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« Planète coopérative » célèbre la loi de 1947 et l’attractivité de son modèle

Une célébration mais aussi une réflexion. Alors que la loi du 10 septembre 1947 définissant le statut coopératif fêtait ses 70 ans, Coop FR, qui représente les différentes fédérations coopératives, a souhaité montrer l’unité et la diversité des coopératives françaises, offrant par la même occasion un tour d’horizon des questions qui se posent à elles et au mouvement. Quels sont les secteurs d’activité les plus émergents ? Le droit coopératif français offre-t-il toutes les solutions et facilités attendues aux entrepreneurs ? Comment mieux intégrer les principes coopératifs aux normes produites par les grandes organisations internationales ? De nombreuses questions ont été abordées à l’occasion de l’événement « Planète coopérative : les coopératives pour un monde meilleur » qui s’est déroulé les 13 et 14 septembre à la Maison de la Chimie, à Paris. En trois séquences d’une demi-journée chacune, une trentaine d’invités, des experts d’envergure internationale et des acteurs de terrain, se sont succédé en six tables rondes didactiques pour témoigner et dialoguer entre eux et avec le public, illustrant au passage qu’il n’y a pas de prêt à penser coopératif.

L’essor de nouveaux secteurs

La France reste la terre historique des coopératives de production (2 222 Scop et 47 508 salariés en 2014) et un fleuron de la coopération agricole (2 750 coopératives et 160 000 salariés en 2014) mais de nouveaux secteurs sont en essor. En matière de coopération de consommation (35 coopératives en 2014), la vingtaine d’initiatives en cours ne se limite pas à la duplication des opérations de type La Louve, en zone urbaine. Ainsi, l’épicerie Ma coop la vie au vert a pu expliciter son projet dans un environnement « néorural ». Parmi les coopératives d’artisans (424 coopératives en 2014), La fabrique de la Goutte d’Or (XVIIIe arrondissement de Paris) a présenté comment elle aidait les couturiers à sortir de l’économie informelle en structurant leur réponse à des appels d’offres dans le domaine de la mode (avec l’appui d’un pôle territorial de coopération économique). La coopérative HLM Cooprimo était à la tribune avec Graine de Bitume, une toute jeune coopérative d’habitants grenobloise « nouvelle génération » qui souhaite mixer les générations et les niveaux de revenus dans un projet immobilier échappant aux mécanismes de la spéculation. La société coopérative d’intérêt collectif (Scic) Energoop a présenté son réseau de neuf coopératives locales qui fournit en électricité renouvelable 42 500 clients, dont une centaine de collectivités.

Des enjeux de visibilité

Dès la seconde séquence dédiée aux atouts nationaux et internationaux de la coopération, cette mise en lumière des Scop, des CAE et surtout des Scic a paru essentielle : de nouveaux concepts d’entreprise sociale se développent, tel le nouveau label américain d’entreprise au statut de société anonyme B-corp, revendiquant à la fois le profit et l’utilité sociale, réinventant d’une certaine façon la coopération tout en se dédouanant de la gouvernance démocratique et de la distribution des richesses produites.

La table ronde consacrée à la « boîte à outils juridiques » de la coopération a dès lors très vite pointé la situation française : le droit coopératif y est certes très développé, riche et précis, mais aussi complexe. Sous le droit civil se trouve le droit commercial (et le droit des sociétés) dont relève la loi de 1947 au titre d’une exception, loi qui elle-même comporte de nombreuses spécificités sectorielles (Scic, CAE, Scop, etc.). Faut-il simplifier le droit coopératif ? Une simplification permettrait aux pouvoirs publics de rédiger des réglementations qui intègrent les coopératives dans leur champ d’application, ce qui n’est pas toujours le cas (par exemple, le CICE s’applique aux TPE-PME, mais pas aux coopératives). De plus, une simplification faciliterait l’entreprenariat sous statut coopératif. Pour autant, la réponse n’est pas simple car un droit coopératif plus synthétique comporte un risque, celui d’un certain alignement du droit coopératif sur le droit civil et commercial lorsque le juge, ne trouvant pas de réponse à un cas particulier, serait amené à se référer aux Codes supérieurs. Ces enjeux sont apparus en filigrane des échanges entre Daniel Hustel, avocat d’affaires, Paul Le Floch, professeur à l’université Paris 1, Laurent Gros, spécialiste du droit coopératif chez Trinity avocats et Patrick Prud’homme, directeur des affaires juridiques et fiscales du Crédit Coopératif.

Quelle reconnaissance à l’international ?

La table ronde sur les forces et les enjeux des principes coopératifs à l’international a permis sans doute, mieux que tout autre, de saisir les atouts de la planète coopérative et les questions qui se posent à elle. Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit économique et financier à Sciences Po Paris, a développé dans une intervention d’ouverture l’idée selon laquelle, depuis 2008, pour sauver le marché financier du chaos et de l’effondrement, les Etats et les organisations internationales ont entrepris une captation des valeurs coopératives qui aboutit à une mutation inédite des règles du marché. Ainsi, l’Union bancaire, réalisée dans l’Union européenne en 2014 repose sur une vision très nouvelle : la faillite d’une banque n’est plus une aubaine pour les autres concurrents sur le marché. Elle est proscrite, au nom de la solidarité, de la coopération. Dès lors, les valeurs et les idées de coopération, ainsi récupérées, seraient désormais le bastion avancé du droit des marchés capitalistiques en quête de survie. Quelle place et quel rôle peuvent avoir les coopératives face à de telles tensions et opportunités ?

Patrick Klein, chef de l’équipe économie sociale à la Commission européenne (DG Grow), Simel Esim, cheffe de l’unité des coopératives de l’Organisation internationale du travail (OIT), David Rogers, membre du comité des principes de l’Alliance coopérative internationale (ACI) et conseiller municipal de la circonscription de Ealing (Londres) et Hagen Henry, professeur de droit à l’université d’Helsinki, ont pu faire le point sur la reconnaissance internationale des principes coopératifs (au sens de la Charte de 1995) de façon plus concrète. La planète coopérative internationale compte 1,3 milliard de membres et la moitié de la population dépend des coopératives pour améliorer son sort. Pour l’heure, la recommandation de l’OIT de 2002, qui reprend une déclaration de l’ACI, est la seule reconnaissance de nature juridique, susceptible d’être invoquée de façon contraignante. « Pour avancer, il faut mettre dans les statistiques des organisations internationales des indicateurs capables de mesurer et montrer le rôle bénéfique des coopératives dans l’éducation, le travail, l’agriculture, l’alimentation », a fait remarquer la représentante de l’OIT. Quant à la reconnaissance internationale à venir, elle ne doit pas envisager les coopératives uniquement comme un remède à la pauvreté ou comme un palliatif au désengagement des Etats-nations.

Au terme d’une dernière séquence de deux tables rondes consacrée à la dimension utopique de la coopération et de sa vocation à transformer la société, Jean-Louis Bancel, président de Coop FR, a pu insister sur les trois principes coopératifs fondamentaux dans lesquels toutes les coopératives françaises se reconnaissent : l’autonomie (l’indépendance) du modèle coopératif vis-à-vis des autres modèles économiques ; l’intercoopération au sein du monde coopératif et plus largement avec l’ESS ; l’engagement envers la communauté, notamment à travers la contribution de la coopération au développement durable. La rencontre, par la richesse et la vitalité des éclairages, aura mérité son titre « Les coopératives pour un monde meilleur ».

Lisa Telfizian

Coopération de consommation : le centenaire du renouveau

Le 13 septembre dernier, la Fédération nationale des coopératives de consommateurs (FNCC) fêtait à la Maison de la Chimie, à Paris, le centième anniversaire de la loi de 1917 sur l’organisation des coopératives de consommateurs. Dans sa version d’origine, la loi du 7 mai 1917 s’inscrit dans un contexte particulier. En effet, de nombreuses coopératives de consommateurs avaient été créées dans la seconde moitié du xixe siècle. Certaines s’étaient regroupées, dès 1885, au sein de l’Union coopérative, présidée par Charles Gide, d’autres avaient rejoint la Bourse coopérative en 1895, présidée par Jean Jaurès, d’autres encore, nombreuses, étaient restées isolées. En 1912, Charles Gide et Jean Jaurès, dont le rapprochement avait été initié par Marcel Mauss, dissolvaient leurs deux centrales et créaient la FNCC. La charte rédigée à cette occasion allait donnait au mouvement coopératif une boussole pour plus d’un demi-siècle. Mais ce mouvement ne connut son véritable essor que quelques années plus tard, précisément lorsque le ministre de la Guerre et futur fondateur de l’Organisation internationale du travail (OIT), Albert Thomas, s’appuya sur les coopératives de consommateurs pour répartir et distribuer les denrées alimentaires dans la France en guerre. Cependant, en changeant d’échelle, les coopératives avaient besoin de financement, c’est ainsi qu’un des objectifs de la loi du 7 mai 1917 était de prévoir la possibilité de recevoir des avances de l’Etat (articles 8 et suivants). Une autre loi, votée le même jour, fixait d’ailleurs une première avance de 2 millions de francs.

A cette occasion, et c’est là un aspect essentiel, a été codifié ce qui fait encore aujourd’hui la particularité des coopératives de consommation. Finalement, la réglementation concernant les coopératives de consommateurs a assez peu changé. Son évolution peut se résumer synthétiquement de la manière suivante : de 1920 à 1935, des précisions sur le statut sont apportées et un accompagnement est prodigué aux premiers regroupements ; de 1952 à 1955, le statut des coopératives fermées est précisé, et surtout, l’obligation est faite aux comités d’entreprise souhaitant vendre de prendre la forme de coopérative de consommateurs ; de 1982 à 2007, des modifications mineures sont apportées pour articuler la loi avec celles régissant d’autres formes de coopératives.

Il est significatif que cette réglementation n’a été impactée ni par la loi de 1947 portant statut de la coopération, ni par celle de 2014 relative à l’ESS. On peut noter par contre que l’article 19 de la loi de 1917 instaure la révision coopérative qui sera généralisée par la loi sur l’ESS du 31 juillet 2014 à toutes les coopératives françaises, à la demande de Coop FR.

Voici le premier article de cette loi : « Les sociétés coopératives de consommation sont des sociétés à capital et personnel variables, constituées conformément au chapitre Ier du titre III du livre II de la partie législative du Code de commerce par des consommateurs, dans le but : 1° De vendre à leurs adhérents les objets de consommation qu’elles achètent ou fabriquent, soit elles-mêmes, soit en s’unissant entre elles ; 2° De distribuer leurs bénéfices entre leurs associés au prorata de la consommation de chacun ou d’en affecter tout ou partie à des oeuvres de solidarité sociale dans les conditions déterminées par leurs statuts ».

Un film et un livre à l’occasion du centenaire

A cette matinée du 13 septembre, assistaient les coopératives historiques comme Coop Atlantique, les Coopérateurs de Normandie-Picardie, les Coopérateurs de Champagne, et également des représentants de la nouvelle génération de coopératives de consommateurs comme Dyonicoop (Saint-Denis), La Louve (Paris), Coopaparis…

Pour fêter l’événement, la FNCC a produit deux documents qui furent présentés : un film, Le meilleur suffit. Une histoire des coopératives de consommateurs d’avant-hier à demain, écrit et filmé par Denys Piningre (Production Vosgestélévision et Vraivrai film, contact : florent@vraivrai-films.fr) ; et un livre, Coopérer pour consommer autrement, publié par la Fédération en partenariat avec les Presses de l’économie sociale et la Recma (Presses de l’économie sociale, FNCC, diffusé par les éditions Repas : repas.org, 83 p., 8 euros).

Dans son discours d’accueil, le président Loïc Pelletier souligna le contexte particulier de ce centenaire qui marque aussi un renouveau de la coopération de consommation. « L’année 2017 confirme ce regain d’intérêt de la part de nos concitoyens pour ce type d’organisation coopérative. Nous sommes heureux, à la FNCC, de compter chaque mois plusieurs de ces projets qui sollicitent nos conseils et notre soutien, sans compter les anciennes coopératives qui se manifestent tout à coup alors qu’elles menaient en solitaire leur existence parfois très ancienne. Les motivations de ces nouveaux coopérateurs se rejoignent très largement : désir profond de vouloir créer un commerce qui donne plus de place aux relations humaines et ceci dans le respect du développement durable, démarche citoyenne pour participer concrètement et collectivement à l’édification d’un monde meilleur. » (Entre héritage et modernité. Les coopératives de consommateurs en 2017, Rapport moral 2017, FNCC).

Le renouveau de la coopération de consommation, qui fut précédé par l’essor remarquable des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) au cours des quinze dernières années, établit également un rééquilibrage entre les formes de la coopération : la génération des moins de 50 ans – non seulement française mais aussi européenne – qui s’intéresse à la coopération connaît en effet la coopération agricole et artisanale, la coopération de production et la coopération bancaire, mais elle ignore largement la coopération de consommateurs qui fut cependant pour les générations précédentes le fer de lance du mouvement coopératif français et européen. Il faut donc s’attendre à ce que les générations qui vont participer dans les décennies à venir au nouveau développement de la consommation coopérative renouvellent le regard sur l’ensemble du mouvement coopératif.

Jean-François Draperi et Olivier Mugnier

L’association Coop des Communs passe ses projets en revue

Créée en 2016, La Coop des Communs est une association loi 1901 née de l’intuition que les communs constituent des piliers de transition numérique, écologique, sociale, économique. Les communs recouvrent en effet un ensemble de pratiques sociales anciennes, renouvelées par la prise de conscience de la limitation des ressources naturelles et l’explosion des réseaux numériques qui décuplent les capacités de partage, mais aussi les situations de captation des données (nouvelles enclosures). Mobilisée par un courant de recherche très actif depuis le prix Nobel décerné à Elinor Ostrom en 2009, la notion de commun constitue aussi une très intéressante grille d’analyse de l’action collective faisant référence à une ressource partagée, une communauté d’usagers et un système de gouvernance.

Ceci expliquant la volonté pour La Coop des Communs de favoriser l’éclosion de communs co-construits avec l’ESS et les pouvoirs publics intéressés. Pour ce faire, l’association réunit des personnes physiques qui se cooptent et fonctionne elle-même comme une figure du commun. Chaque membre de l’association doit contribuer au travail collectif et chaque contributeur a vocation à devenir membre de l’association. Les groupes de travail fonctionnent sur le mode de l’auto-organisation. Enfin, l’assemblée générale des membres, lieu d’échanges intergroupes et des discussions sur le fond, se réunit trois fois par an. Celle qui s’est tenue à Paris le 27 juin dernier, la troisième de la jeune association, a été l’occasion de présenter, de critiquer et de mettre en perspective les travaux des groupes qui associent toujours chercheurs et acteurs. Un grand nombre de membres avaient répondu présent : l’association compte désormais une soixantaine de membres – activistes, militants, chercheurs et entrepreneurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) et du monde des communs ainsi que des acteurs publics.

Des groupes de travail associant chercheurs et praticiens

Ainsi, le groupe de recherche collaborative « Protection sociale, ESS et communs » réunit mensuellement des praticiens de l’ESS et des communs, des universitaires spécialistes du travail et de la protection sociale, des sociologues, des économistes, des syndicalistes, des travailleurs du secteur culturel, des coopérateurs et des mutualistes. Il a pu livrer un premier socle dans l’analyse « La protection sociale française, diagnostic et lignes directrices d’une réforme nécessaire », dite note mère. Celle-ci annonce plusieurs autres notes complémentaires dont « Marchés du travail et prospective de l’emploi », ou encore des notes sur le projet politique des communs, le revenu universel, ainsi que sur les mutuelles et les communs.

Par ailleurs, La Coop des Communs avait lancé en 2016 un processus européen de meilleure compréhension réciproque entre acteurs coopératifs, acteurs des communs, des villes et des syndicats sur les enjeux des plateformes numériques pour les coopératives et l’ESS. Ces combats collectifs, rangés sous diverses bannières, « Platform cooperativism », « Open cooperativism », restaient parfois obscurs pour des acteurs de terrain et hors du champ de mire des instances européennes. L’assemblée générale a été l’occasion de souligner que la conférence préparée avec Smart et la P2P Foundation, le 5 décembre 2016 au CESE de Bruxelles, avait permis aux représentants des communs, des coopératives (Cecop et Coopératives Europe), de Reves (Réseau européen des villes et régions de l’Economie sociale), d’une équipe de recherche de la ville de Barcelone, de syndicats (Etuc) et de l’Organisation internationale du travail (OIT) de commencer à comprendre qu’ils avaient du chemin à faire ensemble. Ils ont décidé de s’associer dans un groupe de travail qui se réunit régulièrement depuis. Un séminaire, qui a eu lieu en juillet, a pu nourrir les futures présentations lors de conférences internationales. Sur le même registre, un groupe projet s’est constitué en France pour faire émerger des plateformes numériques ouvertes sur les pratiques coopératives et les communs. L’idée est d’associer des acteurs au sein d’une communauté ouverte qui construise une boîte à outils mutualisée permettant l’appropriation des nouvelles possibilités de pair à pair offertes par le numérique.

Le groupe « Gouvernance et démocratie », quant à lui, s’intéresse au renouveau et au renforcement de la démocratie que favorisent les initiatives se revendiquant des communs (notamment celles en lien avec l’ESS). Il s’apprête à analyser des cas concrets, autour de trois questions de recherche : liens entre communs et puissance publique ; la place des personnes éloignées de l’action publique ; le statut juridique des pratiques et des outils. Autre programme ayant fait l’objet d’une présentation lors de cette assemblée générale : le « Tour de France apprenant » des porteurs de projets innovants au carrefour de l’ESS et des communs. Ce programme, qui associe quatre partenaires – le CEPN (université Paris 13), le Ceprisca (université de Picardie), l’IRJS (université Paris 1) et le Credeg (université de Nice) – porte centralement sur l’étude des formes et des contenus du nouvel entreprenariat associable aux communs et de leurs liens avec l’ESS et  l’économie collaborative.

Un ouvrage en préparation

Les questions à traiter ne manquent pas, comme l’a constaté le groupe « Briques et modèles de l’économie des communs ». Basé à Lille principalement, celui-ci travaille dans la perspective de « Chambre des communs » pour documenter les structures existantes qui participent à une économie des communs (les briques) et en théoriser le fonctionnement pour qu’il soit applicable (les modèles). Enfin, un groupe « La banque en communs ? » s’était créé au printemps, toujours selon la méthode participative associant chercheurs-acteurs, regroupant quelques spécialistes de la banque et de la finance, des mutualistes, des coopérateurs et l’Agence française du développement. Il vise à une compréhension commune des besoins et des transitions à financer, des évolutions des métiers de la banque et des institutions bancaires non financières, afin, peut-être, de retrouver le sens de « la banque en communs ».

Au final, l’assemblée générale de juin a permis aux membres de La Coop des Communs de dévoiler, de critiquer et de nourrir les projets, et ceci selon plusieurs angles puisqu’ils sont souvent des « agents doubles » ou triples, à la fois acteurs, chercheurs et familiers de l’ESS et des communs, un atout pour l’identification des questions à creuser. Deux supports de communication devraient permettre d’avancer sur le chemin du partage avec « l’extérieur » : un ouvrage qui rendra compte du premier colloque de Cerisy « Vers une république des communs ? », et un site[*] d’information très documenté sur les travaux ainsi que l’actualité.

Nicole Alix

L’Italie veut s’inspirer des coopératives agricoles françaises

Comment aider les coopératives agricoles italiennes et leurs fédérations à se réorganiser pour être plus compétitives et efficaces ? Pour répondre à cette question, le colloque international qui s’est tenu à Florence les 23 et 24 mars derniers avait retenu une approche comparatiste avec la France où les coopératives et leurs organisations font figure d’exemple. Intitulé « Accroître la coopération agricole, renforcer l’agriculture, innover les modèles d’organisation pour les agriculteurs à travers la comparaison entre l’Italie et la France » et coordonné par les professeurs Alessadro Paccini et Daniela Toccacelli de l’université de Florence, l’événement était placé sous l’égide de l’Académie de Georgofili, ainsi que d’Agrisieme, la plus importante organisation professionnelle de coopératives et d’exploitations agricoles italiennes. Le colloque a abordé trois thématiques : une présentation académique du modèle coopératif, une comparaison appliquée des spécificités des deux pays et un temps dédié aux politiques publiques à destination des coopératives.

Poids des coopératives et répartition territoriale

Rappelons qu’il existe en Italie 4 722 coopératives regroupant 771 017 membres et réalisant près de 35 milliards d’euros de chiffre d’affaires. En 2015, la part de la coopération dans l’agriculture s’élevait à 38 % et à 23 % dans les industries agroalimentaires. La répartition territoriale italienne révèle des inégalités marquées. Ainsi, le nord de l’Italie regroupe 46 % des entreprises coopératives réalisant à elles seules 82 % du chiffre d’affaires, alors que le centre dénombre 14 % des entreprises pour 7 % du chiffre d’affaires, et le sud affiche 40 % des entreprises et 11 % du chiffre d’affaires (Osservatorio Cooperazione Agricole Italianna, Nomisma). Cette répartition avec des inégalités selon les territoires, les filières et les tailles d’entreprises présente des similitudes avec la France où, en 2015, les 2 700 coopératives qui regroupent trois agriculteurs sur quatre sont à plus de 90 % des PME-TPE. Mais le chiffre d’affaires cumulé de 85,1 milliards d’euros (dont 66 % sont réalisés par 10 % des coopératives), ajouté au constat qu’une marque alimentaire sur trois est coopérative, fait de la France un exemple stimulant (Coop de France, 2016).

Cette première thématique a permis de débattre des particularités du modèle coopératif à partir d’une lecture néoinstitutionnaliste sur la gouvernance coopérative, puis de s’interroger sur les motivations du « travailler ensemble », sur les caractéristiques de la prise de décision en coopérative et sur la capacité de résilience avérée de ces entreprises. L’hétérogénéité des membres entraîne le besoin de différencier les dispositifs et arrangements mis en oeuvre dans les processus de prise de décision collective. D’autres interventions, sur la recherche des nouveaux business model coopératifs, tant en France qu’en Italie, ont complété la caractérisation du modèle coopératif et de ses évolutions actuelles.

Un rôle majeur dans la structuration des filières agroalimentaires

Le deuxième thème, associant des contributions de chercheurs et de professionnels, a souligné le rôle considérable joué par les coopératives dans le développement agroalimentaire. Les coopératives agricoles françaises, à la différence de leurs consoeurs italiennes, participent à la structuration des filières agroalimentaires en s’organisant plus fréquemment sous forme de groupe « complexe » dans laquelle une société coopérative contrôle différentes filiales qui, elles, sont de droit commercial. Cette organisation coopérative, associant l’amont des filières et l’aval, nécessite un mode de gouvernance particulier. La comparaison a nourri le débat autour de la problématique de structuration des filières qui reste identique dans les deux pays. Le nombre des coopératives agricoles italiennes a fortement diminué ces vingt dernières années, ce qui traduit leur concentration et une capacité à peser sur les négociations à l’aval. Il est apparu que, comme leurs consoeurs françaises, les coopératives italiennes font partie des acteurs incontournables des territoires agricoles. Leur rôle d’organisation et de structuration a été plus que jamais réaffirmé. Ceci suppose un accompagnement institutionnel adapté.

Logiquement, la troisième thématique a été dédiée aux évolutions institutionnelles italiennes à mettre en oeuvre. Les organisations professionnelles italiennes, en se coordonnant, doivent améliorer leurs actions auprès des entreprises, mais aussi auprès des représentants des pouvoirs publics pour faire reconnaître le poids de la coopération italienne. En présence du ministre de l’Agriculture, la recherche d’un cadre légal adapté aux besoins des coopératives est apparue comme un enjeu important pour renforcer le soutien des filières comme des exploitations. Car, de taille modeste ou non, les coopératives affrontent des défis de compétitivité. Une législation adaptée aux particularités de ces entreprises, avec une reconnaissance des spécificités coopératives au niveau européen, est apparue comme un objectif à poursuivre. Le colloque s’est enfin conclu sur l’officialisation de la fusion des trois plus grandes fédérations des coopératives italiennes au sein d’Agrisieme qui pourra ainsi mieux coordonner les efforts en faveur des agriculteurs et de leurs coopératives.

Un enjeu de connaissance commune

Au final, par la réunion de l’ensemble des parties prenantes (plus de deux cents personnes présentes), par l’engagement des pouvoirs publics à définir des mesures d’accompagnement spécifiques, le colloque a débattu du besoin de rendre plus lisibles et compréhensibles les coopératives auprès de leurs adhérents ainsi qu’auprès des pouvoirs publics. La rencontre a contribué à prendre conscience de l’importance d’avoir des coopératives dynamiques pour soutenir les producteurs et structurer des filières agricoles durables. L’intérêt est évident pour l’Italie, mais il l’est aussi pour la France qui aura une partenaire pour partager ses positions au niveau européen. En effet, les difficultés à Bruxelles, liées à une certaine méconnaissance des spécificités des entreprises coopératives françaises ou italiennes, montrent bien le besoin de faire reconnaître leurs particularités, leurs difficultés et leurs atouts. Il y a donc un enjeu de connaissance commune et de partage des « bonnes pratiques » en matière de mise en oeuvre des principes coopératifs. Mais, et c’est là un des enseignements du colloque, il faut poursuivre par le développement de travaux académiques et appliqués afin de comparer et d’étudier les modes d’organisation et de gouvernance, les stratégies, et ainsi renforcer le pouvoir coopératif au service des agriculteurs, mais également de la société.

Maryline Filippi