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Introduction

L’article présente le projet de cocréation mené par un enseignant de 6e année du primaire dans une école de la ville de Québec ainsi qu’une équipe de chercheurs universitaires. Le Projet Premiers Peuples[1], ou projet p1P, se campait principalement dans la discipline de Géographie, histoire et éducation à la citoyenneté (GHEC), quoi qu’il abordât par moment d’autres disciplines telles que le français et l’éthique et culture religieuse. Il avait comme objectif de permettre aux élèves d’être de meilleurs citoyens en développant leur compréhension des réalités des Premiers Peuples au Québec et au Canada.

Ce projet s’inscrit plus largement dans la recherche-action MultiNumériC[2] laquelle vise, entre autres, le développement de la compétence numérique par la littératie médiatique multimodale (LMM) chez les élèves du primaire et du secondaire. De sorte, le projet p1P, en plus d’assurer le développement des connaissances dans le champ disciplinaire de l’univers social, a contribué à la mobilisation de la compétence numérique (et de ses dimensions) et des compétences en LMM dans le contexte de l’éducation au primaire (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur [MEES], 2019; Lacelle, Boutin et Lebrun, 2017).

Pour présenter ce vaste projet, la méthode des 4P (portrait du milieu et des acteurs, processus de cocréation, projet et production), inspirée des travaux du groupe de recherche en LMM (Lacelle et al., 2019; Richard et Lacelle, 2020), sera utilisée. Conséquemment, cet article prend la forme d’une documentation de pratique telle que désignée par la R2LMM (Martel, 2022). Dans cette perspective, l’origine du projet Premiers Peuples (p1P) sera d’abord présentée, ce qui permettra de contextualiser celui-ci et d’en identifier les assises théoriques. Dans un deuxième temps, il sera question de la description du projet p1P selon la méthode des 4P. Finalement suivra l’interprétation de l’expérience vécue par les différents acteurs du projet.

1. Mise en contexte

Depuis plusieurs années, le numérique prend une place de plus en plus grande dans l’enseignement et l’apprentissage, tant au primaire qu’au secondaire, notamment en accord avec le plan d’action numérique (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur [MEES], 2018). Le ministère définit la compétence numérique comme un ensemble d’aptitudes liées à une utilisation confiante, critique et créative du numérique pour atteindre des objectifs liés à l’apprentissage, au travail, aux loisirs, à l’inclusion dans la société ou à la participation à celle-ci (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur [MEES], 2019). Ainsi, la compétence numérique se déploie à travers les ordres d’enseignement et elle est, au-delà d’une compétence scolaire, une compétence citoyenne. Les dimensions de la compétence numérique varient selon qu’elles se concentrent sur les compétences techniques ou les pratiques sociales (Spante et al., 2018). Sous un angle plus technique, la compétence numérique comprend l’obtention d’informations, l’utilisation, le partage et le transfert d’informations, ainsi que la production d’informations à l’aide d’appareils tels que les ordinateurs, les tablettes et les téléphones multifonctions (Ribble, 2011). Dans les dernières années, cette compétence a évolué pour s’adapter à une réalité numérique multiforme. Ainsi, la compétence numérique peut aussi se définir comme l’aptitude à explorer et à faire face à de nouvelles situations technologiques de manière flexible, à analyser, sélectionner et évaluer de manière critique les données et les informations, ainsi qu’à construire des connaissances, tout en favorisant la prise de conscience de ses responsabilités personnelles et le respect des règles ou des lois (Spante et al., 2018). Les technologies de l’information et de la communication transforment la nature du travail et le sens des relations sociales. Ainsi, le monde scolaire devrait permettre aux élèves de développer les habiletés pour utiliser les outils numériques, des façons de travailler et de penser adaptées au monde numérique actuel (Binkley et al., 2012) afin d’être des personnes citoyennes autonomes, critiques et créatives dans leur utilisation du numérique (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur [MEES], 2019).

La présence de plus en plus importante de la technologie dans les salles de classe et d’environnements numériques favorise l’accès à des ressources d’enseignement et d’apprentissage variées – dans leur forme, leurs modes de communication mobilisés (textes, images fixes et mobiles, sons, etc.) ou leurs contenus – qui exigent la mobilisation de compétences de réception et de production liées à la littératie médiatique et multimodale (Lacelle et al., 2017). Dans l’ensemble des disciplines scolaires, dont celles liées au domaine de l’univers social qui s’y prêtent particulièrement bien (Lacelle et al., 2015; Martel 2018), il convient d’assurer progressivement le développement de ces compétences en LMM, identifiées par le groupe de recherche en LMM (Lacelle et al., 2017), qui renouvellent aujourd’hui les attendus en matière d’alphabétisation (UNESCO, 2022). En effet, lire et écrire dans la seule perspective du code alphabétique ne suffit plus; il faut aujourd’hui être en mesure de décoder/comprendre et de produire, avec une distance critique, une variété de formes de messages – généralement multimodaux – sur des supports analogiques et numériques. Pour ce faire, il faut, à l’école, multiplier les moyens et les contextes favorisant le développement de ces compétences en LMM, qui, jointes à la compétence numérique, sont indispensables à l’exercice d’une citoyenneté éthique à l’ère du numérique.

Afin que le milieu scolaire devienne un lieu favorable à l’émergence de la compétence numérique et outille les jeunes citoyens, il paraît important d’offrir des contextes authentiques aux élèves pour évoluer vers une appropriation et une maîtrise progressive de celle-ci. C’est en s’inscrivant dans cette perspective qu’est née la recherche MultiNumériC dans laquelle le projet p1P a été mené[3].

Dans le cadre du projet p1P, c’est l’enseignant, invité à s’impliquer dans la recherche-action MultiNumériC comme praticien-chercheur, qui a choisi la thématique du projet, à savoir l’exploration des réalités des Premiers Peuples au Québec et au Canada. Avec le soutien de l’équipe de recherche, le développement des compétences disciplinaires en Géographie, histoire et éducation à la citoyenneté (GHEC) a été réfléchi. Toutefois, c’est surtout l’intégration de la compétence numérique (Annexe 1) et des compétences en LMM (Annexe 2) dans un projet pédagogique abordant un sujet pouvant être sensible qui a fait l’objet de la démarche de cocréation entreprise.

C’est animé par son désir de permettre à ses élèves d’être de meilleurs citoyens en développant leur compréhension des réalités des Premiers Peuples au Québec et au Canada que l’enseignant de 6e année a choisi d’aborder ce sujet. Le projet p1P tire ses origines dans les préoccupations de l’enseignant et trouve également écho dans l’actualité. Cette résonance avec l’actualité, dont le mouvement de vérité et réconciliation en cours (Gouvernement du Canada, 2015), permettait de rendre le projet p1P encore plus concret et significatif pour ses élèves, un souci constant pour l’enseignant.

Les contenus disciplinaires prescrits par le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) du niveau primaire, tel que celui de GHEC (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur [MEES], 2006; 2009), touchent toutefois peu aux enjeux actuels du 21e siècle, notamment en ce qui a trait aux réalités contemporaines des Premiers Peuples (Bories-Sawala, 2020; Déry et Mottet, 2017). Dès sa conception, il a donc été clair pour l’équipe que le projet devait prendre quelques libertés à l’égard de certaines prescriptions ministérielles, tout en s’appuyant sur les visées de formation du PFEQ. Par exemple, pour le domaine de l’univers social particulièrement lié au projet, il a rapidement été entendu que celui-ci serait abordé sous l’angle de la didactique de l’enquête (Jadoulle, 2015; Martel, 2018). Celle-ci permet aux élèves de se familiariser avec la méthode de constitution du savoir et de réflexion présente dans les disciplines des sciences humaines et sociales, telles que l’histoire et la géographie.

Dans cette perspective, le projet n’est certes pas complètement arrimé aux sociétés autochtones, généralement à l’étude en sixième année du primaire, mais il est en adéquation avec plusieurs aspects du programme de GHEC du primaire (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur [MEES], 2006; 2009). En effet, il prend appui sur les compétences de ce programme au troisième cycle (lire l’organisation d’une société sur son territoire; interpréter le changement; s’ouvrir à la diversité), il propose une démarche d’enquête qui s’apparente à la démarche de recherche et de traitement de l’information propre à l’histoire et à la géographie décrite dans le programme (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur [MEES], 2006), il invite les élèves à recourir à plusieurs techniques de géographie et d’histoire (dont la lecture de cartes et de documents iconographiques) et, enfin, il mobilise plusieurs opérations intellectuelles liées à la pratique de l’histoire et de la géographie (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur [MEES], 2011); par exemple, situer dans le temps et dans l’espace, établir des faits, mettre en relation des faits, comparer et établir des liens de causalité.

Dès le départ, l’intention première derrière le projet p1P était de permettre aux élèves de développer et d’actualiser leurs connaissances au regard des réalités des Premiers Peuples en les sensibilisant plus particulièrement aux réalités autochtones actuelles. D’autres intentions s’y sont rapidement greffées, dont celle de penser un projet permettant la mobilisation de la discipline de la GHEC[4] et le recours à des pratiques pédagogiques exemplaires à l’égard de cette discipline ou, plus largement, de l’éducation au primaire. De même, le souci d’assurer dans le cadre de ce projet le développement de compétences en réception et en production en LMM et le développement de la compétence numérique et de ses dimensions a aussi largement teinté son élaboration et sa réalisation en classe, d’autant plus que la richesse multimodale et médiatique (souvent numérique) des documents/sources permettant de s’informer à propos des Premiers Peuples offrait un terrain d’apprentissages des plus fertile à cet égard.

2. Présentation du chantier Premiers Peuples en 4P

Dans cette section, le chantier p1P est présenté en fonction des 4P, une manière de décrire l’expérience de cocréation dans laquelle la lettre P représente une étape : le portrait, le processus, le projet et la production. Ainsi, le portrait du milieu et des acteurs du projet est réalisé, le processus de cocréation ayant mené à son élaboration est mis en lumière, le projet et les différentes étapes qui le constituent sont détaillés et, enfin, les productions découlant du projet sont présentées et analysées.

2.1. Portrait du milieu et des acteurs et actrices

Le projet Premiers Peuples s’est déroulé à l’école Saint-Jean-Baptiste, école primaire du Centre de services scolaire de la Capitale dans une classe de 6e année. Cette classe comptait au moment de la réalisation du projet en classe (année scolaire 2021-2022) 26 élèves. Autour de ceux-ci, plusieurs adultes ayant diverses fonctions sont intervenus dans le cadre du projet.

2.1.1. Portrait du milieu

L’école Saint-Jean-Baptiste accueille 279 élèves de la maternelle à la 6e année du primaire et se situe dans le coeur de la ville de Québec. Le projet pédagogique de l’école se base sur plusieurs principes, dont : permettre le développement global de l’élève, constituer une école ancrée dans la communauté et proposer un milieu riche sur le plan culturel (École Saint-Jean-Baptiste, 2019). L’indice de défavorisation est de 9 pour le seuil de faible revenu (SFR) et de 3 pour l’indice de milieu socioéconomique (IMSE)[5] (Ministère de l’Éducation [MEQ], 2020). La majorité des élèves ont accès à un outil technologique connecté à Internet dans leur milieu familial. L’école est située dans un quartier en milieu urbain, dans lequel les citoyens, ainsi que les enfants (d’origines ethniques ou culturelles variées), sont généralement bien informés et sensibilisés aux enjeux sociétaux (environnement, diversité, inclusion, etc.). De nombreux services communautaires sont également situés à proximité, dont des musées et une bibliothèque municipale. Dans le cadre de la réalisation du projet, la classe avait accès à 28 ordinateurs (Chromebook), à près d’une dizaine de tablettes numériques (iPad) et à du matériel pour la production vidéo et audio (écran vert, trépied pour tablette, écouteurs et microphones).

2.1.2. Portrait des nombreux acteurs et actrices impliqués

L’équipe de cocréation de projet p1P, dont tous les membres signent cet article, est formée d’un enseignant, de deux professeures-chercheuses universitaires et d’une étudiante au doctorat agissant à titre d’auxiliaire de recherche. En périphérie de cette équipe centrale de cocréation se greffent plusieurs autres personnes qui, par leur expertise, ont contribué à la réussite du projet[6]. Soulignons ici, à cet effet, la participation essentielle de Marie-Émilie Lacroix, chargée de cours à l’Université du Québec à Rimouski au campus de Lévis et représentante des Premières Nations qui est venue en classe rencontrer les élèves à deux reprises, en plus d’agir à titre de « commissaire » auprès de l’équipe de cocréation (Plante, 2020). Notons également l’apport de Martine Bélanger et de Karine Riley, deux conseillères pédagogiques de l’Octet, le laboratoire d’initiatives technologiques du Centre de services scolaire de la Capitale. Enfin, soulignons la participation d’étudiantes[7] en formation des maîtres au primaire qui, dans le cadre du projet, ont été de précieuses collaboratrices. Nous y reviendrons dans la présentation détaillée du projet.

Concernant l’équipe de cocréation, le praticien-chercheur, Jean-François Mercure, est détenteur d’une maîtrise en éducation et est enseignant en 6e année du primaire depuis une vingtaine d’années. Il a toujours à coeur de créer des contextes concrets pour ses élèves afin de rendre les apprentissages pertinents et significatifs. Il articule sa pratique autour des programmes disciplinaires et tend toujours à s’arrimer aux intérêts des élèves, à l’actualité et à des sujets porteurs de sens. Il tente avant tout de cultiver le plaisir d’apprendre et de développer le regard critique chez les élèves. À ses yeux, le volet numérique invite naturellement à cela. Jean-François Mercure utilise le manuel en Géographie, histoire et éducation à la citoyenneté comme une base pour construire son enseignement et développer des projets souvent innovants. Impliqué à plusieurs reprises dans des recherches universitaires axées sur le développement des compétences en LMM et de la compétence numérique à titre de praticien-chercheur, l’enseignant croit fermement en l’importance de créer des ponts entre le milieu scolaire et le milieu universitaire.

En plus de l’enseignant titulaire et de ses élèves, l’équipe est composée de deux professeures-chercheuses et d’une assistante de recherche. Séverine Parent a oeuvré comme conseillère pédagogique au collégial avant de devenir professeure en technologie éducative en littératie numérique. Elle s’intéresse notamment à la littératie numérique, au développement de la compétence numérique et aux espaces d’apprentissage non traditionnels. Dans le cadre de ce projet, un bloc de cinq semaines de son cours Technologies créatives et apprentissage en réseau en éducation offert à l’hiver 2022 au programme de baccalauréat en éducation préscolaire et enseignement primaire a été réservé à la mise en place et à la participation des étudiantes au projet p1P. La professeure a particulièrement soutenu l’équipe dans le volet numérique, tant dans l’accès au matériel et aux personnes-ressources (ses étudiantes) que dans la réalisation du projet en classe avec les élèves du primaire. De son côté, Virginie Martel est historienne et professeure en didactique des sciences humaines et sociales (géographie, histoire et éducation à la citoyenneté). Elle se préoccupe du développement des compétences de recherche et de littératie au primaire et au secondaire, en plus de s’intéresser plus particulièrement à l’apport des oeuvres de fiction et des oeuvres documentaires jeunesse pour apprendre dans toutes les disciplines et permettre l’apprentissage d’une citoyenneté éclairée. Elle collabore depuis plusieurs années avec divers milieux de pratique, généralement pour explorer l’enseignement-apprentissage de l’univers social, dont la classe de Jean-François Mercure (Parent, Mercure et Boutin, 2022). Dans le cadre de sa collaboration au projet p1P, elle a particulièrement alimenté les réflexions quant à la didactique de l’univers social et à l’arrimage de celle-ci au développement des compétences en LMM et de la compétence numérique. Enfin, Andréa Gicquel était, au moment du projet, étudiante à la maîtrise et est désormais étudiante au doctorat en éducation. Formée en éducation préscolaire et en enseignement primaire, elle s’intéresse aux rapports aux savoirs des étudiants engagés dans une formation initiale en enseignement primaire au regard des contenus touchant aux Premiers Peuples du Québec. Dans le cadre du projet, elle s’est impliquée dans toutes les étapes de réalisation en apportant sa contribution, notamment dans la recension des ressources physiques et numériques pour la médiathèque et plus largement dans les réflexions entourant le traitement d’un sujet pouvant être sensible comme l’est celui des Premiers Peuples (Moisan et Hirsh, 2022). Le traitement des perspectives autochtones peut effectivement être considéré comme étant un sujet sensible à aborder en contexte scolaire, notamment dû aux tensions relatives à la légitimité d’en traiter et à la manière de bien le faire (Moisan et al., 2020).

2.2. Processus de cocréation

L’année précédant la réalisation du projet Premiers Peuples (p1P), les membres de l’équipe de cocréation se sont approprié la recherche MultiNumériC et ses objectifs ainsi que ses enjeux et les premières étapes de cocréation. Les assises du projet p1P se sont placées lors de cette première année. Au total, l’équipe du projet p1P a réalisé cinq rencontres de cocréation. Celles-ci se sont déroulées en présence et par vidéoconférences (Zoom), selon les recommandations en contexte pandémique. Le travail de cocréation se faisait principalement par le biais de documents collaboratifs en ligne (Disque Google). Il était possible d’y retrouver notamment des références pour s’informer au sujet des Premiers Peuples, des tableaux pour organiser les différentes séquences du projet, une recension des écrits portant sur les compétences en LMM et la compétence numérique ainsi que le journal de bord dans lequel étaient colligés les comptes rendus des rencontres d’équipe. Dans cette section, les cinq rencontres de planification tenues entre mars 2021 et juin 2021 seront décrites. Jean-François Mercure, Virginie Martel, Séverine Parent et Andréa Gicquel ont principalement contribué à l’organisation du projet qui allait être mené l’année suivante et qui allait aborder, de façon holistique et itérative, les compétences en GHEC, en LMM et la compétence numérique.

Lors de la première rencontre, l’une des préoccupations de l’enseignant portait sur la légitimité de traiter des peuples autochtones en étant allochtone dans un milieu scolaire où la présence d’élèves autochtones reste somme toute assez limitée, voire invisible. Ainsi, la première étape du processus de cocréation a été, tant pour l’enseignant que pour l’équipe de recherche, de réfléchir sur leur rapport aux savoirs au regard des Premiers Peuples et de s’éduquer sur le sujet afin de mieux comprendre les réalités autochtones d’hier et d’aujourd’hui. L’équipe s’est également interrogée sur l’amorce du projet p1P avec les élèves, car ils auraient sans doute un certain travail à faire pour s’informer avant de se lancer dans la production. La tempête d’idées a mené aux conclusions suivantes : un bain de culture autochtone et l’implication de personnes autochtones dans le projet allaient être essentiels dès la première étape du projet. Les membres de l’équipe ont aussi statué sur l’organisation du projet autour de quatre verbes qui représentent les étapes du projet p1P selon la démarche de recherche et de traitement de l’information en histoire et en géographie et, plus largement, à une didactique de l’enquête telle que préconisée dans le projet : s’informer, choisir, produire et diffuser.

Lors d’une deuxième rencontre de cocréation, l’équipe a réfléchi à la planification du projet. Cette étape a permis de placer dans le temps les étapes du projet tout en se laissant une certaine latitude. Il faut préciser qu’au moment de la planification, les considérations quant à l’effet de la pandémie (école fermée, élèves absents, etc.) étaient présentes. Pour le bain de culture autochtone, Jean-François Mercure, Virginie Martel et Andréa Gicquel ont commencé un travail de recension d’oeuvres multimodales afin de créer une médiathèque physique et numérique, appelée la médiathèque libre-service. Diverses ressources sur le web et dans les bibliothèques ont été parcourues afin de trouver plus de 200 oeuvres, ressources et ouvrages adaptés aux élèves de 6e année au sujet des Premiers Peuples. Une attention particulière a été portée à la variété de modalités proposées dans la médiathèque libre-service (numérique, papier, audio, vidéo, etc.) ainsi que sur le fait de rendre disponibles des ouvrages rendant compte des réalités et des cultures autochtones actuelles afin de sortir des représentations passéistes et folkloriques des Premiers Peuples en classe (Bories-Sawala, 2015). Dans le but d’amener les élèves à s’engager dans une réflexion critique et à actualiser leurs connaissances au regard des peuples autochtones, l’enseignant a proposé de faire des cercles de lecture, qui ont été nommés, dans l’esprit du projet, les cercles de littératie médiatique multimodale (CLMM).

Les réflexions entourant les CLMM ont été approfondies à la troisième rencontre. En effet, l’équipe s’est penchée sur le choix des oeuvres multimodales. Une abondance de ressources abordant le thème des Premiers Peuples a été remarquée, particulièrement en ces temps d’effervescence culturelle autochtone. Il était donc difficile de faire des choix. En considérant les intentions entourant l’intégration des cercles de littératie, les membres de l’équipe ont choisi pour chaque CLMM une thématique et un mode différents. Nous y reviendrons. Après avoir clarifié les intentions et la manière d’inclure les CLMM dans le projet Premiers Peuples, l’équipe a procédé à la commande de matériel, tant pour les cercles de littératie que pour garnir la médiathèque physique de la classe.

Lors d’une quatrième rencontre, Jean-François et les membres de l’équipe universitaire ont discuté du désir d’inclure une personne issue des communautés autochtones au Québec dans le projet. Il apparaissait évident et nécessaire de laisser la voix aux Premiers Peuples dans le cadre d’un tel projet. L’équipe désirait que cette implication puisse se faire tout au long du projet et qu’elle marque, grâce à une activité concrète, le passage de l’étape « s’informer » à l’étape « choisir ».

À la cinquième rencontre, avant le début de l’année de réalisation du projet, l’équipe s’est penchée sur les modalités entourant l’intégration du numérique dans les productions des élèves. En accord avec les intentions de Jean-François Mercure de créer des ponts entre le milieu universitaire et le milieu scolaire, les membres ont mis en place un horaire provisoire impliquant les étudiantes engagées dans une formation initiale en éducation préscolaire et en enseignement primaire, inscrites à un cours sur le numérique et l’apprentissage en réseau donné par Séverine. L’équipe a réfléchi au format des productions numériques attendues des élèves, soit la séquence de réalisation, la collaboration entre les élèves et les étudiantes, les modalités de production, le choix de supports numériques (par exemple : Prezi, iMovie, Book Creator, Canva), en plus d’une éventuelle diffusion du projet via un site Internet (Google Site).

2.3. Projet

Le projet p1P a pour objectif principal d’amener les élèves à être de meilleurs citoyens en développant leur compréhension des réalités des Premiers Peuples. Les réalisations numériques produites par les élèves ont permis de mettre en lumière les apprentissages qu’ils avaient envie de partager à la suite de ce projet. De façon plus précise, le projet p1P ciblait trois objectifs spécifiques : (1) développer la compétence numérique et les compétences en LMM; (2) offrir un contexte riche et significatif aux élèves afin qu’ils développent leur compréhension et soient conscientisés face à la diversité des peuples autochtones et à leurs réalités; (3) créer des ponts entre la recherche en éducation et le milieu de pratique. La présente section fera l’objet d’une description de chacune des étapes de réalisation du projet Premiers Peuples, soit : s’informer, choisir, produire et diffuser.

2.3.1. S’informer

Cette première étape s’est principalement déroulée d’octobre à décembre 2021. Elle s’est toutefois étalée, de façon itérative, jusqu’à la fin de l’étape « produire » afin de bonifier les productions. Dans un premier temps, les élèves ont eu à enregistrer une vidéo dans un outil de forum vidéo (dans Flip), afin de partager leurs connaissances initiales au sujet des peuples autochtones. Ils ont été amenés à répondre à diverses questions sur les Premiers Peuples, telles que « Sais-tu comment on dit “bonjour” en plusieurs langues autochtones ? », « Pourrais-tu me dire ce qui se passe avec les Premiers Peuples après l’installation des premiers Européens et la fameuse traite des fourrures ? » et « Est-ce que c’est important de parler des Premiers Peuples en sixième année ? ».

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Capture d’écran de la médiathèque numérique libre-service (sur Disque Google) pour alimenter le bain de culture autochtone

© Groupe de recherche en littératie médiatique multimodale

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Dans un deuxième temps, les membres de l’équipe ont présenté la médiathèque libre-service physique et numérique aux élèves de 6e année dans le but de leur offrir un bain de culture autochtone. Une attention particulière a été portée quant à la sélection d’oeuvres et de ressources faites/réalisées « par » des personnes autochtones, plutôt que « parlant de ». La médiathèque physique installée dans la classe comptait plus d’une centaine de références papier de différents genres littéraires : album jeunesse, roman, bande dessinée, livre de recettes, carte et livre documentaire. La médiathèque numérique, regroupée sur un Disque Google, représentait un corpus de plus d’une centaine de ressources numériques de champ varié : musique, livres et textes numériques, films, documents gouvernementaux, documents historiques, cartes et lignes du temps, balados, caricatures, etc. En classe, certains moments de la journée étaient réservés pour que les jeunes puissent aller consulter les références librement.

Dans cette étape visant à s’informer sur le sujet des Premiers Peuples, les élèves ont aussi participé à quatre cercles de littératie médiatique multimodale (CLMM) d’une durée d’environ une heure chacun, inspirés des cercles de lecture. Le cercle de lecture est un outil pédagogique qui permet de créer des moments d’interaction en petit groupe afin d’échanger, de réagir, de mettre en commun et de réfléchir pour construire le sens d’une oeuvre (MEES, 2019). L’intention était d’aborder certaines thématiques à travers des oeuvres multimodales (les stéréotypes et les préjugés avec la bande dessinée; l’histoire des peuples autochtones depuis la colonisation avec le balado; le mode de vie et les croyances autochtones avec la poésie; les réalités autochtones d’hier et d’aujourd’hui avec la chanson). Après la lecture ou l’écoute des oeuvres, les élèves étaient amenés à porter un jugement critique sur le contenu des ressources proposées à l’aide d’une grille d’analyse et à en discuter en sous-groupes animés par une ressource enseignante (enseignant-cochercheur, stagiaire ou professeure-chercheuse). Les CLMM ont été réalisés au mois de décembre 2021.

Afin de conclure la première étape « s’informer », les élèves ont pu vivre « l’expérience des couvertures » (Lacroix, 2021) offerte par Marie-Émilie Lacroix. Cette activité était une occasion pour les élèves de vivre l’historique de la colonisation du point de vue des peuples autochtones à l’époque et de renforcer leur compréhension entourant notamment les enjeux territoriaux vécus par les Premiers Peuples de la province et du pays.

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Activité des couvertures pour faire vivre la colonisation aux élèves de 6e année

© Groupe de recherche en littératie médiatique multimodale

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2.3.2. Choisir

L’étape « choisir » s’est déroulée de janvier à février 2022. Des allers-retours entre les étapes « s’informer » et « choisir » ont été possibles. Les élèves ont été amenés à faire le choix d’un sujet d’étude entourant les peuples autochtones sur lequel ils avaient envie de poursuivre leurs recherches et dont ils souhaitaient diffuser des connaissances par le biais d’une production numérique. À titre d’exemple, certains ont choisi : la cuisine, les pensionnats, la toponymie, la journée des chandails orange. Chacun était invité à créer un portfolio numérique d’inspiration, lui-même inspiré du portfolio d’apprentissage. Le portfolio d’apprentissage est un outil personnel et évolutif qui permet, entre autres, de colliger des travaux, des réflexions et des commentaires (Ringuet et Parent, 2015). Dans le cadre du projet p1P, cet outil a été utilisé pour rassembler les idées, les sources utilisées et, plus largement, pour retracer le processus d’appropriation du sujet d’étude, sous la forme d’un support de présentation (Google Présentation). Une attention était portée sur la qualité des informations retenues et le respect des droits d’auteurs entourant la recension des ressources.

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Exemple de portfolio numérique d’inspiration réalisé par une élève pour colliger les sources d’informations jugées importantes pour sa production

© Groupe de recherche en littératie médiatique multimodale

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Dans cette même étape, les élèves ont aussi dû choisir un support de production numérique. Ils devaient s’interroger sur l’efficacité du lien entre le message qu’ils désiraient transmettre et la modalité numérique choisie. Avec l’aide des étudiantes de Séverine Parent et des conseillères pédagogiques de l’Octet, les élèves ont pu connaître différentes plateformes créatives. Les étudiantes universitaires en 4e année de formation initiale en éducation préscolaire et enseignement primaire ont aussi réalisé des capsules vidéo expliquant aux élèves les différentes options de supports de production numérique (combinant des modalités [dont la réalité virtuelle et augmentée ou la production de balado] et des outils [dont iMovie, Cricut, Prezi, Book Creator, Canva, Google Site, site Wix, Powtoon, Padlet]). Ainsi, en accord avec le sujet d’étude, les élèves devaient choisir un support qui permettrait de rendre compte de leurs apprentissages qu’ils avaient envie de partager dans l’étape de production du projet. Environ cinq heures ont été consacrées à cette étape du projet.

2.3.3. Produire

Lors de cette troisième étape du projet Premiers Peuples qui s’est déroulée de mars à avril 2022, les élèves ont été amenés à réaliser la production numérique sur leur sujet d’étude en collaboration avec les étudiantes universitaires. Certains élèves ont eu à ajuster le choix de leur sujet d’étude ou de la modalité choisie initialement selon la faisabilité par rapport au temps alloué ou à partir d’éléments techniques, tel que l’accès à certains outils numériques. Dû à la pandémie, cette étape s’est déroulée en mode hybride. Un tableau partagé en ligne (Padlet) a été créé pour faire le point de rencontre de tous les membres impliqués dans le projet lors de cette étape, soit l’enseignant et ses élèves, les étudiantes engagées dans le cours de technopédagogie, l’équipe de l’Octet et les ressources universitaires. Dans le tableau partagé, chaque membre avait une vignette de présentation afin de s’introduire aux autres. L’enseignant y déposait les plans des rencontres. Au total, l’étape « produire » a nécessité trois avant-midis de rencontre impliquant les étudiantes et les élèves : deux rencontres en présentiel et une au choix (en ligne ou en présentiel). Outre ces trois moments, l’enseignant a donné environ une dizaine d’heures aux élèves pour qu’ils travaillent de manière autonome sur leur production.

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Outil Padlet pour la communication entre tous les membres de l’équipe

© Groupe de recherche en littératie médiatique multimodale

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Dès le début de la production, les élèves avaient choisi leur sujet d’étude, entamé la réalisation de leur portfolio numérique et avaient une idée du support numérique avec lequel ils souhaitaient travailler. Pour la production, les élèves travaillant avec le même support numérique ont été jumelés à des étudiantes, formant au total des équipes de quatre à cinq élèves-étudiantes. Lors de cette période de réalisation, plusieurs défis techniques et technologiques sont survenus, passant de la difficulté d’accès à certains supports numériques par le domaine du Centre de services scolaire à l’espace de travail dans les locaux de l’école qui était particulièrement important pour les enregistrements audios. Après les trois rencontres d’accompagnement et les nombreux moments de travail individuel en classe offerts aux élèves, les productions étaient en grande majorité terminées au printemps 2022.

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Séance de production avec les élèves et les personnes étudiantes

© Groupe de recherche en littératie médiatique multimodale

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2.3.4. Diffuser

L’équipe du projet Premiers Peuples a créé un site d’hébergement des projets (Google Site), au moment de l’étape « produire », en prévision de la diffusion des réalisations des élèves. Chaque élève était créateur et éditeur de sa page sur le site Google pour présenter sa production. Ayant à coeur de documenter le processus réflexif des élèves sur le thème des Premiers Peuples, l’enseignant a proposé aux élèves de réaliser une vidéo expliquant pourquoi avoir choisi le sujet d’étude en question, leur processus de création et de réflexion ainsi que ce qu’ils avaient appris pendant la durée du projet. Marie-Émilie Lacroix, commissaire du projet et représentante des Premières Nations, est revenue en classe pour que les élèves lui présentent leur réalisation. Elle a pu apporter des nuances et un regard critique sur les productions. En guise de conclusion au projet, le site p1P a été diffusé dans le Centre de services scolaire de la Capitale et une activité officielle de lancement a également eu lieu dans le quartier de l’école lors d’un avant-midi de juin. L’événement a d’ailleurs été diffusé à la radio de Radio-Canada. C’était l’occasion pour les élèves de présenter leurs réalisations à la communauté du quartier afin qu’elle en apprenne plus sur le sujet des Premiers Peuples.

Image 6

Rencontre avec la communauté du quartier pour la diffusion du projet Premiers Peuples

© Groupe de recherche en littératie médiatique multimodale

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2.4. Production

Tout au long du projet, les élèves ont été amenés à produire divers documents en plus de réaliser leur production numérique principale en lien avec leur sujet d’étude. Une foule de traces ont été collectées à différents moments du projet : une vidéo portant sur leurs conceptions initiales au regard des Premiers Peuples, des fiches d’analyse d’ouvrages multimodaux réalisées dans le cadre des CLMM, un questionnaire pour tester les connaissances des personnes qui visitent le site web, le portfolio numérique et une vidéo expliquant leur processus de création et de réflexion réalisée en fin de projet. Sur la page web de chaque élève, certains de ces documents se retrouvent afin de présenter l’ensemble de leur processus de création.

Le site p1P offre un endroit où l’ensemble des productions créées par les élèves sont réunies. Ce sont donc les 26 productions numériques principales réalisées par les élèves de 6e année qui se retrouvent sur le Google Site p1P, en plus du portfolio numérique, du questionnaire et de la vidéo du processus pour la majorité d’entre eux. Afin d’illustrer le projet réalisé, trois productions numériques seront présentées plus en détail dans cette section. Les productions numériques ont été choisies pour illustrer des modalités de présentation et des sujets d’étude différents, mais aussi pour rendre compte du développement de la compétence numérique (et de ses dimensions), des compétences en LMM et du processus de création de certains élèves.

La première production numérique aborde les légendes autochtones sur un support vidéo. Le portfolio numérique d’inspiration a principalement permis à l’élève de documenter le visuel de sa production. Dans sa recherche, il a d’abord présenté ce qu’est la différence entre un mythe et une légende et l’importance de cette dernière dans la culture autochtone. Il raconte ensuite la légende de la Tortue, une des histoires fondatrices dans la culture des Premiers Peuples. Cette production démontre que l’élève a été en mesure de développer et de mobiliser les compétences numériques liées à sa culture informationnelle (dimension 4) et à sa pensée critique (dimension 11) en choisissant les informations qui reflétaient selon lui le mieux les cultures autochtones. De plus, il est possible de remarquer que l’élève maîtrise ses compétences multimodales en LMM par le fait que sa production démontre la structure d’un discours oral en adéquation avec le visuel de sa production. La vidéo de son parcours explique sa réflexion entourant son choix de sujet, principalement lorsqu’il mentionne son intérêt personnel pour les légendes et son désir d’en apprendre sur celles des Premiers Peuples.

La deuxième production numérique aborde la Loi sur les Indiens sur la plateforme de présentation Prezi. L’élève aborde certains thèmes traités dans ce texte de loi, comme son utilité, le statut d’Indien, les réserves et leur héritage ainsi que son importance aujourd’hui. Il joint également des ressources complémentaires à son sujet pour le lectorat qui voudrait aller plus loin. L’élève démontre assez clairement le développement de sa compétence à communiquer (dimension 6) et à produire (dimension 7) du contenu numérique à visée de sensibilisation. En effet, cet élève est très habile avec le numérique et est passionné d’histoire et de politique. Ce dernier élément justifie d’ailleurs son choix de traiter d’un tel sujet, comme il le mentionne dans la vidéo retraçant son parcours créatif et réflexif. La production de l’élève démontre aussi le développement des compétences pragmatiques en LMM, notamment celle de reconnaître/analyser/critiquer la portée idéologique du message multimodal et de se situer personnellement par rapport à son contexte de réception/production dans sa capacité à choisir certains thèmes jugés essentiels à aborder lorsque l’on traite de la Loi sur les Indiens. Dans sa forme, soit une page principale qui se déploie en neuf pages secondaires, la production est assez simple, mais son contenu est assurément réfléchi, étoffé et travaillé.

La troisième production numérique présente la mode autochtone dans l’industrie sur un support Canva, un logiciel de présentation visuel. Différents thèmes liés à l’industrie de la mode et à la présence autochtone dans cette sphère sont abordés, tels que des collaborations permettant de faire rayonner la culture, l’entrepreneuriat et la créativité des personnes autochtones. À l’aide de codes quick response (QR), l’élève propose au lectorat différentes affiches informatives sur ces sujets. Elle propose également un lien vers une capsule vidéo pour en apprendre plus sur l’appropriation culturelle. Dans cette production, l’élève démontre sa compétence à innover et à faire preuve de créativité avec le numérique (dimension 12), notamment par le format interactif et le visuel de sa production. Le format de cette dernière reste assez simple, puisqu’il ne fait appel principalement qu’à l’écrit. Toutefois, le visuel est en adéquation avec les cultures autochtones et soutient le texte écrit. Ceci démontre le développement des compétences sémiotiques en LMM, telles que celle de communiquer les signes ou symboles du message multimodal liés à des groupes culturels, mais aussi le développement de compétences multimodales en utilisant des ressources sémiotiques propres au mode cinétique. La vidéo du processus de création et de réflexion de l’élève rend compte de son souci de traiter d’éléments de l’actualité, ce qui permet de constater le développement de sa pensée critique.

3. Analyse interprétative de l’expérience vécue

Pendant le projet Premiers Peuples, les élèves ont développé leurs compétences en littératie médiatique multimodale (LMM), plusieurs dimensions de la compétence numérique et leurs compétences dans le domaine d’apprentissage de l’univers social. Cette section de l’article présentera un retour interprétatif sur le développement de ces compétences ainsi que les points forts et les améliorations possibles du projet Premiers Peuples (p1P).

3.1. Développement des compétences en LMM

Dans le projet Premiers Peuples, les élèves ont eu l’occasion de développer leurs compétences en littératie médiatique multimodale (LMM). À travers une expérience concrète et stimulante, les élèves ont pu créer des productions numériques en faisant le choix d’un sujet qu’ils jugeaient pertinent de documenter dans une visée d’information, mais également de sensibilisation. Les élèves, lors du volet de « production », ont pu organiser leur travail avec le soutien des étudiantes et s’exprimer au regard du sujet d’étude et du support numérique choisi. Grâce au jumelage avec les futures enseignantes du primaire, les élèves ont été en mesure d’avoir une rétroaction efficace, de vérifier et de modifier leur production. Certains outils de communication, tels que Padlet et le portfolio numérique, ont permis aux équipes de travailler de manière synchrone et asynchrone, ce qui était particulièrement avantageux en temps de pandémie. Lors de la diffusion des productions, les élèves ont pu partager le fruit de leur travail par le biais du site web p1P. Puisque la diffusion a aussi eu lieu hors des murs de l’école (à la radio et dans le quartier), les élèves ont pu mettre en réseau leur production, mais celle de leurs pairs également.

En ce qui a trait au volet de la « réception » du projet, les élèves ont pu décoder les informations propres au sujet des Premiers Peuples grâce à l’accès à différentes ressources multimodales. Ils ont été en mesure de traiter et d’interpréter les différents contenus mis à leur disposition en lien avec les peuples autochtones au Québec et au Canada afin de mieux comprendre les réalités autochtones. De plus, en créant un portfolio numérique d’inspiration, les élèves ont été amenés à sélectionner les informations pertinentes en lien avec leur sujet d’étude afin de nourrir le contenu de leur production numérique. À ce propos, un élève mentionnait à la fin du projet :

Chaque personne pense quelque chose de différent, ben presque, sur les Premières Nations. Il fallait vraiment savoir, il fallait chercher à plusieurs endroits pour être sûr que les informations sont justes. […] Je le faisais moins avant [le projet].

Les élèves ont également dû réaliser une certaine autorégulation puisqu’ils ont eu l’occasion de déconstruire et de mettre à l’épreuve leurs conceptions initiales au regard des Premiers Peuples en ayant accès, entre autres, à diverses sources multimodales.

3.2. Développement de la compétence numérique

Selon le cadre de référence provincial, la compétence numérique permet de recevoir, de traiter de l’information et d’en produire grâce à des supports et à des outils numériques variés (Ministère de l’Éducation [MEQ], 2019). Dans le cadre du projet Premiers Peuples, les élèves ont été amenés à développer plusieurs compétences en lien avec la recherche d’information, la production de contenu, les habiletés technologiques et la collaboration. La recherche d’information a permis aux jeunes de développer leur compétence de citoyen et de citoyenne éthique (dimension 1) en repérant ou en consultant des sources fiables et ayant été écrites par des personnes issues des Premiers Peuples, autant que possible. Avec le portfolio numérique, les élèves ont colligé toutes les références qu’ils ont utilisées pour le contenu de leur production et ont été sensibilisés, par les membres de l’équipe du projet, mais principalement par les étudiantes, à l’importance de tenir compte des droits d’auteurs quant à l’utilisation d’images et de sons dans leur projet. En ce qui concerne la compétence à produire du contenu, les élèves ont d’abord visionné des capsules vidéo faites par les étudiantes universitaires afin de faire un choix judicieux du support pour leur production numérique. Ils ont aussi pu consulter des contenus numériques disponibles dans la bibliothèque virtuelle pour s’inspirer et nourrir leur production, en plus de mobiliser le numérique afin de produire du contenu ayant pour but d’informer et de sensibiliser. Les élèves ont également développé leurs habiletés technologiques tout au long du projet Premiers Peuples en s’appropriant de nouvelles technologies (par exemple : Padlet, Google Site), en utilisant le portfolio numérique et en réalisant une capsule vidéo en fin de parcours afin de rendre compte de leur processus de réflexion et de création. Le portfolio numérique et le Padlet du projet sont également devenus des outils technologiques essentiels à la communication et à la collaboration entre les élèves et les étudiantes.

À la fin du projet p1P, une élève mentionnait ceci en lien avec le développement de la compétence numérique :

Je dirais que mes compétences sont très développées pour moi. Avant [le projet], elles étaient développées, mais maintenant j’ai appris à faire des Google Site, iMovie et tout, ça m’a quand même aidé. Et vu que c’est quand même des choses qu’on fait à répétition, on aide les autres à faire les leurs, ça nous dit vraiment comment faire.

Un élève de 6e année, classe de Jean-François Mercure

L’élève souligne ici l’importance de la collaboration dans le développement de ses compétences.

3.3. Développement des compétences en géographie, histoire et éducation à la citoyenneté

Le projet a contribué au développement des compétences disciplinaires propres à la discipline de la géographie, histoire et éducation à la citoyenneté (GHEC), entre autres parce qu’il a invité les élèves à décrire et à s’approprier de nombreuses réalités historiques et géographiques et à les comparer dans le temps et l’espace[8]. L’identification des connaissances initiales des élèves, la médiathèque libre-service, « l’expérience des couvertures », les cercles de littératie médiatique multimodale (CLMM), la création du portfolio numérique et l’élaboration de la production numérique finale sont autant de moments où les élèves ont été invités à mobiliser une ou plusieurs composantes des compétences disciplinaires en univers social en plus de recourir à des techniques en géographie ou en histoire (par exemple : interpréter des documents iconographiques) et à utiliser diverses opérations intellectuelles (par exemple : situer dans le temps et l’espace, établir des faits, établir des liens de causalité, etc.).

Afin de réaliser leur production, les élèves ont dû, de surcroît, s’approprier des connaissances diverses liées à la thématique des Premiers Peuples, notamment en développant un vocabulaire précis pour en traiter, mais aussi en actualisant leurs perceptions et leurs croyances à propos des peuples autochtones à l’aide de différentes ressources. Les connaissances initiales des élèves ont d’abord été collectées par le biais d’une vidéo (Flip). Les réponses étaient riches et ont permis de manière générale à l’équipe du projet de comprendre que les élèves avaient quelques connaissances sur les Premiers Peuples, mais que celles-ci s’avéraient souvent peu actuelles, peu nombreuses et peu solides.

Avec la médiathèque physique et numérique libre-service regroupant des oeuvres principalement autochtones et « l’expérience des couvertures », les élèves ont pu, dès les premières semaines du projet, prendre conscience, s’interroger et donner du sens aux réalités autochtones d’hier à aujourd’hui. Les CLMM ont donné l’occasion aux jeunes de développer leur jugement critique au regard des informations et des points de vue au sujet des Premiers Peuples sous différents formats et supports (numérique et papier, balado, chanson, bande dessinée, poésie). Les échanges à cet égard ont été d’une richesse indéniable.

Le développement du jugement critique s’avère un élément essentiel dans le projet Premiers Peuples puisqu’il cadre avec l’objectif de l’enseignant de 6e année : amener ses élèves à être de meilleurs citoyens en développant leur compréhension des réalités des Premiers Peuples au Québec et au Canada. La création d’un portfolio et de la production numérique sur un sujet d’étude choisi a aussi soutenu les élèves dans le développement de leurs compétences et savoirs en GHEC. Une collaboratrice en fait d’ailleurs la mention lors d’échanges avec les élèves de 6e année.

Quand vous allez partir d’ici là, wow ! Vous allez avoir de quoi à dire et je suis pas mal sûre que ça a éveillé votre curiosité pour continuer plus loin votre sujet. Quand vous allez arriver au secondaire, que les profs vont vous parler des Autochtones, vous allez avoir de quoi à ajouter.

Marie-Émilie Lacroix, commissaire pour le projet p1P

Enfin, la mobilisation des compétences en littératie médiatique multimodale et numérique s’est avérée importante dans le développement des compétences en GHEC chez les élèves. En effet, ces compétences en LMM et en numérique ont permis de soutenir les nouveaux apprentissages à toutes les phases du projet, souvent de manière itérative.

3.4. Les points forts et les améliorations possibles du projet p1P

À la lumière de la réalisation du projet, l’équipe p1P est en mesure de faire le bilan de certaines forces et améliorations possibles du projet. Tout d’abord, le développement de la compétence numérique chez les élèves de 6e année a été atteint en grande partie. Il a été possible pour les jeunes d’explorer différents supports numériques innovants et de choisir un support en accord avec leur sujet d’étude, et ce, dans une visée d’information et de sensibilisation. Ensuite, les élèves, les étudiantes et les membres de l’équipe ont pu collaborer à leur production, ce qui a certainement bonifié le projet. La valeur ajoutée du maillage entre les étudiantes et les élèves a été une des grandes forces du projet. La collaboration entre le milieu scolaire et universitaire permet de créer un contexte d’apprentissage signifiant, authentique et réaliste, tant pour les élèves du primaire que pour les futures enseignantes. Jean-François Mercure mentionne cette collaboration comme étant un moment marquant du projet.

Moment signifiant au cours de la réalisation du projet. Pour moi, c’est quand les étudiantes sont venues. Nous avons mélangé sujets et modalités. Parce qu’en amont, nous avons beaucoup travaillé le sujet, après nous avons beaucoup travaillé la technique et ces trois lundis-là étaient vraiment un bon mélange sujet, modalité.

Jean-François Mercure

Cet élément a aussi permis de mieux soutenir les élèves dans leur production, voire dans le développement de leurs compétences puisque ce soutien était pratiquement personnalisé. Finalement, le développement du rôle de citoyen, plus précisément de mieux comprendre les Premiers Peuples et leurs réalités ainsi que le développement de la pensée critique est une force du projet p1P, principalement grâce aux contextes variés d’enseignement-apprentissage offerts aux élèves.

Il va sans dire qu’un projet d’une telle envergure au primaire comporte certains défis et a amené l’équipe du projet à réfléchir à certaines améliorations. L’effervescence créée par la diversité des sujets d’étude, la multiplication des supports numériques, la mobilisation des ressources impliquées ainsi que l’aspect innovateur du projet comptent parmi les défis qui sont survenus lors de l’année de réalisation du projet. Après réflexion, l’éventail de choix de supports numériques offerts aurait pu être réduit en atteignant tout de même les objectifs du projet. De plus, l’équipe réalise que le contexte de recherche a permis de mobiliser plusieurs ressources pour réfléchir et planifier le projet. Il est donc possible d’affirmer que les élèves n’auraient possiblement pas pu créer des productions aussi riches et variées sans la collaboration de toutes et de tous, dont principalement celle des étudiantes.

Conclusion

Le projet Premiers Peuples s’enracine dans la motivation d’un enseignant du primaire qui souhaitait permettre à ses élèves d’être de meilleurs citoyens en développant leur compréhension des réalités des peuples autochtones au Québec et au Canada ainsi que de participer, plus largement, à la valorisation et à la mise en lumière de ceux-ci. À travers le projet p1P, les élèves ont été en mesure de développer les compétences disciplinaires principalement liées à la Géographie, l’histoire et l’éducation à la citoyenneté (GHEC) et de mobiliser la démarche d’enquête et le traitement de l’information propre au domaine d’apprentissage de l’univers social. Les compétences en LMM et la compétence numérique ont permis aux jeunes de s’informer, d’utiliser leur jugement critique et de se construire une compréhension du monde. Les productions numériques sont le résultat de leurs apprentissages disciplinaires, numériques et en LMM.

Le projet p1P se veut innovateur. Il est rare qu’un enseignant du primaire dispose d’autant de ressources (matérielles et humaines) pour mener de front ce genre projet. Toutefois, il est possible de s’en inspirer et de l’adapter. Par exemple, un enseignant pourrait choisir un sujet moins sensible, offrir moins de choix de modalités ou envisager de ne pas faire de diffusion hors des murs de la classe. Le projet Premiers Peuples permet assurément de documenter les pratiques pédagogiques d’un enseignant devant le traitement d’un sujet actuel et délicat, tel que celui des Premiers Peuples. Il rend compte de la possibilité d’amener des élèves du primaire à recevoir et à produire un message à l’aide de la LMM en contexte numérique, mais aussi celle d’une cocréation et d’une collaboration entre les milieux scolaires et universitaires.