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La démocratie directe est un concept fascinant, particulièrement pour les franges de population qui sont insatisfaites des systèmes politiques représentatifs actuels. Pour ses partisans, elle représente une promesse radicale de renouveau démocratique, mais elle est aussi perçue par ses critiques comme un danger populiste. Qu’en disent les sciences sociales ? Avec Démocraties directes, 51 autrices et auteurs, sous la direction de Raul Magni-Berton et de Laurence Morel, répondent à cette interrogation et signent un livre riche et détaillé qui présente un état des recherches, surtout empiriques, sur cet objet d’étude.
La démocratie directe est circonscrite en introduction « aux procédures qui permettent au corps citoyen de prendre part directement aux décisions politiques » (p. 23). Si cette définition semble assez large, seuls les référendums sont considérés comme de véritables mécanismes de démocratie directe. Les initiatives d’agenda, soit des propositions législatives citoyennes qui ne sont pas soumises à un vote, sont aussi incluses, mais elles n’occupent qu’une place marginale dans l’ouvrage (chap. 10).
La première partie (chap. 1-10), plus théorique, s’ouvre sur la présentation d’une typologie des différentes formes de démocratie directe. Elles peuvent être regroupées en trois catégories : les référendums initiés par une minorité populaire ou institutionnelle, les référendums initiés par les autorités, soit l’exécutif ou le Parlement, et le référendum obligatoire, qui est juridiquement requis pour certaines modifications législatives, souvent de nature constitutionnelle. En décomposant ces catégories selon l’acteur ou l’actrice à l’origine de l’initiative et en spécifiant si son objectif est de proposer ou d’abroger une loi, on obtient finalement sept types de référendums. Au deuxième chapitre, Magni-Berton s’appuie sur la notion de vetos players pour proposer une définition d’un régime de démocratie directe : soit un système politique où le corps citoyen a le dernier mot sur le contenu de la Constitution et où il peut la modifier assez facilement par le biais d’initiatives populaires. Le seul État qui réunit ces conditions est la Suisse. Le chapitre suivant aborde l’objet d’étude sous l’angle de la théorie économique afin de présenter les effets du vote référendaire, jugés bénéfiques, sur le niveau d’information des acteurs et actrices politiques et sur la concurrence dans l’offre de législation. On présente alors une courte histoire de la démocratie directe, en Grèce antique et durant la période contemporaine, avant d’exposer un portrait de ses usages actuels à travers le monde et à l’échelle locale en Europe.
La seconde partie de l’ouvrage se consacre aux impacts des référendums, en particulier l’initiative populaire, sur les politiques publiques (chap. 11-20). Cette section, tout comme la suivante, se lit comme une vaste recension des écrits, bien que certaines analyses originales y figurent aussi. Plusieurs chapitres discutent des effets tant directs qu’indirects. Les effets indirects se produisent lorsque des acteurs ou actrices anticipent le recours aux instruments de démocratie directe par autrui, et agissent en conséquence, par exemple en adoptant une loi de manière préventive ou en s’abstenant d’introduire au Parlement une proposition législative trop controversée. Pour certains sujets de recherche, la littérature existante n’offre pas de réponse concluante : c’est le cas des impacts du référendum sur l’alignement de la législation avec les préférences de l’électorat, sur l’inégalité et le bien-être, et sur la politique environnementale. Certains constats peuvent toutefois être dégagés. La démocratie directe ne serait pas biaisée en faveur du statu quo législatif, sauf en ce qui a trait aux institutions politiques, et elle ne serait pas nécessairement défavorable aux droits civiques et aux droits des minorités. Enfin, le domaine des politiques budgétaires a été particulièrement bien étudié, ce qui permet d’établir que le référendum obligatoire a pour conséquence de diminuer la taille du budget gouvernemental et ses déficits, tandis que l’initiative populaire aurait plutôt l’effet inverse.
La section suivante se penche sur les effets de la démocratie directe sur les acteurs et actrices politiques, soit l’électorat, les élites et la société civile (chap. 21-29). La littérature existante indique qu’une campagne référendaire a un impact généralement positif sur les connaissances et les compétences de l’électorat quant à la question soumise au vote. De plus, la confiance des individus dans les institutions démocratiques s’améliorerait avec la présence ponctuelle de scrutins, mais cette relation s’affaiblirait, voire se renverserait, dès lors que leur fréquence augmente. Par ailleurs, les élu·es jouent un rôle important dans tous les types de référendums, qu’ils et elles les aient initiés ou non. En effet, les élites politiques tirent avantage des campagnes référendaires à des fins stratégiques. Les partis peuvent notamment les utiliser pour mettre à l’agenda divers enjeux et promouvoir leur plateforme. Certains référendums majeurs peuvent alors affecter à long terme le système partisan et faire apparaître de nouveaux clivages. Par exemple, les nombreux référendums portant sur l’intégration européenne ont permis l’émergence de partis clairement pro- ou anti-Union européenne.
Contrairement à une crainte assez répandue, il n’est pas démontré que les groupes d’intérêt économique accaparent les institutions de la démocratie directe à leurs propres fins, bien qu’ils puissent lancer des campagnes publicitaires coûteuses pour bloquer des initiatives populaires. Les groupes citoyens bénéficieraient plus des initiatives populaires que les groupes d’intérêt économique, mais ils n’auraient que rarement un impact important sur les politiques publiques. En outre, les preuves empiriques actuelles ne permettent pas de déterminer si le recours aux mécanismes de démocratie directe renforce la société civile et s’il accroît la participation citoyenne à la vie associative et aux mouvements sociaux. Enfin, puisque les gouvernements s’opposent structurellement aux initiatives populaires, on observe que leur mise en oeuvre tend à être souvent déficiente ou infidèle à l’esprit de l’initiative.
La dernière partie comporte dix études de cas, qui décrivent les particularités des formes variées de démocraties directes à travers le monde (chap. 30-39). Après un passage incontournable par la Suisse et les États-Unis, les cas de l’Uruguay, de Taiwan et de l’Italie sont présentés. Trois chapitres comparatifs, le premier concernant l’Autriche et l’Allemagne, le second, les micro-États, et le troisième, la France et la Belgique, font ressortir différentes variables pour expliquer l’existence et les caractéristiques institutionnelles de la démocratie directe dans ces pays. L’héritage colonial et la force de la majorité parlementaire sont mentionnés comme facteurs explicatifs, ainsi que la culture politique nationale et différentes conjonctures historiques. Finalement, deux chapitres sur l’Amérique du Sud et l’Europe de l’Est rendent compte des diverses institutions référendaires existantes dans ces régions et de leurs nombreuses limites.
Démocraties directes offre un large portrait des recherches empiriques actuelles portant sur les référendums, duquel se dégage un constat somme toute positif. La plupart des chapitres identifient avec nuance et clarté leurs effets sur différentes dimensions des systèmes politiques. La structure du livre est logique et la présentation d’études de cas est pertinente, car elle met en lumière les expériences de démocratie directe qui ne sont ni suisses ni américaines, surreprésentées dans la littérature.
S’il permet l’exploration de nombreux sujets de recherche, l’ouvrage, avec ses quarante chapitres d’environ dix pages, se heurte malheureusement à un manque de cohésion. En effet, on a la nette impression qu’il n’est pas le fruit de dialogues entre collègues, mais bien celui d’une division du travail effectuée selon les intérêts de chacun·e. Cela entraîne forcément des répétitions. De plus, les développements théoriques de la première partie du livre, par exemple le concept de régime de démocratie directe, ne sont pas mobilisés par la suite, car les chapitres subséquents utilisent leurs propres références théoriques pour aborder leur objet d’étude. En outre, ceux qui avancent un argument s’appuyant sur des données originales, en plus d’une recension de la littérature, sont trop courts pour inclure des preuves suffisamment convaincantes et détaillées.
Par ailleurs, la définition du concept de démocratie directe adoptée par le livre s’avère plutôt restrictive. Si ce choix éditorial se défend, il exclut néanmoins plusieurs pratiques politiques qui y sont traditionnellement associées, comme les town meetings américains et les autres formes de démocratie participative qui reposent sur le vote de l’ensemble de l’électorat, principalement le budget participatif.
Malgré ces limites, Démocraties directes constitue un excellent ouvrage de référence pour les étudiant·es et les chercheur·euses souhaitant en apprendre davantage sur les référendums, en particulier les initiatives populaires, et leurs effets.