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Lorsqu’on étudie le développement régional au Québec à partir d’un département de science politique montréalais, on se sent parfois isolé. La publication d’ouvrages sur le sujet est donc toujours accueillie avec enthousiasme. C’est aussi dans cet esprit que tous ceux et celles qui s’intéressent à la problématique devraient accueillir Splendeurs, misères et ressorts des régions. Vers un nouveau cycle de développement régional, le plus récent ouvrage de Marc-Urbain Proulx, économiste et spécialiste du développement régional à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).
Dans ce livre qu’il qualifie d’« essai scientifique » (p. 4), l’auteur puise dans sa longue expérience de recherche ainsi que dans son expérience de sous-ministre associé aux Régions au sein du gouvernement de Pauline Marois pour proposer une démarche en deux temps. D’abord, dans les quatre premiers chapitres, Proulx pose un regard sur le cadre et la trajectoire (les « splendeurs » et les « misères ») du développement des régions périphériques québécoises. Précisons d’emblée que les régions dont il est ici question correspondent, pour l’essentiel, aux régions administratives du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, de la Côte-Nord, de l’Abitibi-Témiscamingue et du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Cette dernière, en raison du point d’attache de l’auteur, retiendra davantage l’attention tout au long de l’ouvrage.
Dans cette première partie, donc, l’auteur reprend à sa manière et de façon synthétique les grands jalons de l’histoire régionale au Québec à partir de la Nouvelle-France (chap. 1 et 2). Il met ensuite en lumière l’évolution du rôle de l’État québécois en matière de développement régional à partir des années 1950 (chap. 2 et 3), c’est-à-dire à partir du moment où le développement régional commence à se développer en tant que discipline de recherche et à faire l’objet de politiques publiques. Il s’agit là d’une bonne entrée en matière, mais l’intérêt de cet ouvrage ne se trouve pas dans ces chapitres plutôt sommaires et dont les éléments traités ont fait l’objet de nombre de publications beaucoup plus étoffées. À notre avis, l’intérêt réside plutôt dans les chapitres qui suivent et, au premier chef, au chapitre 4 qui propose sept profils types permettant d’expliquer l’évolution de la trajectoire démographique des villes régionales québécoises. Cette modélisation, qui aurait gagné à être mieux présentée, suggère que la polarisation et la pérennité des villes régionales ont essentiellement reposé sur la dotation en ressources et leur accessibilité, et moins sur la centralité comme facteur de polarisation. Proulx conclut ce chapitre de manière plutôt pessimiste en disant « qu’à l’exception des réserves autochtones, il semble que les localités périphériques soient toutes incapables de relancer leur croissance démographique et économique » (p. 63).
La deuxième partie de l’ouvrage se divise en treize chapitres qui correspondent à autant de leviers de développement (les « ressorts ») mis en oeuvre par les autorités québécoises en matière de développement régional. Il s’agit de la contribution la plus originale et la plus pertinente de l’ouvrage. Les présentations sont concises (une dizaine de pages chacune), claires et illustrées par des exemples. On y retrouve des leviers plus classiques comme la polarisation (chap. 5), la décentralisation (chap. 6), la planification territoriale (chap. 7), l’innovation (chap. 10) et l’éducation supérieure (chap. 15). Il est également question de concertation, de médiation et de gouvernance dans les chapitres 8 et 17. Les chapitres traitant des leviers de la spécialisation territoriale (chap. 11) et de la diversification (chap. 12) ont retenu notre attention. Souvent considérées comme des stratégies de développement en opposition, voire contradictoires, Proulx, qui en explique bien les tenants et aboutissants, suggère qu’« elles constitueraient plutôt deux dimensions complémentaires du même phénomène de prospérité d’une économie. La spécialisation engendre initialement la prospérité, alors que la diversification assure la stabilité à long terme. » (p. 159) Il conclut en disant que la situation idéale pour les territoires périphériques réside dans une stratégie fondée sur une « diversité de spécialités » (p. 159). Plus facile à dire qu’à faire, toutefois, si l’on en juge par le nombre de régions ou de villes périphériques qui ont réussi ce tour de force.
D’autres chapitres proposent des perspectives nouvelles sur des leviers qui sont souvent moins discutés et parfois moins connus au sud du Québec, mais qui gagneraient à l’être. On pense ici aux leviers du Nord (chap. 13) et des partenariats autochtones (chap. 14). Proulx met en lumière de nouveaux modèles d’affaires qui sont à explorer dans un contexte de changements climatiques et de remise en question du modèle linéaire de développement (extraire – produire – distribuer – consommer – jeter). À cet égard, il aurait été opportun pour lui de discuter de l’économie circulaire et de ses différentes stratégies comme leviers et vecteurs de développement pour les régions périphériques. La symbiose industrielle de Kamouraska au Bas-Saint-Laurent représente un exemple en ce sens. En contrepartie, le levier du tertiaire supérieur est abordé au chapitre 16.
Si l’on peut apprécier la structure de l’ouvrage autour des leviers de développement, on regrette toutefois que l’auteur ne pousse pas plus à fond ses réflexions à la fin de chaque chapitre. Les conclusions sont trop brèves et laissent le lecteur sur son appétit par rapport aux pistes de solution préconisées par un auteur qui, rappelons-le, fait de la recherche depuis plus de trente ans dans le domaine du développement régional et a été, rappelons-le, sous-ministre associé au gouvernement du Québec. De telles réflexions auraient donné plus de corps et de tonus au volet « essai » de l’ouvrage qui, en définitive, prend davantage la forme d’un manuel s’inscrivant dans la lignée de ceux publiés antérieurement par l’auteur. Sur la forme, on peut critiquer le style un peu carré et aride de Proulx, qui pourrait rebuter certains lecteurs, spécialement ceux à l’extérieur du monde universitaire. Il faut également noter la surutilisation du mot « modélisation » qui finit par alourdir le propos et laisse croire que tout (et rien) fait l’objet de modèles. Enfin, il aurait sans doute été opportun de mieux définir certains concepts et certaines notions. L’ajout d’un lexique à la fin de l’ouvrage aurait été utile à cet égard.
Mis à part ces quelques critiques, il demeure que Splendeurs, misères et ressorts des régions est plus que bienvenu. Il est rafraîchissant d’avoir un portrait de ces régions qui sont trop souvent exclues du débat public à Montréal. Le travail effectué par Marc-Urbain Proulx permet d’approcher et de bien comprendre la trajectoire ainsi que les forces et les vecteurs de développement des régions périphériques. Ce dernier écrit avec à-propos que « Rien ne ressemble moins à une ville qu’une autre ville. Rien ne ressemble moins à une municipalité régionale de comté (MRC) qu’une autre MRC. Rien ne ressemble moins à une région qu’une autre région. » (p. 40) Force est de constater qu’une variété d’instruments et d’outils sont à leur disposition pour assurer leur développement. Force est aussi de constater que ces régions ne sont pas détachées du reste du Québec et ne vivent pas en autarcie. Le travail de Proulx constitue en ce sens une tentative de créer des ponts. Dans cette optique, il serait temps pour le gouvernement du Québec de plancher sur une vision d’ensemble et intégrée du développement régional, une vision suffisamment robuste pour assurer la pérennité de l’ensemble des régions et suffisamment flexible pour répondre aux défis et aux aspirations propres à chacune ; une vision qui puisse permettre de réduire les clivages sans cesse grandissants entre Montréal et la région métropolitaine et le reste du Québec. Encore là, plus facile à dire qu’à faire, mais néanmoins nécessaire.