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Pour son XXVIIe colloque, l’Addes questionne les relations entre ESS et pouvoirs publics
Le xxviie colloque de l’Association pour le développement des données sur l’économie sociale (Addes) s’est tenu le 26 janvier 2017 dans les locaux de la MGEN autour du thème : « Les relations entre l’économie sociale et solidaire (ESS) et les pouvoirs publics. » Si la question des relations entre l’ESS et l’Etat a été sous-jacente dans nombre de colloques de l’Addes, notamment ceux portant sur les financements [1], elle n’avait jamais été traitée per se depuis 1995. Les colloques de l’Addes constituent l’une de ces agoras incontournables où les acteurs et les chercheurs de l’ESS viennent restituer leurs expériences et les travaux menés au sein de leurs laboratoires respectifs. Selon une méthode qui a fait ses preuves depuis l’origine de l’association [2], les interventions sont discutées et enrichies en amont du colloque. La journée a été introduite par Henry Noguès, président de l’association, assisté d’Hugues Sibille, président de la Fondation du Crédit coopératif [3] et d’Odile Kirchner, déléguée à l’ESS.
Des liens historiques étroits entre ESS et pouvoirs publics
La thématique choisie cette année se prêtait à l’approche historique. Celle-ci a fait l’objet de deux interventions de qualité dans la première session animée par Lionel Prouteau (U. Nantes). Sur le constat que les groupements de personnes ont été depuis le xixe siècle morcelés en un ensemble d’organisations ayant chacune leur statut propre, Anne Frétel (U. Lille-1) a défendu l’hypothèse que cette partition découle d’une « volonté de l’Etat de garder le monopole de l’intérêt général » et par là même de limiter la dimension politique de l’économie sociale. Cette stratégie de contention du potentiel contestataire des organisations s’est accompagnée d’une tentative d’instrumentalisation de certaines branches de l’économie sociale, comme les mutuelles, devenues des relais de l’intervention publique. Anne Frétel a constaté que la partition juridique s’est souvent faite au mépris de la multifonctionnalité effective des organisations. La loi de 2014 ne fait pas exception car, bien que considérant l’ESS « comme un grand tout », elle l’appréhende comme un acteur économique et non comme un acteur politique.
Olivier Chaïbi (U. Créteil) a retracé l’évolution historique du financement public de l’économie sociale. Bien que chaque période ait connu son lot de tendances divergentes exprimant une volonté d’indépendance financière à l’égard de l’Etat, son analyse historique l’amène à considérer que le financement des collectivités locales « permet d’afficher une indépendance de principe par rapport à l’Etat », mais témoigne en fait « d’une dépendance tacite à l’égard des financements publics ». Observant l’évolution des relations entre l’Etat et les mutuelles de fonctionnaires, Luc Pierron (FNMF), Romain Guerry (MGEN) et Olivier Boned (MGEN, U. du Maine) ont rappelé que le concept de non-lucrativité ne s’applique pas à l’activité mutualiste dans le cadre européen. La fiscalité des mutuelles s’est alignée au fil des ans sur celle des assurances, avec pour corollaire la disparition progressive des aides d’Etat – interdites par la réglementation européenne. Un point qu’il conviendrait de revoir pour soutenir ces organismes.
Une approche comparatiste internationale pour les associations et fondations
La seconde session, présidée par Eric Bidet (U. du Maine), privilégiait une approche comparatiste internationale. La présentation d’Edith Archambault (U. Paris-1) portait sur « Les relations entre les pouvoirs publics et les institutions sans but lucratif (ISBL) » en Italie, aux Pays-Bas, en France, en Pologne et en Allemagne. S’appuyant sur la théorie institutionnaliste des origines sociales, elle a défini quatre modèles de développement du secteur non lucratif : le modèle étatiste des pays de l’Est dont la Pologne, le modèle libéral des pays anglo-saxons, le modèle corporatiste de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la France et de l’Italie, et le modèle socio-démocrate des pays nordiques. Cependant, Edith Archambault a souligné un effacement accéléré des spécificités nationales depuis la crise de 2007 ainsi qu’une évolution de la France, d’un modèle fortement étatiste vers un modèle partenarial. D’une façon générale, les partenariats entre les ISBL et l’Etat apparaissent d’autant plus solides qu’ils sont anciens.
Laurence de Nervaux (Fondation de France) présentait une comparaison internationale de la situation très diverse des fondations européennes au regard des pouvoirs publics. En Espagne, « les fondations prolifèrent » alors que les associations sont peu nombreuses ; les fondations françaises sont « peu dotées mais généreuses en dépenses » ; en Suède, elles bénéficient de l’appui fort des pouvoirs publics et en Allemagne d’une « générosité fléchée », via cette « part de l’impôt qui va au caritatif ». Particulièrement original est le cas de l’Italie où la loi de 1990 sur la privatisation des banques a entraîné la création de quatre-vingt-huit fondations de caisses d’épargne. Laurence de Nervaux a souligné que partout s’entrechoquent les concepts d’intérêt général, d’utilité publique et d’utilité sociale, ouvrant ainsi une piste de réflexion inspirante sur l’usage de la terminologie.
La matinée s’est conclue par la remise des prix de l’Addes par Christine Jacglin (Crédit coopératif) (voir les articles suivants de cette rubrique).
ESS, gestion des communs et collectivités locales
Cette troisième session était animée par Elisa Braley (Uniformation). S’appuyant sur l’exemple des associations d’aide à domicile dans les régions du Nord-Pas-de-Calais, Rhône-Alpes et Pays de la Loire, François-Xavier Devetter (U. Lille), Emmanuelle Puissant (U. Grenoble) et Annie Dussuet (U. Nantes) ont fait la démonstration de l’ambiguïté des pouvoirs publics locaux qui peuvent se positionner à l’égard de ces acteurs de l’ESS comme régulateurs, clients ou « employeurs cachés ». Puis, Hervé Defalvard et Geneviève Fontaine (Upem, Erudite), se plaçant au croisement des analyses de E. Ostrom et A. Sen, ont émis l’hypothèse que les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), issus de l’ESS, pouvaient constituer un troisième type de communs sociaux, à côté des communs traditionnels et des communs informationnels, même si une posture « dominatrice » des pouvoirs publics a tendance à éloigner les PTCE de leur construction en tant que communs.
Le rôle institutionnel des pouvoirs publics dans la construction et la gestion des communs en Italie a fait l’objet de deux présentations. Benedetta Celati (U. Pise) a exposé les exemples de la charte de Bologne, premier règlement local pour l’administration partagée (2014), et du « Laboratoire de Naples pour une constituante des biens communs » (2012). Daniela Ciaffi (U. Palerme) a présenté le travail entrepris par Labsus (laboratoire pour la subsidiarité) pour accompagner les initiatives menées conjointement par les pouvoirs publics et des organisations de la société civile dans une centaine de villes en Italie, et traduisant le principe de subsidiarité horizontale, introduit en 2001 dans la Constitution italienne. La journée s’est terminée par un dialogue entre deux grands témoins de l’ESS, Yannick Blanc (Fonda) et Jean-Louis Bancel (Crédit coopératif) sur le thème de la mutation du rapport entre pouvoirs publics et société et de ses implications pour l’ESS. L’exemple des PTCE a été une nouvelle fois convoqué pour illustrer l’opportunité d’une stratégie collective entre l’ESS et un Etat qui serait à la fois régulateur, investisseur et intégrateur. Jean-Louis Bancel estime que l’ESS traverse actuellement une « crise d’infantilisme », car elle peine à « penser son autonomie ».
En dépit de la variété des approches et des aires géographiques ou sectorielles étudiées, toutes les interventions de cette journée ont convergé pour souligner la vulnérabilité de l’ESS suspendue aux financements publics (et donc à une volonté politique plus ou moins affirmée de les octroyer), l’influence croissante des pouvoirs locaux et la nécessité de démarches partenariales, dont témoigne la récurrence du terme « coconstruction » dans toutes les interventions.
Patricia Toucas-Truyen
Prix de thèses de l’Addes : les sciences économiques à l’honneur
Huit thèses étaient en compétition cette année pour recevoir le prix de l’Association pour le développement des données sur l’économie sociale (Addes). Relevant de quatre disciplines différentes, ces travaux montraient que l’économie sociale et solidaire (ESS) est un objet de recherche désormais assez bien identifié dans la majeure partie des sciences humaines et sociales. Cependant, alors que les thèses en sciences de gestion avaient tendance à représenter la part la plus importante des travaux reçus depuis quelques années (le tiers lors de l’édition 2015), le jury notait cette année une orientation plus prononcée vers l’économie, qui concentrait la moitié des thèses reçues, l’autre moitié se répartissant entre la sociologie (deux thèses), les sciences de gestion et les sciences politiques et sociales (une thèse chacune). Sans grande surprise, ces thèses en économie relèvent d’une approche que l’on peut qualifier d’hétérodoxe en référence aux récents débats au sein de la discipline, montrant à la fois que ce type d’approche séduit de jeunes chercheurs et qu’elle est très probablement plus adaptée à l’étude et la bonne compréhension de l’ESS qu’une approche orthodoxe fondée sur une méthodologie essentiellement économétrique faisant peu de cas des éléments qualitatifs et des apports de l’interdisciplinarité.
L’attribution du prix de thèses de l’Addes s’est effectuée en deux étapes : une première sélection a permis de retenir trois des huit thèses, puis une seconde étape a consisté à départager les trois thèses retenues sur la base d’une analyse plus approfondie s’attachant en particulier à apprécier les qualités pédagogiques déployées dans la rédaction de la thèse, la pertinence des principaux concepts théoriques mobilisés et de leur application au sujet traité, la solidité de l’approche méthodologique choisie, la rigueur de l’argumentation fournie et l’originalité des résultats mis en exergue et leur caractère opérationnel, tant dans le domaine de la recherche que dans le champ professionnel. Sur cette base, le jury a tout d’abord retenu trois thèses relevant des sciences économiques : celles de Juliette Alenda-Demoutiez (Lille), Laura Nirello (Nantes) et Philippe Séménowicz (Paris-Est).
Interdisciplinarité et théorie des conventions
Ce qui apparaît tout d’abord à l’analyse des trois thèses retenues est qu’elles font toutes une place centrale à la théorie des conventions développée dans les années 1980 sous la houlette de Luc Boltanski et Laurent Thévenot. Ce cadre d’analyse, qui revendique une influence partagée de la sociologie et de l’économie et prône les vertus de l’interdisciplinarité, confirme ainsi sa richesse et sa grande capacité explicative lorsqu’il est appliqué aux organisations de l’ESS comme l’ont fait dès les années 1990 Bernard Enjolras pour analyser les associations sanitaires et sociales (Recma, 1994), ou Pierre Pailler pour expliquer les décisions d’octroi de crédit dans une banque coopérative (Recma, 1992). C’est donc une approche interdisciplinaire de l’ESS qui est proposée dans ces trois thèses, montrant qu’il s’agit bien là d’un positionnement théorique approprié pour comprendre la complexité et les spécificités des organisations de l’ESS. Un autre point commun à ces trois thèses est leur grande clarté et leurs indéniables qualités rédactionnelles qui en rendent la lecture très agréable. Cela mérite d’autant plus d’être souligné que, comme l’ont d’ailleurs indiqué plusieurs des rapports de thèse, il est devenu courant en sciences économiques de rédiger des travaux construits autour de quelques articles déjà publiés, le plus souvent surtout composés d’équations et essentiellement compréhensibles des seuls spécialistes de la discipline.
Deux thèses primées ex aequo
Le jury a décidé d’attribuer conjointement le prix de l’Addes 2017 aux thèses de Juliette Alenda-Demoutier et de Laura Nirello. Portant sur la place des mutuelles de santé au Sénégal, la thèse de Juliette Alenda-Demoutier s’attache à explorer leur rôle potentiel en matière d’assurance-maladie dans un pays où celle-ci est encore très embryonnaire. Le jury de l’Addes a particulièrement apprécié le choix d’un terrain sur lequel les travaux sont encore rares et la connaissance approfondie de ce terrain dont fait montre l’auteure. Il a souligné également la remarquable expertise de l’organisation du mouvement mutualiste au Sénégal et plus largement en Afrique de l’Ouest, et la réflexion stimulante qui est proposée sur la pertinence et les limites à transposer dans le contexte africain les concepts habituels de la protection sociale qui se sont essentiellement construits en référence au contexte occidental (y compris la dimension démocratique propre aux mutuelles, qui ne trouve pas une déclinaison naturelle dans la culture africaine).
La thèse de Laura Nirello porte sur la qualité de l’emploi dans les organisations de l’ESS à travers l’étude du cas plus spécifique des établissements d’hébergement de personnes âgées dépendantes (Ehpad). Elle montre que la qualité de l’emploi dans ce secteur reste faible, ce qu’elle attribue à l’existence de régulations publiques plus contraignantes à l’égard des organisations de l’ESS. Le jury a particulièrement apprécié la rigueur de la démarche méthodologique proposée, qui combine l’analyse de données statistiques et de données recueillies à partir d’entretiens et apporte sur cette base une contribution solide et inédite à la connaissance de la qualité de l’emploi en ESS, plus particulièrement dans les Ehpad. Cette analyse comparative de la qualité de l’emploi débouche sur des résultats sans complaisance pour l’ESS, qui montrent globalement que ce n’est pas mieux dans l’ESS qu’ailleurs. Dans son travail, Laura Nirello s’attache notamment à identifier le poids respectif du statut juridique et du domaine d’activité pour expliquer la moindre qualité de l’emploi observée. Elle montre ainsi que c’est davantage le domaine d’activité (l’hébergement des personnes âgées dépendantes) que le statut ou le secteur (l’ESS) qui explique les résultats observés.
Eric Bidet
Les mémoires de master au centre de toutes les attentions… et de trois prix
Les mémoires de master sont à l’honneur. Cette année, pour la première fois, trois prix étaient décernés par trois institutions distinctes. Outre le prix de mémoire de l’Addes, créé en 2000, qui récompense les travaux de niveau master 2 dédiés à toute thématique de l’ESS, le prix de la recherche coopérative Crédit Mutuel/Recma récompensait, à l’occasion de sa huitième édition, les mémoires de master 2 spécifiquement dédiés à la coopération. Nouveau venu dans cette mise en lumière des travaux universitaires de niveau bac + 5 : le prix du CJDES (Centre des jeunes, des dirigeants et des acteurs de l’économie sociale), également ouvert aux étudiants inscrits dans un cursus licence 3 et master 1, pour des travaux portant sur toute thématique de l’ESS.
Des mémoires tremplins vers la thèse
Au total, vingt candidats étaient en lice au prix de l’Addes, dix au prix Crédit Mutuel/Recma, et vingt-huit étudiants avaient soumis leurs travaux aux prix du CJDES. Cet engouement fort (même si bon nombre d’étudiants avaient triplé leurs chances en concourant aux trois prix) traduit l’attrait de l’économie sociale comme objet de recherche, ainsi qu’une évolution de fond : le mémoire de master est devenu un tremplin stratégique vers un financement de thèse. A ce titre, il est fortement investi par les candidats. « De plus en plus de travaux sont bâtis sur des cadres conceptuels et théoriques fouillés, des terrains finement analysés, et préfigurent des thèses », explique Maurice Parodi, président du jury de mémoires de l’Addes, auparavant président du jury unique décernant les prix de thèse et de mémoire. « Le mémoire constitue un très bon échelon pour repérer et encourager ceux qui ont le profil pour mener une carrière universitaire. »
Le jury du prix Crédit Mutuel/Recma ne s’y est pas trompé, proposant cette année, au regard de la qualité des travaux de ses trois lauréats, un accompagnement spécifique pour les aider à publier un premier article scientifique dans les colonnes de la Recma. Un « parrain » universitaire, membre du comité de rédaction de la revue, aide chaque lauréat à choisir un angle spécifique de son mémoire pour le travailler sous forme d’article. Puis, celui-ci est rendu anonyme et soumis au processus éditorial habituel : évalué en double aveugle par deux référés afin de recevoir des ajustements et enrichissements supplémentaires. « C’est un accompagnement précieux qui donne la possibilité de travailler une première publication dans de très bonnes conditions », se félicitait Adélie Ranville, classée en tête du classement du prix Crédit Mutuel/Recma, le jour de la remise du prix, le 27 janvier. Cette ligne supplémentaire sur le CV devrait préfigurer, il faut le souhaiter, la première d’une longue série dans une carrière bien engagée.
Trois lauréats se partagent les honneurs
Si chaque année compte son lot de têtes bien faites, trois noms concentraient l’essentiel des honneurs cette année. Adélie Ranville (Sciences Po Grenoble), premier prix du prix Crédit Mutuel/Recma, était aussi premier prix de l’Addes, et premier prix du CJDES. Son mémoire, « La Coopérative comme institution auto-organisée, une analyse conceptuelle et empirique de l’approche d’Elinor Ostrom », étudie les liens entre l’ESS et l’approche théorique d’Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie de 2009, qui a consacré la notion de « Common pool ressource », traduit par le terme de « communs ». L’analyse textuelle d’un corpus d’articles d’Ostrom permet notamment à la lauréate de mieux caractériser les coopératives et de contribuer, sur un plan conceptuel, à améliorer la compréhension des travaux du Nobel 2009 dans la recherche francophone.
Timothée Narring (Sciences Po Toulouse), deuxième du prix Crédit Mutuel/Recma, était premier ex aequo avec Adélie Ranville au prix de l’Addes. Son mémoire, « Les banques communautaires, protection ou normalisation des populations périphériques ? », propose, sur la base d’une approche authentiquement pluridisciplinaire, une analyse des banques communautaires de développement (BCD) qui se sont développées au Brésil depuis la fin des années 2000 pour répondre à des besoins économiques et sociaux (alimentation, logement, lancement d’une petite activité) tout en protégeant les clients du surendettement. L’auteur a notamment étudié comment les mobilisations locales, fondées sur l’auto-organisation des habitants et de travailleurs sociaux, se confrontent aux pratiques de cooptation et de clientélisme qui structurent le rapport des populations périphériques au politique.
Adeline Veyret (Sciences Po Grenoble), classée troisième au prix Crédit Mutuel/Recma, recevait également le prix Coup de coeur des internautes du prix CJDES. Son mémoire, « La vie démocratique, un outil de prise de décision collective. Enquête sur la délibération et la légitimité des décisions au sein des collectifs d’associés de SCOP », identifie comment, dans une coopérative, les associés parviennent à dépasser leurs intérêts individuels pour s’entendre sur des consensus partagés. Au-delà, le mémoire aborde la question de savoir comment favoriser l’émergence d’un consensus au sein d’un collectif hétérogène.
Des travaux d’une grande richesse et qualité qui augurent une belle l’édition 2018. Surtout si les organisateurs décident de jouer la carte de la complémentarité pour mettre en valeur des pans spécifiques de l’ESS par une meilleure différenciation des prix décernés…
Lisa Telfizian
Recherche et pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) : quels liens ?
Pour la première fois, un séminaire organisé le 24 janvier à Paris par l’institut Godin, le Labo de l’ESS et l’institut CDC pour la recherche, réunissait des chercheurs ainsi que plusieurs représentants de pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) pour débattre d’un thème rarement abordé. Laurent Fraisse, membre du Labo de l’ESS et responsable du groupe de travail « analyse et caractérisation des PTCE », posait en effet la question : « La recherche sur les pôles territoriaux de coopération économique est-elle structurante ou non ? »
Une question complexe, car la recherche est censée être une composante à part entière des PTCE depuis leur apparition dans les années 2000, puis leur reconnaissance par la loi ESS en 2014. Or, des collaborations se nouent, mais ont du mal à s’institutionnaliser. Les relations contractuelles sont rares. On peut citer le partenariat de 3EVA avec l’université de Montpellier. Certains PTCE bénéficient de financements occasionnels sous forme de thèses en Cifre : c’est le cas de Bou’Sol, Batir AS. Parfois, ce sont des missions ponctuelles sur des projets de recherche et développement (Florange2I) ou des missions de soutien de l’institut Godin (Tetris, Pays de Bray) qui permettent de nouer ce dialogue. Il arrive aussi que des recherches soient menées librement par des universitaires sur leur temps de recherche (Pôle Sud Archer, Ancenis…). Par ailleurs, certains chercheurs participent à des comités scientifiques ou d’orientation dans les quelques PTCE qui ont mis la recherche-développement (R&D) dans leur agenda.
La recherche-action à l’honneur
Après un rappel par l’institut CDC et le Labo de l’ESS de leurs engagements dans l’amélioration de la connaissance des PTCE, l’analyse, tout au long de la journée, de différentes collaborations relativement étroites entre chercheurs et PTCE a montré l’importance de la recherche scientifique et technologique, notamment pour le développement de certains PTCE plutôt orientés « filières », sur des sujets comme les couleurs ou le recyclage. La recherche en sciences sociales dans les PTCE d’animation territoriale semble beaucoup plus complexe à mener, d’une part du fait des contraintes méthodologiques et théoriques des jeunes chercheurs qui doivent faire leur thèse en trois ans sur la base de grilles théoriques plus ou moins adaptées, d’autre part du fait du décalage entre le temps long de la recherche et les attentes plus opérationnelles des acteurs. La nouveauté de l’objet de recherche impose tout à la fois de s’immerger dans le processus en construction tout en gardant une distance critique, de mobiliser et de croiser plusieurs cadres d’analyse tout en restant accessible aux acteurs qui attendent une meilleure compréhension de leur pratique. De fait, nombre de collaborations entre chercheurs et PTCE prennent la forme de recherche-action épousant des postures et méthodologies diverses qui visent à produire une connaissance utile au développement de ces regroupements coopératifs initiés par l’ESS.
Des relations à structurer et à institutionnaliser
Dans son intervention conclusive, Michel Abhervé, professeur associé à l’université de Paris-Est Marne-la-Vallée, particulièrement investi sur le sujet, a rappelé : « Dans la loi, les universités apparaissaient comme des partenaires structurant des PTCE. Pourtant, en examinant la présentation des dossiers retenus dans le premier appel à projets national, il fallait bien se rendre compte que cette présence n’avait pas été prise en compte et que, s’il existait des rencontres entre des acteurs et des universitaires (plus que des universités) ayant un investissement personnel dans l’ESS ou les dynamiques territoriales, ou encore des initiatives fructueuses comme celles du Pays de Bray et de l’institut Godin, il n’y avait aucune politique nationale permettant d’aller au-delà de ce que des opportunités locales avaient induit. Et de préciser : L’appel d’offres national n’avait prévu aucun accompagnement des pôles et faisait l’objet d’une évaluation purement administrative de la part du secrétaire général à la Modernisation de l’action publique (SGMA), sans représentation de l’Université et de la Recherche, et ainsi totalement opposée à la démarche d’évaluation participative évoquée ici. » Michel Abhervé a alors appelé les chercheurs et les acteurs à développer et structurer leurs relations.
Malgré l’absence de dispositif national de soutien à la fonction R&D, ce premier séminaire a ainsi mis en évidence le développement progressif des collaborations entre chercheurs et PTCE. Tout en pointant les obstacles à surmonter, l’étude exploratoire menée sur le sujet par Laurent Fraisse vise à mettre en visibilité l’importance de tels échanges et à souligner les modalités de la recherche dans ces processus organisationnels innovants. Une telle rencontre devrait donc se renouveler.
Danièle Demoustier
Egalité entre les femmes et les hommes dans l’ESS : une avancée
L’économie sociale et solidaire (ESS) ne compte pas moins de 67 % de femmes salariées, dont 52,8 % dans les postes d’encadrement, selon les chiffres de l’Observatoire national de l’ESS et du CNCress. Pour autant, si l’on s’intéresse aux responsabilités confiées et à la gouvernance des structures, les femmes ne représentent plus que 5 à 30 % des fonctions clés : on trouve 34 % de femmes présidentes dans les associations [1], 4 à 50 % de femmes administratrices dans les coopératives [2], 24 % de femmes dans les conseils d’administration des mutuelles dont 13 % seulement présidentes [3]. Les femmes apparaissent donc dans l’ESS dans une situation plus inégalitaire, voire fragile qu’il n’y paraît au premier abord : une place prépondérante dans les forces de travail, mais concentrées sur des fonctions à faibles responsabilités ou des métiers peu valorisés.
Une question existentielle de l’ESS
L’accès aux postes à responsabilités leur reste difficile, un peu à l’image du système social et économique classique qui fragilise de nombreuses femmes. Or, la recherche d’une véritable égalité entre les femmes et les hommes s’inscrit au croisement des valeurs et des pratiques de l’ESS : démocratie, solidarité, égalité des chances, transformation sociale, émancipation des personnes, vivre ensemble, etc. L’égalité entre les femmes et les hommes est une question existentielle de l’ESS. A cela s’ajoute l’enjeu stratégique du renouvellement des compétences, tant des salariées que des bénévoles, dans un contexte de départs à la retraite.
Dès 2011, le collectif FemmESS relayait ces constats ainsi que des propositions d’actions auprès des parlementaires. Puis, en 2014, dans la loi relative à l’Economie sociale et solidaire du 31 juillet 2014, le législateur confiait au Conseil supérieur de l’ESS (CSESS) l’élaboration tous les trois ans d’un rapport sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’économie sociale et solidaire (article 4-V de la loi). L’objectif recherché était de formuler des propositions concrètes pour faire avancer l’égalité, notamment en permettant une meilleure articulation entre vie personnelle et professionnelle des salarié(e)s de l’ESS, en favorisant l’accès des femmes à tous les postes de responsabilité et de direction (salariés ou élus), en assurant la parité dans toutes les instances élues des entreprises de l’ESS.
Une première, le rapport « Egalité entre les femmes et les hommes dans l’ESS »
Le 7 février 2017, la première édition de ce rapport, intitulé « Egalité entre les femmes et les hommes dans l’ESS », a été approuvée à l’unanimité en séance plénière du CSESS. Il est le premier du genre. Il nomme les objectifs à atteindre et préconise des processus pour y parvenir dans de multiples domaines : la gouvernance, l’égalité dans l’emploi, la création d’entreprise et d’activité ; mais prévoit aussi le soutien et le renforcement des ressources et forces existantes. Sans créer de nouveaux espaces, réaffirmer les constats partagés aide à faire avancer l’égalité entre femmes et hommes dans la société. Ainsi, le rapport préconise et donne pour exemple des actions significatives à tous les niveaux et territoires, pour rassembler et articuler les forces agissantes de l’ESS et de l’égalité entre les sexes, en intégrant notamment des volets « ESS » dans les hauts conseils et observatoires existants sur l’égalité et la parité, ou un volet « égalité femmes hommes » dans les conférences régionales et nationales de l’ESS.
En complément de la législation existante sur la représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les instances de décision, et de l’accord du 27 novembre 2015 sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans l’ESS, ce rapport dresse une véritable feuille de route pour l’ESS. Parmi les onze propositions retenues par le CSESS, qui constituent le plan d’action triennal pour les pouvoirs publics et l’ESS, certaines revêtent un caractère systémique : atteindre une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes dans les instances dirigeantes élues de l’ESS d’au moins 40 % des sièges pour chacun des sièges (objectif évalué en 2020) ; créer un Observatoire de l’égalité et la parité dans l’ESS, clé de voûte des propositions et garante de leur mise en oeuvre, rattaché à l’Observatoire national de l’ESS-CNCress.
L’ensemble de ces propositions sera suivi et évalué par le CSESS dans le cadre de la préparation du prochain rapport triennal. Avec un tel dispositif, l’économie sociale et solidaire devrait réussir à devenir exemplaire et inspirante, démontrant ainsi sa capacité de transformation sociale.
Elisa Braley, collectif FemmESS, CSESS, présidente de la commission Egalité femmes hommes
Parties annexes
Notes
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[1]
Thème du colloque de 1986 : « Economie sociale et financements publics. »
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[2]
Le premier colloque a eu lieu en juin 1983.
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[3]
La Fondation du Crédit coopératif est le principal mécène de l’Addes et de la Recma.
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[1]
Le paysage associatif français, Viviane Tchernonog, Dalloz Hors série Jurisassociation, 2014.
-
[2]
Données COOP FR, rapport sur l’égalité femmes hommes dans l’ESS, CSESS, 2017.
-
[3]
Données FNMF, rapport sur l’égalité femmes hommes dans l’ESS, CSESS, 2017.