminée sont des éléments rapportés :

Le plus grand support, c’est d’abord toi-même. Il faut que tu aies l’esprit analytique, que tu puisses avoir la capacité de faire, séparer le bon et le mauvais là pour pouvoir tirer dans ce que tu trouves, donc ce qui est positif

OT3

Cette motivation provient, pour certains, du désir de quitter leur pays d’origine pour vivre de nouvelles expériences ; pour d’autres, c’est l’avenir des enfants qui est source de motivation. Le désir de s’intégrer pleinement peut également être source de motivation. Enfin, cette motivation encourage la personne migrante à profiter pleinement du soutien qu’on lui offre, entre autres des structures gouvernementales.

La foi religieuse a également été perçue comme source de soutien, particulièrement chez les participantes et participants de Winnipeg. L’expérience de vie contribue également aux capacités d’adaptation. Pour d’autres, provenir d’une culture de résilience et se donner la chance de s’adapter à une nouvelle réalité sont importants. Certains se sont entourés de mentors, de gens qui ont connu la réussite, tandis que d’autres se sont impliqués dans la communauté :

Quand tu donnes toi-même et puis quand tu es face à d’autres difficultés, tu vois d’autres personnes peut-être auparavant, tu pensais que, Oh ! Wow, ça fait, c’est pénible, mais tu trouves qu’il faut plutôt aller de l’avant pour aider d’autres personnes… il faut toujours rester positif, rester à côté des autres

SK10

De plus, certains ont évoqué le fait d’avoir vécu en Europe ou ailleurs au Canada avant de venir s’établir dans une communauté francophone en contexte minoritaire comme étant un facteur ayant facilité l’adaptation. Ce qui a été énoncé plus fréquemment par des hommes et des participants vivant à Saskatoon :

Je me suis senti qu’après Québec, en fait, tous les désastres, disons, j’ai fini mon bac, j’ai dit, ben, ça c’est une nouvelle vie qui commence. Donc, je me suis dit, ben, je suis venu avec beaucoup plus d’optimisme ici

SK14

Le fait d’être bien préparé avant l’arrivée, qu’il s’agisse d’avoir un emploi prévu, des économies, un curriculum vitae et les qualifications nécessaires pour trouver un emploi, une connaissance de la langue majoritaire, une personne contact ou un réseau de connaissances, a facilité l’adaptation et réduit les sentiments de détresse, et ce plus souvent pour les femmes. C’est ce que raconte un participant :

Avant de venir, je pense que quand on va en ligne, on a les étapes qu’il faut franchir avant. On a tout ce plan. Heureusement, quand on suit le plan pas à pas, on sait qu’après ça, il faut faire ça, après ceci, il faut faire cela. Si vous suivez le plan, généralement, on ne se perd pas

WP12

Enfin, le temps semble être un facteur à considérer pour l’adaptation, car ce processus nécessite du temps. Ainsi, quelques participantes et participants ont avoué que bien que l’expérience migratoire ait été difficile au début, ils se sont adaptés petit à petit au climat, à la langue majoritaire et ont réussi à se constituer un réseau d’amis. Certains ont également souligné qu’avec le temps, de plus en plus de services en français ont été mis sur pied pour les appuyer.

De façon générale, les participantes et participants d’Ottawa ont rapporté comme facteurs de protection des particularités personnelles ou des attitudes positives, tandis que ceux de Saskatoon ont évoqué l’implication communautaire, le réseautage et la cohésion familiale. Les participantes et participants de Winnipeg étaient plus nombreux à évoquer la foi et la solidarité familiale comme source de soutien. Dans l’ensemble, les femmes étaient plus aptes que les hommes à décrire des facteurs personnels, ont dit qu’une bonne préparation et un support social connu à l’arrivée étaient des facteurs favorables, tandis que le fait d’arriver de l’Europe ou d’ailleurs au Canada et le passage du temps étaient plus bénéfiques pour les hommes.

Discussion

L’objectif de cette étude était de mieux comprendre l’expérience des personnes immigrantes et réfugiées francophones récemment arrivées dans une communauté en situation minoritaire quant aux défis qu’elles rencontrent à leur arrivée au Canada et au cours de leur intégration à la société canadienne, une première dans les villes d’Ottawa, Winnipeg et Saskatoon. Grâce à des entrevues individuelles semi-dirigées, les défis rencontrés lors de l’intégration et leurs répercussions sur la santé ont été explorés, ainsi que les facteurs modérateurs, tant de protection qu’aggravants. La figure 2 illustre l’ensemble des défis, des répercussions et des facteurs modérateurs. Ces constats viennent nous éclairer sur la manière de mieux répondre aux besoins des personnes immigrantes et réfugiées francophones nouvellement arrivées au Canada en considérant les facteurs pouvant influencer leur bien-être.

Les données recueillies au cours de cette étude nous ont permis d’identifier les principaux défis auxquels font face les personnes migrantes francophones après leur arrivée dans une CFSM, tant dans une ville à forte population francophone (Ottawa) que dans deux villes à faible densité francophone de l’Ouest canadien. Ces défis concernent, en ordre d’importance, les barrières linguistiques, l’emploi, le dépaysement, le climat, l’isolement et l’intégration sociale, la précarité financière, le logement et la discrimination. Les personnes immigrantes ou réfugiées francophones qui s’intègrent dans une communauté en contexte linguistique minoritaire dans ces trois villes semblent donc éprouver des défis similaires à d’autres populations immigrantes (Hansson et al., 2012 ; Kirmayer et al., 2011 ; Robert et Gilkinson, 2012). Comme cela est décrit dans plusieurs études et rapports gouvernementaux, les difficultés d’intégration sont principalement associées aux barrières linguistiques, aux barrières institutionnelles telles que la non-reconnaissance des acquis et des compétences, le manque de réseaux sociaux et les pratiques discriminatoires (Béji et Pellerin, 2010).

Figure 2

Modèle des défis, répercussions et facteurs modérateurs associés à l’expérience migratoire de francophones dans les CFSM

Modèle des défis, répercussions et facteurs modérateurs associés à l’expérience migratoire de francophones dans les CFSM

-> Voir la liste des figures

Bien que les défis linguistiques soient aussi des problématiques courantes chez les personnes immigrantes et réfugiées d’autres groupes ethnoculturels minoritaires (Kirmayer et al., 2011 ; Mckenzie et al., 2010), force est de constater que les immigrantes ou immigrants francophones qui choisissent d’immigrer au Canada, un pays bilingue, vivent des expériences différentes selon le contexte linguistique. En particulier, le nouvel arrivant qui s’installe hors Québec constate, dès son arrivée, une pénurie de services dispensés en français, de possibilités d’emploi dans cette langue et, malgré la vitalité linguistique et culturelle de certains quartiers, l’omniprésence de la langue anglaise. Ceci vient perturber davantage la personne migrante, qui doit faire un effort plus grand pour s’adapter. Il est donc essentiel que toute personne immigrante soit bien informée des réalités du contexte dans lequel elle immigre et des défis associés au contexte linguistique minoritaire.

Nos données appuient la littérature qui souligne qu’en plus, les personnes immigrantes et réfugiées francophones en contexte minoritaire ont un défi supplémentaire englobant, soit la barrière linguistique associée à la langue majoritaire utilisée dans la province d’adoption. Cette barrière linguistique semble constituer le défi central pour les personnes migrantes francophones, car elle vient amplifier les difficultés associées à l’intégration sociale et à la recherche d’emploi. La situation financière influence directement la condition de logement et la stabilité ; l’accès à l’emploi a donc un impact déterminant sur la santé mentale. Les barrières institutionnelles face à l’employabilité de ces personnes sont également à considérer. Différents chercheurs abondent dans le même sens que certains participants quant à la non-reconnaissance des diplômes obtenus à l’étranger et le fait de ne pas reconnaître les expériences de travail dans le pays d’origine (Boudarbat et Grenier, 2014 ; Eid, 2012 ; Piquemal, Bahi et Bolivar, 2010). L’accès à un emploi en français pour la personne immigrante peut être déterminant dans l’importance qu’elle accorde au maintien de la langue française et à la relation qu’elle entretient avec sa communauté d’adoption (Mianda, 2018). Ainsi, le fait d’occuper un poste où l’usage de la langue minoritaire est possible encourage le nouvel arrivant à maintenir cette langue et à contribuer à la vitalité de la francophonie en contexte minoritaire. Toutefois, l’encadrement en milieu professionnel pour les adultes (Gravelle et Duchesne, 2018) et une pédagogie adaptée en milieu scolaire (Atangana-Abe et Ka, 2016) sont nécessaires afin de favoriser l’intégration et la participation active de ces personnes au sein des CFSM.

Plusieurs participants ont énoncé que l’isolement et le manque de soutien social représentent des défis importants pour eux dès leur arrivée. Notons que ce résultat a été énoncé plus spécifiquement par les hommes, car ces derniers confirment avoir des attentes irréalistes envers la communauté. En l’absence de membres de leur famille ou de connaissances antérieures, il leur est difficile de s’intégrer à la société d’accueil. Pour Sall (2019), l’intégration sociale passe inévitablement par l’intégration économique. En effet, les communautés d’accueil doivent être soucieuses du bien-être des personnes qu’elles accueillent et non se préoccuper uniquement des aspects économiques associés à l’immigration. Dans une perspective éthique de responsabilité, comme l’énoncent Piquemal et Labrèche (2018), « l’accueil de réfugiés de souche francophone ne devrait pas seulement servir de moyen à maintenir la vitalité des minorités francophones du Canada, mais devrait, de façon primordiale, répondre à un souci humanitaire » (p. 179). Ainsi, les communautés et les organismes d’accueil doivent redoubler d’efforts pour faciliter la recherche d’un emploi et la stabilité financière des personnes migrantes qu’ils appuient.

Par ailleurs, la discrimination raciale s’ajoute aux barrières institutionnelles liées à l’emploi des personnes de minorités visibles. Selon quelques participants, la discrimination ressentie lors du processus d’embauche est une barrière importante à l’intégration au marché d’emploi, et se répercute sur leur santé mentale et sociale. Comme mentionné par Madibbo (2018), « le racisme institutionnel que rencontrent les immigrants appartenant à des groupes de minorités visibles, entre autres, en termes d’exclusion du marché du travail, de profilage racial et de non-reconnaissance des acquis… nuisent à leur intégration et donnent lieu à la marginalisation » (p. 140). Aujourd’hui, les mouvements populaires qui s’expriment au Canada et aux États-Unis, tel « Black Lives Matter », soulignent l’urgence de lutter contre les préjugés qui influencent les politiques, la prise de décision et les services publics (Gouvernement de l’Ontario, 2020). Les institutions francophones en contexte minoritaire ont également à se pencher sur cette question.

Comme l’ont exprimé les répondantes et répondants de cette étude, l’expérience migratoire a des effets sur la santé mentale, sur les relations interpersonnelles et sur la santé physique des personnes immigrantes et réfugiées. En matière de santé mentale, notons que des émotions ou sentiments négatifs ont été rapportés, démontrant la présence d’une détresse psychologique chez les participantes et participants. D’autres témoignent de perturbations cognitives, de changements au niveau de la personnalité et de regret d’avoir immigré au Canada. Ce qui vient aggraver leur santé mentale affaiblie, c’est le manque de soutien face aux défis rencontrés, le fait d’avoir des personnes à charge et de faire face à plusieurs problèmes en même temps. Pour les femmes, le dépaysement et la précarité financière auront un impact plus important, particulièrement sur les relations interpersonnelles ; être bien préparé, avoir de la résilience et du support social sont des facteurs protecteurs importants. Pour les hommes, le fait d’avoir vécu ailleurs semble aider. Contrairement aux répondants et répondantes de la région d’Ottawa, ceux et celles des villes de l’Ouest canadien s’appuient davantage sur les réseaux d’amis, sur la solidarité familiale et sur l’implication communautaire pour surmonter ces défis. Dans un tel contexte de vulnérabilité, la présence de services formels et de sources alternatives de soutien est d’une importance cruciale, car la personne en détresse se sent mieux quand elle peut, tout au moins, faire part de ses préoccupations à une personne qui comprendra sa situation et qui pourra lui suggérer des pistes de solutions pour répondre aux besoins exprimés. D’autres reconnaissent l’importance d’accroître la capacité communautaire afin d’améliorer l’accès aux services en santé mentale (O’Mahony et Clark, 2018), entre autres dans les provinces de l’Ouest canadien (Torres Ospina, 2013 ; Woodgate et al., 2017), compte tenu de l’esprit communautaire omniprésent. L’expérience du recours au soutien, qu’il soit formel ou informel, des personnes immigrantes francophones vivant dans une CFSM fera l’objet d’une future publication.

Conclusion

Avec l’arrivée d’un nombre croissant de personnes migrantes francophones en sol canadien, notamment dans des communautés francophones en situation minoritaire, il est essentiel de cerner leurs besoins en matière de santé mentale afin d’offrir un soutien adéquat. Les données recueillies au cours de cette recherche nous ont fourni des informations privilégiées quant aux défis auxquels doivent faire face les personnes migrantes, quant aux répercussions de l’expérience migratoire sur ces personnes et leurs proches. De plus, nous avons précisé les facteurs modérateurs qui peuvent, d’une part, aggraver le sentiment de détresse psychologique, et, d’une autre part, contribuer au sentiment de résilience et de mieux-être de ces personnes. En dépit des différentes interventions réalisées par les services de soutien francophone jusqu’à ce jour, de nombreux défis doivent être relevés pour favoriser l’intégration des personnes migrantes au lieu d’accueil. L’adoption d’une approche intégrative visant l’équité s’avère essentielle pour réduire les iniquités entre les différents groupes qui constituent nos communautés francophones en contexte minoritaire. Ce n’est que par des actions concertées des institutions de première ligne et des organismes communautaires que les personnes migrantes pourront plus facilement s’intégrer à la collectivité canadienne.