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Depuis plus de trente ans, l’économie sociale – devenue « sociale et solidaire » (ESS) – connaît un essor considérable dont la Recma s’est fait largement l’écho. Le sens de cet essor est aujourd’hui interrogé dans le cadre des analyses sur la crise que nous traversons : crise cyclique, conjoncturelle ou bien systémique, structurelle ?

Dans le cadre des Entretiens Jacques-Cartier, qui, depuis 1987, réunissent des chercheurs québécois, français et étrangers pour croiser leurs analyses sur des questions d’actualité et de prospective, un colloque a été consacré aux enseignements offerts et aux perspectives ouvertes par l’économie sociale et solidaire « au-delà de la crise », pour en dégager des tendances fortes et structurantes quant à sa nature et à son rôle [1].

Nature et rôle de l’ESS en question

Doit-on seulement valoriser l’ESS dans sa nature entrepreneuriale pour la création de richesses, d’activité et d’emplois ? Qu’en est-il des formes organisationnelles percutées par les mutations économiques et sociales ? Le renouveau territorial suffit-il à assurer l’adéquation de l’ESS aux nouveaux enjeux du rapport entre mondialisation et territorialisation ? Plus globalement, ne doit-on pas adopter une approche institutionnaliste (et non purement institutionnelle) pour rendre compte des spécificités et des potentialités de l’ESS ?

L’ESS remplit-elle une simple fonction réparatrice en offrant des réponses palliatives pour prendre en charge les « coûts sociaux » engendrés par la crise ? Une fonction de laboratoire dans une période de transition vers une nouvelle dynamique entre régulation concurrentielle et publique ? Une fonction de gestionnaire pour organiser efficacement des services relationnels ou créatifs ? Ou bien constitue-t-elle, plus largement, un nouvel acteur collectif, susceptible d’impulser un mode de régulation davantage coopératif, qui contribue à la construction d’un nouveau régime de développement plus durable et solidaire ?

Le texte de Gabriel Colletis et Danièle Demoustier interroge la nature économique des entreprises d’ESS pour rendre compte de leur capacité de résistance conjoncturelle à la crise et de leur inscription dans une perspective de sortie structurelle de crise. Mais l’ESS n’échappe pas aux tensions et aux mutations qui affectent l’ensemble du système socio-économique. Marie-Claire Malo et Nadine Richez-Battesti montrent que l’ESS en développement n’est pas celle d’hier, du fait des mutations organisationnelles qui la traversent, en termes d’hybridation et de diversification des parties prenantes.

Si son ancrage territorial est généralement considéré comme un atout déterminant, Bernard Pecqueur et Xabier Itçaina contestent néanmoins le caractère « naturel » de l’apport de l’ESS au développement territorial, alors que Juan-Luis Klein définit les conditions de sa participation locale à la lutte contre la pauvreté.

Enfin, l’affirmation de l’ESS ne se fera pas sans une nouvelle articulation et un soutien des politiques publiques. Scarlet Wilson-Courvoisier présente les hésitations des pouvoirs publics nationaux envers l’ESS depuis trente ans, que ce soit en termes de finalité, de périmètre ou de rattachement administratif – hésitations qui expliquent les évolutions dans les priorités de l’action publique et dans les modes de relation entre acteurs collectifs et publics.

Ces regards croisés convergent vers une même conclusion : l’ESS ne jouera un rôle autonome et actif que par l’affirmation et la reconnaissance de son approche socio-économique, de sa transversalité, de l’association de ses multi-parties prenantes, de nouvelles formes de mutualisation et de partenariat et, enfin, par un décloisonnement des politiques publiques.