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Comme le souligne Réjean Pelletier en introduction de l’ouvrage collectif Les partis politiques québécois dans la tourmente : mieux comprendre et évaluer leur rôle, les partis politiques sont durement critiqués dans les pays démocratiques, que ce soit en termes de légitimité ou de capacité à former des projets qui sauront rallier une fraction suffisante de la population, et le Québec n’y fait pas exception. Ils demeurent toutefois des acteurs incontournables de la scène politique, mais ont été négligés dans la science politique québécoise. L’ouvrage a comme ambition d’offrir un tour d’horizon de la question des partis politiques au Québec, en faisant appel à une variété d’auteurs et d’approches théoriques. Il s’attarde à trois grandes thématiques : les questions organisationnelles, les partis face à l’électorat et au gouvernement et des études de cas du Parti libéral du Québec (PLQ), du Parti québécois (PQ), de l’Action démocratique du Québec (ADQ), de Québec solidaire (QS) et du Bloc québécois (BQ). Vincent Lemieux signe une conclusion sur la question des partis générationnels.
La première partie se penche sur les aspects organisationnels. Pelletier survole d’abord l’histoire du système de partis québécois et distingue trois grandes périodes : l’affrontement entre libéraux et conservateurs de 1867 à 1936, l’arrivée en scène de l’Union nationale et le système de partis contemporain, en place depuis l’arrivée du Parti québécois dans les années 1970. L’évolution du système de partis est marquée par une tendance lourde à l’autonomisation des partis politiques de leurs vis-à-vis fédéraux, par un bipartisme tenace et par la structuration de deux axes en superposition : à l’axe gauche-droite, typique en Occident, s’ajoute l’axe fédéralisme-souveraineté avec l’arrivée de formations politiques souverainistes. Le deuxième chapitre nous amène dans le monde du financement politique, alors que Réjean Pelletier et Éric Montigny présentent un état des lieux du financement politique au Québec : après avoir présenté l’encadrement juridique, ils remarquent une diminution du nombre de contributions et, surtout, que « le financement populaire, associé aux contributions de moins de 200 $, ne constitue pas une part importante du financement des principaux partis » (p. 61), alors que le financement public, lui, est en croissance. Finalement, Manon Tremblay analyse la place des femmes dans les partis politiques : elle en trace l’histoire et présente la place actuelle des femmes dans la politique et particulièrement dans les caucus et au Conseil des ministres, où elles sont, dans le dernier cas, aussi nombreuses que les hommes depuis 2007, mais souvent confinées à des missions socioculturelles.
La deuxième partie dresse le portrait des partis dans l’électorat et au gouvernement. Benoit Collette et François Pétry se penchent sur l’idéologie : alors que les sondages d’experts considèrent le PQ plus à gauche que le PLQ, avec l’ADQ à droite, des résultats d’analyse textuelle sur l’ensemble des plateformes de ces partis de 1978 à 2008, reprenant la méthode du Comparative Manifesto Project (CMP), classent l’ADQ à droite, mais ne font pas de distinction statistiquement significative entre le PLQ et le PQ, sauf en 1985 et en 1998, où le PQ se classait légèrement plus à gauche. Un flou similaire se manifeste dans l’analyse textuelle sur le clivage souveraineté-fédéralisme, où les positions du PLQ, du PQ et de l’ADQ sont rarement très différentes d’un point de vue statistique (le PQ et le PLQ se distinguant en 1998, et l’ADQ se distinguant du PQ en 1994 et en 1998). Les deux chapitres suivants sont des analyses électorales. Sur le plan macrosociologique, Pierre Drouilly présente les appuis aux partis politiques entre 1998 et 2008 en étudiant entre autres le taux de participation et le vote par groupe linguistique, en estimant le mouvement des votes entre chaque élection et en présentant un modèle de vote régional fondé sur dix régions politiques. Dans une analyse microsociologique, Éric Bélanger et Richard Nadeau examinent des résultats de sondages menés en 2007 et en 2008 et tracent ainsi un portrait de ces deux élections et des caractéristiques saillantes des clientèles électorales ainsi que des enjeux conjoncturels déterminants de ces deux élections. Sur la performance gouvernementale, François Pétry conclut que les gouvernements québécois élus en 1994 et en 2003 ont réalisé au moins une majorité de leurs engagements électoraux. Finalement, Réjean Pelletier et Jérôme Couture présentent des résultats de sondages sur la confiance envers les partis politiques au Québec et au Canada en 2005 et en 2010 et concluent à une faible confiance déclinante envers ces institutions politiques : la confiance serait généralement plus faible au Québec qu’au Canada.
La troisième et dernière partie de l’ouvrage se penche sur chaque parti politique et offre des perspectives diversifiées. Vincent Lemieux examine la formulation de diverses politiques sous le gouvernement libéral de Jean Charest selon une reformulation de la théorie des trois courants de Kingdon : il souligne la difficulté du gouvernement Charest à proposer de nouvelles politiques. Éric Montigny présente les résultats de ses travaux sur la « dédémocratisation » du PQ, un concept introduit par Kay Lawson dans « When Parties Dedemocratize » (dans Kay Lawson et Peter H. Erkel (dir.), When Parties Prosper : The Uses of Electoral Success, Boulder, Lynne Rienner Publishers, 2007) qui correspond à « une diminution du pouvoir accordé aux membres et par un accroissement du pouvoir central du chef » (p. 274). Examinant les règles formelles, les débats internes, la relation entre le chef et le parti et les motivations des militants, il conclut que le PQ est sur « une véritable trajectoire de “dédémocratisation” » (p. 298), mais moins forte que celle qu’ont empruntée les travaillistes sous Tony Blair en Grande-Bretagne. Frédéric Boily offre ensuite une rétrospective de l’ADQ, de sa naissance à sa dissolution récente, avec un oeil particulier pour l’évolution de son idéologie d’une élection à l’autre et les différentes formes de populisme (d’abord protestataire, ensuite identitaire) qui l’ont animée. Pascale Dufour, abordant QS, offre un historique du parti, du contexte ayant présidé à son émergence et de l’impact de son arrivée à l’Assemblée nationale sur le parti, mais aussi l’impact du parti sur l’Assemblée nationale et, plus globalement, sur la scène politique québécoise. Finalement, Marie-France Charbonneau et Guy Lachapelle offrent une histoire de l’implication souverainiste au niveau fédéral, et plus particulièrement du BQ, de sa construction et de son impact aux Communes. En conclusion, Vincent Lemieux présente la notion de parti générationnel et soutient que, vu l’absence d’une conjoncture politique favorable, d’un chef particulièrement charismatique ou d’une position politique qui pourrait être particulièrement rassembleuse autant sur l’axe gauche-droite que souveraineté-fédéralisme, il semble improbable qu’un nouveau parti générationnel émerge au Québec. Cette absence aurait des conséquences sur la mobilisation des jeunes électeurs, sur la volatilité de l’électorat et sur le programme politique.
Complet, diversifié et accessible, cet ouvrage offre une porte d’entrée essentielle et nécessaire pour quiconque s’intéresse aux partis politiques québécois. La variété des thèmes étudiés permet au lecteur de se doter d’une bonne vue d’ensemble d’une question qui a rarement fait l’objet de synthèses cohérentes au Québec. Les chapitres consacrés aux partis politiques individuels, empruntant des méthodes diversifiées, illustrent fort bien la richesse de ce champ fort peu exploré au Québec, mais aussi plus généralement des nombreuses manières différentes d’analyser l’action d’une formation politique. Certains aspects mériteraient toutefois d’être bonifiés. L’introduction de l’ouvrage, qui aborde les difficultés des partis politiques dans le monde occidental, aurait certainement pu être étoffée, voire faire l’objet d’un chapitre en soi. En effet, cette introduction est le seul chapitre qui situe la situation québécoise dans un contexte plus large, ici occidental, mais elle s’avère trop brève pour être satisfaisante. Globalement, la force du livre, soit sa spécialisation sur la situation québécoise, réduit à sa plus simple expression la place accordée à des comparatifs avec d’autres juridictions ou à l’exposition de tendances internationales qui auraient pu éclairer davantage le lecteur. Un autre chapitre qui soulève des interrogations est la contribution de Benoit Collette et François Pétry sur le positionnement des partis politiques québécois. Les auteurs prennent d’ailleurs soin de recenser quelques critiques à la méthode du CMP, principalement sur le plan de la rigidité des catégories d’analyse employées. Par exemple, ce qui est considéré à gauche dans un pays ne le serait pas nécessairement dans un autre. Toutefois, notons aussi qu’un travail d’analyse de contenu similaire avait été effectué par Benoit Tessier dans son mémoire de maîtrise en science politique intitulé Espace politique et positions partisanes : les plateformes électorales au Québec de 1994 à 2007 (Université du Québec à Montréal, 2008), mais avec une grille de codification plus riche, adaptée au Québec, ce qui donne une différenciation claire sur la question nationale et des mouvements plus importants sur l’axe gauche-droite pour le PLQ, là où Collette et Pétry voyaient une importante stabilité et une absence notable de différenciation. Tessier avait aussi constaté les difficultés d’adaptation de la grille d’analyse du CMP aux entités subnationales, ce que Collette et Pétry ne notent pas. Ces différences importantes appellent à juger des résultats tirés de ces études avec une grande prudence.