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Introduction

En 2013, les intervenants et les intervenantes du Centre de prévention de la violence ont fait face à une augmentation alarmante au niveau du nombre de cas de violence sexuelle subie par les jeunes néo-brunswickois. Il va sans dire que la violence sexuelle ne connaît pas de frontières géographiques ni de limites au niveau de l’âge, de la classe sociale, ou encore de l’ethnicité. De plus, elle se manifeste sous plusieurs formes et peut affecter une vaste étendue de personnes. Il a donc été constaté par les intervenants et les intervenantes que l’accès aux divers services était empreint d’obstacles pour les familles qui habitent en région rurale. Devant ce constat, le Boreal fut créé à la suite d’un travail de collaboration multidisciplinaire ayant comme objectif de réduire le stress vécu par les jeunes victimes pendant les entrevues d’investigation de violence sexuelle. Suivant le modèle des centres d’appui pour enfants provenant des États-Unis, Boreal vise à prévenir les traumatismes induits par le système d’investigation judiciaire en réunissant divers professionnels et professionnelles au sein d’une équipe multidisciplinaire selon les besoins des jeunes victimes de violence sexuelle.

La conceptualisation de la violence sexuelle envers les jeunes

Nous retrouvons une variété de définitions de la violence sexuelle dans la littérature mettant en cause des facteurs d’ordre juridique, médical, psychologique ou social. La Fondation Marie-Vincent (2016) définit la violence sexuelle comme suit :

La violence sexuelle est un terme qui englobe toutes les formes de violence, physique ou psychologique, qui se manifestent de façon sexuelle : agression sexuelle, exploitation sexuelle, cyberviolence sexuelle, leurre d’enfants, prostitution juvénile ou proxénétisme. Peu importe la forme qu’elle prend, la violence sexuelle entraîne de lourdes conséquences, tant pour les victimes et leurs proches que pour la société […].

En outre, toutes les formes de violence sexuelle envers les jeunes se situent sur un continuum (Kelly, 1988) qui implique des aspects visibles ou invisibles de contrôle sur la vie, le corps et la sexualité des jeunes. Dans son ouvrage intitulé Surviving Sexual Violence, Kelly (1988) met en évidence l’importance de ne pas définir la violence sexuelle de façon trop restrictive en raison de la possibilité que les victimes ne s’identifient pas avec la définition proposée. À titre d’exemple, des regards, des gestes et des remarques sexuelles risquent de ne pas être reconnus comme étant de la violence par les victimes si ces termes ne sont pas compris dans la définition donnée du harcèlement sexuel. Trop souvent, ces formes de violence invisibles ou ordinaires (Herreros, 2012) ne sont pas reconnues par les jeunes, même si elles risquent d’être subies à une grande fréquence au cours de leur vie (Kelly, 1988).

Un aperçu statistique des crimes sexuels chez les jeunes dans la région du Sud-Est du Nouveau-Brunswick

Il est difficile d’établir un portrait statistique des crimes sexuels subis chez les jeunes en raison d’un manque de données. Dans ce même ordre d’idée, il est important de mentionner qu’il est seulement possible d’accéder à des données sur l’incidence des préjudices sexuels sur les enfants selon les différentes provinces au Canada depuis 2009. Le Bureau de l’égalité des femmes du Nouveau-Brunswick (2016) a énoncé qu’en 2009, 568 cas d’infractions sexuelles de niveaux 1 à 3[1] ont été déclarés à la police du Nouveau-Brunswick. De plus, 61 % des cas rapportés étaient des jeunes âgés de moins de 18 ans. En 2014, 425 cas d’infractions sexuelles de niveaux 1 à 3, dont la victime était d’âge mineur, ont été rapportés aux autorités. De plus, parmi les régions métropolitaines à travers le Canada, en 2012, Moncton a enregistré le troisième taux le plus élevé d’infractions sexuelles contre des jeunes (312 pour 100 000 habitants) (Cotter et Beaupré, 2014). Bien que les statistiques présentées soient élevées, la littérature précise qu’un grand nombre d’infractions sexuelles ne sont pas déclarées en raison du manque de confiance envers le service judiciaire (Taylor et Gassner, 2010). Cela étant dit, il est donc plausible de croire que le nombre de victimes est plus grand que ce que les données révèlent.

Le dévoilement d’une expérience de violence sexuelle est souvent un moment très lourd émotionnellement pour les personnes impliquées. En ce sens, Saint-Pierre et Viau (2010) estiment qu’une victime sur cinq n’arrive pas à dévoiler son histoire. Plus précisément, ce n’est que 5 ans après avoir vécu un épisode de violence que 50 % des victimes sont arrivées à divulguer leur expérience. Plusieurs auteurs et auteures tentent d’expliquer les raisons qui font en sorte que le dévoilement est si difficile pour les jeunes qui sont victimes de violence (Nagel, Putnam, Noll et Trickett, 1997; Saint-Pierre et Viau, 2010). Souvent, l’agresseur convainc le jeune de demeurer silencieux quant à son expérience en utilisant de la force, des menaces, de la coercition et de la manipulation (Saint-Pierre et Viau, 2010). D’autre part, certains jeunes peuvent aussi ressentir de la honte et de la culpabilité ou encore, ils peuvent avoir peur de ne pas être crus (Saint-Pierre et Viau, 2010). De plus, à la suite du dévoilement, la victime est lancée dans un système dans lequel elle doit naviguer et doit essayer de retrouver un sentiment de justice. On ignore souvent le fait que la victime va être placée, tout au long de sa vie, dans des situations où elle va devoir décider de dévoiler ou non cette partie de son histoire aux nouvelles personnes qu’elle va rencontrer. Elle sera alors confrontée à nouveau aux réactions des autres ainsi qu’à ses propres émotions.

L’intervention auprès des jeunes victimes de violence sexuelle

Lorsqu’un jeune dévoile qu’il a été victime d’une agression sexuelle, le système de justice auquel il doit faire face peut être une source d’angoisse. L’enfant doit se déplacer à différents endroits pour recevoir des services, que ce soit au bureau de la protection de l’enfance, à l’hôpital pour voir un infirmier examinateur ou une infirmière examinatrice en cas d’agression sexuelle (SANE), aux bureaux de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), ou auprès de thérapeutes ou d’avocats et d’avocates. Cela fait en sorte que les victimes sont interrogées à plusieurs reprises par une série de professionnels et professionnelles au sein de divers organismes. Les méthodes et les processus d’enquête ont été l’objet de nombreuses critiques, notamment pour les chercheurs Smith, Witte et Fricker-Elhai (2006) qui expliquent que le processus de dévoilement de violence sexuelle s’avère être traumatisant pour l’enfant qui doit raconter son histoire à plusieurs reprises. Tedesco et Schell (1987) appuient ce propos en démontrant que le niveau de stress était plus élevé chez les jeunes qui avaient été questionnés à plusieurs reprises. Dans bien des cas, le jeune vit déjà un traumatisme en lien avec l’agression sexuelle, et ceci ne fait que se complexifier avec le processus d’enquête judiciaire. Bremner, Lee et Bélanger (2018) expriment, quant à eux, que ce processus s’apparente à la revictimisation. Il y aurait donc lieu d’apporter des modifications au processus d’enquête afin d’améliorer l’expérience des jeunes et des familles (Berliner et Conte, 1995; Jones, Cross, Walsh, et Simon, 2007).

Le changement vers un modèle multidisciplinaire

En raison de la complexité des cas de violence sexuelle envers les jeunes, plusieurs auteurs et auteures mentionnent qu’une approche multidisciplinaire pourrait simplifier le processus d’accompagnement, améliorer l’efficacité des enquêtes d’investigation et réduire le traumatisme chez les victimes (Berliner et Conte, 1995; Jenson, Jacobson, Unrau, et Robinson, 1996). Le Centre d’appui aux enfants et aux adolescents (CAEA) présente une approche multidisciplinaire au sein d’un modèle d’intervention qui s’avère être très intéressant.

Le modèle du CAEA a été fondé aux États-Unis il y a environ une trentaine d’années. Aujourd’hui, ce pays compte au-delà de 800 centres pour jeunes victimes de violence qui ont adopté ce modèle (Bremner et al., 2018; Faller et Palusci, 2007). Les CAEA ont une philosophie centrée sur les besoins des jeunes victimes de violence sexuelle et sont menés par une équipe multidisciplinaire avec de nombreux intervenants et intervenantes qui travaillent en collaboration avec la famille dans le plus grand respect du bien-être de l’enfant. Les services offerts dans les CAEA peuvent comprendre la coordination des entrevues judiciaires, l’examen médico-légal, la défense des droits de la victime, l’aide et l’appui en vue du témoignage en cour, l’évaluation du traumatisme et le counselling traumatologique (Bremner et al., 2018; Faller et Palusci, 2007; Smith et al., 2006; Wolfteich et Loggins, 2007).

Certains écrits révèlent qu’un CAEA permet d’offrir un environnement calme et paisible où les jeunes se sentent plus à l’aise de parler de leur expérience aux membres du corps policier et aux travailleuses et travailleurs sociaux. L’emplacement des locaux et les outils utilisés dans un CAEA sont adaptés afin de favoriser le bien-être des jeunes, et ce, dans un environnement harmonieux (Jones et al., 2010). En effet, il a été démontré que l’emplacement d’un CAEA a bel et bien un impact positif sur le processus de divulgation de l’enfant (Newman, Dannenfelser et Pendleton, 2005). En ce sens, les membres du corps policier ainsi que les travailleuses et travailleurs sociaux ont témoigné que l’emplacement des locaux tel que retrouvé dans un CEAE offre un sentiment de sécurité et de confort, ce qui contribue à des entrevues de meilleure qualité, car les jeunes sont plus à l’aise de parler (Newman et al., 2005).

Une autre composante importante du modèle du CAEA est que les entrevues judiciaires sont axées sur les besoins des enfants afin d’éviter que ceux-ci soient questionnés à multiples reprises (Jones et al., 2010). Les professionnelles et les professionnels qui opèrent dans les CAEA sont qualifiés et spécialisés dans le domaine de la violence envers les jeunes et dans le questionnement non suggestif. En ce qui concerne le plan thérapeutique, des services de santé mentale spécialisés dans les traumatismes sont disponibles afin de prévenir des conséquences à long terme sur le plan social et affectif ainsi qu’au niveau de la santé (Bremner et al., 2018; Faller et Palusci, 2007; Jones et al., 2010). Bien qu’il y ait environ vingt-six CAEA d’actifs au Canada, le Nouveau-Brunswick n’en compte qu’un seul : Boreal.

Boreal : Centre d’expertise pour enfants et adolescents victimes de violence sexuelle

En 2013, le Centre de prévention de la violence (CPV), prend connaissance de données quant aux cas de violence sexuelle chez les jeunes et entreprend conséquemment un travail de mobilisation de ses ressources communautaires. En 2015, une subvention du ministère de la Justice du Canada a été reçue afin de concrétiser les étapes importantes pour mettre en place Boreal, c’est-à-dire le recrutement des partenaires, la signature d’un protocole d’entente, ainsi que le développement des politiques internes. De plus, selon une étude de faisabilité réalisée par Desjardins (2016), il a été conclu que le premier emplacement du Centre serait situé où les cas rapportés étaient les plus élevés, soit la région du Grand Moncton. Les efforts du CPV ont porté leurs fruits et Boreal a vu le jour dans la ville de Dieppe en novembre 2017. Signé par le ministère du Développement social, le ministère de la Justice et de la Sécurité publique, la Gendarmerie royale du Canada, le ministère de la Santé, le District scolaire francophone Sud et le Bureau du défenseur des enfants et de la jeunesse, le protocole d’entente a concrétisé la mission du Boreal comme suit :

  1. réduire le stress des enfants et des jeunes victimes lors des enquêtes sur les abus sexuels en réunissant divers professionnels et professionnelles dans une équipe multidisciplinaire dans un seul endroit adapté aux enfants;

  2. réduire le stress de la victime en réduisant le nombre d’entretiens requis;

  3. réduire le fardeau financier des familles et des victimes en disposant l’information nécessaire et le soutien de multiples prestataires de services sur place;

  4. permettre une compétence culturelle en ajoutant des représentants et des représentantes à l’équipe multidisciplinaire en fonction des besoins des victimes; et

  5. réduire le délai entre le premier contact et la clôture du dossier.

Les services offerts

Tout d’abord, les membres du corps policier ainsi que les travailleuses et travailleurs sociaux sont appelés à réaliser des entrevues d’investigations auprès des jeunes dans les locaux du Boreal. L’objectif de l’investigation est d’obtenir un compte rendu de l’agression sexuelle qui est aussi fidèle que possible, sans proposer de réponses ni influencer l’histoire de l’enfant (Boreal, Guide de références, 2019). Depuis son ouverture en 2017, 241 entrevues judiciaires ont été effectuées au Centre, dont 178 provenaient de filles et 63 de garçons. La majorité des jeunes se situaient dans la tranche d’âge de 12 à 15 ans. De plus, la deuxième tranche d’âge avec le plus haut taux de jeunes victimes était celle des 0 à 5 ans. Parmi les multiples interventions réalisées, nous retrouvons le service médico-légal qui permet d’effectuer un examen physique complet de l’enfant directement au Boreal. Une attention particulière est portée aux symptômes physiques et à la composante développementale qui peuvent être présents à la suite d’une agression sexuelle, ainsi qu’aux inquiétudes des parents et de l’enfant (Boreal, Guide de références, 2019). Étant donné que 10 à 15 % des jeunes ne vont pas dévoiler leur histoire aux professionnelles ou professionnels impliqués dans l’enquête durant l’entrevue d’investigation (Saint-Pierre et Viau, 2010), l’examen médico-légal effectué par un infirmier ou une infirmière SANE peut fournir des preuves supplémentaires telles que des preuves d’ADN. Pour cette raison, il est recommandé que tous les enfants qui ont une entrevue judiciaire au Centre soient dirigés vers un infirmier ou une infirmière SANE pour entreprendre un examen médico-légal.

Boreal collabore également avec ses partenaires issus de milieux sociojudiciaires. La direction des services aux victimes dirige les bénéficiaires vers des services de counselling, d’indemnisation, de préparation à la comparution et de soutien devant le tribunal pénale (Boreal, Guide de références, 2019). En se basant sur l’approche cognitivo-comportementale centrée sur la résolution du traumatisme, des services thérapeutiques sont offerts aux jeunes victimes de violence sexuelle ou à ceux présentant des comportements sexuels problématiques. Ainsi, Boreal travaille en collaboration avec le Bureau du défenseur des enfants et de la jeunesse qui a pour mandat de s’assurer que les droits, les opinions et les intérêts des enfants néo-brunswickois soient protégés. Il s’assure que les jeunes personnes ont accès à des services appropriés et que leurs plaintes relatives aux services reçoivent l’attention nécessaire. Il veille, de façon générale, à défendre les droits et les intérêts des jeunes (Boreal, Guide de références, 2019).

Comme nous l’avons évoqué précédemment, la collaboration interdisciplinaire constitue un atout dans le modèle des CAEA. Notamment, l’équipe multidisciplinaire est constituée des membres qui sont directement impliqués dans le dossier de l’enfant et qui se réunissent au besoin pour entreprendre une révision d’un dossier en particulier. Les agences en collaboration sont les suivantes :

  • une personne représentant le Boreal;

  • la thérapeute ou le thérapeute du Boreal relié au dossier de l’enfant;

  • une personne représentant le ministère du Développement social;

  • une personne représentant le programme SANE;

  • une personne représentant le ministère de la Justice et de la Sécurité publique;

  • une personne représentant le service de police; et

  • d’autres partenaires communautaires, au besoin, tels que des partenaires en santé mentale, une équipe chargée des poursuites, des partenaires médicaux, des membres de la communauté scolaire, etc. (Boreal, Guide de référence, 2019).

L’objectif de l’examen des cas est de partager les renseignements sur les dossiers ainsi que les mises à jour (ex. : le plan de sécurité, l’état d’avancement de l’enquête et des procédures judiciaires, le progrès de l’enfant ou de l’adolescent ou adolescente en thérapie, etc.), de gérer les besoins individuels du jeune et de sa famille, puis de déterminer les prochaines étapes à entreprendre. L’examen des cas offre une tribune pour la prise de décisions communes, l’éducation interdisciplinaire et les discussions sur le fonctionnement et le rendement de l’équipe.

Conclusion

Après 3 ans d’opération, nous retrouvons un fort niveau d’appui et de satisfaction des partenaires quant au modèle du CAEA. Toutefois, si la philosophie du CAEA est de placer les jeunes et les familles au premier plan, cela doit incontestablement prendre en considération les besoins des jeunes des régions plus éloignées, particulièrement celles du comté de Kent. En effet, le comté de Kent est caractérisé par de grandes distances géographiques qui rendent plus difficile l’accessibilité aux services essentiels. Desjardins (2016) conclut dans l’étude de faisabilité qu’un modèle à plusieurs sites avec des équipes multidisciplinaires et autonomes dans deux communautés, dont une urbaine et l’autre rurale, serait le modèle qui semble le mieux répondre aux objectifs de la présente initiative. Cela étant dit, il est dans l’éventualité de développer un deuxième point d’entrer situé à Sainte-Anne-de-Kent, à environ 70 km de Moncton, dans le but de desservir de plus près les jeunes de ce comté, incluant aussi trois communautés autochtones.