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En janvier 1971, lorsque paraît le premier numéro de Recherches amérindiennes au Québec (RAQ) sous la forme d’un bulletin de liaison visant à rejoindre les spécialistes des questions autochtones au Québec, le droit moderne des Autochtones n’existe pas encore, à toutes fins pratiques. La dernière négociation de traité remonte à 1921, et la tutelle imposée aux Premières Nations par la Loi sur les Indiens demeure le cadre juridique dominant, malgré certains assouplissements apportés au régime en 1951. Quant au titre autochtone et aux droits ancestraux, ils demeurent des théories juridiques qui n’ont pas encore été reconnues par les tribunaux.

Il n’est ainsi pas très surprenant qu’on ne retrouve aucun juriste parmi l’équipe fondatrice de la revue, ni dans le bottin « des artisans de l’anthropologie amérindienne au Québec » qui forme la plus grande partie du premier numéro. Parmi la cinquantaine de noms qui s’y trouvent, les ichtyologistes et les musiciens sont ainsi mieux représentés que les spécialistes des questions de droit, bien qu’on envisage tout de même que des juristes puissent éventuellement s’intéresser « aux problèmes créés par la situation historique et politique des communautés amérindiennes » (Rédaction 1971 : 4).

Un changement de paradigme juridique

Tout cela était cependant sur le point de changer de manière spectaculaire, comme le laissait deviner l’effervescence socio-politique qui agitait alors les milieux autochtones aux États-Unis, au Canada et au Québec. La création de l’Association des Indiens du Québec en 1965, la fondation par Mary Two-Axe Early du groupe Droits égaux pour les Femmes indiennes (Equal Rights for Native Women) en 1968, puis les réactions très vives au Livre blanc soumis par le gouvernement fédéral en 1969 pour éliminer le statut particulier des Premières Nations, constituaient d’ailleurs des signes notables de ce changement de paradigme. Il faudra toutefois quelques années avant que ce bouillonnement d’activisme ne se répercute concrètement dans la sphère juridique, avec notamment l’arrêt Calder de la Cour suprême du Canada, en janvier 1973, qui reconnaîtra pour la première fois l’existence des droits ancestraux (Calder et al. c. PG de la Colombie-Britannique 1973). Ce jugement mènera rapidement le gouvernement fédéral à élaborer une politique sur les revendications territoriales globales et à participer avec le gouvernement du Québec aux négociations du premier traité moderne, la Convention de la Baie James et du Nord québécois (CBJNQ).

Le déclenchement du grand chantier hydroélectrique de la Baie James, annoncé par Robert Bourassa en avril 1971, constituera d’ailleurs la première occasion pour l’équipe de RAQ de se pencher sur les enjeux juridiques liés aux questions autochtones. Dès décembre 1971, un numéro spécial est consacré à « la Baie James des Amérindiens », avec un article de Donat Savoie portant sur les conclusions du rapport de la commission Dorion quant aux droits territoriaux des Autochtones de la Baie James (Savoie 1971). L’actualité de la Baie James demeurera à l’avant-plan de la nouvelle revue, avec notamment la publication d’extraits de documents juridiques d’actualité tels que l’injonction interlocutoire du juge Malouf en 1973 (Rédaction 1973), puis l’entente de principe qui mènera à la signature de la CBJNQ proprement dite en novembre 1975 (Rédaction 1974). Les suites données à la Convention feront aussi l’objet de publications, notamment du point de vue des communautés inuites dissidentes (Proulx 1982) ou par la publication des actes d’un colloque organisé par la Société Recherches amérindiennes au Québec pour souligner les dix ans de la CBJNQ (Vincent et Bowers 1988).

Un regard sur le droit informé par l’actualité

Au cours des années 1970 et 1980, le contenu de RAQ est principalement consacré à des disciplines telles que l’archéologie, la linguistique, la mythologie, l’histoire et l’ethnologie. Les questions politiques ne sont cependant jamais très loin, et l’actualité autochtone y est documentée et analysée en continu, notamment par la publication de rapports gouvernementaux touchant aux questions autochtones, ou de déclarations publiques dans le contexte de négociations. D’un point de vue juridique, la question des droits territoriaux est celle qui est le plus souvent abordée (Dominique 1974 ; Dorion 1974 ; Laplante 1979), bien qu’il soit aussi question du droit à l’éducation (Beaudoin 1976), des conséquences de la surjudiciarisation des personnes autochtones (Sioui 1981), de l’impact de la Loi sur les Indiens sur les femmes autochtones (Morissette 1984), ainsi que des droits de chasse et de pêche, en particulier dans le contexte de la « guerre du saumon » qui affecte les communautés de la Côte-Nord et de la Gaspésie (Ligue des droits de l’Homme de Montréal 1978 ; Panasuk et Proulx 1979 ; Charron 1981 ; Moisan 1982 ; Roy 1983 ; Proulx 1983).

Les négociations constitutionnelles qui marquent le début des années 1980 ne sont évidemment pas passées sous silence, et les pages de RAQ n’hésitent pas à faire une place spécifique à la parole autochtone sur ces questions (Comité d’appui aux nations autochtones 1982 ; Mohawk Council of Kahnawake 1982 ; National Indian Brotherhood 1982), une habitude qui avait d’ailleurs été prise dès les tout débuts du périodique (Manuel 1972).

Après le réveil juridique de 1973, l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 marque un point tournant en matière de droits des peuples autochtones avec l’inclusion de l’article 35 qui affirme que « les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés ». Cette constitutionnalisation, obtenue de haute lutte (notamment par le mouvement du « Constitution Express » en 1980 et 1981), faisait toutefois l’impasse sur la nature même des droits évoqués, repoussant à des négociations ultérieures l’épineuse question de leur définition et celle de l’autonomie gouvernementale (Williams 1983). Richard Kistabish et Jean-René Proulx documentent dans RAQ la première de ces conférences constitutionnelles qui aura lieu en 1983, en l’abordant du point de vue des gens de Kitcisakik dans le parc de La Vérendrye (Kistabish et Proulx 1983). Leur récit trace un portrait frappant des contrastes sociaux en action : « Ces événements nous obligent à mesurer la distance qui sépare la réalité de la salle de conférence de celle de la vie quotidienne des gens dont on discute le sort : en fait, c’est la distance qui existe entre une suite du Château Laurier et la cabane d’Armand Papatie… » (ibid. 1983 : 230).

Si l’actualité autochtone du Québec demeure au coeur des publications de RAQ, la Revue n’hésite pas pour autant à s’aventurer hors des frontières provinciales. Elle offre régulièrement des regards sur la situation juridico-politique des Autochtones ailleurs au Canada, par exemple dans les Territoires du Nord-Ouest (Bissonnette 1981) ou en Colombie-Britannique, où Evelyn Pinkerton retrace la naissance, à Haida Gwaii, d’un activisme judiciaire autochtone, source d’une forte mobilisation politique locale (Pinkerton 1984). Elle observe ainsi que, même si « les requérants haidas [n’ont pu] obtenir satisfaction de la part des tribunaux, […] ces poursuites n’étaient qu’une étape dans une série d’actions entreprises par eux » et qu’elles ont permis « de consolider l’engagement, au sein même de la nation haida, par rapport à leur propre ligne de conduite » (ibid. : 54). À cette lumière, il n’est pas surprenant que ce soit justement une revendication de la nation haida qui fera entrer de plain-pied en droit canadien l’obligation de consultation et d’accommodement des peuples autochtones, une vingtaine d’années après la publication de cet article (Nation Haida c. Colombie-Britannique 2004).

Les droits des Autochtones du reste de l’Amérique ne sont pas ignorés non plus, comme on peut le voir dans une déclaration d’Amnistie internationale au sujet de la situation politique au Guatemala publiée dans RAQ (Amnistie internationale 1979) et deux ans plus tard dans un numéro spécial de la revue consacré aux « Luttes indiennes en Amérique latine » (vol. 11, n˚ 1).

Le droit comme objet d’étude

Jusqu’au milieu des années 1980, les questions juridiques sont principalement abordées dans RAQ par le biais des événements d’actualité liés au contexte socio-politique autochtone. Ce n’est qu’avec l’arrivée au sein du comité de rédaction de l’avocat et anthropologue Alain Bissonnette en 1983 que la revue commencera à se pencher véritablement sur le droit en tant qu’objet d’étude. Le numéro spécial sur la justice (vol. 13, n˚ 3) qu’il dirige, en 1983, contient ainsi des articles sur l’anthropologie juridique (Charron 1983 ; Asch 1983), les impacts de l’imposition du système de justice étatique chez les Inuit (Rouland 1983) ou le rôle de la Commission des droits de la personne du Québec en matière autochtone (Lepage 1983).

Alain Bissonnette continuera pendant plusieurs années à jouer un rôle important afin de permettre à l’étude du droit ainsi qu’à l’examen multidisciplinaire des dossiers juridiques de se frayer une place dans les pages de RAQ (Bissonnette 1984, 1985, 1989). Il dirigera notamment en 1993 (vol. 23, n˚ 1) un numéro spécial intitulé « Des alliances fondatrices aux traités modernes », portant sur les revendications et les négociations des peuples autochtones du Québec, ainsi qu’un numéro double portant sur « Le droit international et les peuples autochtones » en 1994 (vol. 24, n˚ 4) et 1995 (vol. 25, n˚ 3).

Outre ces numéros spéciaux et quelques articles sporadiques, c’est toutefois au sein d’une toute nouvelle « chronique juridique » que se concentrera dans les années suivantes une bonne partie de la réflexion sur le droit et les Autochtones au sein de RAQ. Cette chronique, amorcée en 1989 par l’avocat Pierre Grégoire, examinera à presque chaque numéro un jugement récent portant sur les droits des Autochtones ou un sujet d’actualité juridique. Grégoire y décortiquera par exemple l’incontournable arrêt Sparrow (R. c. Sparrow, 1990) dans lequel la Cour suprême du Canada se penche pour la première fois sur la nature des droits ancestraux, en expliquant la mécanique permettant de justifier leur atteinte d’un point de vue juridique (Grégoire 1992). Grégoire restera à la barre de la chronique juridique dans RAQ jusqu’en 1996. Lui succéderont alors Richard Boivin (1996 et 2004-2005), Hugues Melançon (1997-1998), Paul Dionne (1997 et 2002-2005), Sébastien Grammond (1998-2002), Caroline Hilling (2002), Jean Leclair (2003) et Denis Gagnon (2006).

C’est donc principalement à travers cette chronique que les lecteurs de RAQ pourront prendre connaissance de l’importante production jurisprudentielle de la Cour suprême du Canada au tournant du xxie siècle, avec, notamment, la trilogie Van der Peet (R. c. Van de Peet 1996 ; R. c. N.T.C. Smokehouse Ltd. 1996 ; R. c. Gladstone 1996) établissant la manière de prouver l’existence de droits ancestraux (Dionne 1997), l’arrêt Delgamuukuw (Delgamuukw c. Colombie-Britannique 1997) posant les fondements du titre autochtone (Melançon 1998) et les arrêts Haida et Taku River (Nation haïda c. Colombie-Britannique 2004 ; Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique 2004) définissant l’obligation de consultation et d’accommodement de la Couronne envers les peuples autochtones (Boivin et Green 2005).

L’amorce d’une remise en question

Si l’année 1990 représente un point tournant au niveau juridique avec l’arrêt Sparrow, qui marque le début de l’élaboration de la doctrine des droits ancestraux par les tribunaux, elle est aussi caractérisée par les événements d’Oka, qui auront un retentissement à la grandeur du pays. À bien des égards, la crise d’Oka marque aussi bien une prise de conscience de la société québécoise et canadienne à l’égard des enjeux autochtones que l’amorce d’une rupture face aux politiques existantes, qui se sont manifestement révélées inadéquates et insuffisantes.

Ce constat suscite entre autres la création, en 1991, de la Commission royale sur les peuples autochtones, chargée d’examiner la politique gouvernementale à leur égard. Elle rendra son rapport final cinq ans plus tard, en 1996. RAQ suivra les travaux de la Commission avec intérêt (Léger et Trudel 1994 ; Trudel 1996), et plusieurs auteurs se pencheront sur l’analyse de son rapport final et sur les réactions qu’il suscitera (Saganash 1997 ; Rédaction et Trudel 1997 ; Boudreault 1998). En 2007, un numéro spécial de RAQ (vol. 37, n˚ 1) sera d’ailleurs consacré à un bilan des impacts de la Commission royale après une décennie. On y trouve, entre autres, un article des avocats Richard Boivin et René Morin, respectivement à l’emploi du ministère de la Justice du Canada et du ministère de la Justice du Québec, article qui replace les travaux de la Commission royale dans un horizon juridique large (en remontant même jusqu’à la Commission Bagot, en 1844-1847, l’une des premières commissions portant sur les peuples autochtones au Canada) et en analysant l’impact de ces travaux sur la Cour suprême du Canada. Ils concluent d’ailleurs au peu d’influence directe du rapport sur les tribunaux, tout en précisant qu’il s’agit néanmoins indubitablement d’une étape importante dans la reconnaissance d’un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones (Boivin et Morin 2007 : 33-34).

Au tournant du millénaire, l’actualité juridique autochtone continue d’être présente dans les pages de RAQ, non seulement au sein de la chronique juridique – qui sera publiée régulièrement jusqu’en 2006 –, mais également à travers diverses recherches portant sur l’histoire du droit (Stone 2000 ; Delâge et Gilbert 2002a, 2002b ; Delâge et Gilbert 2003 ; Morin 2013, 2014), la signature de la « paix des Braves » (Saganash 2002), les enjeux identitaires (Motard 2007), la jurisprudence fondant les droits ancestraux (Boudreault 2000 ; Mativat 2003), ou par des réflexions sur la nature des revendications autochtones, comme cet article de Jean-Guy Goulet explorant les imaginaires religieux qui sous-tendent les conceptions fondamentales des principaux acteurs de cette joute juridico-politique (Goulet 2008).

Les enjeux juridiques internationaux des peuples autochtones sont toujours abordés, aussi bien en Australie (Behrendt 1998) qu’au Guatemala (Duhaime 1999), au Mexique (2001) ou au sein d’institutions internationales (Otis 2009). Les travaux qui mèneront à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones sont d’ailleurs évoqués dès 1989 (Delanoë 1989), puis suivis avec attention, notamment en donnant la parole à certains participants autochtones aux négociations qui s’échelonnent sur près de vingt ans (Legros et Trudel 2001 ; Bellier 2002). L’adoption par l’Assemblée générale des Nations unies de ce qui constitue aujourd’hui le principal instrument international affirmant et protégeant les droits des peuples autochtones est également soulignée en 2007 (Léger 2007). Il est à noter que l’histoire de ce document juridique fondamental se poursuit encore à ce jour, le refus du Canada de la signer pendant plusieurs années ayant fait place à une adhésion pleine et entière qui ne résout pourtant pas les enjeux relatifs à sa mise en oeuvre, ni au fédéral ni au provincial.

Des droits ancestraux à l’obligation de consultation et d’accommodement

Les discussions sur la nature et le mode de reconnaissance des droits ancestraux des peuples autochtones ont occupé une part importante de la scène juridique des années 1980 et 1990, d’abord au sein de négociations politiques visant à faire une place à l’autonomie gouvernementale autochtone, puis, face à l’échec de ces négociations, à travers un échafaudage jurisprudentiel développé par la Cour suprême du Canada. Le défi de celle-ci consistait à trouver des solutions afin de permettre l’expression concrète dans le système juridique canadien de ces droits reconnus constitutionnellement depuis 1982. Si des avancées bien réelles ont pu être constatées, celles-ci se sont toutefois vues fortement limitées par la complexité des mécanismes échafaudés par les tribunaux, notamment au niveau de la preuve, et par leur incapacité à véritablement confronter le déséquilibre engendré par les rapports de pouvoir inégaux existants (voir à ce sujet le débat entre Leclair, Eisenberg et Otis dans RAQ, vol. 41, n˚ 1).

La saga du titre autochtone (ou titre aborigène), ce droit inhérent au territoire découlant de l’occupation, de l’utilisation et du contrôle des terres ancestrales avant la colonisation, constitue un bon exemple des limites du processus juridique. En 1997, l’arrêt Delgamuukw définissait pour la première fois la manière de faire la preuve de ce titre, suscitant par le fait même beaucoup d’attentes. Une vingtaine d’années plus tard, force est de constater que les règles alors échafaudées n’ont permis de reconnaître qu’un seul titre à ce jour, celui de la nation Tsilhqot’in, en 2014 (Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique 2014).

Face à cette impasse juridique, bien des nations se sont rabattues sur un instrument plus souple pour faire reconnaître leurs droits, soit l’obligation de consultation et d’accommodement définie dans l’arrêt Haida, en 2004. Cette obligation, qui incombe à la Couronne lorsque ses actions sont susceptibles d’avoir un impact sur les droits des peuples autochtones, allégués ou prouvés, trouve particulièrement application dans le cadre de l’exploitation des ressources naturelles, telles que la forêt, la faune, les mines, les ressources énergétiques, etc. Il n’est donc pas surprenant que ces thématiques occupent une place croissante dans RAQ au sein des articles portant sur le droit, que ce soit au sujet de la consultation en matière de foresterie (Trudel 2005 ; Hébert 2006), d’exploitation minière (Loiselle-Boudreau 2009 ; Knotsch, Siebenmorgen et Bradshaw 2010), ou dans le cadre de plans de développement économique plus vastes, comme le Plan Nord (Arteau 2011). Au fil des ans, l’obligation de consultation évolue d’ailleurs peu à peu vers une norme d’obligation de consentement libre, préalable et éclairé, telle qu’on la retrouve notamment affirmée au sein de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. On retrouve une publication sur ce sujet dans RAQ dès 2010 (Lebuis et King-Ruel 2010), et en 2019 un numéro complet de la revue est consacré à ce concept devenu incontournable en l’espace de quelques années (vol. 49, n˚ 2).

Décolonisation et revitalisation

Au cours des dernières années, plusieurs collaborateurs de RAQ se sont ainsi penchés sur les enjeux liés à l’exploitation des ressources naturelles. D’autres thèmes juridiques commencent toutefois à peine à s’y frayer un chemin. On peut sans doute s’attendre à ce que les impacts historiques et contemporains du droit sur les femmes autochtones, examinés notamment par l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, fassent l’objet d’études spécifiques au cours des prochaines années. De même, les approches décoloniales du droit qui se sont développées depuis une dizaine d’années dans la foulée des recherches menées par des juristes tels que John Borrows, Val Napoleon ou Hadley Friedland, inspireront certainement de futurs travaux dans RAQ.

Parmi ces chercheurs, ceux qui se pencheront sur la revitalisation des traditions juridiques autochtones pourront d’ailleurs se référer à certains travaux ethnologiques que l’on retrouve dans la revue dès les années 1980 et qui abordent aussi bien le droit traditionnel des Inuit (Dorais 1984) que celui des Mohawks (Dickson-Gilmore 1991 ; Deer 1999) et des Anicinapek (Roark-Calnek 1993 ; Leroux 2009), ou qui portent un regard plus large sur la notion de droit foncier autochtone, comme dans le dossier « Diversité et altérité d’identité et de territoire » dirigé par Gentelet, Webber et Noreau (vol. 46, nos 2-3).

Quant à l’approche critique des structures juridiques, elle est déjà très présente dans RAQ, comme dans cet article de Pierrot Ross-Tremblay et de Nawel Hamidi qui fait le point sur le droit à l’autodétermination des peuples autochtones et sur les enjeux liés à l’extinction des droits au coeur des négociations territoriales (Ross-Tremblay et Hamidi 2013). Les deux chercheurs rappellent à quel point « ce sont les fondements colonialistes et ethnocentristes qui imprègnent toutes les relations de la Couronne avec les Premiers peuples du Canada », une affirmation qu’ils étayent par une vaste démonstration historique et qui les amène à conclure que « le processus actuel des négociations territoriales globales n’est pas garant d’un meilleur avenir pour les Premiers peuples » puisqu’il demeure « un processus à sens unique d’assimilation et de renforcement de la souveraineté absolue de l’État canadien ». Ils en appellent ainsi à un changement de paradigme favorisant « un processus de revitalisation culturelle au sein même des Premiers peuples, ce qui aurait pour effet de renouveler leur capacité d’autodéfinition et d’auto-opérationnalisation de leurs droits ».

Cette incursion finale dans la décolonisation et l’approche critique du droit permet de réaliser l’ampleur du chemin parcouru depuis les balbutiements du droit moderne des peuples autochtones au tout début des années 1970, au moment même où RAQ voyait le jour. Comme on a pu le voir, les auspices engagés par cet acte de naissance ont très tôt amené les collaborateurs de la revue à se pencher sur les questions politico-juridiques qui agitaient leur époque. Ils n’ont cessé de le faire jusqu’à aujourd’hui, enrichissant au passage la connaissance du droit en tant que sujet d’étude et, plus récemment, en tant que discipline. Au fil des ans, les évolutions, mutations et transformations du droit se sont ainsi reflétées dans les travaux menés par une vaste diversité de chercheurs, parmi lesquels on compte désormais – contrairement aux débuts de la revue – plus de juristes (ou de chercheurs intéressés aux questions juridiques) que d’ichtyologistes ! Compte tenu du rôle majeur tenu par le droit, aussi bien comme système structurant les oppressions coloniales historiques que comme instrument de protection, voire de libération de ces contraintes, il semble raisonnable de prophétiser que cette réalité se poursuivra au cours des prochaines années.