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Cet ouvrage se présente comme un véritable traité donnant accès, pour un large public, aux connaissances scientifiques disponibles au début du xxie siècle sur l’économie sociale et solidaire (ESS). Le projet est ambitieux et les deux universitaires directeurs de l’ouvrage, Marthe Nyssens et Jacques Defourny (des universités de Louvain et de Liège, par ailleurs fondateurs d’EMES, réseau européen de recherche sur l’économie sociale et l’entrepreneuriat social) l’ont réussi. Pour y parvenir, ils ont rassemblé autour d’eux dix chercheurs de langue française pour leur demander une contribution particulière – sur leurs thèmes de recherches de prédilection –, correspondant à un chapitre écrit par un, deux ou trois d’entre eux. Ainsi, onze chapitres, regroupés dans deux parties (la première consacrée aux fondements de l’ESS et la seconde à ses enjeux), couvrent très largement le champ de l’ESS et les principales problématiques contemporaines.
Un traité quasi exhaustif
Malgré la pluralité des auteurs, de leurs champs disciplinaires (économie, sociologie, etc.), de leurs orientations épistémologiques et de leurs contextes nationaux, cet ouvrage conserve une cohérence d’ensemble, tant de forme que de fond, qui facilite grandement la lecture. Le souci d’une approche didactique et la volonté d’une présentation de théories alternatives sur l’ESS sont essentiels à un traité. Tous les auteurs ont su répondre à ces exigences. La priorité donnée à la clarification et à l’explication, nécessaire pour comprendre, implique un effort conceptuel et une réflexion théorique auxquels tous les chapitres donnent une place prépondérante en fournissant des références bibliographiques utiles et souvent récentes. En revanche, compte tenu de cette priorité, les faits empiriques (monographies, données statistiques) sont rares dans l’ouvrage. Les auteurs en sont conscients et ils ont veillé à ce que le lecteur soit accompagné dans sa lecture par une cinquantaine d’encadrés qui viennent apporter soit des outils conceptuels complémentaires, soit des illustrations sectorielles éclairantes. De même, la seconde partie commence délibérément par un chapitre consacré à l’appréhension statistique de l’ESS (chapitre VII). Edith Archambault, dont l’engagement sur ces questions est bien connu (ADDES, programme Johns Hopkins, rapport du CNIS, etc.), dresse un état des lieux au plan international et s’interroge sur la qualité des données en soulignant les progrès accomplis depuis trente ans, comme les chantiers à poursuivre pour améliorer les connaissances, notamment sur le bénévolat.
L’exhaustivité est aussi un élément souhaitable pour la rédaction d’un traité. Sur ce point, la réussite serait totale si le champ des mutuelles avait pu trouver dans l’ouvrage une vraie place. Nul doute que les éditions ultérieures s’attacheront à combler cette lacune d’autant plus regrettable que les mutuelles de santé ou d’assurance partagent avec les associations ou les coopératives de nombreux enjeux et que, malgré leur ancienneté et leur institutionnalisation, elles manifestent avec l’économie solidaire décrite par Laurent Gardin et Jean-Louis Laville (chapitre V), ou avec les entreprises sociales présentées par Jacques Defourny (chapitre VI), des parentés qui éveillent logiquement l’intérêt du lecteur pour des approfondissements et des comparaisons.
Intégrer dans la première partie un chapitre, le quatrième, consacré à la question du bénévolat ouvre des perspectives intéressantes. Lionel Prouteau y présente l’état des connaissances scientifiques en psychologie, en sociologie et surtout en économie, permettant de prendre la mesure de la complexité et de la variété de cette pratique sociale. Concept décalé en regard des autres, plus analytiques (les coopératives, les associations, les entreprises sociales), le bénévolat concerne à des degrés variables les organisations de l’ESS mais constitue un élément important partagé au moins par celles qui visent un intérêt mutuel ou rejoignent un intérêt général. Ce chapitre traite aussi d’autres problématiques rencontrées ailleurs dans l’ouvrage comme le désintéressement, la réciprocité, l’engagement, la participation à la constitution d’espaces publics, l’économie du don, etc.
L’entreprise sociale intégrée au champ de l’ESS
La première partie s’achève avec chapitre VI qui concerne l’entreprise sociale. Le singulier du titre mérite d’être noté à côté du pluriel employé dans les titres précédents (les coopératives et les associations). Pourtant la diversité et parfois l’hétérogénéité des entreprises sociales ne sont pas moins grandes. Dans l’espace des représentations actuelles, l’entreprise sociale semble avoir acquis, en peu de temps, un positionnement générique similaire à celui de l’économie sociale ou de l’économie solidaire. Il y a donc matière à interroger les sciences sociales et politiques. Ce chapitre expose les généalogies idéologiques et les fondements théoriques qui ont amené dans le contexte international actuel l’entreprise sociale au coeur des débats, aussi bien scientifiques que politiques. Prolongeant les apports de l’approche construite au sein du réseau international EMES, l’auteur esquisse une théorie plus générale des modèles d’entreprises sociales. Celle-ci croise l’approche des logiques d’intérêt initiée par Benedetto Gui (1999) et des analyses d’Hansmann (1996) sur les droits de contrôle résiduels et les droits à l’appropriation des bénéfices résiduels. L’auteur envisage de positionner l’entreprise sociale dans un schéma triangulaire équilatéral dont les pôles sont : l’intérêt mutuel, l’intérêt général et l’intérêt capitaliste. Ce positionnement est réalisé en fonction du degré d’intensité relative des principes d’intérêt orientant les décisions dans l’organisation. Se surimpose au triangle un découpage du plan en trois zones parallèles. L’une où les ressources non marchandes sont dominantes, l’autre où les ressources marchandes sont dominantes et enfin, entre les deux, une zone médiane où les ressources de l’organisation sont hybrides. Cette présentation sera certainement reprise et soumise à la critique dans des travaux à venir. Notons seulement ici deux remarques pour ouvrir les questionnements :
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La présentation sous la forme d’un espace continu vient bousculer toutes les classifications dichotomiques comme lucratif-non lucratif. Des réflexions analytiques et des études empiriques devraient permettre de savoir si une telle hypothèse est soutenable ou s’il convient de maintenir des frontières plus claires.
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La proposition d’un fractionnement du plan selon les ressources et la construction de trajectoires institutionnelles pour les organisations de l’ESS ouvrent vers des analyses dynamiques. Cela suppose de faire la part de ce qui résulte soit des comportements des organisations, soit de la transformation de leur environnement. En effet, les frontières entre les zones ne sont pas stables et la marchandisation de l’activité de certaines organisations de l’ESS peut avoir une origine exogène ou être le résultat d’un choix volontaire.
L’ESS continuera à faire l’objet de controverses, comme cela a été le cas depuis ses débuts. Elles ne sont d’ailleurs pas absentes de l’ouvrage. Elles se manifestent entre les familles plus anciennes, héritières d’une histoire et les initiatives nées dans des contextes plus récents. Elles apparaissent également entre ceux qui entendent donner une priorité absolue à l’entreprise au sein de l’organisation d’ESS et ceux qui s’attachent plutôt à entretenir ses logiques instituantes et ses capacités sociopolitiques. En arrière-plan, transparaissent des clivages sur les conceptions politiques qui conduisent à envisager l’ESS avec des visées instrumentales différentes. Toutefois, le pluralisme des auteurs maintient la perspective d’une pensée ouverte et les choix éditoriaux énoncés dans l’introduction (caractère politique de l’économie, avantages d’une économie plurielle et rôle critique de l’ESS) pourront rassembler une large majorité.
Logiquement, l’ouvrage ne présente pas de conclusion, mais s’achève avec une réflexion de Marie J. Bouchard et Benoît Levesque qui met en relation les innovations sociales avec l’ESS. La portée plus générale de ce chapitre vise à engager tous les chercheurs dans la construction d’une véritable théorie de l’innovation sociale. Sans attendre ces développements espérés, l’avenir de l’ESS s’inscrira certainement dans une complexité aussi grande que celle du passé. C’est pourquoi, les qualités de cet ouvrage resteront longtemps utiles pour offrir les connaissances fondamentales aux enseignants, aux chercheurs, mais également aux étudiants et aux acteurs désireux de se repérer et de démêler l’écheveau embrouillé et déroutant des initiatives que l’on rassemble aujourd’hui sous les mots d’économie sociale et solidaire.