Résumés
Résumé
Avec la montée des préoccupations environnementales et l’avènement du principe de précaution, la réduction du risque de catastrophe est devenue un enjeu central de l’action publique. Dans ce contexte, les chercheurs sont de plus en plus sollicités par les autorités et par le grand public pour intervenir à titre d’experts. Or le passage de la pratique de la recherche et de celle d’opérateur de réseaux d’observations des phénomènes telluriques à la situation d’expertise ne se fait pas sans difficultés. À cet égard, le cas du risque volcanique dans l’arc des Petites Antilles est particulièrement révélateur compte tenu, notamment, des échelles spatio-temporelles très variables qui le caractérisent, de la multiplicité d’acteurs au sein de toute la société, des fortes incertitudes épistémiques et aléatoires qui le sous-tendent, de sa faible récurrence au regard des autres risques, mais aussi de la spécificité de sa chaîne d’impacts susceptible d’affecter de manière considérable de petits territoires insulaires vulnérables ancrés au sein d’un héritage historique et d’un tissu régional et international complexe. Une des difficultés – rarement abordée, tant par les chercheurs qui interviennent en tant qu’experts que par les politistes qui étudient les situations d’expertise – tient à la fragmentation des disciplines en différentes spécialités. Or cette question ne peut être abordée qu’en sortant des frontières disciplinaires traditionnelles. Le présent article, écrit conjointement par des chercheurs en sciences politiques et en sciences de la Terre, illustre de quelle manière la connaissance des tensions épistémologiques qui sous-tendent les sciences de la Terre peut contribuer à enrichir l’analyse de l’action publique lorsqu’il s’agit d’étudier les enjeux de l’expertise dans le cas des risques telluriques. Autrement dit, si le politiste dispose bien d’outils conceptuels lui permettant d’appréhender les « situations d’expertise », ces derniers gagnent à être enrichis par l’apport d’autres disciplines qui, à l’instar des sciences de la Terre, peuvent être mobilisées par les autorités responsables de la protection civile. Notre réflexion est illustrée par l’étude de deux cas de gestion de crise : l’éruption phréatique de La Soufrière de Guadeloupe (en 1976) et l’éruption magmatique de la Soufrière Hills de Montserrat (1995-en cours). Les outils mobilisés par le politiste, à l’instar des concepts d’expertise, de controverses, d’instruments d’action publique ou encore de communautés épistémiques, apparaissent insuffisants pour saisir la pluralité des savoirs et des savoir-faire développés par les experts face à des objets complexes. Or ce constat n’est pas le propre des seuls risques volcaniques. La plupart des phénomènes qui menacent aujourd’hui nos sociétés requièrent, en effet, de prendre en compte une complexité qui échappe largement à chaque discipline considérée isolément. Sortir de l’enclavement disciplinaire est difficile, comme en attestent les efforts déployés pendant plus de trois décennies par le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) pour harmoniser non seulement les contributions de différentes communautés de recherche, mais encore les articuler de manière à les rendre opérationnelles pour l’action publique. Pourtant, l’analyse de l’action publique ne peut que s’enrichir à faire le pari d’un tel dialogue.
Mots-clés :
- réduction des risques de catastrophe,
- expertise,
- risque volcanique,
- politiques publiques,
- gestion de crise
Abstract
With the rise of environmental concerns and the advent of the precautionary principle, disaster risk reduction has become a central issue in public policy. In this context, researchers and operators of monitoring networks of telluric phenomena are increasingly called upon by the authorities and the general public to intervene as experts. However, the transition from the practice of research to the situation of expertise is not without difficulty. In that respect, the case of volcanic risk in the Lesser Antilles arc is particularly revealing given the highly variable spatio-temporal scales that characterize it, the numerous actors spanning the entire spectrum of society, the intrinsic and considerable epistemic and aleatory uncertainties, its low recurrence rate compared to other risks, but also the considerable chain-link specificity of its impacts that can significantly effect small vulnerable island states embedded in the legacy of a complex history, regional, and international context. One of the difficulties—rarely addressed by researchers acting as experts and by researchers studying expertise situations—is the fragmentation of disciplines into different specialties. This issue can only be tackled by transcending traditional disciplinary boundaries. This article, written jointly by researchers in political science and in Earth sciences, illustrates how knowledge of the epistemological tensions that underlie Earth sciences can contribute to enriching the analysis of public action on the issue of risk management. Our reflection is illustrated by two case studies: the crisis associated with the phreatic eruption of La Soufriere in Guadeloupe (in 1976), and the crisis associated with the magmatic eruption of the Soufriere Hills Volcano of Montserrat (1995-ongoing). It reveals that the tools mobilized by politists—like the concepts of expertise, controversies, instruments of public action or even epistemic communities—cannot fully capture the plurality of knowledge and know-how developed by experts facing intricate problems. This observation is not unique to volcanic risks. Most of the phenomena that threaten our societies today require, indeed, to take into account a complexity that goes well beyond traditional disciplinary boundaries. Getting out of the disciplinary isolation is difficult. This is evidenced by the Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) experts’ efforts over more than three decades to harmonize not only the contributions of different research communities but to articulate them to make them operational for international public policy. Yet, the analysis of public action can only enrich itself to make the bet of such a dialogue.
Keywords:
- disaster risk reduction,
- expertise,
- volcanic risk,
- public policies,
- crisis management
Corps de l’article
Depuis les années 1990, avec la montée des préoccupations environnementales et l’avènement du principe de précaution, le risque de catastrophe est devenu un enjeu important de l’action publique (Le Galès et Lascoumes 2004 ; Borraz 2008). Dans ce contexte, les chercheurs en sciences de la Terre, comme d’autres scientifiques (Granjou, Mauz et Daccache 2013), sont de plus en plus sollicités par les autorités et par le grand public pour intervenir à titre d’experts. Or le passage de la pratique de la recherche à la situation d’expertise ne se fait pas sans difficultés (Devès 2015). Le cas de l’arc des Petites Antilles (figure 1) est, à cet égard, révélateur.
Les volcans de l’arc des Petites Antilles représentent, en effet, une menace particulièrement dangereuse en raison de leur capacité à produire une grande diversité d’éruptions[1]. Les éruptions explosives pliniennes produisent une colonne de gaz et de particules solides pouvant atteindre quinze à quarante kilomètres de hauteur. Celles-ci retombent sous forme d’une pluie de ponces et de particules fines sur une grande surface. Lorsque la colonne est trop dense, elle s’effondre sur elle-même, générant des écoulements pyroclastiques (nuées ardentes), c’est-à-dire des avalanches de gaz et de particules à haute température s’épanchant sur les flancs des volcans sur de longues distances. Les éruptions à croissance de dôme de lave (par exemple l’éruption catastrophique de la montagne Pelée en 1902 qui a détruit la ville de Saint-Pierre en faisant près de 28 000 morts) génèrent également de nombreux écoulements pyroclastiques liés à l’effondrement du dôme, particulièrement instable. Ces volcans sont aussi susceptibles d’engendrer des éruptions avec écroulement partiel d’un flanc du volcan qui produisent une avalanche de débris pouvant atteindre plusieurs kilomètres de distance, souvent associées à une puissante explosion latérale avec la mise en place d’écoulements pyroclastiques (par exemple l’éruption du mont Saint Helens en 1980). Les éruptions phréatiques (La Soufrière de Guadeloupe, 1976), pour lesquelles le magma n’arrive pas en surface, sont associées à la décompression explosive de nappes phréatiques et de fluides d’origine hydrothermale présents dans les zones superficielles du volcan et surchauffés par un flux de chaleur et de gaz d’origine magmatique émanant des zones plus profondes. Elles interviennent souvent avec peu de signaux d’origine géophysique ou géochimique susceptibles d’être enregistrés par les réseaux de surveillance spécialisés avant le début de l’éruption et de constituer ainsi des précurseurs de l’activité dangereuse future. Les éruptions phréatiques et hydrothermales engendrent une grande diversité de phénomènes dangereux (comme projections de blocs, pluie de cendre, gaz, écoulements pyroclastiques, coulée de boue, avalanche de débris).
Le risque volcanique est, de surcroît, rendu spécifique par le fait que la phénoménologie des crises est très variable. Si la plupart des éruptions s’annoncent par des signes précurseurs, l’activité éruptive peut aussi bien durer quelques jours que quelques mois ou plusieurs années et il est difficile de prédire a priori son évolution et le moment de son paroxysme. Les différents types d’éruptions n’ont, par ailleurs, pas les mêmes conséquences en termes de gestion des risques, car elles ne sont pas associées aux mêmes types d’aléas dans l’espace et dans le temps et parce qu’elles n’impactent pas les enjeux humains de la même manière. Il est, de ce point de vue, important de noter que les volcans se comportent comme un système dynamique dominé par une multitude de processus géologiques, géophysiques, géochimiques, hautement non linéaires, cachés et peu accessibles à la majorité des méthodes de mesure, qu’ils sont sensibles à des forçages externes (séisme, météorologie), et qu’ils ne constituent pas un objet aux limites parfaitement définies, voire connues. Aussi les mesures pour le caractériser sont-elles non seulement partielles et rehaussées d’incertitudes épistémiques et aléatoires, mais également affectées d’un important biais de représentation du réel.
Face à cette complexité, les pouvoirs publics responsables de la sécurité civile doivent pouvoir s’appuyer sur l’expertise des chercheurs en sciences de la Terre et sur leur capacité à élaborer des scénarios permettant, notamment, de définir des zones à risque, de détecter les changements de comportement d’un volcan, d’anticiper du mieux possible son éventuel réveil et de fournir des scénarios relatifs à la nature de l’éruption, sa dynamique et son évolution, en s’attachant, compte tenu des limites de connaissance, à le faire dans une approche quantitative et probabiliste. Or, l’une des difficultés, rarement abordée tant par les scientifiques de la Terre que par les politistes qui étudient les groupes d’experts, tient à la fragmentation des disciplines en différentes spécialités (Devès 2015). Richard Whitley (1976) rappelle que si les disciplines apparaissent comme un principe organisateur régissant les aires de la recherche institutionnalisée, elles se caractérisent dans le même temps par une forte spécialisation qui fait écho à des singularités épistémologiques dans l’approche des objets étudiés.
La discipline des sciences de la Terre compte en effet de nombreuses spécialités, parmi lesquelles on peut citer la géophysique, la géochimie, la géomorphologie, ou encore la volcanologie, la sismologie et la sédimentologie. Ces spécialités sont dénommées suivant deux usages distincts qui, dans une certaine mesure, relèvent d’approches épistémologiques différentes. Dans le premier cas, le préfixe géo est suivi du nom de la discipline sur laquelle le chercheur s’appuie pour son étude (physique ou chimie). Le géophysicien va, par exemple, chercher à décrypter les mécanismes à l’oeuvre dans le système Terre en se fondant sur les théories, les méthodes et les techniques de la physique. Ici, la primeur est donnée à l’approche valorisant l’application des savoirs et des savoir-faire spécialisés. Dans le second cas, le nom de la spécialité est une extension de l’objet d’étude. Le sismologue étudie les séismes, le sédimentologue, les sédiments, le volcanologue, les volcans. Sous cet angle, la primeur est, cette fois, donnée à l’objet valorisant une connaissance plus holistique de l’objet. De telles distinctions, que – sauf formation scientifique poussée par ailleurs – ne peut saisir le politiste sans le concours des chercheurs en sciences de la Terre, produisent des effets sur la capacité des experts scientifiques à élaborer un récit commun et à s’approprier des instruments de quantification des incertitudes. L’approche interdisciplinaire se révèle donc particulièrement féconde pour appréhender les effets de la différence des pratiques des chercheurs et, au-delà, de la fragmentation disciplinaire (Galison 1997 ; Knorr Cetina 1999) dans la situation d’expertise.
Cet article s’efforcera donc de montrer comment la connaissance des différences épistémologiques qui sous-tendent les sciences de la Terre contribue à enrichir l’analyse de l’action publique appliquée aux crises volcaniques et comment les attentes et les mécanismes de la décision publique en termes de gestion des aléas peuvent permettre aux scientifiques de mieux expliciter et partager leur représentation du réel. Notre réflexion, pluridisciplinaire par son objectif comme par ses moyens, sera illustrée par l’étude de deux cas différents de gestion de crise dans le même contexte géodynamique et géographique, l’Arc des Petites Antilles : l’éruption phréatique non magmatique de La Soufrière de Guadeloupe en 1976, et l’éruption magmatique de la Soufrière Hills de Montserrat (1995-en cours)[2]. La « crise de 1976 » a donné lieu à une violente opposition entre les experts. Celle-ci s’est transformée en controverse publique avec des conséquences dommageables sur la gestion de la crise (Fiske 1984 ; Lepointe 1984 ; 1999 ; Stieljes 2004 ; Komorowski et al. 2005 ; Devès et Ribémont 2018). Forts du retour de cette expérience, des avancées épistémiques importantes qu’elle a suscitées et de la sophistication et de l’amélioration des méthodes de surveillance en volcanologie, les experts convoqués lors de l’éruption de la Soufrière Hills de Montserrat ont développé une approche différente. En s’appuyant sur l’analyse structurée du jugement des experts (structured expert judgement) qui permet, à l’aide d’outils probabilistes de quantification et d’explicitation de l’incertitude, de mettre en évidence l’influence du degré d’information et d’incertitude épistémique des experts sur l’élaboration d’un consensus d’analyse face à une décision publique (Aspinall 2010 ; Woo 2011 ; Aspinall et Cooke 2013 ; Hincks et al. 2014 ; Aspinall et Blong 2015), ils ont réussi à dépasser les tensions générées par la différence de leurs pratiques en situation d’incertitude tout en prenant en compte les opinions divergentes et le contexte sociopolitique et historique dans lequel se construit l’action publique.
Expertise et controverses : des concepts insuffisants pour saisir la complexité de la gestion de crise volcanique ? Le cas de l’éruption de La Soufrière de Guadeloupe en 1976
Du point de vue du politiste, la question de la prise en compte politique des risques volcaniques peut renvoyer essentiellement au poids croissant de l’expertise dans le champ de la gestion des risques et de l’action publique (Delmas 2011). Si la science politique et la sociologie des sciences proposent diverses approches de l’expertise (voir par exemple : Castel 1985 ; 1991 ; Restier-Melleray 1990 ; Trépos 1996 ; Delmas 2001), une définition communément admise considère l’expertise comme une production de savoir plus ou moins hétéronome en fonction des cas considérés, caractérisée par la mobilisation de compétences professionnelles spécifiques, et investie dans un processus politique (Offerlé 1994 ; Neveu 2000). Pour reprendre la définition proposée par Philippe Roqueplo (1997), l’expertise peut alors être définie comme une démarche conduisant à élaborer un énoncé, à partir des savoirs et des savoir-faire en circulation dans les disciplines de recherche, et visant à répondre à une question posée par un tiers à un acteur jugé compétent. En situation d’expertise, les chercheurs sont ainsi soumis à des logiques qui peuvent paraître contradictoires (Devès 2015). D’une part, ils doivent s’appuyer sur leur démarche de recherche fondamentale qui conduit à la formation de discours spécialisés, lesquels permettent de rendre compte de morceaux épars du réel[3] et ne sont pas a priori conciliables. D’autre part, ils doivent veiller à produire un récit englobant construit dans une perspective d’aide à la décision. Dans cette configuration, comme le rappelle Pierre-Benoît Joly (2007, 24), « si les scientifiques s’en tiennent à l’énoncé des connaissances certifiées, ils ne répondent pas à la question posée par le politique. Inexorablement, l’expertise suppose [donc] de dépasser les limites du savoir scientifique ». On comprend dès lors que, parce qu’elle implique un déplacement des frontières, la situation d’expertise puisse donner lieu à des controverses au sein de la communauté académique comme au sein des groupes d’experts. La notion de controverse est ainsi devenue centrale dans l’analyse de l’action publique pour comprendre la construction des problèmes publics, mais aussi l’usage des savoirs et des savoir-faire à des fins de décision politique (Callon, Lascoumes et Barthe 2001 ; Pestre 2007).
On peut définir les controverses, avec Pierre Lascoumes (2006, 126), de la manière suivante : « des séquences de discussion et d’affrontement entre des points de vue divergents sur un sujet. Elles sont aujourd’hui considérées comme des temps d’exploration et de stabilisation des enjeux durant lesquels la diversité des dimensions, la pluralité des acteurs engagés et des voies d’action possibles sont envisagées avant la clôture politique. » En situation d’expertise, les controverses correspondent souvent à des configurations dans lesquelles un différend entre deux parties est mis en scène devant les autres parties placées en position de juger ou de prendre une décision politique (Lemieux 2007). Dans cette perspective, les ressorts de la controverse recouvrent au moins deux dimensions différentes : la première a trait aux rapports de force entre acteurs au sein d’un champ, la seconde relève des procédures d’administration de la preuve. L’une des difficultés pour le politiste est qu’il ne maîtrise a priori ni les savoirs et savoir-faire lui permettant de comprendre comment s’articulent l’expertise des chercheurs au reste de leur travail de recherche, ni les enjeux stratégiques, explicites et latents, internes à la discipline qu’il analyse.
En d’autres termes, si les notions d’expertise et de controverse donnent un cadre global pour appréhender des situations d’expertise, elles ne permettent de comprendre ce qui se joue entre les chercheurs qu’à la condition d’avoir à l’esprit que ceux-ci investissent le processus d’expertise différemment selon ce qui constitue leur expérience de la recherche. Or le politiste, par sa formation, n’est, en principe, pas préparé scientifiquement à saisir la complexité de tels enjeux, notamment lorsqu’il s’agit d’étudier le passage de la recherche fondamentale à l’expertise. Il doit donc pouvoir s’appuyer sur les scientifiques et s’approprier leur langage, leurs savoirs et savoir-faire : sans ce travail d’apprentissage, qui suppose de comprendre les ressorts épistémologiques des spécialités internes à une discipline, le politiste risque de limiter son analyse à une perspective réifiée et descriptive des acteurs et des situations qu’il étudie.
La crise éruptive de La Soufrière de Guadeloupe en 1976 est, à cet égard, révélatrice. En effet, lors de cette crise (Farrugia 1977 ; Loubat et Pistolesi-Lafont 1977 ; Feuillard et al. 1983 ; Komorowski et al. 2005 ; Beauducel 2006 ; Feuillard 2011 ; Devès et Ribémont 2018), l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP) et, au-delà, la communauté des sciences de la Terre, impliqués dans la surveillance des volcans français, ont connu une période particulièrement critique. Les chercheurs habitués à des tâches de recherche fondamentale se sont retrouvés à interagir avec les autorités et le grand public dans un contexte où la gestion de crise n’avait pas été préparée. Une importante controverse qui a éclaté entre les experts a été relayée par la presse et a nourri, par ricochet, les critiques à l’encontre des décisions prises par les autorités[4].
Les grandes étapes de la crise dite « de 76 »
La crise démarre au cours de l’été 1975. La sismicité augmente de manière significative, dépassant largement les niveaux de base. L’IPGP alerte la préfecture et la sécurité civile qui lancent l’étude d’un nouveau plan ORSEC « éruption » (Organisation de la réponse de sécurité civile). En décembre 1975, les séismes sont suffisamment forts pour être ressentis par la population, en particulier les 76 000 habitants que compte la zone à risque. En mars 1976, le plan ORSEC est approuvé par les maires et les conseillers généraux. L’activité sismique ne cessant de s’intensifier, les pouvoirs publics demandent à l’IPGP d’envoyer sur place le directeur des observatoires volcanologiques, Haroun Tazieff. Le diagnostic des experts est alors rassurant et leurs avis à peu près unanimes : « la situation est sérieuse mais pas critique » (déclaration de Michel Feuillard, directeur de l’observatoire de Guadeloupe, 30 avril 1976). Néanmoins, le 8 juillet, une première explosion phréatique a lieu, plongeant Saint-Claude dans l’obscurité pendant vingt minutes (en raison des nuages et des retombées de cendre) et déclenchant l’évacuation spontanée de près de 25 000 personnes. L’absence de verre frais dans les produits éruptifs suggérant l’absence de magma à faible profondeur, le diagnostic des chercheurs reste cependant rassurant ; le plan ORSEC n’est donc pas déclenché.
Malgré l’intensification de l’activité sismovolcanique et l’inquiétude croissante de la population, Tazieff, considérant que la situation n’est pas critique, quitte la Guadeloupe pour une mission prévue de longue date en Équateur. Il se fait remplacer par son collègue John Tromblin. Lorsqu’il arrive en Guadeloupe, ce dernier est impressionné par les manifestations du volcan et juge la crise assez sérieuse. À la même période, la direction de l’IPG connaît un changement et, début août 1976, Claude Allègre prend la tête de l’Institut. C’est dans ce contexte mouvant que les manifestations sismovolcaniques s’intensifient, conduisant les experts présents à réinterpréter les observations accumulées depuis le début de la crise. Ces derniers commencent à suspecter l’arrivée de magma frais et redoutent que cela se transforme en une éruption magmatique semblable à celle de la montagne Pelée en 1902 qui a conduit à la dévastation de la région de Saint-Pierre et tué près de 30 000 personnes. Le 12 août, les experts reçoivent les résultats des analyses réalisées sur les produits de l’explosion du 8 juillet. Ceux-ci laissent supposer l’existence de verre frais, ce qui renforce la crainte des experts quant au développement d’un scénario catastrophique. Cette analyse n’est toutefois pas partagée par l’ensemble des chercheurs mobilisés. Les chimistes, en particulier, ne constatent pas d’évolution dans la chimie des gaz. Le 14 août, en l’absence de corrélation entre les différentes observations, l’équipe scientifique s’accorde donc pour dire que la situation est grave mais sans péril immédiat. Mais le lendemain, les experts responsables réévaluent leur position et proposent au préfet une nouvelle interprétation :
Tout se passe comme si du magma était monté depuis un an, signalé par cette crise longue et soutenue, la plus grande crise sismique enregistrée dans les Antilles […] Ce n’est pas la faiblesse de la poussée magmatique qui explique le dégazage relativement modéré, mais la présence du dôme même de La Soufrière, qui constitue un bouchon presque imperméable, prêt à sauter et à libérer une quantité énorme d’énergie. Il faut évacuer toute la zone dangereuse, car une nuée ardente dirigée peut frapper n’importe où […] Nous courons à la catastrophe.
Beauducel 2006
Le préfet déclenche immédiatement le plan ORSEC dont l’application conduira à l’évacuation de plus de 73 000 personnes.
De retour de mission à la fin du mois d’août, Haroun Tazieff approuve la décision d’évacuation, mais remet en cause l’analyse des experts quant à l’imminence d’un cataclysme. Il explique à la presse que « la volcanologie est une science comme la médecine : il faut du doigté, du sang froid, de l’énergie, de l’habitude et l’expérience du terrain. Les études de laboratoire ne suffisent pas […] Il n’y a pas de danger immédiat […] Le phénomène est complexe, à travers de nombreux paramètres on se fait une idée mais on se trompe très souvent. » (Beauducel 2006) Les semaines et les mois qui suivent vont être marqués par le développement d’une virulente controverse, d’autant mieux reprise et amplifiée dans l’espace public que les conséquences socioéconomiques de l’évacuation sont de plus en plus difficiles à vivre pour les populations. Ainsi, Tazieff soutient qu’il s’agit « d’éruptions phréatiques non dangereuses à court terme, et non magmatiques » (ibid.), tout en concédant : « on nous demande de donner avec des moyens ridiculement mesquins un pronostic qui exigerait des moyens colossaux » (ibid.). Les autres experts de l’IPGP s’en tiennent quant à eux à l’idée selon laquelle « au regard de l’incertitude de la science volcanologique, il est impossible de faire courir un risque grave à la population guadeloupéenne » (ibid.). Affichant ouvertement son opposition à la position défendue par l’IPGP, Tazieff quitte la Guadeloupe. On lui demandera de démissionner en septembre 1976, ce qui contribuera au développement d’une controverse médiatique l’opposant à son ancien supérieur hiérarchique, Claude Allègre.
Mi-septembre 1976, le laboratoire américain de Los Alamos, mandaté pour une analyse complémentaire des produits éruptifs du 8 juillet, conclut à l’absence de verre frais. Cela conduit les experts de l’IPGP à revoir leur diagnostic et à se réorienter vers une interprétation phréatique. Tazieff se saisit de l’erreur et dénonce les diagnostics de ses contradicteurs dans la presse. Face à l’incapacité des experts à dépasser leur opposition et à l’écho médiatique dont bénéficie la dispute scientifique, le préfet demande au ministère de l’Intérieur de mandater une commission d’experts internationaux pour statuer sur l’évolution du volcan. Ceux-ci se prononcent en faveur du scénario phréatique, mais reconnaissent que les données scientifiques disponibles au moment de la décision d’évacuation mi-août ne permettaient pas d’éliminer l’hypothèse magmatique (Hincks et al. 2014). Bien que le volcan reste actif (une explosion particulièrement violente se produira en janvier 1977 et il faudra attendre jusqu’en juin pour que l’activité sismique retrouve son niveau de base), on invite les populations, en fonction des zones considérées, à retourner à leur domicile entre la mi-octobre et le début décembre 1976. L’évacuation aura cependant eu de lourdes conséquences socioéconomiques conduisant même, selon certains anthropologues, à l’apparition d’un « vécu de catastrophe » dans la population (De Vanssay 1979 ; Lepointe 1984).
La description de la crise montre que si le politiste peut être en mesure de reconstruire la chronologie des événements, voire la cartographie des acteurs de la crise, il lui est en revanche plus difficile d’appréhender sa portée scientifique sans le concours des chercheurs en sciences de la Terre. La question scientifique que représente la présence ou l’absence de verre frais dans les produits éruptifs, de même que la distinction entre éruptions magmatiques et phréatiques, n’est saisissable que par un échange interdisciplinaire. Un tel dialogue permet, en outre, de mieux analyser non seulement les enjeux de pouvoir qui se jouent dans le champ de la recherche au moment de la crise, mais aussi les différences de positionnements épistémologiques entre les experts.
Une tribune croisée publiée dans La Recherche en décembre 1976 montre en effet que la controverse opposant Haroun Tazieff à Claude Allègre (Allègre 1976 ; Tazieff 1976) ne se réduit pas, quand bien même cette dimension est importante, à un conflit de pouvoir. Elle repose sur deux approches épistémologiques différentes, lesquelles ont des conséquences directes sur le positionnement politique des chercheurs en situation d’expertise. L’avis des deux scientifiques diverge notamment sur la place que l’on doit accorder à l’appréciation subjective des chercheurs en situation d’incertitude. Tazieff souligne l’inévitable incomplétude des mesures et des analyses spécialisées, aussi sophistiquées soient-elles, et leur oppose une approche plus holistique des phénomènes, nourrie de son expérience de terrain. La cristallisation de la polémique autour de la présence de verre magmatique « frais » est, de ce point de vue, particulièrement éclairante. Pour Tazieff (1976), la prise de risque se situe non pas du côté des décideurs, mais celui des scientifiques en prise avec le terrain : « le risque que nous prenions, très consciemment [en ne conseillant pas d’évacuer la population], est inhérent au métier même de volcanologue ». Allègre, au contraire, se fait le porte-parole d’une approche spécialisée reposant presque exclusivement sur l’utilisation de méthodes et de mesures jugées d’autant plus rigoureuses qu’elles sont spécialisées. Il minimise ainsi la portée du savoir de terrain de Tazieff et n’hésite pas d’ailleurs à le qualifier de « naturaliste ». Il considère, à ce titre, que la responsabilité du scientifique est « de fournir aux autorités civiles toutes les informations nécessaires » mais, en aucun cas, « de prendre des décisions administratives concernant une évacuation, un retour, etc. » (Allègre 1976). On voit ainsi se dessiner deux visions antagonistes du rôle du chercheur en situation d’expertise. Allègre se définit avant tout comme géochimiste, tandis que Tazieff se déclare volontiers volcanologue. Le premier se perçoit comme un spécialiste qui s’appuie sur les savoirs et les savoir-faire issus de la chimie pour aborder le réel volcanique (Devès 2015), tandis que le second se perçoit comme ayant construit, par l’expérience de terrain notamment, une connaissance plus holistique de son objet d’étude favori : le volcan. Pour Tazieff, la mesure et l’interprétation scientifique sont, en soi, des actes politiques, la frontière entre connaissance et décision se révélant artificielle. Allègre (1976) en revanche sépare la responsabilité des scientifiques, dont la méthode et les instruments doivent garantir la neutralité axiologique, de celle des autorités politico-administratives, auxquelles échoit « le processus de décision impliquant des facteurs économiques, psychologiques et politiques dont la combinaison va aboutir à protéger la vie des populations concernées ».
La crise de La Soufrière de Guadeloupe, bien qu’elle soit restée célèbre comme l’exemple à ne pas suivre, a néanmoins permis l’élaboration d’un plan de secours spécialisé « volcan » tenant compte des différents scénarios d’éruptions possibles – magmatique vs phréatique (Stieltjes 2004). Elle a, en outre, amené la communauté des sciences de la Terre à se confronter à la question de l’expertise. Forts de cette expérience, les chercheurs aborderont très différemment la gestion de crise de la Soufrière Hills de Montserrat. En effet, tirant les leçons de la crise de la Soufrière de Guadeloupe, ils ont cherché à objectiver les incertitudes liées à l’incomplétude de leurs savoirs et savoir-faire. Retracer ce cheminement propre à la recherche appliquée en sciences de la Terre suppose, pour le politiste, d’accepter de sortir de ses seuls cadres conceptuels et d’adopter, le cas échéant, une approche dite d’« expertise interactionnelle » (Collins et Evans 2007). Cette démarche requiert en effet une socialisation linguistique aboutissant à une maîtrise relative du langage d’une communauté scientifique autre. Elle n’est nullement une acculturation totale, mais bien la maîtrise du langage d’un domaine spécialisé en l’absence de compétence pratique. Elle s’oppose ainsi à l’expertise dite « contributive » qui suppose l’acquisition d’une compétence spécifique dans un domaine spécialisé (Collins et Evans 2007 ; Bérard 2010). La posture d’expertise interactionnelle, comme le montre l’analyse du cas de la Soufrière Hills de Montserrat ci-dessous, permet donc au politiste, non pas de se départir de ses propres catégories d’analyse, mais de les faire dialoguer avec d’autres, ce qui suppose un travail d’apprentissage.
Penser les crises volcaniques par les instruments et les communautés épistémiques ? Retour sur la crise de la Soufrière Hills de Montserrat
Le politiste dispose de plusieurs approches et outils conceptuels qui, à l’instar des notions d’instruments d’action publique ou encore de communautés épistémiques, permettent d’étudier la configuration d’expertise qui se met en place lors de la crise de Montserrat. Pourtant, comme on le verra, ceux-ci peuvent se révéler insuffisants. Face à des systèmes complexes comme les crises volcaniques, les savoirs et savoir-faire du politiste gagnent, en effet, à être complétés par ceux des scientifiques de la Terre.
Pour répondre à la demande d’expertise générée par l’éruption de Montserrat, les chercheurs ont développé des méthodes de gestion des incertitudes reposant sur des instruments probabilistes d’aide à la décision afin de dépasser leurs différences. Par instruments, on entend en science politique des techniques et des dispositifs (eux-mêmes dépendant des savoirs et des savoir-faire en circulation dans un champ en un temps donné) qui « permettent de matérialiser et d’opérationnaliser l’action » (Le Galès et Lascoumes 2006, 268). Ces instruments sont différents de ceux utilisés pour étudier le volcan, instruments eux-mêmes affectés d’incertitudes. Au demeurant, bien qu’ils n’évacuent pas les incertitudes propres à la complexité des problèmes traités et à la démarche scientifique, les instruments peuvent, par exemple, faciliter le dépassement des controverses pour la prise de décision. Ils constituent donc une entrée utile pour comprendre le fonctionnement des groupes d’experts. Toutefois, si le politiste est relativement agile pour étudier certains instruments normatifs ou économiques (Howlette 1991 ; Hall 1993), il peut éprouver une difficulté à appréhender des outils supposant un raisonnement scientifique spécialisé. Ici, à nouveau, le regard porté par les scientifiques issus des sciences dites « dures » permet de mieux comprendre l’instrument que l’on étudie et de coconstruire l’analyse de ce dernier. Cette croisée des regards apparaît d’autant plus essentielle que, en situation d’expertise, un instrument peut être porté par la constitution d’une communauté épistémique, voire contribuer à stabiliser cette dernière.
Peter Haas définit les communautés épistémiques comme des « réseaux de professionnels ayant une expertise et une compétence reconnues dans un domaine particulier et qui peuvent faire valoir un savoir pertinent sur les politiques publiques du domaine en question » (1992, 3). Selon lui, ces communautés épistémiques se caractérisent par quatre éléments partagés par les acteurs qui la composent : 1) un ensemble commun de croyances normatives et de principes qui fournissent une justification fondée sur la valeur pour l’action sociale des membres de la communauté ; 2) des croyances partagées sur les causalités, qui sont issues de leur analyse de pratiques qui amènent ou contribuent à un ensemble central de problèmes dans leur domaine, et qui servent ensuite de base pour élucider les liens multiples entre actions politiques possibles et résultats souhaités ; 3) des notions communes de validité – c’est-à-dire des critères intersubjectifs, définis en interne, pour la pondération et la validation des connaissances dans leur domaine d’expertise ; et 4) une entreprise politique commune – c’est-à-dire un ensemble de pratiques communes associées à un ensemble de problèmes vers lesquels leur compétence professionnelle est dirigée (ibid.).
Le concept de communautés épistémiques, fréquemment utilisé par les politistes en sociologie de l’action publique, se révèle cependant souvent trop descriptif et ne permet pas toujours d’appréhender les fondements épistémologiques sur lesquels s’appuient les groupes étudiés (Meyer et Molyneux-Hodgson 2011) : comprendre la constitution ou l’échec d’une communauté épistémique suppose donc de saisir de manière relativement fine les césures et les convergences épistémologiques qui la sous-tendent. Comme le rappelle notamment Karin Knorr Cetina (1999, 3), la science se caractérise par sa fragmentation en différentes architectures d’approches empiriques, constructions spécifiques du référent, ontologies particulières d’instruments, et différentes machines sociales. L’auteure parle ainsi non pas de communautés épistémiques, mais de « cultures épistémiques », renvoyant aux amalgames d’arrangements et de mécanismes – liés par affinité, nécessité et coïncidence historique – qui, dans un domaine donné, constituent la façon dont nous savons ce que nous savons. Les cultures épistémiques sont des cultures qui créent et garantissent les connaissances ; et la principale institution de connaissance dans le monde reste la science (ibid., I).
Ainsi, quel que soit le concept mobilisé par le politiste (communautés épistémiques ou cultures épistémiques) en matière d’analyse des groupes d’experts engagés dans des cas de gestion de crise volcanique, les chercheurs en sciences de la Terre lui apportent une clé de compréhension essentielle pour saisir les différents mécanismes épistémiques, techniques et sociaux (Van House 2002) qui sous-tendent les situations d’expertise étudiées. Ils permettent, en outre, comme l’atteste ci-après l’étude de la crise de la Soufrière Hills de Montserrat, de saisir la complexité scientifique des instruments mis en oeuvre par les groupes d’experts pour s’extraire des logiques de controverses.
Le 18 juillet 1995, l’explosion phréatique de la Soufrière Hills de Montserrat a surpris la population et les autorités en dépit d’alertes précédentes[5]. Au début de la crise, la capitale Plymouth, localisée sur les flancs du volcan à seulement cinq kilomètres du sommet, compte environ 13 000 habitants. La croissance d’un dôme de lave à partir de la mi-novembre 1995 indique l’arrivée du magma en surface. Au cours des 25 années de son déroulement, l’éruption se caractérise par des phases de croissance de dôme associées à une forte activité explosive et des périodes de pause (figure 2). Elle produira près d’un kilomètre cube de lave visqueuse s’accumulant pour former une succession de dômes de lave. Ces derniers sont particulièrement instables et produisent de très nombreux écoulements pyroclastiques qui dévalent les flancs du volcan et entraînent des destructions massives sur leur passage. En 2019, l’éruption n’est toujours pas considérée comme terminée, puisque les réseaux de surveillance enregistrent encore un niveau de signal, pour plusieurs paramètres géophysiques et géochimiques, nettement supérieur au niveau de base. Cependant, la croissance du dôme a cessé le 11 février 2010 après un effondrement et une explosion de grande ampleur (Wadge et al. 2014), qui ont été suivis depuis par une pause dans l’activité éruptive.
Amy Donovan et Clive Oppenheimer (2014) distinguent deux grandes phases pendant la crise. La période de 1995 à 1998 constitue la phase aiguë. Les auteurs rappellent qu’il s’agit d’une période de profonde déstabilisation politique, sociale et économique durant laquelle les deux tiers de la population quittent l’île. Cette phase se caractérise par une difficulté à construire une représentation partagée et assumée de la crise, de son évolution probable et de ses impacts sur la société. Les avis des autorités divergent sur la nécessité de maintenir la population sur le territoire, sur la possibilité et les impacts économiques[6] d’une installation de la population dans le nord, peu développé jusqu’alors mais où les risques sont faibles. Au cours de cette période, on observe une forte dépendance envers les avis scientifiques, en particulier ceux de l’observatoire de Montserrat (Montserrat Volcano Observatory – MVO), mis en place en 1995 pour surveiller le volcan (Aspinall et al. 2002). L’évaluation des risques se fait alors de manière ad hoc, au sein du MVO, sous la forme de discussions entre chercheurs, avec la publication de certains rapports internes à destination du public. Le 25 juin 1997, l’éruption fait 19 morts et huit blessés. À partir de décembre 1997, un consensus se crée autour de la nécessité de procéder à une évaluation des risques plus structurée, formelle et comptable. Celle-ci se fera désormais sous l’égide du MVO et du British Geological Survey (BGS) lors de réunions semestrielles d’un groupe international de scientifiques appelé le Risk Assessment Panel (RAP) qui développe une méthodologie quantitative d’analyse des risques volcaniques.
Entre 1998 et 2010, la crise se chronicise. Pendant cette période, le tracé de la zone d’exclusion (approximativement les deux tiers de l’île) est bien établi et stabilisé. On procède néanmoins à des évacuations régulières des zones frontalières. Une zone d’occupation sécurisée est développée au nord de l’île (avec la création, entre autres infrastructures, d’une nouvelle capitale, Little Bay, d’un nouveau port et d’un nouvel aéroport). À partir de mai 2003, l’évaluation des risques volcaniques est formalisée par la création du Scientific Advisory Committee (SAC), comité officiel d’expertise mandaté par le gouvernement britannique (lire notamment Wadge et Aspinall 2014 ; Aspinall et Blong 2015.). Ce comité indépendant, mais qui travaille en collaboration avec le MVO, se réunit à Montserrat tous les six mois entre 2003 et 2011, puis une fois par an par la suite. L’analyse proposée par les experts se fonde sur l’observation et l’interprétation de l’activité volcanique tout en incluant les enjeux sociétaux identifiés par les autorités. Le groupe d’experts reprend et développe les instruments d’analyse quantitative mis en place par les scientifiques du RAP.
La stratégie adoptée s’appuie sur les arbres décisionnels probabilistes (voir Aspinall et al. 2002 ; Newhall et Hoblitt 2002 ; Marzocchi et al. 2004 ; SAC 2013-2014) et sur les réseaux bayésiens de neurones (Spiegelhalter et al. 1993 ; Hincks 2006 ; Hincks et al. 2006 ; SAC 2013-2014 ; Hincks et al. 2014 ; Wadge et Aspinall 2014). Dans les deux cas, on utilise la méthode d’analyse structurée du jugement des experts (structuredexpert judgement) qui est réalisée à l’aide d’outils probabilistes de quantification de l’incertitude et d’aide à la décision (Aspinall 2006 ; 2010 ; Aspinall et Cooke 2013 ; Hincks et al. 2014).
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La méthodologie des arbres décisionnels est appliquée depuis une vingtaine d’années dans les sciences sociales ainsi que dans le domaine du diagnostic technique industriel (par exemple en matière de modélisation de pannes et d’avaries). En volcanologie, elle a été appliquée avec succès pour la première fois lors de l’éruption du Pinatubo en 1991 (Punongbayan 1996). Elle a été développée puis utilisée de manière systématique pendant l’éruption de la Soufrière Hills à Montserrat (Aspinall et Blong 2015).
Un arbre décisionnel consiste en une représentation graphique d’une succession logique d’événements volcaniques et/ou de scénarios prenant en considération une multiplicité de choix possibles. L’évaluation des risques implique de déterminer les probabilités conditionnelles d’occurrence des événements pris en considération dans l’arbre décisionnel. Ces probabilités sont évaluées en s’appuyant sur plusieurs jeux de données tels que l’analyse statistique de la fréquence et l’intensité de l’activité éruptive passée d’un volcan (déduite de l’enregistrement géologique), des données de modélisation analogiques, des données provenant d’autres volcans et des données de surveillance. L’interprétation corrélative à ces différents jeux de données est associée à deux types d’incertitude : d’une part, l’incertitude liée au manque de connaissance (incertitude épistémique) et, d’autre part, l’incertitude liée à la complexité du phénomène volcanique lui-même qui se comporte de manière non linéaire (incertitude aléatoire). Ces incertitudes peuvent donner lieu à des interprétations différentes parmi les experts. Tout l’enjeu de la méthode du structured expert judgement est de quantifier cette part de subjectivité pour pouvoir l’intégrer comme donnée objective dans le processus décisionnel, ce qui est réalisé grâce aux modèles de statistique bayésienne (Sparks et Aspinall 2004 ; Marzocchi, Sandri et Selva 2007 ; Aspinall 2010 ; Hincks et al. 2014 ; Aspinall et Woo 2014).
Un réseau bayésien de neurones (Bayesian belief network) constitue un de ces instruments d’analyse probabiliste. Il a été très largement développé lors de la gestion de la crise de l’éruption de la Soufrière Hills. Avec cet outil, la probabilité que le système évolue vers une éruption est calculée itérativement via le formalisme des réseaux bayésiens en faisant des hypothèses sur les liens de causalité entre les observations et les états de la dynamique interne du système (en l’occurrence les états susceptibles d’engendrer une éruption). Le réseau bayésien est évolutif et peut s’auto-instruire en fonction de l’évolution des données, de leur qualité, de la pertinence des relations causales et de leur degré d’incertitude qui peut être quantifié (et réduit). Le réseau bayésien constitue l’instrument permettant de formaliser de manière graphique et explicite les dépendances probabilistes conditionnelles qui seront intégrées dans l’arbre décisionnel. L’intérêt de cet instrument est qu’il permet la prise en compte simultanée des incertitudes liées aux jugements des experts (introduites comme données sous forme de probabilités) et aux incertitudes liées à l’imperfection des savoirs et des savoir-faire scientifiques eux-mêmes (qualité des observations, usage de relations empiriques plus ou moins définies, biais de modélisation, etc.).
La constitution des arbres décisionnels et des réseaux bayésiens de neurones s’appuie sur la méthode de Cooke afin de pondérer l’opinion des experts (structured expert judgement) (voir Cooke 1991 ; Aspinall et Woo 1994 ; Bedford et Cooke 2001 ; Aspinall 2006 ; Aspinall 2010 ; Tyshenko et al. 2012 ; Bamber et Aspinall 2013). Les performances des experts sont calibrées de manière anonyme par rapport à une série de questions reflétant l’état de la connaissance dans la thématique concernée par l’expertise. Chaque expert répond à une série de questions clés en donnant sa meilleure estimation de la probabilité attendue ainsi que de la valeur la plus basse (5e percentile) et de la valeur la plus haute (95e percentile) de cette probabilité (c.-à-d. leur intervalle de confiance autour de leur meilleure valeur du 50e percentile). Il reçoit un score en fonction de la justesse de ses réponses par rapport aux réponses connues pour les questions servant à la calibration (degré d’information) et de leur précision (incertitude ou étendue de l’intervalle de confiance autour de la valeur donnée en réponse). Les réponses aux questions spécifiques de l’expertise, qui s’exprimeront aussi sous forme d’une valeur centrale et d’un intervalle de confiance, seront par la suite pondérées par la performance générale de l’expert en utilisant les scores obtenus pour les questions de calibration. Les opinions de chacun des experts sont rassemblées selon des procédures statistiques afin d’obtenir un consensus[7] tout en explicitant au sein du collège d’experts les opinions divergentes ainsi que les écoles de pensées ou d’interprétation (figures 3 et 4).
Un des atouts fondamentaux de cette approche est qu’elle oblige les experts à mieux structurer et expliciter de manière partagée la masse d’informations qui leur est disponible tout comme les lacunes, les biais et les limitations intrinsèques. Le faire dans une démarche probabiliste permet de quantifier les incertitudes épistémiques et aléatoires, de définir les verrous liés à l’état des connaissances, la pertinence de mesures de préventions des risques. Cela rend possible la traçabilité des controverses dans l’articulation entre recherche et expertise. Dans le cas de l’éruption de la Soufrière Hills de Montserrat, cette démarche a facilité la circulation/traduction des savoirs et des savoir-faire entre experts, et des experts vers les acteurs politico-administratifs. Elle a ainsi permis de rendre opérationnelle la communauté épistémique constituée par les experts mandatés dans la crise.
Toutefois, le regard croisé entre science politique et sciences de la Terre permet de mettre en évidence que l’instrument probabiliste n’a pas d’opérationnalité en soi. Dans la pratique, il se construit en même temps que la communauté épistémique qu’il contribue à pérenniser. En effet, le processus qui mène à la construction d’une représentation collective de la situation apparaît étroitement lié au fait que les chercheurs mobilisés disposent d’un système de connaissances commun[8]. Ainsi, bien que plusieurs spécialités soient impliquées au sein du groupe d’experts (géophysique, géochimie, géodésie, géologie, par exemple), les scientifiques investis dans le travail d’expertise appartiennent tous au champ disciplinaire des sciences de la Terre, de la physique ou des mathématiques. Ils disposent donc d’un cadre épistémique commun qui leur permet d’interagir de manière efficace. Ce cadre partagé permet alors aux chercheurs de structurer la masse d’informations dont ils disposent et d’élaborer un récit cohérent susceptible de nourrir les décisions des acteurs politico-administratifs (Devès 2015). Sur cette base, ces derniers ont notamment pu définir différentes zones à risque en adaptant celles-ci à l’évolution de l’activité éruptive. L’expertise du SAC a, par exemple, permis d’attribuer à chaque zone d’aléa volcanique un niveau de contrainte réglementaire adapté. Les autorités publiques ont ainsi pu agir tant du point de vue de l’évacuation des populations qu’en matière de santé publique.
Conclusion : l’interdisciplinarité comme ressource pour étudier les objets complexes
L’étude des crises volcaniques de La Soufrière de Guadeloupe et de la Soufrière Hills de Montserrat permet, en définitive, de mettre en évidence l’apport d’une approche interdisciplinaire pour aborder, en science politique, certains systèmes complexes. En effet, les outils mobilisés par le politiste, à l’instar des concepts d’expertise, de controverses, d’instruments d’action publique ou encore de communautés épistémiques, ne semblent pas toujours suffisants pour analyser la pluralité des savoirs et des savoir-faire développés par les chercheurs en situation d’expertise liée à ce type d’objets. Or, de telles considérations se révèlent essentielles pour saisir l’articulation entre expertise et recherche fondamentale dans des configurations où les chercheurs sont mandatés à des fins d’aide à la décision et où se jouent des interactions épistémiques à différentes échelles.
Ce constat n’est pas le propre des seuls risques volcaniques et pourrait s’appliquer à d’autres configurations d’expertise et à d’autres disciplines. À l’exemple du risque climatique, la plupart des phénomènes qui menacent aujourd’hui nos sociétés requièrent, en effet, de prendre en compte une complexité qui échappe largement aux frontières disciplinaires traditionnelles (Devès et al. 2017). L’efficacité mitigée des stratégies actuelles de réduction des risques, souligne ainsi Sylvia Becerra (2012), rappelle
l’importance de créer des passerelles entre les chercheurs et les praticiens des risques. Certes, la mise en place d’approches et de méthodes scientifiques intégrées permettant de saisir la complexité des processus en jeu […] est une première étape. Mais c’est sans doute le dépassement des frontières professionnelles pour co-construire des connaissances dans ce domaine qui reste le défi majeur des années à venir.
Cette démarche se révèle souvent complexe, comme l’attestent les efforts déployés pendant plus de trois décennies par les experts du GIEC pour harmoniser non seulement les contributions de différentes communautés de recherche, mais encore les articuler de manière à les rendre opérationnelles pour l’action publique. Pourtant, l’analyse de l’action publique ne peut que s’enrichir à faire le pari d’un tel dialogue.
Parties annexes
Notes biographiques
Maud H. Devès est maître de conférences à l’Université de Paris où elle est affiliée à deux départements de recherche et d’enseignement : l’Institut de physique du globe de Paris et l’Institut Humanités Sciences et Sociétés. Ses recherches portent sur les risques et les catastrophes naturelles, thématiques qu’elle aborde grâce à une double formation en sciences de la Terre et en psychologie. Elle a publié une trentaine d’articles et de chapitres d’ouvrages portant sur la connaissance des aléas géophysiques, leur rôle dans l’histoire de l’évolution humaine et, plus récemment, sur le rôle des scientifiques et des médias dans la gestion des crises et la prévention des risques. Elle est cofondatrice du Centre de recherche des politiques de la Terre de l’Université de Paris et membre de son comité de direction depuis 2019. Elle est membre du conseil scientifique du Collège international des sciences territoriales depuis 2018, experte pour l’Agence nationale de la recherche depuis 2017. Elle a également présidé le conseil scientifique de l’Association française de prévention des catastrophes naturelles, point focal français du United Nation Office for Disaster Risk Reduction (UNDRR) avec le ministère de la Transition écologique et solidaire.
Thomas Ribémont est maître de conférences en science politique à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 où il dirige l’Institut d’études européennes. Chercheur dans l’équipe Intégration et coopération dans l’espace européen (ICEE) de cette même université, il est aussi chercheur associé au Centre d’études politiques de l’Europe latine (CEPEL) de l’Université Montpellier 1.
Jean-Christophe Komorowski est physicien classe exceptionnelle (Corps national des astronomes et des physiciens), habilité à diriger des recherches (HDR) à l’Institut de physique du globe de Paris (Université de Paris, CNRS UMR 7154). Il dirige l’équipe des Systèmes volcaniques de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP) et est responsable scientifique des observatoires volcanologiques et sismologiques de l’IPGP, après avoir été cinq ans directeur de l’Observatoire volcanologique et sismologique de Guadeloupe (OVSG-IPGP). Il est aussi responsable du Service national d’observation en volcanologie de l’Institut national des sciences de l’univers (SNOV-INSU CNRS).
Notes
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[1]
On pourra notamment consulter les résultats du projet « CASAVA [Compréhension et analyse des scénarios, aléas, et risques volcaniques aux Antilles] : Implications pour l’aide à la décision, la gestion de crise, et le développement raisonné », ANR-RISK-09-002, financé par l’Agence nationale de la recherche de 2010 à 2014 : https://sites.google.com/site/casavaanr/.
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[2]
Sur le plan de la méthode, nous nous appuyons sur une analyse de la littérature en sciences de la Terre et en sciences politiques (analyse de l’action publique) et sur l’étude des nombreux documents d’archives récoltés par les équipes de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP) à propos de la « crise de 1976 » (rapports de l’observatoire de Guadeloupe, communiqués de presse, articles scientifiques, etc.). Pour ce qui est de la « crise de Montserrat », nous nous appuyons principalement sur la revue de la littérature, les rapports produits par les experts dans la gestion de cette crise, ainsi que des observations participantes effectuées par des chercheurs de l’IPGP. Cette analyse s’appuie aussi sur les éléments comparatifs du traitement de l’information et de la diffusion des savoirs par les scientifiques dans les médias et dans des arènes de sensibilisation de la société civile aux phénomènes volcaniques et à leurs dangers.
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[3]
Le « réel » pouvant lui-même faire l’objet de différentes représentations.
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[4]
Paris Match titrait ainsi à l’époque : « Tazieff contre Brousse : la petite guerre des volcanologues fait autant de bruit que le volcan » (Strang 1976).
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[5]
En 1988, à la suite de la publication d’un rapport scientifique de Wadge et Isaacs (2008) décrivant les aléas associés au volcan et la vulnérabilité de la capitale, Plymouth, la Seismic Research Unit de l’University of West Indies organise un colloque scientifique. Celui-ci porte sur l’évaluation des aléas volcaniques dans la région et se tient en présence des autorités. Cependant, il ne sera pas suivi d’effet – notamment de la mise en place d’un plan de réponse de sécurité civile. En avril 1989, l’activité sismique d’origine volcanique dépasse le niveau de base enregistré par la Seismic Research Unit. L’activité se développe, à partir de janvier 1992, sous forme d’essaims de séismes enregistrés sur une période de quelques jours. On enregistrera près de 18 essaims sismiques de janvier 1992 au 18 juillet 1995 (Kokelaar 2002). Malgré cette activité, aucun des signaux enregistrés à l’époque ne permettait d’indiquer sans ambiguïté l’imminence d’une éruption. Au moment où la crise débute, il n’y a en outre aucune éruption historique connue (c.-à-d. depuis 1632).
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[6]
Une pression importante existe entre 1995 et 1997 sur la nécessité de maintenir certaines infrastructures de l’île opérationnelles (aéroport, petite industrie) malgré le niveau de risque.
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[7]
La qualité d’un expert et donc son influence sur la dynamique de l’expertise et la recherche d’un consensus peuvent se résumer à l’analogie suivante (Aspinall, communication personnelle, traduite de l’anglais) : « Si un expert veut attraper un poisson nageant en pleines eaux dans une rivière, sa capacité à ramener une pêche fructueuse dépendra de sa capacité à évaluer relativement justement où se situent les poissons (valeur du 50e percentile proche de la bonne valeur), mais aussi de sa capacité à ne pas utiliser un filet trop petit (avoir un intervalle de confiance du 5e au 95e percentile de part et d’autre de la valeur centrale du 50e percentile qui ne soit pas trop limité) pour pouvoir compenser ses erreurs de jugement. Des experts qui évaluent leurs propres performances selon une incertitude (intervalle de confiance) très limitée sont in fine souvent les experts les moins pertinents dans des contextes d’incertitude importante. »
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[8]
Les retours d’expérience des crises antérieures et la mobilisation des scientifiques de la Terre sur la question des risques en amont de la crise ont joué un rôle déterminant.
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