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L’ouvrage de Jérôme Verlhac, Droit associatif européen, est le fruit d’une thèse de doctorat préparée sous la direction de Jean-Pierre Marguénaud, professeur à l’université de droit et des sciences économiques de Limoges, grand spécialiste de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’un ouvrage de vulgarisation, mais d’un travail juridique approfondi. L’expression y est toutefois claire et, pour peu qu’il soit attentif, le lecteur pourra y trouver des informations éclairantes, plus larges que l’influence des seuls droits de l’homme. Ce qui fait l’unité, c’est l’étude systématique des interactions entre le droit national des associations et le droit européen. Or, celles-ci sont beaucoup plus foisonnantes que les inquiétantes incidences du droit de la concurrence. Au lieu de se concentrer sur les effets de ces branches périphériques par rapport au droit des associations, l’auteur cherche davantage à construire la physionomie européenne de ces dernières. Pour cela, il dissocie deux fonctions de l’association : d’un côté, il la voit comme un acteur démocratique, de l’autre, comme un acteur économique. Ce découpage peut être discuté de deux points de vue. D’abord, il recouvre en réalité une opposition tirée de deux sources d’un droit européen des associations : la Convention européenne des droits de l’homme et le droit unioniste (que l’on n’appelle plus communautaire depuis que l’on ne parle plus de Communauté mais d’Union européenne). Ensuite, et peut-être plus fondamentalement, l’opposition de la démocratie et de l’économie laisse penser que ces deux dimensions seraient inconciliables, tandis que l’une des spécificités des associations, au moins françaises, comme en atteste leur inclusion au sein de l’économie sociale et solidaire, est précisément d’essayer de proposer un autre rapport à l’activité économique, c’est-à-dire d’établir des ponts entre démocratie et économie. Peut-être faut-il y voir une influence de l’école de Limoges, la dimension économique apparaissant in fine comme seconde, récemment ajoutée, sans qu’elle soit totalement intégrée à une nouvelle conception globale de l’association. La place centrale conférée à l’intérêt général, que nous retrouverons plus loin, conforterait cette analyse. Le travail présente en tout état de cause un intérêt direct pour les associations de l’ESS, et c’est principalement sous leur angle que je présenterai le livre en en suivant la progression.
L’association comme moteur démocratique européen
La première partie identifie la façon dont le droit européen, autrement dit la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, contribue à renforcer le caractère et le poids démocratiques de l’association. Or cela se fait de deux façons : d’un côté, le droit renforce les garanties de la vie démocratique de l’association, de l’autre, il assure que cette dernière peut remplir une fonction de représentation et porter la parole de la société civile dans le jeu politique. L’idée sous-jacente au premier titre (renforcement de la condition individuelle au sein de l’association) est que l’association, en tant qu’organisation démocratique, peut se voir appliquer les règles garantissant le fonctionnement démocratique des sociétés politiques. Le point essentiel, mais non unique, sous cet angle est la garantie d’expression des minorités au sein de l’association. Nous connaissons déjà la liberté de ne pas s’associer, et celle-ci entraîne des conséquences importantes pour les associations exerçant une activité économique dans une situation où l’adhésion volontaire se concilie mal avec la réalité communautaire à laquelle elle s’adosse (centres commerciaux par exemple). L’introduction du droit des minorités sert, à l’inverse, dans des organisations militantes à ne pas condamner les personnes en désaccord avec la majorité à quitter l’association.
Le deuxième titre (mutation européenne du rôle procédural de l’association) met quant à lui en évidence les mécanismes dont le droit entoure le contrôle de l’action des associations pour garantir qu’elles ne se trouvent pas empêchées de remplir leur fonction sociale. Il existe certes des limites à la liberté d’expression et d’action collective, comme en attestent les restrictions pour certaines catégories de fonctionnaires, mais celles-ci sont strictement encadrées. Plus positivement, le domaine environnemental constitue un terrain d’élection de la liberté associative et un laboratoire particulièrement fertile pour élaborer des mécanismes protecteurs. L’une des pistes les plus prometteuses est, sans conteste à cet égard, l’analyse des associations en « chiens de garde de l’environnement ». Or, afin de leur permettre de jouer efficacement leur rôle de lanceur d’alerte, la jurisprudence tend à leur conférer une protection inspirée de celle conçue pour les journalistes.
Mutation européenne de l’association en entreprise
L’appréhension européenne de l’association comme acteur économique (partie II) manifeste que les avancées juridiques sont, sur ce terrain, moins construites. L’étude que nous propose Jérôme Verlhac de cette dimension est en effet pour moitié explicitement tournée vers un avenir encore incertain. Il s’agit de mettre en lumière l’élaboration d’une conception européenne, avant d’esquisser les traits d’un nouvel acteur authentiquement européen (genèse européenne d’un acteur économique autonome).
L’intégration européenne de l’association comme acteur économique a d’abord consisté dans sa qualification d’entreprise. Par principe, le droit européen s’est toujours départi des classifications nationales et a promu des qualifications transdisciplinaires. Il n’a donc pas été en butte à l’opposition des sociétés et des associations. Dès lors que ces dernières oeuvrent sur le marché, elles constituent des entreprises.
Mais cette qualification n’est pas sans conséquence, comme le savent les associations. En effet, entreprises, elles sont soumises à toutes les règles applicables à celles-ci, à commencer par le sacro-saint droit de la concurrence.
La reconquête d’une spécificité associative est esquissée par l’auteur à travers les concepts d’économie sociale et solidaire. Sous cet angle, il voit une supériorité de l’économie solidaire par rapport à l’économie sociale, dans la mesure où cette dernière ne s’intéresserait qu’aux entreprises dans une vision micro, tandis que la première introduirait la solidarité pour repenser l’économie dans sa globalité (n° 705 s.). Cette discussion pourrait être approfondie, mais elle sera plus utilement éteinte par le recours à l’ESS, surtout dans un contexte européen qui ne connaît pas sous une telle forme ce débat franco-français.
L’association comme groupement
L’appréhension du débat autour de l’association européenne conduit cependant l’auteur à rechercher la spécificité de l’association en tant que groupement, et il en trouve une marque juridique dans la para- commercialité (n° 725). Quoiqu’exerçant une activité économique, l’association échapperait à la présomption de commercialité, ce qui justifierait pleinement son appartenance au troisième secteur. L’argument est discutable, pour plusieurs raisons. D’une part, la signification de l’absence de commercialité est difficile à cerner, dans la mesure où elle constitue parfois plus un handicap qu’un avantage pour l’association, susceptible d’être traitée comme commerçante par ses partenaires sans qu’elle ne puisse elle-même se prévaloir des avantages qui en découlent. Ensuite, nous le reverrons, Jérôme Verlhac peine à échapper aux contradictions d’un raisonnement non statutaire, insufflé par le droit européen et que l’auteur endosse de temps à autre, et à la recherche d’une essence de l’association qui tend à redonner du sens à ce statut.
Au niveau du droit européen, la reconquête de la spécificité associative se fait naturellement à travers les services d’intérêt général. Le raisonnement n’est pas novateur, mais l’auteur expose clairement les enjeux du débat et il en tire une orientation pour la définition de l’association. Cette approche du droit européen, qui accepte de soumettre la structure à des règles particulières pour autant qu’elle exerce des missions de service public, recoupe celle qui est envisagée en première partie comme représentant des individus dans la participation à la recherche et à la réalisation de l’intérêt général. C’est à ce titre que la Cour de Strasbourg protège l’association ; c’est au même titre que la Cour de Luxembourg accepte de ne pas la traiter comme une entreprise comme les autres.
L’association européenne
Pour donner à l’association la place qui lui revient en Europe, Jérôme Verlhac reprend le métier de l’instauration d’une association européenne. En dépit de l’abandon de ce chantier par la Commission en 2005, il insiste sur les réactions suscitées et la dynamique qui peut s’enclencher. La proposition de règlement sur la fondation européenne et l’étude sur la mutualité européenne lui donnent raison. En partant d’une présentation toujours stimulante de la diversité des droits associatifs nationaux, l’auteur propose un nouveau raisonnement pour l’élaboration d’un statut d’association. Il met d’abord en garde contre la tentation d’utiliser le modèle de la loi de 1901 comme voie moyenne qui pourrait être acceptée par tous et montre bien que, quels que soient ses mérites, cette loi porte en elle la crainte par les partenaires européens d’une mainmise française. Plus fondamentalement, au lieu de chercher des compromis sur les points cruciaux quant à la nature ou l’organisation de l’association, l’auteur propose une démarche pyramidale. Il ne s’agit pas pour lui d’une pyramide hiérarchique, mais fondatrice, qui conduit à se concentrer sur l’objet spécifique de l’association et dont découleraient par strates successives les éléments subséquents à même de permettre la réalisation de celui-ci. Dans cette démarche, les marqueurs de l’Union sont écartés, banalisant l’association à sa dimension d’entreprise, au profit de ceux de la Convention européenne des droits de l’homme, et plus encore de la jurisprudence de Strasbourg. Il y a deux façons d’appréhender le livre de Jérôme Verlhac. Il est possible d’apprécier son poids et sa catégorie de thèse de droit, donc peu compatible avec les lectures estivales. Rien n’est faux dans cette approche, en même temps qu’elle ne rend pas raison des qualités de l’ouvrage. Car une fois ouvert, celui-ci ne se referme pas. Le lecteur est pris, non seulement par les nouvelles connaissances qu’il acquiert toujours, mais aussi par les idées que l’auteur construit. Cela ne signifie pas que l’on partage nécessairement toutes les propositions, mais toutes donnent à réfléchir. Et quand la lecture est achevée, la méditation nous suit. Les bons juristes s’intéressent à présent à l’économie sociale et solidaire et on ne peut que s’en féliciter.