Résumés
Résumé
La vallée de la rivière Saint-François a été occupée depuis au moins 10 000 ans avant aujourd’hui par des chasseurs de la culture Plano, et le site Cascades 5 contribue à combler un hiatus culturel important entre 8000 et 10 000 ans avant aujourd’hui avec une occupation associée à l’Archaïque ancien. L’enfouissement des vestiges exigeait une lecture pédologique pour confirmer la présence d’un horizon enfoui. Le matériel archéologique présente de fortes similitudes avec les assemblages rattachés à la tradition de l’Archaïque du Golfe du Maine. Une profusion d’outils unifaciaux, la majorité étant taillée dans du quartz, caractérise l’assemblage du site Cascades 5, témoignant d’une adaptation vieille d’au moins 10 000 ans si l’on se fie à l’âge obtenu sur une pierre chauffée à l’aide de la luminescence optique. L’adaptation aux ressources de l’intérieur par des groupes du centre-nord du Maine et de la rivière Saint-François durant les mois chauds confirme un réseau de contacts soutenus malgré la présence des montagnes frontalières. Ces groupes partageaient des choix techniques, un réseau lithique dominé par l’utilisation de rhyolites dont la provenance est confirmée par la géoarchéologie et probablement d’autres aspects culturels qui laissent peu de traces dans les sites archéologiques.
Mots-clés :
- archéologie,
- Estrie,
- Archaïque,
- culture matérielle,
- approche multidisciplinaire
Abstract
The Saint-François River Valley was occupied starting 10 000 years ago by hunters of the Plano culture. The Cascades 5 site contributes to fill a cultural void between 8000 and 10 000 years ago with an Early Archaic component. The depth of the artifacts required the input of a pedologist to confirm the existence of a buried soil horizon. The material culture shows striking similarities with assemblages belonging to the Gulf of Maine Archaic Tradition. A clear dominance of unifacial tools, mostly produced on quartz, characterizes the Cascades 5 site assemblage, which can be dated to around 10 000 years ago based on an optically stimulated luminescence date obtained from a fire-cracked rock. An adaptation to the resources of the interior of northern Maine and the Saint-François River Valley during warm months supports an image of strong contacts and a network that crossed the Boundary Mountains. These groups shared technological choices, a lithic source network of rhyolites confirmed by geoarchaeology, and probably other cultural traits that have left no traces on these archaeological sites.
Keywords:
- archaeology,
- Eastern Townships,
- Archaic,
- material culture,
- multidisciplinary approach
Resumen
El valle del rio Saint-François fue ocupado desde 10 000 años antes del presente por cazadores de la cultura Plano, y el sitio Cascades 5 permite llenar el hiato cultural entre los 8000 y 10 000 años antes del presente con la presencia de un componente del Arcaico temprano. La profundidad de los vestigios requirió de una lectura pedológica para confirmar la presencia de una capa enterrada. La cultura material presenta muchas similitudes con colecciones identificadas a la tradición del Arcaico del golfo de Maine. La profusión de herramientas unifaciales, mayormente talladas en cuarzo, caracteriza el conjunto del sitio Cascades 5, lo que atestigua de una ocupación de al menos 10 000 años antes del presente si se confía en la fecha obtenida sobre una piedra calentada por el método de luminiscente óptica. Una adaptación a los recursos del interior por grupos del norte de Maine y del valle del rio Saint-François durante los meses cálidos confirma la importancia de la red de contactos establecida a pesar de la presencia de montañas fronterizas. Estos grupos compartían opciones técnicas, un conjunto lítico dominado por la utilización de riolitas, cuya procedencia ha sido confirmada por la geoarqueología, y probablemente otros aspectos culturales que dejan pocas huellas en los sitios arqueológicos.
Palabras clave:
- arqueología,
- Estrie,
- Arcaico,
- cultura material,
- perspectiva multidisciplinaria
Corps de l’article
Le présent article a pour but de présenter les données obtenues sur un petit site situé le long de la rivière Saint-François dans la municipalité d’East Angus en Estrie. En plus de la description des vestiges culturels recueillis lors des fouilles, l’approche multidisciplinaire est au centre de cette recherche qui, dès le départ, voulait à la fois intégrer la pédologie, la datation radiométrique, la datation par luminescence optique sur des cailloux chauffés et éclatés par le feu, la géoarchéologie de certains matériaux, en particulier une rhyolite pouvant provenir du New Hampshire, la zooarchéologie et l’anthracologie. Tous ces aspects seront abordés dans cet article de façon concise, ce qui permettra de synthétiser ce corpus de données pour mieux situer les habitants du site Cascades 5 (code Borden : BiEw-7) dans un contexte culturel débordant largement l’Estrie. Nous essaierons de démontrer les liens entre la culture matérielle de cette composante estrienne avec la tradition de l’Archaïque du Golfe du Maine, dont les dates calibrées s’échelonnent entre 10 450 et 6800 ans avant aujourd’hui (Robinson 1992 ; Will 2015) et qui présente une forte carence en outils bifaciaux, une utilisation dominante du quartz et un recours à des outils polis qui la distinguent nettement du Paléoindien récent. Cette tradition de l’Archaïque du Golfe du Maine, associée à une adaptation aux ressources locales de l’intérieur des terres, s’étend vers le sud-est du Québec. Nous examinerons ici la contribution du site BiEw-7 au sein de cette tradition culturelle.
Le site BiEw-7, découvert il y a plus de quinze ans (Graillon 1999), pouvait contribuer à une meilleure connaissance des millénaires les plus anciens associés à l’Archaïque ancien, dont l’âge peut remonter jusqu’à 10 450 ans AA (AA = avant aujourd’hui ; toutes les dates sont calibrées). L’intervention sur le site BiEw-7 à l’été 2014 s’inscrit ainsi dans le cadre d’un projet de recherche à long terme sur la préhistoire des Cantons de l’Est et son peuplement – qui remonte à plus de 12 000 ans AA au Méganticois (Chapdelaine 2014, 2012a, 2012b, 2011, 2009a, 2007, 2004) et à plus de 10 000 ans AA dans le bassin de la rivière Saint-François (Graillon et al. 2012). Le cadre culturel et temporel de l’Estrie, qui se rapporte au Paléoindien, le plus ancien chapitre de l’histoire amérindienne au Québec, est à réviser depuis les récentes découvertes à Weedon et à Brompton (Graillon et al. 2012 ; Graillon 2014 ; Graillon et Chapdelaine 2015). Quant au site BiEw-7, il pourra nous permettre d’amorcer l’écriture d’un chapitre méconnu en Estrie sur l’Archaïque ancien, dont l’âge pourrait remonter jusqu’à 9500 ans AA.
Au total, 37 sondages ont permis de délimiter et révéler le potentiel du site Cascades 5 (Graillon 1999). La principale caractéristique de ce petit site était la présence d’une couche avec des artefacts enfouis entre 38 et 55 cm sous la surface du sol, un phénomène rare en Estrie, et qui pourrait être lié à une grande ancienneté. En outre, la présence de deux grattoirs en rhyolite du New Hampshire, un matériau présent sur le site paléoindien ancien Cliche-Rancourt (Chapdelaine 2007 ; Burke et al. 2014 ; Burke et Chapdelaine 2009), pouvait aussi être considérée comme un indice chronologique fort. La présence de pierres chauffées et de petits fragments de charbon de bois à une telle profondeur laissait aussi croire en la possibilité d’identifier une structure et de la dater. Les charbons ont été soumis à la méthode du carbone quatorze et les pierres chauffées à la méthode de la luminescence optique. Ces trois éléments faisaient du site BiEw-7 un site archéologique très prometteur. Il a toutefois fallu attendre seize ans pour y retourner dans le but de vérifier son potentiel. À la lumière de l’ensemble des données, il est possible d’envisager en Estrie un premier site de l’Archaïque ancien dont l’âge se situe à la fin de cette période, soit vers 8800 ans AA. Le contexte écologique de ce site remontant à cette époque servira donc de cadre environnemental à notre étude.
Le cadre physique et écologique
La position géographique du site BiEw-7 est associée au piémont des Appalaches et elle occupe une section aux nombreux méandres de la rivière Saint-François. Le site est loin de la limite de la transgression marine de la mer de Champlain, et les lacs proglaciaires devenus post-glaciaires avaient depuis longtemps disparu quand le groupe de l’Archaïque s’est installé sur la terrasse bordant la rivière Saint-François il y a 8800 ans AA (Larocque et al. 2005). À cette époque, le rebondissement isostatique était pratiquement terminé et le niveau des eaux devait être fort semblable à celui qui prévaut aujourd’hui. Quant au couvert forestier, il correspond à une zone de transition entre les forêts dominées par les sapinières et les érablières (Richard 2007). La terrasse de 175 mètres au-dessus du niveau de la mer était habitable depuis déjà deux ou trois millénaires, comme le démontre la présence d’un site de la culture Plano à Brompton le long de la même rivière Saint-François et à une altitude inférieure évaluée à 140 mètres au-dessus du niveau de la mer.
La position écologique du site BiEw-7 est associée à la plaine alluviale de la rivière Saint-François qui reçoit en amont les eaux de la rivière Eaton (fig. 1). Le site est situé plus ou moins au centre d’un long méandre, occupant la pointe du côté nord de la rivière. En date du 19 juin 2014, l’altitude du site est évaluée à 175 mètres au-dessus du niveau de la mer et à trois mètres au-dessus de la Saint-François. Le niveau actuel de la rivière Saint-François n’est pas naturel ; il est contrôlé par plusieurs barrages. La terrasse sur laquelle se situe le site est la plus basse et relativement bien drainée. Vers le nord, la terrasse est plane et humide. L’altitude augmente graduellement pour atteindre la haute terrasse qui se dresse à environ 205 mètres au-dessus du niveau de la mer et à plus de 250 mètres du rivage de la Saint-François. Ce paysage dominé par deux terrasses probablement construites par les eaux de la rivière nous laisse entrevoir un haut niveau lié à la vidange des lacs post-glaciaires puis à la mise en place du chenal principal de la rivière Saint-François. Sans connaître le niveau naturel de la Saint-François, il est possible de présumer que son niveau actuel ressemble à celui des 10 000 dernières années. L’absence de terrasses intermédiaires appuie cette hypothèse. La terrasse du site BiEw-7 surplombait de trois mètres la Saint-François en juin 2014 et cette altitude semble à première vue suffisante pour assurer l’habitabilité du lieu durant la saison estivale. Il faut souligner que le niveau de la rivière Saint-François devait fluctuer davantage il y a 8800 ans AA et qu’un bas niveau des plans d’eau par rapport à l’actuel était peut-être présent dans la région comme c’était le cas dans le secteur du lac Mégantic (Loewen et al. 2005) et ailleurs dans le sud du Québec (Lavoie et Richard 2000). À une échelle plus continentale, l’Holocène ancien est considéré comme une période marquée par une température plus chaude et un climat plus sec, entraînant une baisse du niveau des lacs (McWeeny et Kellogg 2001 : 203).
L’occupation de cette terrasse, bordée à l’est et à l’ouest d’un petit ruisseau intermittent, se limite à un carré de 6 mètres en excluant un sondage positif isolé dans le coin nord-est (fig. 2). Le centre de l’occupation est sur le sommet d’une petite butte à une dizaine de mètres en retrait de la rivière et s’étendant jusqu’au bord de la terrasse qui se trouve à seulement 4 mètres des eaux de la Saint-François.
Les fouilles de 1998 ont été effectuées dans le cadre d’un inventaire pour la municipalité d’East Angus (Graillon 1999). Les sondages ont d’abord permis de confirmer une présence humaine sur cette petite butte, comme ailleurs sur la même rive où quatre autres sites ont été recensés. Après la découverte d’artefacts à une profondeur atteignant plus de 40 cm, une fouille ouverte couvrant 1,5 x 3 m a permis de mettre au jour une couche enfouie marquée à l’est par une tache de couleur rouille et à l’ouest par une concentration de charbons et quelques pierres chauffées. Les fouilles de 2014 consistaient essentiellement à agrandir l’aire ouverte vers l’est et l’ouest. Nous espérions ainsi confirmer les deux structures potentielles tout en fouillant le secteur avec la plus forte densité artéfactuelle.
Les fouilles de 1998 couvraient une surface de 9,25 m2, et l’intervention de 2014 a permis de fouiller 5,25 m2 pour un total de 14,50 m2. Ce total correspond à environ 40 % de l’aire d’occupation centrale du site BiEw-7. Nous avons donc affaire à un petit site, et la fouille couvre un espace pouvant être considéré comme représentatif.
La stratigraphie et l’hypothèse d’un horizon enfoui
À ce projet archéologique, nous avons ajouté une facette scientifique supplémentaire en intégrant la pédologie comme ce fut le cas au site Cliche-Rancourt. La profondeur à laquelle se situe la majorité des indices de l’occupation humaine, entre 38 et 55 cm sous la surface, est comparable à la situation rencontrée au site Cliche-Rancourt où l’apport de la pédologique a été très profitable (voir Courchesne et al. 2012 ; Masse et al. 2010). Il faut souligner ici que le site BiEw-7 est l’un des rares sites de l’Estrie à présenter un tel enfouissement de vestiges culturels (pl. 1). En plus de la profondeur des vestiges, l’intérêt du site BiEw-7 réside dans la densité des témoins culturels avec la mise au jour de cent soixante-dix témoins culturels au mètre carré.
Le type de sol rencontré sur BiEw-7 est un podzol. La stratigraphie a été perturbée par les usages agricoles du site au milieu du xxe siècle. Le Ah est considéré comme un Ap, et le Ae présent à la grandeur du site varie en épaisseur et en forme en fonction des chablis ayant affecté les trente premiers centimètres. L’horizon organique est mince (généralement moins de 10 cm) et il couvre un matériel parental minéral constitué de sable dont l’épaisseur demeure inconnue. Le sondage le plus profond a atteint 80 cm, et la roche en place n’a pas été atteinte. Les différents horizons minéraux sont décrits dans la prochaine section. Retenons ici la succession des horizons : le Bf pour le sable orangé, le Cg ou BCg pour le sable pâle, le II Bfb pour ce que nous prenions pour une couche de couleur rouille et, finalement, le II Cg qui correspond à un sable grossier et humide (fig. 3).
La concentration des vestiges culturels entre 38 et 55 cm de profondeur enregistrée en 1998 avait permis de postuler l’hypothèse d’une couche enfouie, ancienne et plus ou moins intacte, et d’identifier deux structures potentielles. Les résultats archéologiques de 2014 indiquent qu’il n’y a pas de structure dans la partie est associée à la couche II Bfb et que la partie ouest ne recelait pas d’aire de combustion, mais plutôt une petite lentille de terre noire naturelle avec du charbon et des pierres chauffées et éclatées aux alentours sans former de foyer. La même concentration des vestiges a été enregistrée entre 40 et 60 cm de profondeur sous la surface actuelle et l’hypothèse d’une couche enfouie est davantage une possibilité aux yeux des archéologues. La parole est maintenant aux pédologues afin de révéler l’impact de la cryoturbation (le processus de gel et de dégel du sol) et autres perturbations tout en examinant la nature des sols et de vérifier la présence d’un ancien horizon enfoui par suite des inondations de la rivière Saint-François au cours des millénaires après l’abandon du site.
La contribution de la pédologie
Échantillonnage sur le terrain et analyses en laboratoire
Le terrain a été réalisé le 16 juin 2014 dans les puits 13N-61W et 13N-64W (fig. 4). Trois des parois de ces deux puits ont été décrites et échantillonnées, soit les parois nord (six horizons) et est du quadrant NW du puits 13N-61W (huit horizons) et la paroi nord du quadrant SE du puits 13N-64W (cinq horizons). Les observations montrent que les profils des parois est et nord du quadrant NW du puits 13N-61W contiennent, à environ 40 cm de profondeur, une bande orangée d’une dizaine de cm d’épaisseur dont la position, sous l’horizon Cg ou BCg de ces profils, appelle une explication (fig. 3 et pl. 2). L’hypothèse de travail est qu’il s’agit d’horizons enfouis qui sont les témoins d’une pédogenèse passée. Dans ce contexte, le sol de la paroi nord du quadrant SE du puits 13N-64W a été prélevé à titre de profil de référence afin de caractériser la pédogenèse locale. Dans le cas des parois est et nord du puits 13N-61W, la question de recherche est donc de savoir si la variabilité en profil des propriétés chimiques et physiques des horizons confirme, ou non, l’hypothèse de travail.
Les propriétés chimiques et physiques ont été déterminées en laboratoire pour les 19 échantillons des trois profils de sol. La couleur, la densité, le pH dans l’eau, le contenu en carbone organique (C org) ainsi que les concentrations en aluminium, fer et silice extractibles au pyrophosphate de sodium (Alp, Fep), à l’oxalate d’ammonium acide (Alo, Sio) ou à la dithionite-citrate (Fed) ont été mesurés[1]. Les 19 échantillons de sol ont été séchés à l’air puis tamisés à 2 mm avant les analyses.
Propriétés morphologiques des profils de sol
Les trois profils des deux puits sont composés d’une séquence de deux matériaux parentaux d’origine fluviale se distinguant par la couleur, la densité et la texture. Le premier (30 premiers cm), dans lequel se trouvent les horizons Cg, IIBfb, IICg (parois nord) et BCg, IIBfb et IIC (paroi est), a une couleur jaunâtre (2.5Y), une texture de loam sableux et une densité se situant entre 0,9 et 1,0 g cm-3. Dans la partie supérieure on observe un sable loameux orangé (10YR), d’une densité inférieure à 0,8 g cm-3 et dans lequel les horizons Ap, Ae, Bf et Bfu se sont développés (voir tab. 1). La surface de tous les profils a subi des perturbations physiques et est occupée sur 5 à 6 cm par des matériaux déplacés lors du creusage du puits, d’où l’absence de la tranche 0 à 5 ou 6 cm dans les descriptions présentées au tableau 1.
L’observation de la section non perturbée des trois profils de sols révèle une genèse de type podzolique. Cette pédogenèse s’exprime dans les deux matériaux parentaux et est affectée par les contrastes physiques existant entre les deux. Elle impose des transformations chimiques, sans pour autant oblitérer leurs traits morphologiques distinctifs. Dans la première portion des profils (40 premiers cm), la podzolisation a entraîné la mise en place d’un horizon orangé Bf qui, quoique mince, atteint l’épaisseur minimum de 10 cm requise pour les podzols (voir tab. 1). Cet horizon illuvial riche en oxydes de fer et d’aluminium repose sur un horizon BC ou C et est surmonté d’un horizon éluvial Ae continu, gris pâle et souvent mélangé au Ap. En surface, l’omniprésence du Ap signale des activités agricoles récentes et proximales. Dans la seconde portion du profil (sous 40 cm) des parois est et nord du puits 13N-61W NW, on constate la présence d’horizons affectés par la pédogenèse (IIBfb, où le b signale l’enfouissement) situés sous un horizon Cg ou BCg. Ces horizons enfouis reposent à leur tour sur un IICg portant des marques de gleyification.
Au site BiEw-7, la podzolisation s’accompagne d’un ensemble de processus ayant entraîné la perturbation physique et chimique du sol ; actuelle ou récente. Les principaux indicateurs de pédoturbations incluent : a) une fourmilière à l’interface des horizons A et B du profil de la paroi est du puits 13N-61W NW expliquant la pénétration du Ae dans la partie haute du Bf ; b) des vers de terre dont l’action est en particulier attestée par l’existence de crotovines (anciennes galeries creusées dans le sol par un animal et qui se sont remplies de matières organiques ou de matériaux d’un autre horizon) plongeant jusqu’à l’horizon IICg dans le profil de la paroi nord du puits 13N-64W SE ; c) la présence d’un horizon Ap à la surface de tous les profil du puits, ainsi que dans plusieurs profils des environs immédiats du site, qui signalent des perturbations dues au labour. S’ajoute l’effet du développement du réseau racinaire des arbres sur le sol qui provoque, en raison de l’usage répété du même réseau de vides par des générations successives de racines, la formation de macropores permettant le transfert latéral et vertical de matières, dont les substances organiques, dans le profil.
Propriétés chimiques et physiques des sols
Le sol des parois est et nord du puits 13N-61W NW présente un profil de densité marqué par un point de rupture situé à environ 30 cm de profondeur où la densité augmente brusquement (voir tab. 1). Dans les trois profils du site BiEw-7, le pH est acide, atteint un minimum dans l’horizon Ae puis augmente avec la profondeur en profil jusqu’à un maximum de 5,14. Le contenu en C organique suit un patron caractéristique des sols forestiers acides avec une valeur élevée dans l’horizon Ap, une baisse très nette dans le Ae, à laquelle succède une hausse dans la portion supérieure du B, suivie d’une baisse progressive de la concentration vers l’horizon BC ou le C. Dans les profils est et nord du puits 13N-61W NW, une nouvelle augmentation du contenu en C organique du sol apparaît au-delà d’une profondeur de 40 cm (tab. 1). Cette tendance est absente du profil nord du puits 13N-64W SE. Dans le cas de l’horizon IIC du profil est de 13N-61W NW, cette forte hausse est associée à une zone profonde d’accumulation et de décomposition de racines qui agissent comme une source de carbone.
Les variations en profil des concentrations en Al et Fe extractibles au pyrophosphate épousent celles du C organique dans les trois sols, soulignant la dynamique de translocation conjointe de la matière organique et d’Al et Fe sous la forme de complexes dissous (Courchesne et Hendershot 1997). On remarquera la forte hausse des concentrations en Alp et Fep dans le profil nord de 13N-61W NW. La distribution du contenu en oxydes inorganiques de Al (Alo) et Fe (Fed), dont l’abondance est particulièrement prononcée, suit la même tendance. L’estimation de la concentration en oxydes de Fe cristallins (Fec = Fed-Fep) montre le même patron dans les profils est et nord du puits 13N-61W NW. Le contenu en Sio, qui reflète la présence de phases amorphes inorganiques de Si, se distingue de ceux d’Al et Fe par de plus faibles niveaux dans les horizons A ainsi que par des augmentations marquées à la base des profils. Pour l’ensemble des patrons de C, Al, Fe et Si, le comportement des profils est et nord du puits 13N-61W NW diffère de celui de la paroi nord du puits 13N-64W SE qui ne contient pas de point rupture dans le profil des concentrations.
Les propriétés chimiques mesurées dans ces sols sont, pour l’essentiel, le fruit de la podzolisation du matériel parental et confirment l’appartenance des sols du site d’East Angus à l’ordre des Podzols, plus précisément au sous-groupe des podzols humo-ferriques gleyifiés (Groupe de travail sur la classification des sols 2002). Toutefois, la présence à environ 40 cm de profondeur d’une zone marquée par une soudaine et significative augmentation des concentrations en C organique et en Al, Fe et Si extractibles intrigue et mérite une attention particulière.
Présence d’un profil de sol enfoui ?
Les observations réalisées au site BiEw-7 posent la question des processus qui expliquent la hausse des concentrations en C organique et en Al, Fe et Si extractibles constatée à environ 40 cm dans les profils est et nord du puits 13N-61W NW. Deux mécanismes pédogénétiques représentent les candidats les plus plausibles.
La gleyification affecte les profils de sols où le battement récurrent et cyclique de la nappe phréatique entraîne la mise en place de successions saisonnières de conditions réductrices et oxydantes dans une portion importante du profil (Schaetzl et Anderson 2005). Au site BiEw-7, la proximité d’un cours d’eau majeur, la rivière Saint-François, autorise la mise en place de tels cycles dans les sols riverains. La conséquence de ces cycles est le développement d’une séquence verticale de trois zones dans le sol. La première est une zone réduite de teinte grise située au bas du profil. La zone intermédiaire est dominée par le battement de la nappe phréatique et voit se succéder des conditions réduites et oxydantes qui occasionnent la formation de taches orangées sur une matrice de teinte grise. La troisième zone est située près de la surface du profil et suit un régime oxydé caractérisé par une matrice orangée. La gleyification pourrait donc expliquer la distribution du fer dans le profil de sol, surtout la présence d’une zone profonde (40-50 cm) riche en fer issu de la précipitation d’oxydes dans les deux profils du puits 13N-61W NW (voir tab. 1). Cette zone des profils pourrait ainsi être interprétée comme porteuse de marques analogues à celles laissées par le battement de la nappe. Toutefois, lorsque l’on considère l’ensemble des propriétés consignées au tableau 1, on constate que la gleyification ne permet pas de justifier les variations verticales conjointes du C organique et de l’Al et Si extractibles.
La podzolisation est un mécanisme pédogénétique caractérisé par le déplacement conjoint du C organique et des métaux Al et Fe suivi de leur accumulation dans l’horizon B (McKeague et al. 1986 ; Ugolini et Dahlgren 1987). Elle est active à East Angus[2]. La podzolisation permet d’expliquer l’ensemble des observations portant sur les variations conjointes des concentrations en C organique, Al, Fe et Si dans les sols du site BiEw-7. Ce constat est vrai tant dans la portion actuelle du profil que dans les horizons enfouis où la hausse soudaine du contenu en Fe et Al extractibles s’accompagne aussi d’une hausse de C organique. Il en va de même pour le profil nord du puits 13N-64W SE, considéré comme le profil de référence de la pédogenèse locale actuelle. En outre, et à la lumière des informations livrées par les profils est et nord du puits 13N-61W NW, une pédogenèse de type podzolique a probablement été active dans le sol, aujourd’hui enfoui, au moment où celui-ci était exposé à l’interface sol-atmosphère. Ainsi, une podzolisation ancienne serait aussi à l’origine de la formation des horizons IIBfb et des horizons disparus.
En somme, la partie inférieure des profils est et nord du puits 13N-61W NW du site BiEw-7 (séquence IIBfb et IIC) est composée des résidus d’un profil de sol ancien qui a été tronqué – dont les horizons de surface ont été érodés et transportés au loin – et où ne subsistent, parmi tous les horizons mis en place par cette pédogenèse passée, que la partie la plus profonde des horizons B (IIBfb) et le IIC, gleyifié (IICg) ou non. La portion supérieure du profil, celle se déployant de 40 cm de profondeur à la surface actuelle du terrain, représente un nouveau cycle de pédogenèse podzolique dont l’évolution est postérieure à la sédimentation, par-dessus des horizons enfouis, du matériel parental le plus récent. Cette interprétation des propriétés chimiques observables dans les profils n’exclut toutefois pas la possibilité qu’il puisse y avoir eu, au fil des siècles et en marge de la Saint-François, plusieurs séquences d’érosion et de sédimentation au site d’East Angus et ce, avant que ne survienne la mise en place du matériel terminal, soit celui qui plombe aujourd’hui le sol enfoui. Si elles ont existé, ces séquences sédimentaires multiples n’ont cependant pas laissé de traces visibles sur les parois des puits du site BiEw-7.
Le matériel archéologique
Les vestiges culturels recueillis sont essentiellement des objets lithiques auxquels s’ajoutent 43 os blanchis. Nous avons trouvé un total de 2473 éléments lithiques (tab. 2). De ce nombre, nous avons identifié 51 outils taillés, 9 outils polis et 14 nucléus. Sauf deux possibles ébauches, tous les outils taillés sont des unifaces. Nous dénombrons 30 outils en quartz en plus des 13 nucléus, 15 outils et un nucléus en rhyolite, 4 outils en schiste ardoisier rouge et 2 outils en chert gris. Aucun outil n’est diagnostique d’une période, et il est à noter que les fouilles de 2014 n’ont pas permis de mettre au jour un outil poli. Toutefois, l’intervention de 1998 (Graillon 1999) avait permis la récupération d’une ébauche de hache et d’une pièce polie fragmentée pouvant être une barre ou un bâtonnet (en anglais rod). La collection lithique compte également 7 percuteurs dont deux de forte taille ayant pu servir pour broyer ou marteler. Le type d’outil dominant est le grattoir suivi des éclats utilisés et des pièces esquillées (tab. 2). Quant au débitage, il est fortement dominé par le quartz, et l’ensemble des rhyolites correspond à 10 % des effectifs.
L’outillage
Le type d’outil dominant est le grattoir suivi des éclats utilisés et des pièces esquillées (tab. 2). Les outils sont majoritairement composés d’outils grattants ou raclants. Les pièces esquillées sont produites exclusivement dans du quartz alors que le chert gris foncé et le schiste ardoisier ont servi uniquement de support aux éclats utilisés.
Sur le plan chronologique, les grattoirs nous renseignent très peu car ils sont tous sur éclat avec un front nettement aménagé en bout à l’aide de courtes retouches abruptes. Les 21 grattoirs identifiés sont majoritairement en quartz (n = 15), tous les autres sont en rhyolite du New Hampshire (pl. 3 et 4). L’intégrité des grattoirs varie selon les deux matériaux utilisés ; le front est complet 9/15 pour les quartz et 4/6 pour la rhyolite. L’un des grattoirs, aménagé sur un éclat en rhyolite, a un front actif quasi complet. Seulement trois grattoirs en rhyolite ont encore leur talon, deux sont unis et l’autre est dièdre. La superficie varie entre 600 et 1400 mm2, ce qui indique sans détour une sélection d’éclats en rhyolite suffisamment grands et épais pour être transformés en grattoirs.
Les quinze grattoirs aménagés sur des éclats de quartz présentent rarement un talon ; quatre sont unis et le cinquième est indéterminé. Nous avons identifié trois variétés : vitreux (n = 7), laiteux (n = 7) et un seul grattoir aménagé sur un quartz hyalin ou cristal de quartz. La superficie des éclats varie énormément, allant de moins de 200 mm2 à plus de 1200 mm2. La superficie la plus commune est entre 200 et 300 mm2 avec huit grattoirs. Le front est incomplet à neuf reprises, mais l’épaisseur est toujours appréciable avec une moyenne de 6 mm pour 13 grattoirs, ce qui exclut le grattoir en quartz hyalin au front incomplet et le gros grattoir rabot avec un front anormalement épais de 15,4 mm.
Les dimensions des grattoirs varient en fonction du matériau utilisé. La moyenne, l’écart-type et le coefficient de variation (CV) indiquent une plus grande homogénéité des grattoirs en quartz quand le gros grattoir est retiré des calculs. Les grattoirs en rhyolite ont un front aussi épais que ceux en quartz et des dimensions plus étendues (tab. 3).
Les grattoirs en quartz caractérisent le coffre à outils des occupants de BiEw-7, et les six grattoirs en rhyolite ouvrent une fenêtre sur un réseau d’échanges avec les régions au sud si le matériau provient réellement du New Hampshire. Cette rhyolite peut-elle provenir du New Hampshire et pouvons-nous l’identifier à une source connue telle que le mont Jasper (Boisvert 2012 ; Pollock et al. 2008a, 2008b ; Burke 2006, 2007) ? Notre identification par l’observation macroscopique a été confirmée par une analyse géoarchéologique menée par Adrian Burke pour déterminer la provenance de cette rhyolite, comme nous le verrons dans la prochaine section.
La catégorie des grattoirs est dominante parmi les outils aménagés. Cette prépondérance des outils unifaciaux, surtout en quartz, et l’absence ou la rareté d’outils bifaciaux indiscutables constituent deux éléments permettant un rapprochement avec la tradition de l’Archaïque du Golfe du Maine (Robinson 2006, 1992).
Les quatre racloirs sont très variés sur le plan de l’aménagement : trois sont en rhyolite, et le quatrième en schiste ardoisier rouge. Deux spécimens sur éclat incomplet pourraient être classés dans la catégorie des éclats retouchés (pl. 5). C’est l’épaisseur du front qui appuie notre identification avec respectivement 1,9 mm et 3,1 mm pour ces deux racloirs. Quant au troisième racloir en rhyolite, il est sur gros éclat, et il a deux fronts alternes. Ses dimensions sont 77 x 49 x 14 mm et une épaisseur du front évaluée à 4,2 mm. Le front le plus épais aménagé sur le racloir en schiste ardoisier rouge fait à peine 2,5 mm. Cette grande plaquette a une superficie supérieure à 1400 mm2, ses dimensions sont 69 x 38 x 5,2 mm et elle présente des traces d’utilisation discontinues sur le reste de son pourtour.
Les pièces esquillées ne sont pas diagnostiques d’une période, mais elles sont souvent présentes quand un groupe utilise régulièrement le quartz pour fabriquer des outils (Chrétien 2003). Cette catégorie se définit par une utilisation de deux tranchants opposés. Les sept pièces esquillées ou coins pour fendre, en quartz, ont des supports variés : deux semblent être d’anciens grattoirs, deux autres sont sur des nucléus épuisés et les trois autres sont faits sur de simples éclats (pl. 6). Le quartz vitreux est utilisé quatre fois et le quartz laiteux trois fois. La superficie varie entre les catégories 100-200 mm2 et 500-600 mm2, et c’est la catégorie 200-300 mm2 qui est la plus fréquente avec quatre sujets. Le talon est présent sur seulement deux éclats et il est uni. Les pièces esquillées sont plus longues, plus étroites et un peu plus minces que les grattoirs en quartz (voir tab. 2). La largeur plus faible peut s’expliquer par la présence de cassures longitudinales typiques de l’utilisation des supports comme coins à fendre sur les deux pièces esquillées les plus étroites. L’identification de cette catégorie demeure ambiguë et l’utilisation de la taille bipolaire pour travailler le quartz vient brouiller la lecture des traces d’utilisation. Une extrémité présente des esquilles ou un tranchant écrasé opposé à une extrémité martelée.
Les éclats utilisés sont souvent associés à diverses activités domestiques souvent liées à la transformation, et leur grand nombre dans un assemblage peut également signifier la volonté des occupants d’économiser leurs outils formels comme les grattoirs et les racloirs (Chapdelaine 2012a : 151). Sur le site BiEw-7, les 18 pièces utilisées (16 éclats et deux galets) ne semblent pas représenter un souci d’économie, mais plutôt une diversité des matériaux (pl. 7 et 8). En effet, les trois éclats utilisés en schiste ardoisier rouge et les deux en chert gris foncé s’ajoutent aux cinq éclats utilisés en rhyolite, dont deux du mont Kinéo, et aux huit en quartz pour constituer la catégorie d’outils la plus commune après les grattoirs. Ce type d’outil a généralement une courte vie et il est difficile de l’identifier sur les éclats de quartz car les traces sont peu visibles et difficiles à confirmer. Les huit éclats utilisés en quartz sont les exemples les plus probants et plusieurs autres ont été laissés de côté, faute de preuves concluantes. Une étude plus poussée du débitage de quartz par un tracéologue pourrait certainement augmenter le nombre de tranchants utilisés par les habitants de BiEw-7.
En tenant compte de l’intégrité des supports, les éclats utilisés en rhyolite ont une superficie variant entre 400 et 1000 mm2, ceux en chert ont de 400 à 600 mm2, les trois en schiste ardoisier rouge de 1200 à plus de 1400 mm2, et les huit en quartz de 300 mm2 à 1400 mm2. Ces superficies illustrent très bien la sélection d’éclats de grands formats quand un individu a besoin d’un support pour racler, gratter, scier ou couper dans un contexte domestique expéditif. Les éclats de petit format semblent ainsi négligés. Les traces d’utilisation se trouvent en bout à cinq reprises, sur les côtés à onze reprises, et deux cas sont difficiles à orienter. Ces traces se trouvent sur la face dorsale 11 fois et sur la face ventrale à 7 occasions. Seulement treize éclats avaient encore leur talon : 8 unis, 1 dièdre, 3 écrasés et 1 arrondi et émoussé sur schiste ardoisier rouge.
Les deux ébauches de biface, une en rhyolite du New Hampshire (BiEw-7.101) et la deuxième en quartz (BiEw-7.78), sont les seuls candidats possibles pour attester la présence d’une industrie bifaciale sur Cascades 5 (pl. 9). Le fragment BiEw-7.102 en rhyolite du New Hampshire est vu désormais comme un nucléus multidirectionnel, tandis que le spécimen BiEw-7.100 est considéré comme un racloir double. Les deux fronts aménagés sur deux faces laissaient croire à une tentative de biface récupéré pour aménager un racloir. Quant au fragment mésio-latéral de biface en quartz, les enlèvements ne sont pas très nets, comme c’est souvent le cas sur le quartz vitreux, et c’est avant tout la section biconvexe qui nous incite à proposer cette classification. Au départ, ce fragment a été considéré comme un éclat utilisé et il est comptabilisé comme tel dans le tableau 2. À la lumière de ces quatre objets, la présence d’une véritable industrie bifaciale sur BiEw-7 n’est pas convaincante et nous analyserons les éclats de débitage des matériaux autres que le quartz pour vérifier la présence d’éclats typiques de la réduction bifaciale.
Les outils polis sont présents dans la collection. Le premier est une amorce de hache dont la surface semble tachée de rouge, peut-être de l’ocre, mais il n’y a pas de résidu, seulement une coloration (pl. 10). L’amorce de hache est de bon calibre, 156 x 59 x 21 mm, et elle ne présente pas un véritable aménagement d’une partie active. Deux éclats détachés du même côté semblent être le résultat du gel et du dégel. Cet objet a été trouvé à 20 cm sous la surface actuelle dans le puits 12N-63W (quadrant NE) – une position associée à la partie perturbée de la couche supérieure. Il est donc impossible de proposer une association nette avec l’ensemble des indices matériels de l’occupation humaine qui se situe à plus de 35 cm de profondeur, mais nous ne pouvons pas non plus l’exclure.
Le deuxième objet poli trouvé dans le puits 12N-61W (quadrant NW) dans un niveau arbitraire de 35 à 45 cm est, quant à lui, associé à l’occupation principale (voir pl. 10). Le polissage est faible et la forme en bâtonnet est suggestive. Le fragment présente une forme allongée, 81 x 17 x 13 mm, et une carène semble nettement avoir été obtenue par polissage. La forme rappelle les « ground stone rods » trouvés dans les sépultures et sites de l’Archaïque de la tradition du Golfe du Maine (Robinson 2006, 1992 ; Sanger et al. 2001).
Ces deux objets sont les seuls témoins d’une industrie de la pierre polie sur le site BiEw-7, ce qui ne fragilise pas l’association des habitats de l’Estrie à la tradition de l’Archaïque du Golfe du Maine puisque la présence des outils polis varie énormément et qu’elle est plus affirmée dans les cimetières. En outre, la prépondérance des outils unifaciaux, surtout en quartz, et l’absence ou la rareté d’outils bifaciaux indiscutables constituent deux éléments permettant un rapprochement avec la tradition de l’Archaïque du Golfe du Maine (Robinson 2006, 1992).
Les percuteurs complètent l’outillage du site BiEw-7. Le quartz a été utilisé à quatre reprises comme percuteur et le cinquième est en grès (pl. 11). Un percuteur en quartz (BiEw-7.12) présente une série d’enlèvements rappelant le début d’un nucléus. Deux percuteurs sont de gros calibre. Le premier, une roche ignée de forme quadrangulaire, aurait été davantage utilisé comme broyeur que comme percuteur (pl. 11) tandis que le gros galet à la surface patinée, une roche sédimentaire dense pouvant être un chert, présente de longs enlèvements et surtout une extrémité martelée de façon intense (pl. 12).
Le débitage
Les nucléus sont tous en quartz sauf une pièce en rhyolite du New Hampshire (pl. 13). Sans comptabiliser le percuteur pouvant être aussi un nucléus, nous comptons 13 nucléus en quartz dont la dimension varie beaucoup en fonction de leur état d’épuisement. Certains nucléus conservent toujours la forme d’un galet. Les dimensions résiduelles varient énormément. La longueur moyenne est 36 mm avec un écart-type de 15,2 mm et un coefficient de variation de 42,2 %. La largeur est tout aussi hétérogène avec une moyenne de 32 mm, un écart-type de 14,8 mm et coefficient de variation de 45,9 %. L’épaisseur présente les mêmes tendances : moyenne de 22 mm, écart-type de 7,8 mm et un coefficient de variation de 35,6 %. Les coefficients de variation sont très élevés comparés à ceux obtenus sur divers types de pointes de l’Archaïque et du Sylvicole à Pointe-du-Buisson, qui sont inférieurs à 23 % pour les trois dimensions (Clermont et Chapdelaine 1982 : 151). L’unique nucléus en rhyolite du New Hampshire est considéré comme multidirectionnel (voir pl. 13) et, malgré ses dimensions, 44 x 33 x 19,6 mm, son plan de frappe principal n’est plus visible.
Le débitage est nettement dominé par le quartz (voir tab. 2). Dans le but de vérifier la présence d’une séquence de réduction bifaciale, nous avons décidé de laisser le débitage en quartz de côté étant donné son utilisation parcimonieuse dans la production de bifaces, et d’analyser tous les autres matériaux présents sur le site. Nous avons ainsi analysé individuellement un total de 271 éclats. Les principaux matériaux sont la rhyolite du New Hampshire, la rhyolite du mont Kinéo, le chert, une rhyolite dont l’identification demeure indéterminée et, finalement, le schiste ardoisier rouge. Tous ces matériaux composent environ 12 % du débitage. D’ailleurs, le ratio débitage/outil est révélateur d’une taille anecdotique de ces matériaux et de l’état d’avancement des outils à leur arrivée sur le site (voir tab. 2). Les éclats analysés indiquent par leur superficie que la finition et la réjuvénation des outils constituaient la principale activité. En effet, 78 % des éclats ont une superficie inférieure à 200 mm2 (tab. 4).
Sur les 271 éclats, seulement 32,5 % (88/271) présentent un talon qui facilite le classement des éclats en divers stades de réduction. Plusieurs identifications sont ardues ; nous hésitons à quatre reprises entre un talon uni ou dièdre, une fois sur la possibilité d’un talon facetté, cinq talons sur des talons écrasés et une fois sur un talon érodé. Hormis ces onze cas problématiques, nous avons identifié 72 talons unis et six talons dièdres. Parmi les talons dièdres et celui pouvant être facetté, deux éclats semblent des éclats d’amincissement bifacial, et les deux sont en rhyolite du mont Kinéo (pl. 14). Ces deux éclats constituent de très maigres indices pour appuyer la présence d’une industrie bifaciale sur le site BiEw-7.
Deux derniers points méritent notre attention à propos du débitage. Le premier concerne la rhyolite du mont Kinéo. Cette matière, omniprésente sur la majorité des sites fouillés en Estrie, est transformée en bifaces depuis le Paléoindien récent (Spiess et Newby 2002 ; Chapdelaine 2007). Les 64 éléments en rhyolite du mont Kinéo rendent plus complexe la lecture du réseau d’échanges des occupants de BiEw-7 (voir pl. 14). L’envergure géographique du réseau d’approvisionnement devient plus importante en incluant au nord-est la région du lac Moosehead dans le Maine par la rivière Kennebec et le mont Jasper au New Hampshire par la rivière Androscoggin au sud-ouest. Nous y reviendrons.
Le deuxième point est la présence d’un gros éclat d’un matériau dense, sûrement sédimentaire, probablement un chert (voir pl. 14). Ce gros éclat présente une face corticale sans avoir été nettement utilisé. Une dizaine d’éclats de ce matériau, souvent avec la même face corticale, ont été identifiés lors de l’analyse. Il s’agit d’un petit événement qui nous rappelle le caractère opportuniste dans l’acquisition d’un matériau ramassé probablement dans la région.
Les os blanchis
L’intervention de 2014 n’a pas permis la récupération d’os blanchis. Les 43 spécimens ramassés en 1998 ont été examinés par Christian Gates St-Pierre. Les fragments étaient tous minuscules et quelques rares spécimens ont été identifiés comme appartenant à la catégorie des mammifères indéterminés ; les autres sont des restes osseux indéterminés auxquels on ne peut attribuer une classe animale précise. Il faut noter l’absence de poisson sur un site situé en bordure d’une rivière poissonneuse, mais on peut supposer que de prochaines fouilles pourront amener la découverte de restes osseux de la faune ichthyenne.
Géochimie et pétrographie de la rhyolite
Cinq artefacts ont été analysés afin de connaître leurs caractéristiques physicochimiques et ainsi confirmer leur origine (BiEw-7.4, 5, 29, 49, 77). Les cinq artefacts choisis (deux grattoirs BiEw-7.4 et BiEw-7.5, un éclat utilisé BiEw-7.29 et deux éclats) l’ont été à cause de leur ressemblance, macroscopique, avec la rhyolite provenant de deux sources du nord de l’État du New Hampshire (Boisvert 1992, 1998 ; Pollock et al. 2008a, 2008b). Il s’agit de la rhyolite de la région de Jefferson, trouvée sous la forme de blocs dans les dépôts de till, et de la rhyolite provenant du dike de la carrière préhistorique du mont Jasper à Berlin. Dans les deux cas, la rhyolite est souvent facile à identifier, car elle possède des bandes formées par des coulées et des sphérulites visibles à l’oeil nu. Nous avons analysé la géochimie de trois outils (BiEw-7.4, 5, 29, voir pl. 3 et 7) par fluorescence aux rayons X (FRX) au Laboratoire de caractérisation des matériaux archéologiques (Gauthier 2013), et nous avons produit des lames minces de deux éclats de débitage (BiEw-7.49, 77) afin d’analyser la pétrographie. Les résultats sont assez probants : les cinq artefacts peuvent être reliés de façon convaincante aux rhyolites du New Hampshire.
Les analyses FRX ont été faites suivant les protocoles publiés précédemment par notre laboratoire pour les roches siliceuses taillées (Gauthier et Burke 2011 ; Gauthier et al. 2012). La géochimie démontre clairement qu’il s’agit de roches ignées. Un diagramme Na2O+K2O versus SiO2 (Middlemost 1994) place les roches dans le domaine des rhyolites, alors qu’un diagramme Zr/Ti versus Nb/Y (Pearce 1996) place ces artefacts dans le champ des trachytes (roches évoluées et alcalines). Étant donné que les éléments chimiques utilisés dans le diagramme de Pearce sont plus stables ou robustes lors de la météorisation de la roche, on peut suggérer qu’il s’agit de trachyte sur le plan géochimique.
Un diagramme en araignée montre clairement que les trois éclats proviennent d’une même source et peut-être d’un même affleurement ou bloc (fig. 5). Les différences visibles entre les trois artefacts sont probablement dues à l’altération de la roche lors de sa météorisation. Nous avons procédé à une comparaison géochimique avec nos échantillons géologiques provenant de Jefferson ou du mont Jasper, et aussi d’une rhyolite-trachyte provenant du site Cliche-Rancourt (Burke et al. 2014). La correspondance avec la rhyolite-trachyte de Cliche-Rancourt n’est pas très bonne et l’on peut exclure cette matière comme une source potentielle. Le seul échantillon que nous avons de la rhyolite de Jefferson s’en rapproche davantage que les échantillons de Cliche-Rancourt, mais la correspondance n’est pas satisfaisante. La correspondance géochimique la plus proche est avec nos trois échantillons géologiques provenant de la carrière du mont Jasper (échantillons prélevés sur l’affleurement par A. Burke). Si l’on tient compte de l’altération des artefacts et de la variabilité géochimique naturelle au sein de l’affleurement, on peut proposer que nos trois éclats proviennent du mont Jasper.
Une analyse pétrographique inédite réalisée par A. Burke a permis de voir si les caractéristiques pétrographiques (minéraux, structures) des deux éclats de débitage (BiEw-7.49 et 7.77) ressemblent à celles publiées par Pollock et ses collaborateurs pour les sources de Jefferson et du mont Jasper (Pollock et al. 2008a, 2008b). Après un examen des lames minces, les deux éclats ressemblent en tous points à la rhyolite de Jefferson et du mont Jasper. Les caractéristiques les plus importantes sont les coulées visibles qui forment des bandes de différentes couleurs (gris et beige à une échelle macroscopique, une fois altérées), et les sphérulites qui se concentrent dans certaines bandes (pl. 15). Nous n’avons pas trouvé de micro-phénocristaux de feldspath dans nos lames minces. Les structures de coulée et l’agencement des sphérulites favorisent plutôt le mont Jasper comme source potentielle.
Pour terminer, les analyses géochimiques et pétrographiques de ces cinq artefacts démontrent clairement qu’il s’agit d’une rhyolite-trachyte provenant de sources du nord de l’État du New Hampshire. Le nombre d’échantillons géologiques à notre disposition est limité, mais nous privilégions plutôt la source du mont Jasper où se trouve une carrière préhistorique utilisée de puis le Paléoindien ancien (Boisvert 2012). L’un des aspects rassurants de ces analyses physicochimiques est le fait que les identifications macroscopiques effectuées par les archéologues sur les artefacts fabriqués en rhyolite-trachyte du nord du New Hampshire sont sûres. Par contre, il faut toujours avoir des échantillons géologiques pour assurer la comparaison et aussi utiliser les descriptions détaillées de Pollock et al. (2008a, 2008b) afin de bien appuyer ces identifications macroscopiques.
Les distributions horizontales et verticales
Les fouilles étant limitées à un espace restreint, la distribution horizontale des vestiges a une portée limitée. Elle illustre essentiellement la concentration des indices dans la partie sud de la butte délimitée par la courbe de niveau de 175 mètres (voir fig. 2). Les outils (fig. 6) autant que le débitage (fig. 7) se conforment à un noyau central autour des puits 11-12-13N et 61 à 64W et on observe une diminution nette des effectifs en périphérie. Il est possible d’identifier plusieurs concentrations nettes. Le débitage présente une forte concentration dans la partie centre-sud de l’aire principale. C’est également dans cette concentration que se trouvent les quadrants les plus riches en outils. La distribution générale et la détection de quelques concentrations ne sont pas assez explicites pour appuyer l’idée de plusieurs occupations distinctes. Plus de 80 % des outils et du débitage compilés sur les figures 6 et 7 proviennent de la couche minérale, à savoir plus de 20 cm de profondeur. L’image obtenue est donc surtout celle des vestiges associés à la couche enfouie. En fonction des distributions horizontales disponibles, il faut accepter l’hypothèse d’une occupation principale concentrée dans un petit espace, le mieux drainé de la terrasse. Quant au nombre d’occupations, l’idée de plusieurs visites par le même groupe n’est pas impossible, mais avec une distribution aussi spatialement limitée, les visites se seraient succédé dans un laps de temps assez court.
Un dernier effort a été réalisé pour élucider la question du nombre d’occupations. Nous avons examiné la distribution des éclats des deux types de rhyolite en pensant que les tailleurs de ces matériaux, provenant de régions diamétralement opposées, seraient venus à deux moments différents (fig. 8). Or, la distribution des rhyolites du mont Kinéo et du New Hampshire est sensiblement la même malgré une présence plus nette de la rhyolite du mont Kinéo dans la partie ouest du site, et de la rhyolite du New Hampshire dans la partie est.
Le nombre de visites par un petit groupe de chasseurs-pêcheurs-cueilleurs pourrait être plus facile à identifier à partir des distributions verticales. Avant de porter notre attention aux données colligées, il est important de souligner que la couche organique (Ah et Ae) et la partie supérieure de l’horizon minéral (B) ont été perturbées par des labours au milieu du xxe siècle. De plus, le Ae présente, à l’occasion, des dépressions rappelant d’anciens chablis. En tenant compte de la couche enfouie située entre 38-40 cm et 60 cm de profondeur et dont les vestiges peuvent être plus ou moins en place, les vestiges trouvés dans les 35 premiers centimètres à partir de la surface pourraient définir une deuxième occupation ou appartenir à l’occupation enfouie. Ces vestiges trouvés dans la partie supérieure du dépôt auraient été arrachés à la couche inférieure par les chablis, les labours et autres phénomènes naturels entraînant ces objets vers le haut. Étant donné l’absence d’objets diagnostiques dans les deux couches, il est impossible de s’appuyer sur des fossiles directeurs pour trancher la question. Il n’y a pas de différences significatives entre les matériaux récupérés dans les deux couches.
Le nombre d’occupations ou la réoccupation des lieux à plusieurs reprises demeure une question difficile à résoudre. La distribution verticale des outils (tab. 5) et des éclats de débitage (tab. 6) est comparable. Le niveau arbitraire le plus riche se situe entre 50 et 60 cm sous la surface actuelle. À l’échelle des quadrants, le niveau 40 à 50 cm est le plus riche pour quelques-uns, mais ils demeurent minoritaires. Soulignons que ces quadrants se concentrent dans la partie est de l’aire centrale. En outre, la répartition des matériaux pour les outils et le débitage est également semblable, confirmant la nette domination du quartz (voir tab. 5 et 6).
L’absence de fragments de céramique et d’outils lithiques typique de l’Archaïque récent et du Sylvicole dans les vingt premiers centimètres appuie d’une certaine façon l’hypothèse d’un seul épisode d’occupation. Cette présence humaine ne peut être qu’ancienne étant donné la concentration des vestiges dans un niveau arbitraire à plus de 40 cm de profondeur, associée à un horizon enfoui confirmé par les pédologues. Les outils unifaciaux trouvés sur BiEw-7 ne sont pas diagnostiques d’un épisode culturel précis en Estrie, mais ils semblent se rattacher, en particulier par la forte présence du quartz, à la tradition de l’Archaïque du Golfe du Maine. Avant de s’attarder à une comparaison entre la collection du site Cascades 5 et des autres sites du Québec et du Maine, il importe de présenter deux approches pouvant nous donner un âge de l’occupation humaine associée à une lentille de sol organique noire située à 51-52 cm sous la surface actuelle et à des cailloux fracturés par le feu à une profondeur de 50 à 55 cm.
La datation du site Cascades 5 par luminescence optique
La luminescence optique a été appliquée sur du matériel chauffé provenant du site BiEw-7. Cette recherche a été réalisée d’une part dans le but de situer dans le temps l’occupation de ce site où aucun artefact agissant comme marqueur temporel n’a été trouvé jusqu’à maintenant, et d’autre part dans le but de valider ou non la date radiocarbone (14C) obtenue sur un échantillon de charbon prélevé dans une couche à haute densité artéfactuelle, soit vers 50 cm de profondeur.
Principes de la méthode
La luminescence exploite la propriété physique qu’ont certains minéraux ubiquistes dans le sol, notamment les quartz et les feldspaths, d’émettre des photons lorsqu’ils sont stimulés optiquement (luminescence stimulée optiquement – OSL) ou thermiquement (thermoluminescence – TL). Cette émission de lumière est proportionnelle à la quantité de radiation à laquelle ils ont été exposés au cours de leur période d’enfouissement, et cette radiation naturelle est considérée comme étant constante à travers le temps. De cette manière, ces minéraux agissent en tant que dosimètres de la radioactivité naturelle dans l’environnement en emmagasinant, dans leur structure cristalline, des électrons excités par l’énergie ionisante provenant de la décroissance radioactive de certains isotopes naturels, principalement l’uranium (U), le thorium (Th) et le potassium (K), ainsi que des rayons cosmiques. Il est donc possible, en mesurant à la fois la luminescence émise par ces minéraux et la dose de radiation qu’ils reçoivent annuellement en étant enfouis dans le sol, de connaître leur période d’enfouissement (considéré ici comme leur âge). Cela peut être exprimé par cette équation simple :
âge (ka) = dose équivalente (Gy) / dose annuelle (Gy/ka), où :
Rodhes 2011 ; Duller 2008 ; Aitken 1985 et 1998
L’âge ainsi obtenu fait référence à un événement précis qui est appelé la « remise à zéro », soit le moment où la population d’électrons piégés dans les défauts de la structure cristalline des minéraux (la dose géologique) est libérée. La remise à zéro peut être provoquée soit par la chauffe à une température supérieure à 400 °C, ou bien par l’exposition à la lumière. Les roches qui ont été collectées sur le site BiEw-7 sont soumises à des températures élevées (foyers) engendrant une remise à zéro des minéraux qui les constituent, celle-ci coïncidant fort probablement avec le moment de l’occupation de ce site archéologique.
L’âge est exprimé en milliers d’années depuis le retrait de l’échantillon de son milieu d’enfouissement. Dans le cadre du présent projet, l’année de référence est 2014.
La dose équivalente (De) est la dose de radiation artificielle (induite en laboratoire) qui équivaut à la dose naturelle mesurée.
La dose annuelle (Da) correspond à la quantité d’électrons accumulés chaque année sous l’effet de la radiation naturelle de l’environnement.
1 Gray est l’unité SI (système international) de l’absorption de radiation et correspond à 1 J.kg-1.
Méthodologie
Échantillonnage. Huit roches susceptibles d’avoir été chauffées ont été collectées en juin 2014. Dès leur prélèvement, les roches ont été emballées dans du papier d’aluminium pour éviter toute exposition à la lumière. Le sédiment en contact avec chacun des échantillons a été mis dans des sacs de plastique hermétiques de manière à conserver l’humidité du sol. Des huit échantillons collectés, une seule pierre chauffée a livré un âge (pl. 16). Il s’agit d’une roche d’origine locale, soit un granitoïde de la ceinture d’Ascott, une roche ignée caractérisée par une quantité importante de plagioclases (des minéraux silicatés de la famille des feldspaths), quelques quartz et très peu de feldspaths potassiques. L’échantillon EA8 provient du puits 12N 63W, quadrant SE (fig. 4). La roche se trouvait à une profondeur de 50 à 55 cm, dans le niveau BCg compact.
Préparation. Les échantillons ont été préparés selon un protocole classique en chambre noire adapté pour les objets chauffés (Zimmerman 1971). La portion externe de la roche (les deux premiers millimètres) a été retirée pour éliminer d’une part les grains qui auraient pu être exposés au soleil et de ce fait remis à zéro lors de l’échantillonnage, et d’autre part afin de retirer la portion affectée tout au long de l’enfouissement de l’objet par les rayons alpha et beta provenant du sol (Aitken 1985). Ensuite, les roches ont été fragmentées. Une portion des fragments de roche a par la suite été délicatement broyée avec un pilon et un mortier en agate afin de défaire les liens entre les grains. La fraction des grains entre 150 et 250 µm a été isolée par un tamisage humide. Un traitement à l’acide chlorhydrique (HCl) a été appliqué afin de dissoudre les carbonates. Pour séparer les feldspaths potassiques de quartz, une séparation densimétrique a été réalisée avec une solution polytungstate de sodium (liqueur dense non toxique) à une densité de 2,58 g cm-3 (Mejdahl 1985).
Tel qu’attendu pour le type de roche, la quantité de feldspaths potassiques récupérée par séparation densimétrique sur l’échantillon EA8 est faible (1 % de la quantité totale de grains). Les quartz ont donc été utilisés pour les mesures de dose équivalente après une attaque à l’acide fluorhydrique (HF) à 40 %. Cette étape permet d’une part l’élimination de tous les autres minéraux qui auraient pu polluer cette fraction, et d’autre part de retirer la portion externe des grains (retrait de la portion affectée par le rayonnement alpha). Le traitement au HCl a été répété pour dissoudre les carbonates qui auraient été précipités lors de l’attaque HF. Les grains ont été retamisés pour retirer les résidus et les grains dont la taille, après attaque, seraient inférieurs à 150 µm.
Protocoles de mesures et appareillage
Détermination de la teneur en eau. En laboratoire, le sédiment encaissant les pierres a été retiré des sacs pour être pesé dans un état d’humidité considéré comme naturel. Les sédiments humides ont été mis dans une étuve à 100 °C et ensuite pesés à sec. La teneur en eau du sédiment encaissant d’EA-8 est de 22,23 %, et elle a été déterminée à 1 % pour la roche.
Détermination de la dose annuelle. Quatre types de radiations contribuent à former la dose totale que reçoit annuellement un échantillon enfoui, c’est-à-dire les particules alpha (α), beta (β), ainsi que les rayonnements gamma (γ) et cosmiques. Les trois premiers sont émis lors de la décroissance radioactive de certains isotopes présents naturellement dans le sol, soit l’uranium (238U), le thorium (234Th) et le potassium (40K), tandis que le dernier est lié à l’emplacement géographique de l’échantillon. La détermination des abondances de chacun de ces isotopes dans le sédiment encaissant ainsi que dans la roche nous permet de calculer la dose de radiation qu’ont reçu annuellement les minéraux datés. Ces abondances ont été mesurées à l’aide d’un spectromètre gamma à haute résolution (Murray et al. 1987).
Mesures de la dose équivalente. Les mesures de doses équivalentes sur les quartz ont été effectuées sur l’appareil de luminescence Lexsyg Research dans une atmosphère d’hélium sous stimulation verte (~ 525 nm), avec une détection à ~ 380 nm (ultra-violet) sur des grains de quartz de 150 à 250 µm purifiés (HF). La SAR (single aliquot regeneration) a été utilisée comme protocole de mesure (Murray et Wintle 2000), et les différentes étapes sont présentées dans le tableau 7. Ce protocole a été validé par un plateau des températures de préchauffe ainsi que par un test de dose recovery.
Résultats
Dose annuelle. La dose annuelle interne (dose de la roche) dépend de la taille des grains qui constituent l’échantillon. Contrairement à un sédiment où le tamisage du matériel permet la sélection d’une classe granulométrique précise, la datation d’une roche exige que cette dernière soit broyée. Ainsi, les particules minérales obtenues par ce broyage n’ont pas leur taille originale. La taille des particules doit donc être mesurée dans l’échantillon original.
Les minéraux de la roche EA8 sont de taille variable ; les plus gros cristaux atteignent de 0,5 à 1 mm (quelques-uns plus gros) dans une matrice plus fine. Le calcul de la dose annuelle a donc été fait en vue d’une granulométrie de 150 à 1000 µm (tab. 8), avec le DRAC (Dose rate and age calculator) de Durcan et al. (2015).
Dose équivalente. Des courbes de croissance (fig. 9) ont été construites pour chacune des aliquotes, et les doses équivalentes obtenues (n = 10) sont très groupées (fig. 10). La moyenne pondérée (CAM de Galbraith et al. 1999) est de 19,3 ± 0,3 Gy. Les doses équivalentes sont présentées dans le tableau 9.
Âge. En considérant une granulométrie de la roche variant entre 150 et 1000 µm, l’âge de l’échantillon EA8 se situerait entre 10 000 et 11 400 AA en utilisant la moyenne des dix aliquotes pour un âge central de 10,7 ± 0,7 ka. Les marges d’erreur sont particulièrement importantes dans le cas présent vu l’incertitude liée à la taille des grains qui ont été mesurés. Les âges de chacune des aliquotes sont rapportés dans le tableau 10.
Pour conclure, l’âge obtenu grâce à la luminescence optique sur du matériel chauffé provenant du site BiEw-7 indique une occupation de ce site archéologique entre 10 000 et 11 400 ans AA. La roche chauffée que nous avons datée pourrait ainsi appartenir à un foyer du tout début de l’Archaïque ancien.
La datation radiométrique
Quelques bons morceaux de charbon ont été recueillis dans une couche noire à 52 cm sous la surface actuelle dans les puits 14N-63W et 13N-63W. Leur analyse par Alayn Larouche du département de géographie de l’Université de Montréal a permis de les identifier comme appartenant à plusieurs espèces de feuillus, dont le bouleau ou l’érable ainsi que le frêne et le hêtre. La date obtenue, 6790 ± 30 AA (Beta-391500), à l’aide de la méthode dite AMS, une fois calibrée dans notre calendrier sidéral selon les tables utilisées par le laboratoire de Floride, donne un intervalle de 7585 à 7675 ans AA avec une marge d’erreur de deux sigmas, ce qui signifie que nous avons 95 % des chances que la date véritable de ce charbon se situe entre les limites proposées par la calibration. Si nous acceptons cette date, le site d’East Angus appartient chronologiquement à l’Archaïque moyen. Toutefois, sur le plan culturel, il se rapporterait à la phase finale de ce que les archéologues nomment le « Gulf of Maine Archaic Technological Tradition », qui s’échelonne de l’Archaïque ancien à l’Archaïque moyen. Cette tradition particulière, dans laquelle les outils bifaciaux sont rares et où les outils unifaciaux en quartz dominent, a été datée entre 10 450 et 6800 ans AA (voir Robinson 1992 ; Sanger 2006 ; Will 2013). La date obtenue par luminescence optique, si elle doit être privilégiée, indique sans détour une occupation du site durant l’Archaïque ancien.
Discussion : Le site Cascades 5 et la tradition de l’Archaïque du Golfe du Maine
La présence d’une couche archéologique à plus de 40 cm sous la surface actuelle en Estrie implique nécessairement un âge ancien pour le site BiEw-7. Sur le plan statistique, la couche arbitraire la plus riche est située entre 50 et 60 cm. Il est logique de penser que le sol occupé par les Amérindiens devait se trouver immédiatement au-dessus de la couche rouille, l’horizon II Bfb (voir fig. 3). Il y a donc lieu de croire que le Ah a été délavé complètement lors de puissantes crues printanières de la Saint-François, favorisant le déplacement des témoins culturels vers le bas par cryoturbation dans les horizons Cg et II Cg.
La date AMS sur du charbon de bois prélevé à 51-52 cm de profondeur est venue confirmer en partie notre hypothèse favorisant une occupation ancienne. Le résultat de 6790 ± 30 AA (Beta-391500) devient un intervalle entre 7585 et 7675 ans AA. La date calibrée permet ainsi d’assigner l’occupation humaine du site BiEw-7 à l’Archaïque ancien si nous acceptons les limites proposées par les archéologues du Maine, à savoir un épisode culturel s’échelonnant entre 10 450 et 6800 AA (Sanger 2006 : 226). Il est important de souligner que la tradition de l’Archaïque du Golfe du Maine se maintient durant l’Archaïque moyen (Will 2013 ; Robinson 1992). Il est donc probable que le site d’East Angus confirme à l’intérieur des terres la continuité de cette tradition technologique jusque vers 7500 ans AA en Estrie. C’est le témoignage de la date AMS obtenue sur BiEw-7. Quant à la date OSL, elle permet de croire en l’ancienneté du site et même de reculer substantiellement son âge.
Le schème d’établissement sur le site BiEw-7 est une bonne illustration d’un petit groupe nomade qui se serait arrêté durant la période sans neige, entre les mois de mai et d’octobre, en bordure de la rivière Saint-François sur une basse terrasse, pour y tailler un matériau local, le quartz. La faible présence du schiste ardoisier rouge constitue néanmoins un autre indice d’utilisation locale d’un matériau à la couleur intéressante. Les deux rhyolites provenant vraisemblablement du New Hampshire et du Maine représentent des matériaux exotiques à la région. Leur acquisition pourrait s’inscrire dans un vaste réseau d’échanges qui aurait obligé les Amérindiens à parcourir des centaines de kilomètres pour se rapprocher de groupes ayant un accès direct à ces sources. Ces deux rhyolites témoignent ainsi d’une ampleur insoupçonnée du réseau lithique, une situation rappelant les groupes nomades du Paléoindien ancien (voir Burke 2006 ; Chapdelaine 2012a). Quant au chert, il peut être acquis autant dans un vaste réseau ou dans un opportunisme local ou régional. Un bloc avec une face corticale émoussée et roulée indique que des galets de chert étaient ramassés dans le lit des rivières, et il ne faut pas exclure la rivière Saint-François. Sans une identification géochimique et pétrographique de ces cherts, leur importance dans le réseau lithique demeure floue.
Le réseau lithique identifié sur BiEw-7 et attribué à l’Archaïque ancien marque le début d’une exploitation marquée du quartz comme matériau dominant, même si le nombre de sites de l’Archaïque ancien au Québec et ailleurs au Maine et au New Hampshire est restreint. Le quartz demeurera un matériau important jusqu’à la fin de l’Archaïque. Les rhyolites deviendront de plus en plus importantes au cours de l’Archaïque, et la rhyolite du mont Kinéo sera un choix récurrent pour façonner des bifaces en Estrie depuis le Paléoindien récent, confirmant ainsi le lien étroit entre cette région et le nord du Maine (Chapdelaine 2007 ; Corbeil 2007. Quant au schiste ardoisier, il a été utilisé dès le Paléoindien récent (Graillon et Chapdelaine 2015) et son utilisation en tant que matériau local secondaire se maintiendra en Estrie durant toute la période de l’Archaïque (Graillon 1996, 1998, 2013).
La saison d’occupation que nous privilégions est la fin de l’été et le début de l’automne quand les activités domestiques impliquant l’usage de grattoirs et de racloirs dans la transformation des peaux en prévision des mois froids sont les plus fréquentes. La durée de l’occupation est courte, mais il est impossible de préciser s’il s’agit d’une brève halte de quelques journées ou bien une occupation un peu plus structurée d’au moins une semaine. Les crues printanières, qui ont délavé la surface du profil de sol à au moins une reprise, ont fait disparaître plusieurs traces, dont une possible aire de combustion.
La superficie du site, évaluée à environ 50 m2, a été le théâtre d’activités domestiques par un petit groupe dont la taille devait être composée d’une ou deux familles. Il pourrait aussi s’agir d’un camp spécialisé occupé uniquement par des chasseurs, mais les outils de chasse manquent dans l’inventaire, ce qui rend plus logique la présence de familles.
Les liens culturels entretenus par ce petit groupe de chasseurs-pêcheurs-cueilleurs se déplaçant le long de la rivière Saint-François se tissaient logiquement à une échelle régionale même si nous ne connaissons pas à ce jour d’autres campements aussi vieux dans la région. À l’instar de leurs prédécesseurs dans la grande région de l’Estrie, comme sur le site Cliche-Rancourt au lac Mégantic, un lien est maintenu avec des groupes au nord-est pour acquérir la rhyolite du mont Kinéo et au sud pour faciliter l’obtention de la rhyolite du New Hampshire. La matière première obtenue lors des échanges n’a pas été transformée en outils diagnostiques, plus particulièrement des pointes au style reconnaissable. Les grattoirs façonnés ne sont pas associés facilement à un épisode culturel précis. Au site BiEw-7, c’est l’enfouissement des témoins culturels en association avec une date AMS de 6790 ± 30 AA (7585 et 7675 AA), appuyée par une date OSL de 10 700 ± 700 AA, et la forte présence de grattoirs, de pièces esquillées, d’éclats utilisés et de nucléus en quartz qui nous incite à proposer un lien technologique avec la tradition de l’Archaïque du Golfe du Maine (fig. 11).
À ce stade-ci de la recherche, il n’est pas facile de comparer les assemblages. Les grattoirs présentent une grande variabilité sur le plan morphométrique. Sur certains sites de l’Archaïque ancien, des auteurs notent leur petitesse (Laliberté 1992 ; Plourde 2006, 1999 ; Petersen et Putnam 1992), d’autres leur robustesse (Will 2015). Quand les effectifs sont suffisants comme sur BiEw-7 (n = 21), nous constatons que les variables métriques oscillent de petit à grand et que les supports sont très variés. Pour l’instant, contentons-nous d’une comparaison entre les catégories et la prépondérance du quartz dans les assemblages. C’est le cas du site de Cap-de-Bon-Désir, une composante culturelle associée à la tradition de l’Archaïque du Golfe du Maine (Plourde 2006 et 1999). En plus des outils sur quartz, une date radiométrique non calibrée de 7310 ± 150 a été obtenue, confirmant nettement son appartenance à l’Archaïque ancien. C’est également le cas à Blanc-Sablon sur le site EiBg-7E-3 avec deux dates radiométriques non calibrées, 7190 ± 130 et 7070 ± 100 (Pintal 1998, 2006). Sur ce site, plusieurs outils sont en quartz, mais étant donné la distance séparant cette région du Maine, nous ne sommes pas convaincus de pouvoir l’associer à la tradition de l’Archaïque du Golfe du Maine. Nous avons la même réticence en ce qui concerne le site le plus ancien de Baie-Comeau, DhEb-1A, qui témoigne d’un maintien du quartz sur un site de l’Archaïque moyen avec ses pointes du type Neville (Pintal 2000 ; voir Plourde 1999 : 7).
C’est dans la région de Québec que Plourde (1999 : 8) identifie la composante la plus similaire à son site de Grandes-Bergeronnes. Le site CeEt-482, près de Saint-Romuald, est un site de l’Archaïque ancien si l’on se fie à l’outillage dominé par le quartz et à l’absence de pointes taillées. Les trois dates radiométriques non calibrées confirment la position chronologique : 8250 ± 260, 7990 ± 80 et 7590 ± 220 (Laliberté 1992). À Saint-Augustin-de-Desmaures, un autre site de l’Archaïque ancien, CeEv-5, avec un outillage encore une fois dominé par le quartz, a fourni une date radiométrique non calibrée de 8890 ± 50 (Pintal 2003), confirmant une présence très ancienne dans la région de Québec.
Plourde pose aussi la question de l’axe pouvant relier l’estuaire du Saint-Laurent à la tradition de l’Archaïque du Golfe du Maine. Il propose l’axe de la rivière Chaudière tout en soulignant l’absence de sites (Plourde 1999 : 8). Sur cette question, il nous semble opportun de souligner la présence d’une petite concentration dominée par le quartz sur la partie nord de l’aire 4 du site Cliche-Rancourt dans la région du lac Mégantic (Chapdelaine 2009b). Aucune association culturelle n’a été avancée et cette concentration se situe entre des occupations du Paléoindien ancien au nord, et au sud par une occupation de l’Archaïque récent avec trois pointes, deux à pédoncule et l’autre avec de petites encoches latérales évasives (Chapdelaine 2009b). Il faut aussi mentionner une industrie du quartz très développée sur le site Nebessis et la découverte d’une gouge datant de l’Archaïque (Vidal 2007). Toutefois, la présence d’indices matériels associés au Sylvicole inférieur indique que le site en bordure du lac aux Araignées a été visité à plusieurs reprises. Une situation comparable est perceptible à l’observation de la collection du site Plage-Duquette (BiEr-6) au lac des Joncs, qui témoigne d’une présence indéniable à l’Archaïque moyen, avec des pointes des types Neville et Stark (Chapdelaine 2009a ; Loewen et al. 2005 ; Graillon 1998), et d’une industrie sur quartz dominante. Une analyse future des outils en quartz pourrait indiquer une présence dès l’Archaïque ancien. Ces indices du Méganticois sont timides et ils ne permettent pas une association forte avec la tradition de l’Archaïque du Golfe du Maine. Par contre, il ne fait aucun doute que le quartz est un matériau dominant dans cette région depuis longtemps, sa popularité étant liée en grande partie à sa facilité d’acquisition et aussi à la pauvreté de la région en matériaux siliceux de qualité (Burke 2007 ; Letendre 2007).
La tradition de l’Archaïque ancien représentée par les pointes à base encochée (bifurcate base points) est pratiquement absente en Estrie. Un seul site, Gros-Bouleau, a livré une pointe de ce type (Corbeil 2007 : 158). Sur ce même site, un bâtonnet poli semblable à celui exhumé sur le site Cascades 5 indique un certain rapprochement entre les gens du Méganticois et les groupes de l’Archaïque au Maine (ibid. : 149).
Le site BiEw-7 le long de la rivière Saint-François est certes le lien qui vient appuyer l’hypothèse de Plourde qui voyait le corridor de la Chaudière jouer un rôle déterminant dans les rapports entre les groupes du Québec et ceux du Maine. Le site BiEw-7 ne fait que confirmer le maintien d’un vaste réseau d’échanges impliquant des sources lithiques du Maine et du New Hampshire qui remonte au Paléoindien ancien (Burke et al. 2014 ; Chapdelaine 2004, 2007, 2009a, 2011, 2012a, 2012b).
Les États du Maine et du New Hampshire disposent d’un nombre plus important de sites de l’Archaïque ancien. Dans ces régions, une importante dichotomie implique la présence de deux traditions technologiques : 1) la « Bifurcate Point Tradition » et 2) la « Gulf of Maine Archaic Tradition ». Celle qui est définie par la pointe à base encochée est très mal représentée sur les sites ayant fait l’objet de fouilles contrôlées. Ces pointes sont visibles sans être nombreuses (Spiess et al. 1983) et elles indiquent des liens avec des manifestations culturelles plus au sud de notre territoire. Quant à la tradition dominée par le quartz et révélant une quasi-absence de pièces bifaciales, grâce aux travaux des vingt-cinq dernières années, elle est la mieux documentée au Maine (Petersen 1991 ; Petersen et Putnam 1992 ; Robinson 1992 ; Will 2013, 2015 ; Clark et Will 2006 ; Sanger 1996 ; Sanger et al. 1992) et au New Hampshire (Belanger 2008 ; Starbuck 2006 ; Bunker 1992 ; Maymon et Bolian 1992 ; Bolian 1980 ; Dincauze 1976). C’est en grande partie la découverte de sites présentant une très forte accumulation d’alluvions qui a permis la mise au jour de couches d’occupation en position stratigraphique à des profondeurs excédant souvent le mètre. Avec l’aide du carbone quatorze, ces petits sites, exempts d’outils diagnostiques, s’inscrivent désormais dans une unité culturelle, la tradition de l’Archaïque du Golfe du Maine, qui trouve écho dans la vallée de la rivière Saint-François. Cette tradition concentrée au Maine et au New Hampshire est caractérisée par une adaptation aux ressources de l’intérieur faisant une grande place au quartz et délaissant la taille bifaciale. Cette diminution radicale de la production de pointes contraste nettement avec la position centrale des bifaces aménagés pour définir les cultures techniques du Paléoindien et de l’Archaïque en général. Les restes fauniques trouvés sur ces sites témoignent d’un mode de vie de type généraliste (Spiess et Mosher 2006 ; Spiess 1992).
Il est en effet déconcertant de constater la faible présence de pointes de projectile dans le coffre à outils des groupes de l’Archaïque du Golfe du Maine alors que la préhistoire était marquée par une utilisation systématique des pointes pour édifier les grands ensembles culturels. Il est alors apparu nécessaire de comprendre ces choix techniques qui semblent désormais s’étendre à l’Estrie, à la région de Québec et à l’estuaire du Saint-Laurent. Richard Will (2015) résume très bien les différentes hypothèses, autant techniques, culturelles et environnementales, pouvant expliquer ou justifier ce choix. À notre avis, cette absence d’un outil aussi important dans l’adaptation des groupes depuis le Paléoindien ancien demeure un mystère. Il faut espérer des fouilles plus étendues sur des sites tels que Sharrow, Brigham et Blackman Stream au Maine –pour ne nommer que quelques-uns des sites pouvant un jour révéler une utilisation plus importante de pointes bifaciales. L’avis de J.V. Wright est à cet égard intéressant même s’il ne partage pas notre scepticisme. Pour lui, les grattoirs et les coins en quartz pouvaient servir à façonner des outils de chasse en matière animale dure et en bois, ce qui expliquerait en partie la rareté des outils bifaciaux en pierre (Wright 2006 : 450). Il mentionne aussi ses doutes quant à l’hypothèse expliquant l’absence de pointes sur les sites en fonction des activités et de la saison d’occupation (ibid. : 458). Dans le même ouvrage, Sanger rappelle que la tradition de l’Archaïque du Golfe du Maine a été définie à l’origine comme une tradition technologique d’une industrie lithique et qu’elle n’avait pas la prétention d’être une culture à part entière (Sanger 2006 : 232 ; Robinson 1992). En ce qui concerne la tradition lithique de l’Archaïque du Golfe du Maine, Sanger semble pencher en faveur de variables environnementales pour expliquer son apparition et son développement tout en acceptant une vision dualiste avec la rivière Kennebec jouant peut-être la frontière entre les adaptations favorisant les pointes et les bifaces, au sud, et celles favorisant les outils unifaciaux en quartz, de rares bifaces et des outils polis, au nord (ibid. : 236 et 243).
La tradition de l’Archaïque du Golfe du Maine est devenue au fil des années un épisode culturel qui a su résister à l’accumulation de nouvelles données (Will 2015). Will argumente de façon critique concernant certaines hypothèses et il propose un développement de cette tradition lithique particulière comme étant une réponse culturelle originale aux fluctuations environnementales du début de l’Holocène (ibid. : 28). Il imagine ainsi un coffre à outils spécialisé pour répondre aux fluctuations du milieu et permettant une adaptation locale pour exploiter de nouvelles opportunités de subsistance dans un environnement changeant. Il ajoute qu’il est bien difficile d’expliquer l’abandon des pointes de projectile au cours de l’Archaïque ancien si les Paléoindiens avaient un mode de subsistance du type généraliste (ibid. : 30). Il propose alors que la tradition de l’Archaïque du Golfe du Maine fait partie d’un « much larger tool kit » qui s’est développé et a été utilisé localement pour affronter les changements environnementaux (ibid. : 31). Il y a donc encore beaucoup de chemin à parcourir pour espérer un jour élucider cette question qui continuera à nous intriguer.
Conclusion
Le site BiEw-7 a fait l’objet d’une intervention de faible envergure destinée à en soutirer le plus d’informations possibles pour répondre aux questions de départ sur le positionnement culturel et chronologique. L’approche multidisciplinaire adoptée dans le cadre de cette recherche démontre sans détour son utilité pour confirmer des éléments et contribuer à faire avancer les connaissances sur des bases plus solides. La couche enfouie à plus de 38 cm sous la surface actuelle du site BiEw-7 est peu visible, mais les indices culturels sont plus concluants avec une concentration des témoins lithiques entre 40 et 60 cm sous la surface actuelle. Les fouilles combinées de 1998 et de 2014 correspondent probablement à plus de la moitié du coeur du site, mais il reste encore une dizaine de mètres carrés très prometteurs. Une prochaine intervention sur ce site pourrait s’intéresser davantage aux zones en périphérie de l’aire centrale dans le but de mieux mesurer l’étendue de l’occupation humaine. Il faudra cependant se rappeler que la fouille d’un m2 peut prendre facilement quatre à cinq jours étant donné la profondeur à atteindre, au moins 60 cm.
Étant donné le potentiel de ce site pour mieux comprendre la période de l’Archaïque, il faut espérer de nouvelles fouilles pour localiser un foyer, trouver des restes fauniques identifiables et améliorer la collection d’outils. Deux sites (BiEw-4 et BiEw- 5) situés à proximité et dans lesquels des objets ont été récupérés à des profondeurs similaires devraient être sondés de façon plus intensive (voir Graillon 1999). Ces deux sites se sont avérés moins productifs que BiEw-7 lors des sondages, mais ils pourraient nous permettre de rompre l’isolement dans lequel se trouve actuellement le site Cascades 5. Ces trois sites datent vraisemblablement de l’Archaïque et ils contribueraient à enrichir nos connaissances sur cette période en Estrie. En terminant, il est recommandé d’assurer l’intégrité du site auprès du propriétaire actuel, la compagnie Cascades Canada ULC. Le site BiEw-7, d’une grande importance malgré sa petitesse, représente une variante régionale de la tradition lithique de l’Archaïque du Golfe du Maine en Estrie.
Parties annexes
Remerciements
Les deux archéologues en charge de la fouille en 2014 tiennent à remercier chaleureusement les bénévoles qui ont contribué directement à l’acquisition de connaissances : Pierre Corbeil, archéologue professionnel au département d’anthropologie de l’Université de Montréal, ainsi que les étudiants Gaétan Gauvin, Marie-Ève Boisvert, Tatum Milmore, Vincent Gautier-Doucet et Laurence Forget-Brisson (également responsable de la date OSL sous la supervision de Michel Lamothe, professeur à l’UQAM), de même que Adrian Burke (professeur titulaire, anthropologie, UdeM), François Courchesne et Marie-Claude Turmel (respectivement professeur titulaire et agente de recherche, département de géographie, Université de Montréal) et Sylvain Rancourt et Michael McCoy, deux bénévoles expérimentés de la région de Sherbrooke. En laboratoire, nous tenons à remercier Alayn Larouche pour sa généreuse contribution à l’identification des charbons ainsi que Christian Gates St-Pierre qui a examiné les restes d’os blanchis et Gilles Gauthier pour ses analyses géochimiques toujours rigoureuses. Nous leur en sommes très reconnaissants.
Cette intervention archéologique de 2014 a pu être réalisée grâce au soutien du milieu, c’est-à-dire le CLD du Haut-Saint-François et la Ville d’East Angus dans le cas de la fouille du site Cascades 5 (BiEw-7). Nous remercions tout particulièrement Julie Pomerleau, agente de développement culturel au CLD du Haut-Saint-François, et Normand Graillon, directeur général de la ville d’East Angus. Nous tenons également à remercier le propriétaire du terrain sur lequel se trouve le site Cascades 5 : la compagnie Cascades Canada ULC, représentée par Paul Deraîche, directeur de l’usine d’East Angus.
Notes biographiques
Claude Chapdelaine, professeur émérite à l’Université de Montréal, s’intéresse à la préhistoire du Québec, ainsi qu’au développement de l’État et de l’urbanisme de la civilisation mochica de la côte nord du Pérou. Après un doctorat sur la variabilité culturelle des Iroquoiens du Saint-Laurent, il a réalisé des études régionales au cap Tourmente près de Québec, au Témiscouata et en Montérégie (Brome-Missisquoi). À titre de directeur de l’École de fouilles de son institution. il s’est intéressé au Méganticois entre 2001 et 2009 et, depuis 2010, aux Iroquoiens des sites Droulers et Mailhot-Curran de Saint-Anicet. Outre de nombreuses publications, il a notamment dirigé récemment les ouvrages collectifs : Mailhot-Curran : un village iroquoien du xvie siècle (Paléo-Québec 35, 2015) ; Late Pleistocene Archaeology & Ecology in the Far Northeast (Texas A&M University Press, 2012).
Éric Graillon travaille depuis près de vingt ans au développement de la recherche et à la diffusion des connaissances archéologiques préhistoriques en Estrie. Détenteur d’un baccalauréat en anthropologie de l’Université de Montréal, il a été directeur du Centre de recherche et d’animation en archéologie de l’Estrie de 1994 à 2006. Durant cette période, il a, entre autres, fait l’inventaire de deux importantes collections archéologiques privées, dont la collection Cliche-Rancourt du secteur du lac Mégantic. Il a également dirigé des fouilles et inventaires archéologiques à East Hereford, Notre-Dame-des-Bois, East Angus, Coaticook et Lennoxville. Il est depuis 2008 archéologue et animateur responsable du volet archéologique au Musée de la nature et des sciences de Sherbrooke, où il a mis sur pied un projet de valorisation du patrimoine archéologique amérindien de l’Estrie. Il a publié récemment un article sur le site Gaudreau du Paléoindien récent en collaboration avec C. Chapdelaine et É. Chalifoux : « Le site Gaudreau de Weedon : un premier site Plano dans le bassin de la rivière Saint-François en Estrie » (Recherches amérindiennes au Québec XLII, n˚ 1, 2012 : 67-84). Il dirige des fouilles archéologiques sur le site Kruger 2 à Brompton depuis 2013.
François Courchesne est professeur titulaire en science du sol au département de géographie de l’Université de Montréal depuis 1988. Au cours de sa carrière en recherche, il a entre autres fait partie du réseau de recherche Metals in the Human Environment du CRSNG, il a été membre du groupe de recherche Genorem sur la remédiation des sols contaminés financé par Génome Canada et a présidé le comité de sélection des subventions en sciences de la terre-environnement du CRSNG. Son programme de recherche sur la spéciation, la biodisponibilité et la mobilité des métaux dans la rhizosphère ainsi que sur la phytoremédiation des sols contaminés par les éléments traces lui a valu la reconnaissance de ses pairs. Il a une riche expérience de gestion en milieu universitaire et, de 2000 à 2004 puis de 2005 à 2009, il a dirigé le département de géographie de l’Université de Montréal. Depuis 2010, il est vice-doyen à la planification et aux infrastructures à la Faculté des arts et des sciences.
Marie-Claude Turmel, M. Sc. (département de géographie, Université de Montréal, 1994), a combiné, de 2000 à 2015, les tâches de chargée de cours et d’agente de recherche au sein du laboratoire de pédologie du département de géographie de l’Université de Montréal. Elle a également travaillé en tant qu’assistante de recherche à l’Université McGill (1995-1996) au sein d’un laboratoire de recherche sur la pédologie et la chimie des sols contaminés.
Laurence Forget Brisson, après avoir terminé sa maîtrise au département d’anthropologie de l’Université de Montréal, entreprend un doctorat sous la direction de Michel Lamothe à l’UQAM en septembre 2016. Elle a publié récemment – en collaboration avec M. Lamothe, S. Huot, F. Hardy et C. Chapdelaine – « La datation par luminescence optique (IRSL) de l’occupation du site Mailhot-Curran, Saint-Anicet (Québec) » (C. Chapdelaine, dir., Mailhot-Curran : un village iroquoien du xvie siècle, Paléo-Québec 35, 2015 : 375-388).
François Hardy est chercheur au laboratoire de datation par luminescence (LUX) au département des Sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’UQAM.
Michel Lamothe, professeur de géologie au département des Sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’UQAM et directeur scientifique du laboratoire de datation par luminescence (LUX), a contribué à la datation de plusieurs sites archéologiques au Québec et ailleurs à l’aide de la luminescence optique.
Adrian L. Burke, Ph.D. en anthropologie (University at Albany – SUNY, 2000), professeur titulaire au département d’anthropologie de l’Université de Montréal, est un archéologue spécialisé en préhistoire du nord-est de l’Amérique du Nord. Il s’intéresse à la technologie lithique, et particulièrement à l’utilisation des matières premières, à l’exploitation des carrières et aux réseaux d’échange. Ses recherches portent notamment sur la caractérisation physicochimique des matières lithiques archéologiques. Ses plus récentes recherches sur le terrain se concentrent sur la préhistoire de la région de Trois-Rivières. Parmi ses publications récentes : « L’économie des matières premières lithiques sur le site Mailhot-Curran » (C. Chapdelaine, dir., Mailhot-Curran : un village iroquoien du xvie siècle, Paléo-Québec 35, 2015 : 243-260) ; en coll. avec G. Gauthier et C. Chapdelaine, « Refining the Paleoindian Lithic Source Network at Cliche-Rancourt Using XRF » (Archaeology of Eastern North America 41, 2014 : 101-128).
Notes
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[1]
L’évaluation de la couleur du sol est basée sur la charte des couleurs Munsell (2009). Le pH dans H2O a été mesuré à un ratio sol : solution de 1 : 2 (Hendershot et al. 2007). Les teneurs en C organique ont été obtenues selon la méthode Walkley-Black modifiée par titration avec le dichromate de potassium et le sulfate de fer ferreux à la suite de l’oxydation du sol avec l’acide sulfurique (Carter 1993). Les extractions au pyrophosphate de sodium, à l’oxalate d’ammonium acide et à la dithionite-citrate ont permis d’évaluer l’abondance des oxydes pédogénétiques d’Al, de Fe et de Si (Courchesne et Turmel 2007). Le pyrophosphate de sodium extrait l’Al et le Fe, complexés aux substances organiques ; l’oxalate dissout les formes inorganiques amorphes d’Al et de Si, alors que l’extraction à la dithionite permet de doser les phases inorganiques cristallines de Fe. La densité des horizons minéraux a été évaluée par gravimétrie après séchage à 40 oC, pendant trois jours, d’un échantillon de 150 cm3 prélevé en triplicata à l’aide d’un contenant de métal (Culley 1993). La texture des horizons minéraux a été évaluée au toucher.
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Cette pédogenèse est provoquée par l’accumulation d’une litière forestière au sein de laquelle sont produits des acides organiques complexants comme l’acide fulvique et les acides de faible masse moléculaire (oxalate, citrate). Ces acides solubles percolent à travers le matériel parental et altèrent les minéraux, qui libèrent alors leurs éléments constituants, dont Al et Fe. Une fois solubilisés, Al et Fe se complexent aux acides organiques et migrent sous la forme d’un complexe organométallique dans le sol (McKeague 1968). Le complexe s’insolubilise ensuite en raison, par exemple, d’une hausse du pH ou de sa saturation en métaux, favorisant ainsi l’accumulation conjointe de C organique, d’Al et de Fe dans une zone du profil qui deviendra l’horizon B podzolique (Courchesne et Hendershot 1997). En parallèle, la zone d’altération intense d’où proviennent Al, Fe et Si s’appauvrit en minéraux solubles et devient l’horizon Ae. Dans les sols pauvres en matières organiques solubles, comme c’est le cas à East Angus, le déplacement conjoint de Si et Al dans la solution de sol sous la forme de proto-imogolite a aussi été documenté (Farmer et Lumsdon 1994).
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