Résumés
Résumé
Au Mexique, un grand nombre de travailleurs traversent la frontière des États-Unis pour tenter d’y trouver de l’emploi, même de façon illégale, et plusieurs de ces migrants sans papiers, aspirant au « rêve américain», cherchent de l’aide auprès de protecteurs de l’au-delà et implorent des figures qu’ils considèrent comme célestes, tels Juan Soldado, Jesús Malverde et Santo Toribio Romo. Ce dernier est un saint vénéré de façon officielle par l’Église catholique, mais les deux autres ne sont pas reconnus comme saints par la hiérarchie ecclésiastique. Les auteurs de cet article font une analyse structurale de trois récits sur ce sujet et ils indiquent que ces récits et le culte qu’ils fondent peuvent être situés dans le champ de la religiosité populaire conçue comme un mouvement qui jouit d’une certaine autonomie par rapport au pouvoir ecclésial, comme un effet de la modernité actuelle et comme une forme d’expression religieuse qui poursuit des fins pratiques, terrestres, plutôt que spirituelles.
Abstract
A large number of Mexican workers enter the United States to find work. In their pursuit of the “American dream” many of these migrants, especially those who cross the border illegally, seek the aid of supernatural protectors. Among these, we find the figures of Juan Soldado, Jesús Malverde and Santo Toribio Romo. Although the latter is a saint officially recognized by the Catholic Church, the other two are not. The authors seek to understand the “voice of others” through a structural analysis of three narratives regarding these protectors of Mexican migrants. The narratives and the cult related to these Saints can be situated within the field of popular religion. The authors conceive this as a movement that is largely independent of ecclesiastical control, a product of modernity, and as a religious expression that pursues practical and terrestrial rather than spiritual ends.
Resumen
Un gran número de trabajadores mexicanos cruzan la frontera de los Estados Unidos para tratar de encontrar empleo. La mayor parte de ellos lo hacen de forma ilegal. En estas circunstancias, los mexicanos que aspiran al “sueño americano”, buscan ayuda de parte de protectores del más allá. Así un gran número de trabajadores sin papeles imploran hoy en día la protección de figuras celestes tales como Juan Soldado, Jesús Malverde y Santo Toribio Romo. Este último es un santo venerado de manera oficial por la Iglesia Católica, pero los otros dos no.Tratando de comprender la “voz de los otros”, los autores de este artículo hacen un análisis estructural de tres relatos sobre estos protectores de los migrantes mexicanos. Ellos señalan que estas narraciones y el culto que fundamentan pueden ser situados en el campo de la religiosidad popular concebida como un movimiento que goza de una cierta autonomía con relación al poder eclesial, como un efecto de la modernidad actual y como una forma de expresión religiosa que persigue fines prácticos, terrestres, más bien que espirituales.
Corps de l’article
Dans cet article, nous interpréterons trois récits, selon nous à caractère mythique, qui portent sur les protecteurs surnaturels des migrants mexicains sans papiers tentant de trouver un emploi aux États-Unis. Ce faisant, et suivant en cela les enseignements de Rémi Savard, nous chercherons à comprendre la « voix des autres » et, plus particulièrement, ce qu'elle nous apprend sur la condition migrante au Mexique. Avant d'aborder ces récits et le contexte dans lequel ils sont nés, nous nous pencherons brièvement sur la notion de « mythe ».
Savard a traité de l’évolution du concept de mythe de façon minutieuse. Rappelons schématiquement ce qu'il en dit dans La Voix des autres (1985 : 35-49 et 64-69). Dans la Grèce pré-philosophique le mot mythos signifiait « parole » et était synonyme de logos. Mais, à partir du vie siècle avant notre ère, ces synonymes se transformèrent en antonymes : le terme logos ne s’appliqua désormais qu'aux propos savants des philosophes et des historiens tandis que mythos désignait le discours, évidemment peu crédible, des autres (ibid. : 41). Au xixe siècle, pour Max Müller « la mythologie est une maladie du langage » (ibid. : 43, citant Détienne 1979 : 74), et pour Edward B. Tylor, « un mythe ne pouvait être que le contraire d’un énoncé scientifique », c’est-à-dire « pure fabulation » (ibid. : 48), grossière superstition. Plus tard, s'inspirant des études indo-européennes effectuées par Georges Dumézil dans les années 1930, « l’entreprise » de Claude Lévi-Strauss a visé « à démontrer l’existence d’une pensée rigoureuse là où Tylor n’avait vu que balbutiements informes » (ibid. : 67). Cette nouvelle orientation signifiait « la réhabilitation du primitif à titre de sujet parlant, dont la rigueur du discours ne le cède en rien à celle du discours savant porté sur lui » (ibid. : 69). Cet entendement des mythes représente un fondement essentiel de l’approche structuraliste lévi-straussienne. Rémi Savard, disciple de Claude Lévi-Strauss, s’est engagé dans cette école, et de nombreux travaux sur les « mythes » des Amérindiens du Québec témoignent de l’originalité et de la qualité de ses découvertes. Parallèlement, Savard s’est aussi engagé de façon inconditionnelle dans la défense des droits des peuples autochtones de son pays.
Malgré l’omniprésence des mythes – d’ailleurs évidente pour tout le monde –, l’ethnopoétique comparée témoigne du caractère local du concept de mythe, ce qui signifie que chaque société définit ce qu’elle considère comme étant un mythe (Leavitt 2005 : 8). Ainsi, quand Rémi Savard a étudié les oeuvres de la tradition orale algonquienne du Québec septentrional (Cris, Attikameks, Algonquins, Montagnais), il s'est aperçu que les récits de type atenogen (ou atanukan, selon l’orthographe actuelle) – l'un des deux genres reconnus par les Montagnais (aujourd'hui appelés Innus) – constituent
[…] des outils symboliques grâce auxquels, sur un mode non discursif, on s’emploie désespérément à dénouer l’écheveau des contradictions définissant l’existence concrète des hommes, à résoudre des problèmes contemporains condamnés à demeurer insolubles […]
Savard 1979 : 45
Ainsi caractérisé, ce type de récit correspond par certains aspects aux récits du petit corpus sur les migrants mexicains sans papiers qui constitue l’objet de notre étude. Pour cette raison, nous inspirant de Savard, nous nous appliquerons ici à identifier les contradictions définissant l’existence concrète des migrants mexicains sans papiers et à trouver comment ces récits tentent de « résoudre des problèmes contemporains condamnés à demeurer insolubles ». Néanmoins soulignons que nos récits mexicains sont d'un genre très différent de celui qui est étudié par Savard. En effet, les atenogens (atanukans) ne sont pas des récits de type historique, car la plupart décrivent une époque au cours de laquelle l'humanité n'avait pas encore sa forme actuelle, caractéristique qui les distingue des récits sur les protecteurs des migrants mexicains dont nous nous occuperons ici.
Quant à l’interprétation des récits retenus, c’est l’approche structuraliste que nous adopterons. À partir du contexte dans lequel ils ont été produits et conservés, nous explorerons le sens des contenus manifestes de même que des contenus se situant au-delà de la signification évidente, de surface. Comme catégories d’analyse nous concentrerons notre attention sur certains plans jugés pertinents dans chaque récit, tels que les plans économique, politique, religieux, etc. (voir Lévi-Strauss 1973). Mais surtout, nous suivrons la recommandation de Rémi Savard de visiter nos mythes de façon assidue.
Avant d'en arriver aux récits eux-mêmes, jetons un coup d'oeil sur le contexte de la migration des travailleurs mexicains sans papiers qui tentent d'entrer aux États-Unis.
La migration mexicaine illégale
Pour mieux faire comprendre le contenu des récits retenus, rappelons que, dans le monde contemporain, la globalisation économique accentue la concentration de la richesse entre les mains d’un petit groupe de privilégiés tout en faisant croître le chômage et la pauvreté, surtout dans certains pays moins favorisés (Herfkens 2005). Au Mexique, cette situation a suscité la décision d’un grand nombre de travailleurs de gagner les États-Unis afin de trouver à s’y employer, même de façon illégale. Mais le durcissement progressif des politiques migratoires de ce pays entrave de plus en plus les intentions des migrants.
Pendant longtemps le gouvernement des États-Unis s'est montré assez réceptif à l’égard de la main-d’oeuvre migrante, non seulement celle qui était légale mais aussi l’irrégulière, qui était la plus nombreuse. Cette tolérance envers la migration d’une énorme masse de travailleurs sans papiers s'explique, cela va de soi, par le fait que ceux-ci contribuent substantiellement au développement de l’économie du pays. En effet, les travaux qu’ils réalisent sont généralement mal rémunérés puisqu'ils sont le plus souvent effectués en marge de la loi et sans aucune protection pour le travailleur. Par ailleurs, cette main-d’oeuvre illégale est assez fréquemment employée dans des tâches difficiles qui nécessitent l’investissement d’un grand effort physique (González-Pérez 2009 : 19-22). En effet, elle est surtout recrutée dans le secteur de la production agricole et, de façon croissante, dans l’industrie de la construction, domaines où les résidants légaux et les citoyens des États-Unis refusent de travailler (González-Pérez 2009 : 28 ; González-Pérez 2010 : 33 ; Tepach 2008 : 18).
Cependant, les travailleurs sans papiers tolèrent assez bien tant l’injustice des salaires qui leur sont octroyés et leurs lourdes conditions de travail que le fait qu'ils soient privés de la sécurité sociale, car les bénéfices économiques qu’ils en tirent sont supérieurs à ceux qu’ils pourraient recevoir au Mexique (García-Zamora 2007 : 291 ; González-Pérez 2009 : 28 et 31-32 ; González-Pérez 2010 : 38 ; Malgesini 1998 : 198).
De façon sournoise, le gouvernement des États-Unis, quant à lui, permet que beaucoup de migrants illégaux utilisent un faux numéro de sécurité sociale, autorisation grâce à laquelle il perçoit la contribution financière des employeurs à ce programme. Et comme les travailleurs, eux, ne peuvent accéder au programme en question, le gouvernement reçoit beaucoup d’argent sans être obligé de dépenser un seul sou pour les avantages sociaux des migrants irréguliers (Pardinas 2008 : 27-29).
En ce domaine, les politiques mises en application pendant longtemps par le gouvernement des États-Unis étaient ambiguës. En effet, si les lois et le discours officiel interdisaient l’entrée des migrants sans papiers, les autorités, elles, se montraient plus que tolérantes en permettant leur accès et leur installation. Cette ambiguïté est restée en vigueur durant des années car elle convenait aux intérêts économiques du pays.
De cette façon, l'immigration mexicaine aux États-Unis, aussi bien celle de caractère légal que l’illégale, est devenue la plus importante pendant ces dernières années. À cet égard le Conseil national de population du Mexique (CONAPO) nous dit :
Comme cela a été largement documenté, les flux de l'immigration contemporaine aux États-Unis ont leur source principale dans la région la plus proche de l’Amérique latine et des Caraïbes. Dans ce contexte, le Mexique a conservé, de loin, sa primauté comme principal pays d'origine des migrants aux États-Unis. Actuellement, environ 12 millions de travailleurs mexicains et environ 21 millions de Mexicains de deuxième génération, ou plus, résident aux États-Unis.
CONAPO 2010 : 7
Néanmoins, le modèle de grande tolérance envers les travailleurs sans papiers a commencé à être remis en question à partir de 1994 quand fut lancée l’Opération Gatekeeper qui visait à ralentir le flux migratoire (Nevins 2002). Cette remise en question a pris de l'ampleur tout récemment en raison de la profonde crise économique que traversent les États-Unis et de ses conséquences sur l'emploi. Aujourd'hui, de nombreux citoyens et des résidants légaux considèrent que les travailleurs sans papiers sont la cause principale de leur perte d’emploi ou tout au moins une menace à leur emploi actuel (Aranzazu-Morissi 2010 : 291-292). Environ douze millions de travailleurs sans papiers résident aux États-Unis, dont 70 % sont mexicains. Dans le contexte actuel, caractérisé par cette crise, et compte tenu de la demande de main-d’oeuvre, le pourcentage de travailleurs illégaux pourrait en effet être excessif.
C'est la raison pour laquelle les États-Unis sont en train d’implanter graduellement des politiques de plus en plus restrictives qui visent à limiter la vague incontrôlable des migrants sans papiers et à expulser une partie de ceux qui ont réussi à franchir la frontière. Aux circonstances économiques défavorables aux migrants illégaux s'ajoute la pression sociale des citoyens et des résidants légitimes qui exigent du gouvernement qu'il stoppe leur arrivée et qu'il déporte ceux qui sont actuellement dans le pays de façon illégale (Alarcón 2006 : 170-171 ; González Pérez 2010 : 65).
On peut voir d’ailleurs une manifestation de ce malaise social dans l’appui que reçut en Arizona le projet de loi SB 1070 visant à contenir le flot migratoire irrégulier dans cet État. D’autres États américains suivent actuellement l'exemple de l'Arizona et émettent des propositions semblables (La Jornada 2010c : 16). Certains politiciens ont même proposé de modifier la constitution des États-Unis et de priver du droit à la citoyenneté les enfants des migrants irréguliers naissant dans le pays (Aranzazu-Morissi 2010 : 295). Tous ces éléments contribuent à dévaloriser les apports des migrants sans papiers à l’économie du pays. Cette dévalorisation en est même parfois arrivée à se traduire par une inflexibilité allant jusqu’à présenter des nuances racistes (Aranzazu-Morissi 2010 : 291-295 ; LaJornada 2010a : 17).
Il faut aussi tenir compte des menaces à l’intégrité physique et à la vie des migrants, ainsi que de l’exploitation à laquelle se livrent les trafiquants de personnes, phénomènes concomitants de la migration irrégulière (Villagómez-Porras 2006). Mais on en sait très peu sur l’exploitation, l’enlèvement et même l’assassinat de travailleurs illégaux provenant d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud et passant à travers le Mexique. La découverte récente du fait que soixante-douze migrants latino-américains ont été assassinés au Mexique par des trafiquants de drogues n'est que la pointe de l’iceberg qui indique ce que représentent la traite, l’exploitation et même l’assassinat des migrants dans ce pays (La Jornada 2010d : 17). La Commission nationale des droits de l’homme du Mexique (CNDH) vient de faire savoir que :
Dans une période de six mois, d'avril à septembre 2010, [elle] a documenté un total de 214 événements d'enlèvements [de migrants] dont, selon le témoignage des victimes et des témoins, les victimes ont été au nombre de 11 333.
CNDH 2011 : 26
Pour les politiciens américains, quel que soit leur parti, l’éventualité d’une réforme des lois sur l'émigration est un sujet très délicat : ils savent bien que, s’ils plaident pour les illégaux, ils perdront beaucoup des votes dont ils auront besoin pour arriver au pouvoir (voir La Jornada 2010b : 17).
Ce contexte explique que les travailleurs illégaux mexicains font face à des obstacles chaque fois plus insurmontables lorsqu'ils tentent de franchir la frontière, d'obtenir un emploi et de s'installer en permanence aux États-Unis. C'est en raison de cette situation et parce qu'ils veulent réussir à s’intégrer au fameux « rêve américain » que ces travailleurs cherchent de l’aide surnaturelle auprès de leurs protecteurs de l’au-delà.
Les protecteurs surnaturels des migrants
Tout d’abord, signalons que la grande majorité des migrants mexicains professe la religion chrétienne et que, parmi ceux-ci, presque tous se considèrent comme catholiques romains. Néanmoins, certaines manifestations religieuses que nous allons étudier ici s’inscrivent hors de la doctrine catholique officielle. La créativité religieuse du peuple déborde assez souvent les limites de l’orthodoxie exprimée dans les enseignements de la hiérarchie catholique. C’est donc à l’intérieur des conceptions chrétiennes catholiques et dans le domaine de la religiosité populaire que nous situerons notre enquête.
Aujourd’hui, un grand nombre de migrants mexicains sans papiers implorent la protection de plusieurs personnages célestes. Ces défenseurs de l’au-delà appartiennent à deux groupes spécifiques. Ceux du premier groupe sont acceptés par les autorités ecclésiastiques et leur culte est promu par celles-ci. Par contre, ceux du deuxième groupe ne sont pas reconnus par le clergé : c’est le peuple qui les a « canonisés ». Dans le premier groupe sont particulièrement remarquables les figures de saint Toribio Romo, de l’Enfant Dieu d’Atocha et de la Vierge Marie, sous deux patronages : la Vierge de la Guadalupe et la Vierge de San Juan (Saint-Jean). Dans chaque localité, les migrants recherchent aussi la protection du saint patron de leur communauté et l'on peut observer que, pour « s'assurer » l’appui de l’au-del à, il est commun que les gens demandent à plusieurs bienfaiteurs célestes d’intercéder pour eux. Dans le deuxième groupe, celui des figures non acceptées par l’Église, deux personnages ressortent : Juan Soldado (« Jean le Soldat ») et Jesús Malverde. Ces deux « saints » populaires ont des antécédents inusuels chez les saints orthodoxes, comme nous allons le montrer par la suite, et à cause de cela il est impossible que le clergé les accepte comme des figures vénérables.
Dans tous les cas de protecteurs célestes que nous avons mentionnés, il existe des récits, à notre avis de caractère mythique, qui constituent un fondement important de la ferveur que leur témoignent leurs dévots et dans lesquels se trouve exprimée la raison pour laquelle ces protecteurs s’occupent très souvent, de façon explicite ou implicite, du thème migratoire. Puisqu’il est impossible d’aborder dans cet article l’interprétation des récits relatifs à tous les personnages mentionnés ci-dessus, nous ne retiendrons que trois d’entre eux : saint Toribio Romo, Juan Soldado et Jesús Malverde. Le premier appartient au groupe des saints reconnus par l’Église catholique et les deux autres ont été « canonisés », de façon hétérodoxe, par le peuple.
Un saint trafiquant de personnes
Toribio Romo, le héros du premier récit, était un jeune prêtre catholique qui fut assassiné par les partisans du gouvernement mexicain durant la guerre des Cristeros. Cette guerre, qui suivit la Révolution mexicaine de 1910 à 1920, marqua fortement l’histoire du Mexique. Elle fut la conséquence d’un long conflit entre l’Église catholique et l’État suscité par le fait que l’État voulait contrôler le grand pouvoir de la hiérarchie catholique. Demeuré pratiquement indemne durant l’époque coloniale, celui-ci fut ensuite remis en question et amoindri, particulièrement par les libéraux, au milieu du xixe siècle. Bien qu'il n'ait pas participé directement au conflit et sans même avoir été jugé, Toribio Romo fut exécuté en 1928 par les forces du gouvernement. Récemment, l’Église l’a béatifié puis canonisé en tant que martyr de la foi catholique. La communauté de Santa Ana de Guadalupe, dans la municipalité de Jalostotitlán (État de Jalisco) où naquit Toribio Romo, est devenue un important lieu de culte, et des multitudes de pèlerins de plus en plus nombreuses y arrivent chaque jour pour s'en remettre à ce saint.
À partir de 1982, année de la béatification de Toribio Romo, un récit au sujet d’un migrant qui avait reçu une faveur de sa part fut largement diffusé. Propagé d’abord sous de nombreuses variantes parmi la population croyante, ce récit fut ensuite répandu par la presse, par les chaînes de radio et de télévision mexicaines aussi bien que par celles ayant pour public la population hispanique des États-Unis, de même que dans Internet. Il semble d’ailleurs avoir été le détonateur principal de la dévotion à saint Toribio par des migrants illégaux cherchant à se rendre aux États-Unis. On peut lire, en encadré, l'une des multiples versions de ce récit.
Sur les plans économique et politique, nous constatons que le protagoniste de cette histoire a décidé de migrer en Californie pour y chercher un emploi. Le récit sous-entend que ce travailleur, ne pouvant satisfaire au Mexique ses besoins économiques et ceux de sa famille, a cherché à y pourvoir aux États-Unis. Sa migration révèle donc une contradiction entre la responsabilité de l'État et son irresponsabilité réelle : comment est-il possible qu’un pays ne puisse offrir à ses travailleurs de quoi vivre dignement, les obligeant ainsi à chercher ailleurs de meilleures conditions de vie ? Mais nous savons que les forces de la globalisation économique ont aussi leur part de responsabilité dans cette situation. En effet, la concentration de la richesse entre les mains de certains privilégiés et l’expansion de la pauvreté poussent beaucoup de travailleurs des pays pauvres à migrer vers les pays les plus riches. De façon implicite, apparaît ici la contradiction entre l’accroissement mondial de la richesse et l’expansion de la pauvreté qui incite à la migration.
Sur le plan juridique, nous trouvons aussi des éléments de contradiction. Comme on le sait, le héros de ce récit entre de façon illégale aux États-Unis, ce qui l'expose à être appréhendé et immédiatement rapatrié. Du point de vue des États-Unis, la Migra (terme utilisé pour désigner l'Immigration and Naturalization Service [INS]), qui est l'autorité mettant en application les politiques gouvernementales, représente la légalité. Par contre, du point de vue des migrants mexicains, la Migra est associée au pouvoir sournois puisque, tout en étant censée faire respecter les lois en empêchant l’arrivée de migrants sans papiers et en les rapatriant, elle viole ces mêmes lois en laissant passer une certaine quantité de migrants illégaux, violation des lois qui profite tant aux employeurs américains qu'à l'ensemble du pays. Le migrant bénéficie, lui aussi, de cette situation : il entre aux États-Unis de façon illégale mais, ce faisant, il profite de l’occasion et des avantages que lui offre le contexte d’illégalité caractérisant ce système.
Le récit aborde les thèmes de la traite des personnes et de la sécurité personnelle des migrants. Il nous apprend comment Jesús Buendía, dès qu’il eut traversé la frontière en compagnie du pollero (trafiquant de personnes) qu’il avait engagé, fut découvert par une patrouille et comment il dut, pour échapper aux agents, s’enfoncer seul dans le désert où il marcha pendant plusieurs jours et faillit mourir. En effet, quand la Migra apparaît, ou parfois sans aucune raison, les polleros ont l’habitude d’abandonner leurs clients dans les déserts hostiles d’Arizona et cela, même s’ils ont reçu d’eux de grosses sommes d’argent. De façon paradoxale, ceux qui sont censés aider les migrants, les abandonnent à leur propre destin.
Toutefois la légende du saint trafiquant de personnes nous montre que Toribio apparaît au contraire comme un médiateur résolvant cette contradiction en faveur du migrant mexicain illégal. Le saint aide le migrant, tout d’abord en le sortant vivant du désert inhospitalier et ensuite en déjouant la vigilance de la Migra, ce qui nécessite qu'il passe par-dessus les lois des États-Unis. Tout pollero ordinaire est un médiateur facilitant le passage du pays d’origine au pays de destination. Pour sa part, saint Toribio apparaît aussi comme étant un pollero, un trafiquant de personnes, puisqu'il conduit de façon illégale le migrant mexicain sans papiers aux États-Unis. Cependant la figure de Toribio n’est nullement marquée de façon négative comme l'est habituellement celle des polleros, reconnus comme exploitant les migrants de façon inhumaine. Au contraire, Toribio agit comme un bon pollero et, au lieu d’exiger une importante rémunération pour ses services, il prête de l’argent.
Le fait que saint Toribio Romo est perçu comme un saint pollero est soutenu par certaines affirmations populaires. On raconte, par exemple, que lorsque les agents de la Migra trouvent une image du saint parmi les possessions d’une personne soupçonnée de vouloir entrer illégalement aux États-Unis, ils considèrent cela comme une preuve que le porteur est un mojado (migrant irrégulier, terme signifiant littéralement ‘trempé’) ou, de façon antithétique, selon d’autres affirmations, qu’il est un pollero. Il faut dire que saint Toribio est non seulement le protecteur des migrants illégaux mais aussi celui des polleros eux-mêmes qui, eux aussi, ont recours à lui (Lozano-Jiménez 2006).
Mentionnons que, parmi les nombreux ex-voto apportés au sanctuaire de saint Toribio Romo à Santa Ana de Guadalupe en remerciement pour les grâces obtenues, il y en a un qui évoque un drame particulièrement douloureux. On y voit la photo d’une jeune fille, accompagnée d’un texte disant ceci :
Merci saint Toribio Romo pour nous avoir rendu la dépouille mortelle de notre fille Maribel, qui est décédée dans le désert des États-Unis le 2 juin. Avec ton aide précieuse nous l’avons retrouvée le 5 et avons pu l’ensevelir chrétiennement le 27 du même mois de l’année 2007… Qu’elle repose en paix !
Si Jesús Buendía est reconnaissant envers saint Toribio qui l'a sorti vivant du désert, la famille de Maribel, elle, remercie le saint d'avoir trouvé la dépouille mortelle de la jeune fille. L’aide apportée par saint Toribio n’est donc pas toujours la même. Parfois il protège la vie de ses dévots, d’autres fois il ne le fait pas et ceux-ci meurent. Ce qui nous renvoie à la contradiction insurmontable vie/mort, fondement de la condition humaine. Le danger de mort est spécialement présent dans les circonstances de la migration illégale.
Sur le plan culture-religion nous avons décelé une autre contradiction dans cette histoire. Rappelons que, en compensation des grâces obtenues, saint Toribio demanda seulement au migrant de le visiter à Santa Ana de Guadalupe. La communauté de Santa Ana représente, de façon symbolique, les communautés paysannes pauvres du Mexique d’où proviennent tant de personnes migrant vers les États-Unis. L’invitation à visiter Toribio apparaît implicitement comme une invitation à un retour aux sources. Vue dans cette perspective, la migration contient donc une autre contradiction. Pour sa survie et celle de sa famille, le travailleur doit agir contre ce qui serait naturel : il doit quitter sa communauté, renoncer à l'appui de celle-ci, se rendre dans un autre milieu culturel, s’exposer à d’autres idées et pratiques religieuses, menaçant ainsi sa propre culture et sa religion. Or, cette contradiction peut être surmontée en partie par le retour au pays et le contact du migrant avec ses racines culturelles et religieuses. Et, effectivement, c’est dans le sanctuaire catholique de Santa Ana de Guadalupe que le bénéficiaire découvre que celui qui l’a aidé à migrer n’est pas un homme en chair et en os mais un saint du ciel.
La synthèse des arguments ci-dessus nous permet de penser que ce récit essaie de montrer que la condition migrante des travailleurs sans papiers est pleine de contradictions. En effet, le travail des migrants sans papiers aux États-Unis représente un bénéfice économique important pour tous : le travailleur, sa famille, l’employeur et même l’économie des États-Unis. Par ailleurs, et de façon paradoxale, qu’il s’agisse du migrant, du trafiquant de personnes, de saint Toribio, de l’employeur ou du gouvernement des États-Unis, tous participent à des actions illégales et, ce faisant, tous y trouvent avantage. Mais le fait d’entrer de façon irrégulière aux États-Unis représente un grave danger pour le migrant qui peut y perdre la vie. C'est là qu'intervient la croyance à la médiation de saint Toribio Romo, accordant sa protection à ses dévots. En échange des grâces obtenues, ce saint demande au migrant d’être fidèle à ses traditions culturelles et surtout religieuses parce que la migration peut impliquer une menace pour sa culture et ses croyances religieuses. Pourtant la condition humaine rend le problème de la mort insurmontable, et le danger de perdre la vie ou d’être rapatrié est intrinsèque à ces modalités de migration. Les conditions de l’existence concrète de ces migrants sont donc pleines de contradictions, et leurs problèmes sont condamnés à demeurer insolubles.
Un soldat violeur, assassin, martyr et saint
Le titre d’une oeuvre remarquable de Paul J. Vanderwood (2004) résume assez bien l’histoire dont il sera question dans cette section : Juan Soldado: Rapist, Murderer, Martyr, Saint. Cette histoire se déroule à Tijuana, dans l’État mexicain de Baja California (Basse-Californie), à l'extrémité nord-ouest du Mexique, tout près de la frontière avec les États-Unis. À partir des premières décades du xxe siècle, Tijuana est reconnue comme étant une ville de passage pour les migrants qui prétendent traverser la frontière. De plus, elle est souvent visitée par les habitants de San Diego, en Californie, qui veulent se divertir dans les bars, les casinos et autres lieux d'activités nocturnes comme ce fut le cas durant la période de prohibition de l’alcool ou ley seca (1920-1933) [Ungerleider-Kepler, s.d.].
L’hétérogénéité des cultures de ceux qui y arrivaient, que ce soit de l’intérieur de la République mexicaine ou des États-Unis, ainsi que le manque d’enracinement de ses habitants figurent parmi les caractéristiques notables de la société de Tijuana. De plus, une remarquable explosion démographique et l'insuffisance d'infrastructures urbaines propres à la supporter contribuèrent à y créer une impression de chaos. Actuellement, c'est toujours une ville de passage pour les migrants allant aux États-Unis (Ungerleider-Kepler, s.d.). Voilà donc le contexte du culte à Juan Soldado, et l'on pourra lire en encadré une synthèse de son histoire reconstituée à partir de diverses sources.
Du point de vue politique l’opposition gouvernement/peuple apparaît comme une antinomie remarquable dans cette histoire. En effet, la population modifia de façon accélérée et radicale le jugement qu'elle portait sur le soldat : elle passa rapidement de l’indignation et du désir de le lyncher à l’admiration devant celui qu'elle voyait comme une victime innocente du gouvernement, puis à la vénération envers celui qui était maintenant un défenseur céleste. La mort cruelle et illégitime du soldat en présence du peuple fit douter de la véracité des crimes qu’on lui attribuait, et par conséquent on inculpa le gouvernement. Un fait concurrent, celui du chômage qui sévissait à ce moment-là à Tijuana en raison, notamment, de la fermeture d'un grand casino, sur ordre du gouvernement, peut expliquer ce brusque changement d'attitude de la population. Bien que cela semble contraire aux apparences, l’exécution de Juan Castillo Morales fut une décision à caractère politique et non judiciaire.
Sur le plan de la justice, nous trouvons d’autres éléments de contradiction. Pour ce qui est des motivations du crime, Juan Castillo confessa qu’il avait violé et assassiné l’enfant parce qu’il était soûl et drogué, mais nous trouvons dans le récit d’autres éléments qui nous permettent de considérer l’assassin comme étant un pédophile (il avait été surpris sur le point de violer une autre petite fille). Devant les éléments de preuve réunis contre lui (dont les fibres du tissu de ses vêtements trouvées sous les ongles de l'enfant), Castillo Morales plaida coupable. Cependant, la procédure judiciaire instruite contre lui fut précipitée et ne dura que quelques heures. C'est très rapidement que les juges décrétèrent la peine capitale et ce, sans respecter les formalités habituelles ni les droits de l’inculpé, lequel pouvait demander le droit d’audience. C’est de façon arbitraire, et à l'encontre de toute loi – en se servant de la procédure illégale de la ley fuga – que politiciens et militaires décidèrent l'exécution immédiate. Car ce qui importait aux politiciens n’était pas de faire justice mais plutôt d’arrêter immédiatement les émeutes du peuple. Par leurs décisions, et contrairement à ce que la population estime être leur responsabilité, les juges et les politiciens portèrent atteinte à la justice.
D’autres versions populaires (Ungerleider-Kepler, s.d.) affirment qu’en réalité Juan Castillo n’était pas l’assassin de la petite fille et que le véritable responsable était un militaire de rang supérieur. Juan aurait reçu de son chef l’ordre de s’inculper avec la promesse qu’il serait innocenté par la suite. Ce qui ne fut pas le cas, et il fut condamné à la peine capitale. Castillo protesta contre l’autoritarisme de son chef militaire, mais on dit que les autorités ne lui permirent pas de prendre la parole pour se défendre. Finalement, quand il courut pour se sauver d’une mort certaine, il blasphémait et vociférait des menaces contre ceux qui l’avaient accusé. Ainsi Juan Castillo, selon des variantes du récit, est considéré comme la victime d’un système injuste qui accuse l’innocent sans lui permettre de se défendre. Il fut reconnu par le peuple comme un héros car, devant une sentence arbitraire, il ne resta pas silencieux.
Une femme agenouillée devant la tombe de Juan « Petit Soldat », expliqua ceci à Ungerleider-Kepler (s.d.) : « Certaines autorités disent qu’il était innocent, d’autres qu’il était coupable de ce crime mais, comme jamais on ne nous dit la vérité ici à Tijuana, je sais qu’il était innocent parce qu’il fait des miracles. » Le témoignage de cette dame reflète nettement la perte de confiance dans les institutions gouvernementales et judiciaires et il représente la foi en quelqu’un de l’au-delà qui, lui, résout les problèmes du présent.
Considérées sous l'angle de la cosmologie, nous trouvons d’autres explications du récit en rapport avec la justice. En effet, celui-ci narre qu’on pouvait voir du sang jaillir du tombeau de Juan Castillo Morales et qu’on pouvait aussi entendre les cris de son âme proclamant son innocence. Dans la tradition des peuples mésoaméricains, le sang est un élément chargé de connotations spirituelles. Beaucoup d’habitants du Mexique le considèrent comme étant le siège d’une des trois entités animiques de l’être humain (López-Austin 1984). Par ailleurs, les cris de l'âme du mort sont des voix venant de l’au-delà. À cela s'ajoute la croyance populaire voulant que ceux qui sont privés de la vie injustement soient ceux qui s’assoient le plus près de Dieu (Ungerleider-Kepler s.d.). Il résulte de tout cela que Juan, siégeant maintenant près de Dieu, détient un grand pouvoir. Cette croyance explique qu'il soit devenu médiateur et que les gens visitent son tombeau en lui demandant des faveurs de toutes sortes. Et comme Tijuana est une ville de passage pour beaucoup des migrants irréguliers, ceux-ci vont lui demander sa protection en allant vers les États-Unis. Ils lui adressent cette prière : Juan Soldado, ayúdame a pasar, « Jean le Soldat, aidez-moi à traverser » (voir http://en.wikipedia.org/wiki/Juan_Soldado).
Sur le plan économique, le récit nous renvoie à la perte d’emploi d’un grand nombre de travailleurs à Tijuana. La situation de ces chômeurs est nettement comparable aux conditions des migrants sans emploi qui cherchent du travail aux États-Unis, similitude qui explique, à nos yeux, que les migrants fassent appel à Juan Castillo Morales.
Du point de vue culturel, l’opposition culture-propre/autre-culture nous permet de faire un parallèle entre Juan Castillo Morales, qui migra de sa petite communauté rurale de l'État de Oaxaca vers la ville de Tijuana, et les migrants qui sont obligés d’abandonner leurs familles, leurs amis et leurs communautés d’origine auxquelles ils se sentent très unis.
Le contenu manifeste de ce récit ne nous renvoie jamais à la migration illégale des Mexicains aux États-Unis, et à première vue on n’y trouve aucun fondement pour le choix de Juan Soldado comme protecteur céleste des migrants illégaux. Où doit-on donc chercher le lien entre la légende de ce personnage et la protection surnaturelle des migrants qu’on lui attribue ?
À notre avis, on peut trouver une réponse à cette question dans le fait que l’histoire de Juan Soldado comporte certains éléments symboliques, lesquels ont peut-être induit les migrants à s’identifier à lui. En effet, selon ce récit, certaines personnes considèrent Juan Soldado comme une victime innocente du pouvoir judiciaire et politique. De cette façon, les pauvres qui sont forcés de migrer à cause de l’injustice sociale, trouvent là un élément de ressemblance avec Juan Soldado, se considérant eux aussi des victimes du pouvoir économique et politique dans le monde contemporain.
De plus, d’après une des variantes du récit, le geste du soldat qui vociféra contre les autorités et se souleva contre l’injustice est peut-être une autre raison pour laquelle le peuple considère Juan Soldado comme un héros et y trouve un autre motif d’identification avec sa figure.
D’autre part, selon la croyance populaire, sa mort injuste lui a permis de s’asseoir tout près de Dieu et de devenir un puissant thaumaturge et un protecteur des migrants. Néanmoins, malgré le pouvoir miraculeux qu’on attribue à Juan Soldado, la réussite des migrants dans leur intention de franchir la frontière, de s’installer et de travailler aux États-Unis n’est pas garantie. Leurs problèmes demeurent toujours au moins partiellement insolubles.
Un Robin des bois à la mexicaine
Parmi les protecteurs surnaturels auxquels les migrants irréguliers vouent un culte particulier, il en est un autre qui attire beaucoup l’attention. Il s'agit de Jesús Malverde, qui est considéré comme le protecteur des migrants autant que des trafiquants de drogues. Il va sans dire que la dévotion à cette personne n’est nullement reconnue par le clergé catholique.
En fait, on ne sait pas si Jesús Malverde a réellement existé car, jusqu’à présent, aucun document digne de foi le prouvant n'a été trouvé. Probablement qu'il s'agit d’une figure purement mythique, créée par le peuple. Néanmoins, l’image qui est vénérée à Culiacán dans l’État de Sinaloa (ouest du Mexique) représente un homme d’âge mûr dont le visage montre les traits typiques des habitants du nord du pays avec de grands sourcils et une moustache. Quelques personnes trouvent que la physionomie de Malverde présente une certaine ressemblance avec le visage du bel acteur qui a joué dans de nombreux films mexicains : Pedro Infante. Ce dernier naquit, lui aussi, dans l’État de Sinaloa. À son apogée, soit dans les années 1940-1950, il fut le chanteur et l'acteur le plus populaire de la cinématographie mexicaine. Il est décédé de façon tragique dans un accident d’avion.
Les fervents de Jesús Malverde ont construit au Mexique plusieurs chapelles qui lui sont dédiées. Celles-ci sont situées à Culiacán, Badiraguato, Tijuana, Chihuahua et Mexico. Il en existe même ailleurs qu'au Mexique, comme à Cali en Colombie et à Los Angeles aux États-Unis, villes que traverse la route des trafiquants de drogues et où, par conséquent, on a le plus besoin de l'aide de Jesús Malverde.
On peut lire en encadré une brève synthèse de divers récits populaires, tirés surtout de l’encyclopédie Wikipedia (http://es.wikipedia.org/wiki/Jesús_Malverde) et des travaux de terrain d’Hugo Adrián Medrano-Hernández, co-auteur de cet article.
Tout comme dans le récit de Juan Soldado, il nous semble qu’aucun élément de la légende de Malverde ne justifie le rapport entre son personnage et la protection des migrants illégaux. Ce lien a plutôt été construit à partir de rapports symboliques que les migrants découvrent entre ce que raconte la légende de Malverde et leurs propres histoires.
Si nous examinons ce récit du point de vue éthique, nous apercevons que le nom même du héros, Jesús Malverde, conjugue les catégories antithétiques « bon » et « malveillant ». En effet, le nom de « Jesús » que porte le héros de ce récit est aussi le nom du Fils de Dieu, prototype de la bonté dans les conceptions chrétiennes. Mais ce nom se trouve aussi associé ici à l’appellation opposée « Malverde », laquelle contient les lexèmes mal (‘malveillant’) et verde (‘vert/verte’). L’élément « mal » fait référence à la malveillance du bandit de grand chemin et des trafiquants de drogues qui l’ont choisi comme leur protecteur. Du point de vue de la « bonne société », le terme « vert » renvoie à la malhonnêteté du voleur, lequel, selon certaines versions de cette légende (Cadín 2009), utilisait des grandes feuilles vertes de bananier dont il se couvrait pour ne pas être vu par ses victimes. D’autre part, le mot « vert » évoque aussi de façon nette la marijuana (Cannabisindica), la verde (la verte), comme on a l’habitude de l’appeler dans le langage populaire au Mexique.
Cependant, dans le récit populaire, les attaques des gens riches et le vol de leurs biens sont, de façon paradoxale, valorisés comme étant quelque chose de bon puisqu'ils étaient perpétrés pour aider les pauvres. Du point de vue éthique le récit semble donc suggérer une opposition entre les conceptions populaires et celles de la « bonne société » quant aux catégories « bon » et « malveillant ». En termes plus concrets, le récit nous apprend que, bien qu'illégal, le vol des biens de gens riches est considéré comme légitime et bon s'il est destiné à des fins nobles. Sans doute, Machiavel approuverait-il cette assertion même si elle n’appartient pas à l’ordre de la politique mais plutôt à celui de l’éthique.
Sur le plan social, n’oublions pas que les parents de Malverde moururent de faim à cause des abus des propriétaires fonciers. Cet événement apparaît comme l’expression maximale de l’antinomie énoncée : tandis que les riches propriétaires terriens ne manquent de rien pour se rassasier, les pauvres ouvriers agricoles, eux, meurent de faim parce que ces mêmes propriétaires leur refusent les éléments indispensables à leur nourriture. Cet épisode traumatisant de la vie de Malverde l’a induit à se muer en voleur de grand chemin pillant les riches pour ensuite partager le butin avec les moins favorisés. C'est pourquoi Malverde est présenté dans le récit comme un agent médiateur entre les termes opposés de la richesse et de la pauvreté. Notre héros est donc une espèce de Robin des bois à la mexicaine ou, mieux encore, un Chucho el Roto qui fut aussi un bandit bienfaiteur mexicain de la deuxième moitié du xixe siècle et qui est devenu une idole pour les paysans, qui lui manifestèrent leur admiration par des récits et des chansons (Ferrari 1944).
La lecture de ce récit nous a suggéré un certain parallélisme entre les figures de Jesús Malverde et de Jésus-Christ. Selon les enseignements de l'Évangile et de l’Église catholique, Jésus fils de Dieu, et qui est Dieu, est né et a vécu pauvrement, lui aussi, ce Jésus qui, dans la religion qu’il a fondée, exalte la valeur de la pauvreté en énonçant des principes comme : « Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux est à eux » (Matthieu, 5 : 1.12). Ce Jésus, Dieu, pauvre et bon, fut persécuté et victime des gens au pouvoir et il a donné sa vie pour les autres. De façon similaire, selon le récit mythique de la vie de Jesús Malverde, celui-ci lutta en faveur des pauvres, sa mort représenta même un engagement envers eux et il fut sacrifié lui aussi par les gens au pouvoir. Nous trouvons donc ici quelques ressemblances entre les deux figures mais, en même temps, de sensibles différences. La mort de Malverde constitue un acte d’engagement total en faveur des pauvres puisqu’il demanda à un ami de le livrer à ses persécuteurs et d’encaisser la récompense pour la remettre à ces pauvres. Selon d’autres versions, un ami le trahit. On trouve ici un certain parallélisme avec l’engagement de Jésus-Christ qui donna sa vie pour les pauvres puis fut trahi par l'un de ses amis, l’apôtre Judas. Mais la façon utilisée par Malverde dans sa lutte pour la cause des pauvres ne correspond pas du tout à celle du Christ car il dépouille les riches de leurs biens.
Par contre, d’après nous, les migrants sans papiers, pauvres et voulant remédier à la situation précaire de leurs familles dans un monde injuste où domine le pouvoir du grand capital, trouvèrent dans la figure de Malverde un protecteur auquel se confier et pouvant leur offrir une aide surnaturelle. Voici un exemple d'ex-voto qu’on trouve à la chapelle dédiée à Malverde à Coulicán, illustrant la manière dont les migrants invoquent ce saint populaire :
Oh Malverde milagroso, |
Oh Malverde miraculeux, |
Oh Malverde, mi señor. |
Oh Malverde, mon seigneur. |
¡Ilumina mi camino, |
Illumine mon chemin, |
Porque mañana me voy! |
Car demain je m’en vais ! |
Voy a tomar ese tren |
Je vais prendre ce train |
Que va rumbo a la frontera. |
Qui se dirige vers la frontière. |
Ahí te encargo a mi familia |
Je te confie ma famille |
Que en Culiacán ahí me espera. |
Qui m’attend à Culiacán. |
Mais pourquoi les migrants choisissent-ils Jesús Malverde plutôt que Jésus-Christ lui-même ? C’est dans l’interprétation de l’antinomie riches/pauvres que nous trouvons peut-être l’image symbolique la plus significative pour expliquer ce choix. Face à la misère qu'ils subissent dans leur pays d’origine (surtout les paysans), beaucoup de Mexicains cherchent à émigrer vers le pays riche du Nord afin d’obtenir pour eux et, surtout pour leurs familles, les ressources économiques qui leur permettront de vivre et ce, quitte à violer les lois des États-Unis. D’une certaine manière, de la même façon que Malverde l'a fait à l'égard des riches propriétaires terriens, le migrant tente d’arracher au pays riche, les États-Unis, une partie de sa richesse afin de la redistribuer aux plus pauvres, c'est-à-dire à sa famille.
Conformément à la typologie de Hobsbawn (1974), il nous semble qu’il est possible de considérer la figure mythique de Malverde comme celle d’un bandit social. En effet, l’action de cet homme, surgissant d’un milieu paysan et luttant contre les grands propriétaires terriens, peut être définie comme « pré-politique » ou « primitive ». Malverde s’oppose, de façon active mais individualiste, à l’ordre social qu'il a lui-même contribué à soutenir par son travail. Il lance un cri de vengeance contre le riche oppresseur, il est possédé par le rêve confus de contenir les actes arbitraires de ce dernier dont il cherche à pallier les torts. Mais ses ambitions ne le mènent pas vers un monde nouveau, elles restent limitées à un monde traditionnel où les hommes devraient recevoir un juste traitement. Bien qu'il proteste, son opposition n’est pas dirigée contre le fait que les paysans sont pauvres et opprimés, mais contre le fait que cette pauvreté est excessive. Sa position est donc très nettement pré-politique (Illescas 1988). De la même manière, il nous semble que, de façon générale, la lutte des migrants irréguliers ne cherche qu’à remédier à leur propre situation de pauvreté sans promouvoir explicitement un changement politique.
Sur le plan du pouvoir, il semble exister un élément de convergence entre la dévotion à Jesús Malverde professée par les trafiquants de drogues et celle des travailleurs sans papiers. Les deux groupes ont les regards tournés vers les États-Unis, et l’obstacle fondamental pour eux est la police de ce pays, soit la Migra (c’est-à-dire l’Immigration and Naturalization Service) pour les travailleurs sans papiers, et la DEA (Drug Enforcement Administration) pour les trafiquants de drogues. Dans les deux cas, mais de façon différente, l'objectif est d'acquérir de la richesse. Les travailleurs sans papiers s’efforcent de se rendre eux-mêmes aux États-Unis et, une fois arrivés, de résoudre par leur travail leurs problèmes économiques, tandis que pour les trafiquants c'est par l'exportation des drogues qu'ils tentent d’obtenir d’énormes bénéfices économiques.
Sur le plan technologique, d'autres faits permettent de rapprocher Jesús Malverde des migrants sans papiers. Signalons que Malverde, fils de paysans, exerça le métier de maçon et travailla aussi comme ouvrier dans la construction des voies de chemin de fer. Ces deux faits, consignés dans sa légende, nous renvoient de façon précise aux travailleurs, principalement d’origine paysanne, qui passent du Mexique aux États-Unis, tout d’abord, parce que les migrants mexicains illégaux travaillent de plus en plus dans les chantiers de construction tandis que, proportionnellement, le nombre des travailleurs agricoles est en train de diminuer en raison de la mécanisation de plus en plus fréquente dans ce secteur.
Par ailleurs, le fait que Malverde ait travaillé dans la construction des voies de chemin de fer constitue un autre lien qui l’associe à la migration car nous savons la grande importance qu’a eue le train au cours des premières décades du xxe siècle dans la promotion des premières migrations mexicaines vers les États-Unis. Le train était alors un moyen d’accès relativement rapide à ce pays. Et nous connaissons l’énorme importance acquise aujourd’hui par le train mexicain (« la bestia », la bête ) comme moyen de transport illégal des travailleurs sans papiers. Les migrants mexicains, ainsi que ceux d’Amérique centrale et du Sud, montent sur les toits des wagons, sans payer de billet, et s’exposent, durant les longues heures du trajet, à tomber, épuisés, du train en mouvement. Il n’est pas rare qu’ils perdent ainsi la vie ou souffrent de graves blessures ou de mutilations corporelles.
Enfin, comme on raconte que Jesús Malverde travailla comme maçon, il est considéré comme le protecteur des travailleurs sans papiers employés aux États-Unis dans les chantiers de construction. C’est parce la légende raconte qu'il a exercé le métier de maçon que l'on dit qu’il a été tué le 3 mai, fête religieuse de la corporation des maçons.
Conclusion
Bien que les récits mythiques que nous venons de lire diffèrent beaucoup des atenogens (ou atanukans) étudiés par Rémi Savard, surtout à cause de leur caractère plutôt historique et contemporain, notre lecture des récits mexicains nous a montré quelques ressemblances formelles avec ceux-là. En effet, comme l’avait trouvé Savard dans les atanukans, nos récits semblent comporter des éléments symboliques qui cherchent, par un biais non discursif, à démêler l'écheveau des contradictions qui définissent l'existence concrète des immigrants mexicains sans papiers. Tout comme les atanukans, nos récits semblent chercher une solution aux problèmes des hommes. Solution qui, dans le cas des migrants mexicains, viendrait de la recherche d’une survivance digne. Mais ces contradictions, dans les deux cas, ne sont pas forcément résolues.
Effectivement, dans notre corpus, nous avons trouvé de façon réitérée des images symboliques qui mettent en parallèle la situation des héros mythiques avec celles qu'expérimentent les migrants sans papiers telles que pauvreté, faim, injustice, chômage, manque de défense, exploitation, similitude de métier, travail sujet à un grand effort physique, incompréhension, persécution de la part des soldats ou des agents de la police, mort, etc. D’après nous, ces ressemblances constituent des éléments symboliques qui incitent les immigrants à s’identifier avec les héros de ces récits et à demander leur appui surnaturel.
D’autre part, d’après les croyances populaires, le pouvoir thaumaturgique de ces protecteurs est fondé sur le fait que tous trois ont été des victimes innocentes du pouvoir politique, ce qui leur a permis de siéger tout près de Dieu dans le ciel et, donc, d'avoir un grand pouvoir. Néanmoins l'aide apportée aux immigrants par ces protecteurs de l’au-delà n’est pas toujours efficace, si bien que la condition migrante est présentée dans les récits retenus comme étant pleine de contradictions insurmontables. En face d’un monde injuste, les pauvres du Mexique cherchent de façon désespérée le soutien d’une aide surnaturelle en souhaitant trouver, sans toujours y arriver, ce que leur dénie la société.
Cette humble tentative d’interpréter la « voix des autres », la voix des déshérités du peuple mexicain, veut constituer un hommage à Rémi Savard qui s’est engagé à défendre les droits des peuples autochtones tout en écoutant et en interprétant la voix des philosophes amérindiens du Québec.
Parties annexes
Notes biographiques
Alfonso Reynoso-Rábago, Ph. D. en anthropologie (Université de Montréal, 2004), est professeur chercheur à l’université de Guadalajara au Centre universitaire de Los Altos, Mexique. Entre 1976-1990, dans le cadre de l’ONG PRADE, il a participé à la recherche et à la revalorisation de la langue et de la culture de la communauté amérindienne de San Miguel Tzinacapan. Il a collaboré à la création du Taller de Tradición Oral, constitué surtout de chercheurs autochtones, et en collaboration avec Pierre Beaucage et le Taller il a participé à divers projets de recherche et publications sur la culture de cette communauté, s'intéressant de façon particulière au mythe. En collaboration avec le Taller il a publié El cielo estrellado de los mitos maseuales... (Universidad de Guadalajara, 2006) et « Le mythe nahua de Sentiopil, l'Enfant-Dieu-Maïs » (Recherches amérindiennes au Québec, vol. XXXV, n˚ 1, 2005 : 29-39). Depuis 2004, il participe au projet « Religion et migration dans un monde globalisé ».
Cándido González-Pérez, Ph. D. en sciences de l’éducation (Universidad de Santander, Guadalajara, Mexique 2009), est sociologue, économiste et professeur chercheur au Centre universitaire de Los Altos de l’université de Guadalajara, Mexique. Depuis 2004, il a réalisé diverses recherches sur la migration et la religion dans un monde globalisé. Outre de nombreux travaux sur ce sujet présentés dans différents congrès internationaux, il a publié une vingtaine d’articles dans diverses revues mexicaines et internationales, notamment « Los protectores divinos favoritos de los migrantes » (Tercer Encuentro Nacional sobre Estudios Regionales, 2009) et « Juan Soldado, protector sobrenatural de los migrantes » (en coll. avec A. Reynoso-Rabago, Revista da FAEEBA, Educação e Contem po ra neidade, Salvador, vol. 20, n° 35, 2011 : 217-228). Il est l'auteur de six livres, dont Cuéntame una de braceros (Universidad de Guadalajara, 2009) et Se voltearon los papeles : La migracion de mujeres a Estados Unidos (Universidad de Guadalajara, 2011). Il a été directeur éditorial de la revue Cuadernos de Los Altos.
Hugo Adrián Medrano-Hernández, Ph. D. en littérature latino-américaine (Universidad de Guadalajara, Mexique, 2000), est professeur titulaire de cette université. Il a été professeur invité á l’université de Californie-Lancaster (1995) et à l’université de Texas-Austin (2006) et a obtenu le Fellowship J. B. Smith de la Bibliothèque Benson de l’université de Texas-Austin (2006). Au Mexique et à l’étranger, il a prononcé des conférences sur la littérature, la linguistique, l’éducation et la culture mexicaines. Il a publié, tant au Mexique qu'à l’étranger, diverses oeuvres dans les domaines de la poésie, du conte et de l’essai, ainsi que le roman Las paredes del cielo (2003) et le premier volume d’un dictionnaire tri-générationnel Este libroes un diccionario… (Universidad de Guadalajara, 2008). Depuis 2004, il collabore au projet « Religion et migration dans un monde globalisé ».
Ouvrages cités
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Liste des figures
Liste des tableaux
Oh Malverde milagroso, |
Oh Malverde miraculeux, |
Oh Malverde, mi señor. |
Oh Malverde, mon seigneur. |
¡Ilumina mi camino, |
Illumine mon chemin, |
Porque mañana me voy! |
Car demain je m’en vais ! |
Voy a tomar ese tren |
Je vais prendre ce train |
Que va rumbo a la frontera. |
Qui se dirige vers la frontière. |
Ahí te encargo a mi familia |
Je te confie ma famille |
Que en Culiacán ahí me espera. |
Qui m’attend à Culiacán. |