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La qualité des services au sein des Etablissements d’accueil de jeunes enfants (EAJE) demeure une question centrale. Le développement quantitatif des places d’accueil est, quant à lui, soumis à un financement de plus en plus contrôlé, et qui entre désormais en tension avec les objectifs de qualité. Faire retour sur cette question de la qualité nous semble d’autant plus primordial qu’elle apparaît aujourd’hui reléguée au second plan, tant le développement quantitatif des places a été érigé en priorité nationale dans le discours politique.

Cette recherche vise précisément à évaluer les effets de la réforme du financement des lieux d’accueil collectif par les Caisses d’allocations familiales (CAF) – réforme dite de la Prestation de service unique (PSU) – sur la qualité du service. Bien qu’aujourd’hui il n’existe pas de consensus sur ce qui définit la qualité des services dans le secteur de la petite enfance (Chanut-Guieu et al., 2013), il s’agit dans cet article d’apporter une contribution à la réflexion collective, en analysant l’effet des nouvelles contraintes de gestion sur un ensemble d’éléments qui déterminent, selon nous, leur qualité.

Dans une première partie, nous caractériserons le « tournant gestionnaire » pris par les EAJE, avec la mise en place progressive de la PSU. Dans une deuxième partie, nous proposerons une évaluation des effets de cette réforme sur différents aspects de la qualité des services : la nature du service et son fonctionnement, les relations avec les parents, la dynamique des équipes professionnelles et l’accueil des jeunes enfants. Nous proposerons ainsi un diagnostic des conséquences de cette réforme sur la qualité des services fournis, à partir d’une étude socio-économique qualitative portant sur sept structures associatives implantées sur le territoire de la Communauté urbaine du Grand Nancy.

Le tournant gestionnaire dans les EAJE : un secteur sous contrôle étroit

La France, à l’instar de ses partenaires européens, connaît une pression accrue pour développer l’offre de places destinée aux enfants de moins de 6 ans. Si la priorité a été de ce point de vue clairement accordée au développement de l’offre individuelle (Fraisse et al., 2008), dans le même temps, les EAJE subventionnés en majorité par les CAF vivent une modification de leur mode de financement avec le passage au 1er janvier 2005 à la Prestation de service unique, dite « PSU ». Le but de cette réforme, bien qu’il ne soit pas explicitement affiché, est d’optimiser les capacités d’accueil en augmentant le « taux d’occupation réelle » [1].

La réforme PSU

La CAF participe au fonctionnement des structures d’accueil de la petite enfance en versant principalement des prestations de service aux gestionnaires pour les enfants âgés de moins de 4 ans. Dans ce cadre, l’instauration de la PSU en 2002, dont l’application a été effective à compter du 1er janvier 2005, cible une augmentation des « taux d’occupation » des EAJE par un assouplissement des modalités d’accueil en rationalisant les places disponibles. Cette réforme s’appuie en effet sur le développement des services multi-accueils et plus précisément sur la fin de la séparation stricte entre accueil régulier (crèche) et accueil occasionnel (halte-garderie). Elle instaure également dans ses principes l’accès aux établissements à un plus large public, en mettant fin à la condition implicite d’activité professionnelle et d’une présence minimum de dix jours pour pouvoir prétendre à une place en crèche.

La PSU vient ainsi remplacer les anciennes subventions dont le paiement se faisait globalement par demi-journée ou journée. L’unité de référence est maintenant la présence horaire, la prestation étant calculée selon le nombre d’heures réservées. Auparavant, les familles réservaient et payaient un forfait exprimé en journée ou en demi-journée qui déterminait le montant de la subvention allouée à la structure. L’ensemble des heures d’ouverture était ainsi couvert financièrement. La réforme défavorise, de ce fait, financièrement les EAJE. Avec la mise en place de la PSU, les créneaux horaires les moins demandés, ceux avant 9 ou 10 heures et après 16 ou 17 heures, ne sont plus subventionnés qu’en proportion des réservations faites par les parents. L’établissement est censé trouver une autre famille, désireuse de prendre les créneaux laissés libres dans les contrats horaires établis avec les parents, pour optimiser son « taux d’occupation » et allouer une place d’accueil à plusieurs enfants (Didier, 2009).

Plus précisément, la PSU proprement dite est un mécanisme de financement complexe et à plusieurs niveaux qui vient compléter la participation parentale des familles pour un total fixé en 2012 à 4,44 € de l’heure maximum [2]. Cette participation financière (PSU + participation parentale) est en effet fixée par la Cnaf à 66 % maximum du prix de revient horaire du service d’accueil, dans la limite d’un prix plafond fixé chaque année (6,73 € de l’heure en 2012). Le  prix de revient réalisé est déterminé en divisant les dépenses totales annuelles de la structure par le nombre d’heures annuelles facturées. De même, dans cette logique comptable qui caractérise les outils de pilotage mis en place par les CAF suite à la réforme de la PSU, les EAJE doivent respecter un « taux d’occupation » minimum de 70 % pour toucher l’intégralité de la PSU. Si la structure n’atteint pas ce taux d’occupation ou si son prix de revient est inférieur au prix plafond, elle reçoit une subvention inférieure, dans la limite de son prix de revient, ou elle peut ne plus avoir accès à la PSU, les conseillers territoriaux étant amenés à faire ces propositions lors de leurs contrôles.

L’application de la PSU a connu plus récemment deux nouveaux développements qui confirment les tendances précédentes. Le premier correspond aux directives que l’on trouve dans la circulaire Cnaf de juin 2011 qui exige de toutes les structures la fourniture des couches, des repas et du petit matériel de soins. D’après les gestionnaires, cette nouvelle exigence entraîne une augmentation du budget des structures de l’ordre de 10 à 15 %, sans nouvelles contreparties. Plus fondamentalement, le passage à la référence à l’heure effectivement réalisée et non plus simplement à l’heure facturée dans les outils de gestion utilisés par les CAF, traduit selon nous la dernière étape de la mise en pratique de la PSU et des principes qui la guidaient. En effet, si dans les faits, cette référence ne débouche pas encore sur des mesures précises, on voit bien qu’elle participe à l’assise définitive du principe du paiement à l’heure « réellement consommée » [3]. Du reste, c’est à nouveau au nom de l’équité que la Cnaf justifie aujourd’hui cette orientation, en affirmant que selon les structures des écarts importants existeraient entre ce que paient les parents et les services qu’ils reçoivent effectivement.

Pour autant, il convient de dépasser ce premier niveau d’analyse en soulignant d’abord en quoi cette pratique risque, au contraire, de creuser les écarts entre les parents – entre ceux qui peuvent prévoir précisément leurs besoins, et qui sont ainsi privilégiés lors des inscriptions, et les autres. Surtout, elle permet d’avancer un nouveau principe implicite dans la subvention publique : désormais la Cnaf ne souhaite verser de financement que pour des heures réellement prestées. Autrement dit, à chaque euro versé par la CAF, devrait pouvoir correspondre une heure d’accueil effective d’un enfant, quel qu’il soit, et non plus simplement une heure réservée quand bien même elle aurait été facturée.

Une réforme du financement qui pèse sur la gestion des structures

La PSU étant une subvention calculée au plus près de l’heure consommée, elle a entraîné une réelle perte financière pour les EAJE. Ainsi, dans l’une des structures rencontrées, le volume d’heures financées a baissé en moyenne de 5 000 à 6 000 heures sur une année, ce qui représente pour 2012 une perte sèche de plus de 25 000 € dans le budget prévisionnel. Toutes les autres structures interrogées ont également noté une perte conséquente suite au passage à la PSU, constat qui peut être étendu à l’échelle nationale (Gayerie, 2011).

La gestion du remplissage et l’optimisation des taux d’occupation deviennent de plus en plus contraignantes. Au demeurant, la pression financière est telle que les EAJE rencontrés n’ont guère d’autre choix que d’atteindre des taux d’occupation dépassant les 80 %, voire les 90 % pour assurer leur équilibre budgétaire. Cette intensification des rythmes de travail pèse sur la qualité des services. De même, le maintien de taux élevés représente désormais une tâche à part entière pour les responsables techniques qui doivent essayer de faire face aux événements imprévus comme les épidémies, ou quotidiennement, durant les heures creuses. L’ensemble des structures déclare ainsi avoir des difficultés à trouver des demandes sur ces créneaux. Les évolutions en cours dans l’application de la PSU vont complexifier encore un peu plus la tâche, tout en pesant à nouveau sur la qualité des relations avec les familles. Les structures craignent qu’à terme le financement se fasse uniquement par rapport aux heures de présence des enfants et commencent progressivement à intégrer cette nouvelle contrainte en demandant aux parents d’amener effectivement leurs enfants aux heures réservées.

Les difficultés de gestion des EAJE sont également accentuées par l’obligation que leur fait la PSU de ne pas avoir un prix de revient à l’heure inférieure au prix de revient plafond fixé par la CAF. Dans le cas contraire en effet, la structure ne touche pas l’intégralité de la subvention. Elle doit, de ce fait, avoir des dépenses en conséquence, c’est-à-dire que le total des dépenses supportées par la structure sur le nombre d’heures réalisées doit correspondre à un prix de revient supérieur ou égal à 6,73 € de l’heure. Les structures doivent donc se rapprocher au maximum de ce montant. Si elles dépensent moins, leurs recettes baissent en proportion et si elles dépensent plus, elles doivent trouver encore plus de ressources autres que celles des participations parentales et des subventions de la CAF.

La mise en place de la PSU a en outre un impact sur la gestion des structures dans la mesure où il devient presque impossible d’établir un budget prévisionnel. Les recettes sont en effet fonction chaque année des contrats d’heures que réservent les familles lors de l’inscription de leurs enfants, voire désormais des heures où elles les amènent effectivement. Ils fluctuent d’une année sur l’autre avec l’arrivée de nouvelles familles. Ces contrats, et a fortiori les heures réalisées, varient également au cours de l’année, alors que les coûts, notamment de personnel, sont peu variables, sinon fixes. Plus généralement, la réservation à l’heure entraîne une complexification de la planification des temps d’accueil des enfants et des temps de travail des professionnels, à laquelle les responsables de structure doivent consacrer de plus en plus de temps. Certes, suite au passage à la PSU, les structures ont été pour la plupart informatisées, avec la mise en place d’une pointeuse et d’un logiciel permettant de relever au plus juste les heures réalisées. Reste que ce système permet aux CAF d’opérer un contrôle accru des subventions versées. Les structures sont ainsi sommées d’optimiser leur « taux d’occupation », voire leur « taux de facturation », et elles peuvent suivre en temps réel le niveau de ces taux et leur évolution, par rapport à des objectifs dont elles ne peuvent savoir à l’avance s’ils permettront d’atteindre l’équilibre budgétaire : elles ne sont informées du montant révisé de la PSU qu’en milieu d’année et elles ne peuvent connaître à l’avance leur prix de revient.

Quoi qu’il en soit, la réforme de la PSU a transformé la manière d’organiser les EAJE, en imposant une gestion rationalisée des places pour faire face aux contraintes financières. Ainsi, les objectifs quantitatifs d’augmentation de la « productivité » l’emportent-ils progressivement sur toute autre considération. Il convient désormais pour équilibrer son budget d’augmenter coûte que coûte son « taux d’occupation réelle », c’est-à-dire le nombre d’heures d’accueil réellement « produites » par rapport à la capacité d’accueil théorique de l’agrément. Au final, est ainsi remise en cause la nature des services petite enfance comme « service de disponibilité » pour les parents (Le Floch, 2011). En avançant l’idée d’une réponse au plus près des « besoins réels » des parents qui ne doivent plus payer que ce qu’ils réservent, voire uniquement ce qu’ils utilisent, la PSU a réussi le tour de force d’enrôler les parents en les transformant d’usagers-bénéficiaires en consommateurs d’heures de service. Reste que cette logique de rationalisation gestionnaire de l’offre engendre un glissement vers un service standardisé, de qualité minimale, comme nous allons le voir.

Impacts des évolutions récentes sur la qualité du service

Les moyens alloués par les CAF aux EAJE et les conditions de leurs versements entraînent donc des contraintes de gestion de plus en plus importantes. Reste à voir maintenant en quoi ces tensions pèsent sur la qualité d’accueil. Au-delà de la dimension financière et de l’impact sur la gestion quotidienne des structures, elles bousculent en effet considérablement la nature des services et leur fonctionnement ainsi que les relations au sein des EAJE avec les parents, les professionnels et les enfants.

Vers un glissement de la nature du service et de son fonctionnement

Les structures devant répondre aux besoins quantitatifs des familles tout en optimisant leur « taux d’occupation », quatre des sept structures représentées dans cette étude ont choisi de modifier la nature des services fournis et leur mode de fonctionnement en passant à une gestion en multi-accueil. En effet, le fonctionnement du multi-accueil est plus polyvalent, puisqu’il correspond à une combinaison des accueils réguliers et occasionnels sans restriction, à partir du moment où la structure respecte son agrément.

Conjointement pourtant, pour assurer l’équilibre financier, les structures privilégient les demandes régulières, celles qui correspondent aux créneaux horaires les plus longs (Dupuy, 2011). Au lieu d’être le système souple tant vanté, la PSU a engendré de la rigidité dans la gestion. Quatre structures sur les sept interrogées ne proposent d’ailleurs que des accueils de 10 heures, c’est-à-dire des temps pleins ou bien uniquement par demi-journées. Face à cette difficulté, les CAF ont dans un premier temps autorisé certaines pratiques à titre dérogatoire, puis elles ont exigé des structures qu’elles offrent un minimum de forfaits, les situations variant selon les départements. Pour autant, les structures restent libres de sélectionner les familles. A l’évidence, le critère principal de ce point de vue est, encore plus qu’auparavant, la régularité et l’amplitude des horaires souhaités par les familles et plus largement la compatibilité des demandes avec les plannings de remplissage.

Avec la référence récente à l’heure réalisée, la Cnaf modifie à nouveau le fonctionnement des services. Que les parents paient au-delà de leur consommation importe moins que le fait de savoir si chaque euro investi permet de fournir une heure d’accueil réel. Progressivement, les EAJE n’ont donc d’autres choix que de faire pression sur les parents pour qu’ils respectent les heures réservées, ce qui ne manque pas d’entraîner des situations surprenantes dans lesquelles des directrices font désormais la chasse à « l’absentéisme », ainsi qu’en témoignent certaines des structures enquêtées.

Par ailleurs, pour limiter les pertes financières, les structures accueillent stratégiquement certains jours des enfants en plus de leur agrément, le décret de 2010 autorisant un dépassement de 10 % pour les structures de petite taille [4]. Cependant, dans ce cas, les enfants sont accueillis avec les mêmes moyens humains ou en tout cas matériels, les locaux demeurant les mêmes. Les structures interrogées accueillent ainsi des enfants de manière occasionnelle pour optimiser leur taux d’occupation. Cette pratique est généralisée sur l’ensemble des établissements (Ben Soussan et al., 2010).

Intronisé par le décret d’août 2000 pour ensuite être mis en oeuvre par la Cnaf avec la réforme de la PSU, le service multi-accueil permet ainsi de répondre aux objectifs quantitatifs des politiques publiques, dont la priorité est de créer davantage de places ou tout au moins d’utiliser plus intensivement les places existantes. Il permet d’augmenter statistiquement le nombre d’enfants couverts par des places d’accueil, sans qu’il y ait réellement de création de places supplémentaires. Il s’agit de places existantes « relabélisées », c’est-à-dire qu’une place d’accueil est allouée à plusieurs enfants, sans qu’il y ait augmentation d’agrément ou création de nouvelles structures. Ce faisant, c’est bien la nature du service comme service de disponibilité qui s’en trouve profondément redéfinie, tendant désormais vers un service dont l’efficacité est mesurée par le seul taux d’occupation, modifiant ainsi le fonctionnement concret des structures.

La PSU du côté des familles : de nouvelles modalités de participation et d’interaction

Participation et fragilisation du statut de parent bénévole

De par leur forme de gouvernance, a fortiori lorsqu’elles sont parentales, la pérennité des initiatives associatives est de plus en plus souvent mise en péril par le turn-over des bénévoles au sein des conseils d’administration. Cette situation crée une discontinuité dans le suivi de la gestion administrative et financière. Il ressort de notre étude que cette tendance est renforcée dans la majorité des situations par la difficulté pour les familles d’assumer des responsabilités financières et une fonction employeur, devenues de plus en plus complexe avec l’application des réformes récentes. Suite à l’intensification du contrôle contenu dans la réforme PSU, les tâches administratives et de gestion sont devenues sources de tension entre l’équipe et les familles, chacun cherchant à déléguer la responsabilité à l’autre. La surcharge de travail ainsi créée doit en effet pouvoir se partager entre des professionnels qui rechignent à sacrifier du temps de présence avec les enfants contre des tâches administratives et des parents-bénévoles dont l’implication est d’autant plus problématique que les dossiers deviennent de plus en plus techniques (Cadart, 2006).

Par ailleurs, dans les crèches dites parentales, les parents effectuent également des temps d’accueil auprès des enfants avec les professionnels. Les participations parentales s’avèrent difficilement compatibles avec le système de la PSU, qui implique une surfacturation si l’enfant dépasse le temps d’accueil réservé sur la journée. Avant l’application de la PSU, la famille payait, quel que soit le temps de présence horaire de l’enfant, ce qui lui permettait d’assurer ses permanences avec son enfant, sans diminuer le nombre d’heures dont elle disposait pour le faire garder. Si on ajoute que dans le cadre de la PSU le statut associatif est mieux financé que le parental, on comprend pourquoi la moitié des associations étudiées a fait le choix de solliciter un changement de statut pour passer du mode parental au mode associatif simple [5].

Interaction : des parents érigés en consommateurs de services

Plus largement, la relation avec les familles, qui suppose une confiance mutuelle et un travail en coéducation, a été mise à mal, suite à la contractualisation du temps de présence de l’enfant et à la mise en place de la facturation « à l’heure consommée ». Alors que le contrat discuté avec les parents doit également permettre de repérer ce qui est souhaitable pour l’enfant, il s’assimile davantage à un « marchandage d’heures » comme le montrent les enquêtes menées. D’un côté, les familles recherchent un temps d’accueil correspondant le plus possible à leurs contraintes professionnelles, et de l’autre la structure a des exigences en termes de « rentabilité financière » de ses effectifs par rapport au nombre d’heures à remplir et au financement PSU [6]. La facturation des heures supplémentaires en sus du contrat d’heures réservées, débouche aussi souvent sur des contestations et des tensions dans la relation parent-professionnel, les responsables de structure devenant des « contrôleurs de temps de présence des enfants ». De plus, ce système est source de stress pour les parents, puisqu’il est moins souple que le précédent au forfait. Les heures sont déterminées à l’avance, alors que ces derniers peuvent avoir un surcroît de travail, des rendez-vous imprévus, ou à l’inverse être disponibles plus tôt. La référence aux heures de présence réelle va encore davantage détériorer cette relation, puisqu’en outre il conviendra désormais que les professionnels contrôlent que les parents utilisent bien les heures réservées.

Bien que la relation entre parents et professionnels soit reconnue comme un élément essentiel de la qualité (Bonnabesse et Blanc, 2013), l’ensemble des structures rencontrées a été affecté par ce nouveau rapport contractuel et comptable. Ce système de financement peut ainsi être analysé comme une avancée importante de la gouvernance marchande du secteur, introduisant un rapport de consommation et de négociation, contraire au modèle de gouvernance citoyenne propre au monde associatif dans lequel parents et professionnels portent ensemble un projet éducatif communautaire, gage d’une qualité spécifique d’accueil (Fraisse et al., 2008). Pourtant, les structures parentales mobilisent les familles en tant qu’acteurs locaux dans la création de la réponse à leur propre besoin en faisant émerger des services de proximité et en coconstruisant collectivement une réponse aux demandes sociales. On peut dès lors questionner l’impact sur la qualité des services d’une politique qui conduit à faire disparaître les structures parentales, alors même que leur utilité sociale avait été progressivement reconnue [7]. Au final, l’incitation financière à favoriser un mode de fonctionnement associatif plutôt que parental s’avère souvent mal évaluée par les structures, les coûts de fonctionnement essentiellement liés à la masse salariale s’avérant bien plus élevés lorsque les parents ne participent plus à l’accueil, sans oublier l’effet négatif que cela peut avoir sur leur implication dans la gestion.

Incidences sur les équipes de professionnels

Les nouvelles modalités de fonctionnement et d’organisation se traduisent par des besoins en personnel plus importants, en particulier pour compenser la baisse progressive des participations parentales, mais aussi pour faire face aux exigences supplémentaires, en lien avec l’injonction à répondre à des besoins de plus en plus individualisés ou encore avec les nouvelles tâches comme la gestion des plannings de réservation. Les associations se sont ainsi vues obligées d’employer davantage de personnes en contrats aidés, pour venir compléter leur équipe éducative – ces contrats étant moins onéreux que les contrats classiques – puisque leurs marges de manoeuvres financières se réduisaient [8].

Taux d’encadrement et gestion des plannings

A l’évidence, on ne peut faire l’impasse sur un taux d’encadrement correct, pour pouvoir répondre au mieux aux besoins des jeunes enfants. Si le décret fixe la présence obligatoire d’un adulte pour cinq enfants qui ne marchent pas et d’un adulte pour huit enfants qui marchent, la plupart des multi-accueils ne disposent pas de section, mais accueillent un groupe vertical composé d’enfants ayant des âges différents, qui présentent des stades de développement disparates. De ce fait, le taux d’encadrement est alors d’un adulte pour six enfants, sachant qu’il doit toujours y avoir deux adultes à l’ouverture et à la fermeture de la structure, même pour un enfant présent. Au-delà du taux d’encadrement réglementaire, la réalité de terrain nécessite, en outre, une souplesse dans le planning des effectifs salariés car les rythmes des enfants sont différents et qu’il convient de répondre aux besoins individualisés des familles : il y a des siestes échelonnées sur l’ensemble de la journée, des heures de repas distinctes, sans compter que désormais les enfants arrivent à tous moments de la journée. Il faut donc pouvoir planifier la présence des équipes en fonction de facteurs multiples et fluctuants.

Par ailleurs, pendant les absences du personnel pour maladie, congés, formation, les salariés ne sont le plus souvent pas remplacés car cela engagerait trop de frais pour les structures, ce qui dans le contexte de tensions financières décrit est impossible. En cas de carence importante en personnel, les salariés font des heures en plus de leur contrat de travail, sachant que les heures sont récupérées et non payées pour les mêmes raisons. Cependant cette organisation occasionne des absences fréquentes sur l’ensemble de l’année, le manque en personnel étant en outre accentué par l’application de la convention collective des acteurs du lien social et familial. On constate également une multiplication des postes à temps partiel, la plupart subis, voire consentis par les salariés pour permettre la viabilité financière de la structure. Tous ces éléments renforcent la difficulté à établir des plannings horaires équilibrés.

Emplois aidés, turn-over et qualification

Du reste, le taux d’encadrement n’est pas le seul paramètre à prendre en compte pour offrir un accueil de qualité aux jeunes enfants et à leur famille. Le recours aux contrats aidés et donc à des personnes peu qualifiées et éloignées du marché du travail, est souvent, en lui-même, en contradiction avec l’affirmation de la qualité.

En premier lieu, on doit noter le faible niveau de qualification, voir l’absence de qualification des personnes positionnées sur ces dispositifs de retour à l’emploi. Cette caractéristique est le plus souvent cumulée avec une longue période de chômage et des fragilités économiques et sociales, telles qu’une faible mobilité, des difficultés de garde d’enfants, une situation monoparentale, un défaut de formation initiale ou encore un manque d’expérience professionnelle. Le plus souvent, seules les personnes envoyées par Pôle Emploi peuvent postuler sur ces contrats, sans qu’elles choisissent la fonction attribuée au poste. Le manque de motivation des personnes obligées contractuellement de se présenter sous peine de perdre leur droit à allocation, leur méconnaissance du secteur de la petite enfance impliquent que le recrutement se fait en général par défaut.

En second lieu, l’emploi des personnes en contrats aidés implique un turn-over important au sein de l’équipe éducative, sachant que la durée de ces contrats ne cesse d’évoluer avec les politiques publiques de l’emploi. Les personnes en contrat aidé sont en outre susceptibles de rompre le contrat à tout moment si une opportunité d’emploi se présente. Enfin, les exigences pour leur renouvellement ont été renforcées puisqu’ils sont désormais soumis à une obligation de formation qualifiante.

Le turn-over des personnes en contrats aidés constitue de fait une entrave à la continuité éducative auprès des enfants. Il entre en tension avec le besoin essentiel d’une cohérence dans l’accompagnement et la relation éducative, ainsi que d’une constance dans les interactions avec les adultes, gages de la sécurité affective du jeune enfant. Ce flux permanent complexifie le travail d’équipe dans la mesure où il est nécessaire de prendre du temps afin de permettre aux nouveaux arrivants de s’intégrer et d’être opérationnels, sans oublier le temps passé à leur recrutement. Du reste, l’absence de qualification et d’expérience coïncide le plus souvent avec un manque d’autonomie. L’accompagnement par le reste de l’équipe dans la prise en charge au quotidien du jeune enfant devient inévitablement plus important. Enfin, les familles ont besoin de tisser des liens de confiance avec les membres de l’équipe, dans le but de travailler en coéducation avec ces derniers, ce qui s’avère problématique lorsque les personnes changent sans cesse.

Par ailleurs, face à la pénurie de professionnels appartenant au champ de la petite enfance et, surtout, afin de baisser le coût de la prise en charge, le décret du 7 juin 2010 a accentué la déréglementation du secteur en diminuant de 50 % à 40 % la part minimum dans les effectifs des personnels les plus qualifiés. Pourtant, comme nous venons de le voir, l’emploi de personnes peu ou pas qualifiées est susceptible de menacer le bon fonctionnement des structures. L’accueil des jeunes enfants et l’évolution de son coût n’ont pas été anticipés par les pouvoirs publics dans le cadre de la réforme de la PSU, et la logique d’économie gestionnaire se fait au détriment de la qualification, et donc de la qualité.

Concertation et animation des équipes

Au-delà de ces aspects, les arrivées et départs permanents ainsi que l’augmentation du nombre d’enfants accueillis sur une même journée pour obtenir un taux d’occupation suffisant rendent très difficile la mise en place de temps d’élaboration et de concertation entre les membres de l’équipe. Les réunions ne peuvent donc plus avoir lieu sur le temps d’accueil des enfants, pendant les siestes notamment, ce qui se répercute sur le nombre d’heures à récupérer pour les salariés. Le fonctionnement en multi-accueil demande pourtant une plus grande concertation, les enfants n’étant pas les mêmes le matin, l’après-midi, et parfois d’un jour sur l’autre. Il faut aussi pouvoir faire face aux parents, qui sont plus nombreux, et avec des attentes différentes selon les modes d’accueil de leur enfant. Paradoxalement, alors qu’il faut plus de temps pour s’organiser, l’équipe en dispose de moins en moins pour se concerter et réfléchir sur ses pratiques (Arnoux et Nivel-Craplet, 2008).

De même, la gestion et les tâches administratives étant plus lourdes (contrats d’accueil des enfants, planification des temps d’accueil, des temps de travail, déclarations des états de présence, dossiers de demande de subventions…), les responsables de structure disposent de moins de temps auprès des enfants et pour accompagner l’équipe éducative. Le temps consacré à la gestion empiète sur le temps d’animation de l’équipe.

Incidences sur l’accueil des jeunes enfants

Le coeur des missions des établissements accueillant des enfants de moins de 6 ans est fixé par les trois décrets cités précédemment. L’adaptation aux conditions financières actuelles met en péril ces missions de base.

Tensions sur le contenu pédagogique des services

Suite au passage à la PSU, une partie importante des associations consultées a dû baisser son taux d’encadrement auprès des enfants. Une des responsables techniques interrogées qui travaille dans un multi-accueil, fonctionnant avec des sections d’âge, affirme même avoir baissé son taux d’encadrement de moitié. La diminution du nombre de salariés auprès des enfants se traduit par une réduction des activités d’éveil et des sorties pédagogiques qui participent pourtant à construire un développement harmonieux chez l’enfant (Florin, 2007).

Les activités d’éveil et leurs mises en oeuvre peuvent aussi être perturbées par l’arrivée ou le départ d’un enfant à tout moment de la journée. Ainsi, les professionnels peuvent-ils être interrompus dans l’action qu’ils mènent auprès des enfants pour accueillir une famille. Ces temps de latence ne contribuent pas à l’écoute et à l’attention que l’équipe doit pouvoir porter aux jeunes enfants et peuvent constituer une entrave à leur sécurité affective.

De même, l’ensemble de ces évolutions permettent moins le décloisonnement du groupe d’enfants. Les interactions proches avec l’adulte, qui ont pour but non seulement d’alléger le poids de la collectivité mais aussi de favoriser la sécurité affective de l’enfant, se font plus rares. Les temps où le groupe entier est pris en charge par un ou deux professionnels sont en outre plus propices à des tensions et à de l’agressivité au sein du groupe. Enfin, il est essentiel pour un accueil de qualité que les enfants puissent jouir de repères, d’une continuité et d’une relation stable avec les adultes qui les accueillent au quotidien (Belan et Rayna, 2007).

Rythmes des enfants et temporalité des adultes

Les objectifs de « productivité » font que les multi-accueils accueillent des enfants pour 3 à 4 heures, pour une demi-journée, avec le repas, sans le repas, pour une journée en intégralité ou sur un créneau plus court. Là encore ce dispositif entraîne certains dysfonctionnements dans la prise en charge des enfants. Les arrivées et les départs se faisant tout au long de la journée, il est parfois compliqué de respecter le rythme de l’enfant, en fonction des heures réservées dans le contrat d’accueil établi avec ses parents. A titre d’exemple, l’équipe ne pourra pas toujours répondre au besoin immédiat de sommeil d’un enfant arrivant en fonction de ses habitudes et rituels d’endormissement, si la majorité des autres enfants font déjà la sieste (Arnoux et Nivel-Craplet, 2008).

Cette contractualisation minutieuse incite certains parents, en particulier ceux dont les ressources sont faibles, à organiser des plannings moins cohérents pour les enfants en jonglant avec les modes successifs de garde, familiaux et extra-familiaux, afin de diminuer la plage horaire payante. Les contrats d’accueil des enfants sont dorénavant calés au plus près des contraintes professionnelles des parents. Lorsque les parents payaient pour la journée ou la demi-journée, les habitudes de l’enfant étaient souvent privilégiées car il n’y avait pas d’incidences financières. De la même manière, comme les enfants doivent rester tout le temps de leur réservation pour que le multi-accueil reçoive l’intégralité de la PSU, il y a moins de souplesse, les parents étant incités à ne pas venir chercher leurs enfants de manière anticipée, ni à les amener « en retard ».

Enfin, lors de la rentrée scolaire, en septembre, les structures font plusieurs nouvelles inscriptions. Il ressort des entretiens que les périodes dites de familiarisation ou d’adaptation sont, non seulement réduites, mais encore plus concentrées dans le temps à cause des obligations plus strictes qu’impose la PSU sur la fréquentation réelle des enfants. Cela demande une plus grande disponibilité et une réflexion nouvelle de la part de l’équipe, alors que les moments creux se font rares comme nous avons pu le constater. Il y a donc des pics d’adaptation, pouvant aller de sept à huit adaptations par jour, alors que les EAJE se doivent d’aider les parents et leurs enfants à se séparer en douceur.

Conclusion

La réforme de la PSU est venue transformer la manière de gérer les EAJE, en imposant une gestion rationalisée des places. Elle vise à identifier les créneaux horaires libres pour allouer davantage de places aux parents et dans des formules horaires plus adaptées à leurs « besoins », du moins dans le sens où ils ne devraient plus payer que ce qu’ils consomment. Cette logique d’accroissement des taux de couverture à moindre coût pour les pouvoirs publics se heurte à la vision ambitieuse de l’accueil des jeunes enfants développée dans la période précédente.

Avec cette analyse des effets du « tournant gestionnaire » suscité notamment par la mise en place de la PSU, on constate que l’objectif d’optimisation et de « productivité-rentabilité » de l’accueil pèse sur l’adéquation des réponses aux besoins et attentes des usagers. Le financement au plus près des places occupées oblige à un bricolage financier qui peut rapidement devenir la priorité pour les responsables associatifs. Le danger serait alors de négliger la qualité du service. Nous espérons avoir démontré que les tensions entre logique gestionnaire et logique de qualité d’accueil sont multiples, y compris sous des formes rarement évoquées. Concilier ces deux logiques semble donc une injonction paradoxale faite par les pouvoirs publics aux acteurs associatifs traditionnels de petite taille.