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En 1985, alors qu’on assistait à une grande vague de désinstitutionnalisation des institutions psychiatriques au Nouveau-Brunswick et ailleurs en Occident, plusieurs questions se posaient. Par exemple :
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Où va-t-on loger ces nombreuses personnes issues des institutions psychiatriques et qui y ont séjourné pendant plusieurs mois, plusieurs années même?
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Que vont-elles faire dans la communauté? Quel sera leur rôle? Quels seront leurs réseaux?
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Une fois sorties des institutions — et ceci se passait très rapidement — comment ces personnes vont-elles s’organiser, se débrouiller, s’adapter à la vie à l’extérieur, à un nouveau mode de supervision, en dehors des murs de l’asile?
En somme, de nombreuses professionnelles et de nombreux professionnels se demandaient comment ces personnes nouvellement transplantées dans de nombreuses communautés occuperaient leurs temps. À regarder la télé comme elles le faisaient en institution, à fumer la cigarette, ou autrement? En somme, pourront-elles participer à la vie communautaire ou seront-elles enfermées — de nouveaux murs peut-être — dans des « foyers de soins »?
En discutant de ces problèmes dans le contexte d’un cours de politiques sociales à l’Université de Moncton, j’ai mis au défi un groupe d’environ 30 étudiantes ou étudiants de s’engager à faire un stage hors institution, dans la communauté, auprès des personnes psychiatrisées. La grande majorité a eu peur d’un tel engagement, mais une étudiante a relevé le défi et a entamé sous ma supervision un stage de 450 heures. Le contrat d’apprentissage restait évidemment très ouvert, flexible, de même que les heures et lieux de ce stage. Un stage sans adresse, sans agence, sans numéro de téléphone, comportant des objectifs tout aussi vagues que grandioses…
La coordonnatrice des stages accepta le contrat. Dans un premier temps, cette stagiaire allait aux endroits où ces personnes ex-psychiatrisées risquaient de se retrouver. Rapidement, nous avons constaté que c’était dans les Tim Horton (le seul endroit où elles pouvaient prendre un café sans se faire mettre à la porte) ou dans un centre d’achat de la ville de Moncton qu’elles se réfugiaient lorsqu’elles osaient sortir de leurs foyers. Cela dit, ces personnes étaient souvent seules, maussades, peu loquaces, timides, sans argent et évidemment sans réseau. Prendre leurs médicaments et fumer la cigarette semblaient être leurs seules activités.
Dans un second temps, étant donné leur isolement, il devint clair qu’un local, un lieu de rassemblement devenait nécessaire. N’ayant pas de budgets pour un tel centre, nous avons frappé à la porte de lieux susceptibles de nous aider, comme les centres communautaires et les institutions religieuses. Une église nous prêta sans frais une salle des plus convenables. C’est donc dans le sous-sol de l’Église du Christ-Roi à Moncton que débuta tout un ensemble d’activités regroupant quelques personnes venues y prendre un café, partager quelques moments de solitude, ou s’engager, timidement d’abord, dans diverses activités.
Sous l’habile direction d’Eugène LeBlanc, le Groupe de support émotionnel prit forme et devint au fil des années une force importante représentant les personnes sorties des institutions psychiatriques du Nouveau-Brunswick. Le groupe rayonna, s’engagea dans des comités de gestion, des organismes de revendication. Pour toutes sortes de raisons, même les étudiantes et étudiants de l’Université demandaient à le visiter. Au Nouveau-Brunswick d’abord, puis sur la scène canadienne par la suite, on a souvent demandé à Eugène d’agir comme porte-parole ou personne-ressource, représentant les personnes psychiatrisées, Il a été nommé à la Commission de la santé mentale du Canada (2009), organisme dont il fait toujours partie.
Ce que je voudrais souligner ici, c’est, entre autres, comment un stage dans un milieu non traditionnel, non institutionnel, peut profiter à une communauté et créer, circonstances aidant, un ensemble de ressources et d’activités au profit de personnes démunies, isolées, et souvent n’ayant pas les outils d’organisation ni le sentiment de pouvoir influencer le monde politique ou les milieux professionnels.
Le Groupe de support émotionnel, créé en 1987 à la suite de ce stage, existe toujours, et il est encore dirigé par Eugène LeBlanc. Un journal a été créé également, Our Voice Notre voix (OVNV), et cette revue impressionnante en est à son 68e numéro (printemps 2019). Son objectif est de « donner une place privilégiée à celles et ceux qui sont victimes du système psychiatrique au Nouveau-Brunswick »[1]. De plus, 27 centres d’activités répartis à la grandeur de la province et trois initiatives provinciales ont été créés et existent toujours. Sous la direction d’une personne responsable, chacun de ces centres décide d’activités et de formes d’engagement dans la communauté. Ces centres sont subventionnés en partie par le ministère de la Santé du Nouveau-Brunswick[2]. Après 25 ans d’activités soutenues dans la communauté, tant au Nouveau-Brunswick qu’au niveau national et international, voici un article qui résume les engagements d’OVNV[3] et un site qui présente l’essentiel de leurs nombreuses activités[4]. Il faut bien dire que de nombreuses ressources institutionnelles, avec personnes salariées, n’en ont pas tant fait en trente ans!
Pour conclure, lorsqu’on crée un stage dans un contexte communautaire ou alternatif, on ne sait trop comment il va évoluer. Si les gens s’y engagent et si les circonstances s’y prêtent, une telle initiative pourrait donner, comme cette expérience-ci le démontre, toute une force pour le mouvement des personnes psychiatrisées ou d’autres groupes vulnérables.