Résumés
Résumé
Dans cet article, les auteurs examinent les effets des transformations économiques sur les valeurs identitaires et culturelles des Québécois. De manière plus concrète, ils analysent l’impact de l’intégration nord-américaine sur les valeurs culturelles au Québec. Pour ce faire, ils utilisent les résultats de plusieurs sondages inédits, réalisés entre 1997 et 2000, afin d’évaluer si les Québécois partagent certaines valeurs dites matérialistes et postmatérialistes. Ils soulignent d’abord que les Québécois ont une forte identité nationale mais se considèrent clairement comme des Nord-Américains. Ils notent également que la culture québécoise est cosmopolite et internationaliste. Toutefois, et contrairement à certaines données européennes, les citoyens les plus scolarisés qui ont un revenu et un statut social élevés, partagent le plus certaines valeurs matérialistes tout en préconisant une plus grande intégration continentale. Conséquemment, le contexte nord-américain semble offrir une interprétation différente des transformations culturelles envisagées par certains auteurs. De manière générale, s’il y a émergence d’une nouvelle identité nord-américaine chez les Québécois, elle semble le résultat d’une certaine négociation entre valeurs matérialistes et postmatérialistes, et la poursuite des objectifs d’une plus grande intégration économique et de la participation des citoyens au processus de décision.
Abstract
This paper addresses the fundamental question of the impact of economic integration on the cultural and identity values of Quebecers. The authors evaluate if the impact of North-American integration has modified the cultural values of the Quebec society. Therefore, they analyze the results of several studies conducted between 1997 and 2000 to measure the support of Quebecers for materialist and postmaterialist values. The results indicate that Quebecers have a strong national identity and clearly consider themselves as North Americans. We observe also a growing cosmopolitan and international culture. However, and contrary to some European data, Quebec citizens with a high level of education, high income and well-regarded professions are the most supportive of materialist values and continental integration. Therefore, the North American context seems to offer a different interpretation of the culture shift predicted by different authors. If there is a new emerging North American culture, it is the result of a mixed approach between materialist and postmaterialist values, with both the objectives of deeper economic integration and greater citizen participation in the policy process.
Corps de l’article
Je suis d’Amérique et de France
Je suis de chômage et d’exil
Je suis d’octobre et d’espérance
Je suis une race en péril
Claude Gauthier (1972)
Vivre en ce pays
C’est comme vivre aux États-Unis
La pollution, les mêmes autos
Les mêmes patrons, les mêmes impôts
Pierre Calvé (1974)
Depuis des décennies, des changements d’ordre culturel s’opèrent au sein des sociétés industrialisées, particulièrement en ce qui touche les valeurs dites matérialistes et postmatérialistes. Selon des études, et notamment celles effectuées par Ronald Inglehart, de tels changements trouvent leur origine dans les expériences formatrices de la génération montante[1]. La prospérité économique sans précédent qu’a connue le monde occidental depuis la Deuxième Guerre mondiale, associée au filet de sécurité fourni par l’État-providence durant les dernières décennies, a fait en sorte qu’une proportion croissante de citoyens ne donne plus priorité à la quête de la sécurité économique et physique (matérialisme). On remarque plutôt un souci croissant d’une meilleure qualité de vie et un attachement à certaines valeurs collectives (postmatérialisme). Le conflit en cours oppose, sans tomber dans la caricature, le maintien de certaines valeurs libérales et/ou la promotion de valeurs social-démocrates.
Un aspect fort négligé des études portant sur les valeurs est l’impact de l’intégration économique autant sur les valeurs des entités subétatiques que sur les arrangements fiscaux entre paliers de gouvernement[2]. Les études comparatives occultent souvent la réalité politique de plusieurs communautés subétatiques qui sont à la recherche d’une reconnaissance politique et adoptent très souvent des attitudes nettement plus prointégration que les États-nations[3]. Les couplets des deux chansons québécoises mis en exergue témoignent de ce déchirement entre valeurs nationales et libérales. D’où l’intérêt, nous semble-t-il, d’étudier la situation québécoise d’autant plus qu’elle laisse plusieurs chercheurs perplexes[4]. Or, s’il y a un déclin des nationalismes étatiques, en Europe par exemple, on observe en revanche une recrudessence des sentiments et/ou des mouvements d’identité régionale ethniques ou linguistiques. À cet égard, le concept de nationalisme, associé aux États, ne correspond pas nécessairement à la réalité politique.
La question centrale qui nous intéresse est donc la suivante : À l’heure de la mondialisation et de l’intégration des Amériques, quelles valeurs partage la société québécoise ? Pour répondre à cette interrogation, nous nous appuierons sur les données inédites de quatre enquêtes que nous avons réalisées sur les valeurs des Québécois. La première et la plus importante fut menée en 1997 auprès d’un échantillon de 2 004 répondants québécois[5]. Les trois enquêtes subséquentes furent réalisées dans le cadre de sondages omnibus en 1998, en 1999 et en 2000[6]. Notre stratégie de recherche fut d’abord de nous appuyer sur des échelles existantes, tout en leur apportant certaines modifications, afin de pouvoir maintenir un niveau de comparaison réaliste. Il s’agissait donc pour nous de porter davantage attention à la variable dépendante avant de nous attaquer à l’analyse des déterminants, c’est-à-dire les facteurs explicatifs des attitudes observées.
Notre objectif, si modeste soit-il, est de comprendre comment les changements économiques, technologiques et sociopolitiques observés au cours des dernières années ont modifié les attitudes, les valeurs et les perspectives des citoyens du Québec. Nous discuterons entre autres comment l’apparition de nouvelles valeurs modifie les relations de confiance entre les peuples. Ensuite, nous verrons comment le sentiment d’identité nationale et l’intégration continentale agissent sur les identités des citoyens. Nous examinerons comment cette négociation entre les valeurs matérialistes et postmatérialistes façonne également la construction des valeurs sociales dans le cas qui nous intéresse, soit le Québec. L’une des conclusions majeures de notre étude est que les valeurs matérialistes semblent dominer davantage le contexte nord-américain que dans le contexte européen. D’ailleurs, ceux qui privilégient les valeurs postmatérialistes ont un profil socioéconomique opposé à celui des Européens. Cette réflexion nous obligera à préciser davantage quel type de stratégie culturelle et économique peuvent adopter des nations subétatiques, comme le Québec, face aux impacts de l’intégration économique et de la mondialisation[7].
Valeurs, identités et intégration continentale
Valeurs et intégration continentale
Les valeurs jouent un rôle central dans le processus de l’intégration économique et la politique internationale. Un ensemble de théoriciens de l’intégration ont fait remarquer qu’elles sont cruciales en ce qu’elles aident à forger la dynamique des relations interétatiques[8]. De même, la compatibilité des valeurs que l’on retrouve au sein des communautés politiques favorise l’intégration. Elles ont également une signification politique. Il est difficilement concevable que, dans des régimes démocratiques, comme c’est le cas des pays industrialisés, les relations politiques et économiques puissent réellement s’accroître si une large majorité de citoyens ou de groupes s’y opposent. De même, soulignons que les valeurs des Québécois, et leurs opinions en ce qui a trait à l’intégration nord-américaine, se révèlent assez autonomes. Les changements sont si profonds que certains y voient déjà la naissance d’une nouvelle culture nord-américaine [9].
Une approche jette un éclairage intéressant sur cette question : il s’agit de l’école pluraliste ou des communications, qui insiste sur les liens entre les transactions internationales et l’intégration économique et politique. Selon son principal représentant, Karl W. Deutsch, des niveaux élevés de transactions entre les peuples (mouvements de personnes, commerce transfrontalier, flux de communications) favorisent une plus grande convergence des valeurs et une confiance mutuelle accrue entre les peuples[10]. Plus le degré de confiance réciproque est élevé, plus cela favoriserait la coopération et l’intégration économique. À plus long terme, cela pourrait donner naissance à de nouveaux arrangements politiques supranationaux. La centralité de la confiance mutuelle constitue ainsi un thème porteur des travaux portant sur la culture politique[11].
Dans le contexte nord-américain, la perspective pluraliste suppose que la signature de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALÉ) de 1988 aurait été précédée de changements dans les transactions transfrontalières. Ce fut le cas. Les mouvements de personnes entre le Canada et les États-Unis (flux touristiques et voyages d’affaires) passèrent de 72 millions de visites en 1980 à 99 millions en 1989. Les transactions commerciales et financières avaient, elles aussi, augmenté. Ainsi, environ 63 % des exportations canadiennes de biens et de services étaient destinées aux États-Unis en 1983 contre près de 75 % en 1988, la dernière année avant que l’ALÉ n’entre en vigueur. Depuis, cette proportion est passée à plus de 85 % en 1998. La valeur de ces exportations, qui se chiffrait à 102 milliards en 1988, a plus que doublé pour atteindre près de 218 milliards en 1996. Au cours de la dernière décennie, les exportations vers les États-Unis ont grimpé de 50 % alors que l’investissement direct entre les deux pays a doublé. Des tendances similaires s’observent dans le cas du Québec. Il y a 10 ans, 76 % des exportations québécoises étaient dirigées vers les Etats-Unis, tandis qu’aujourd’hui elles atteignent plus de 85 % ; en une décennie, la valeur de ces transactions est passée de 34 milliards à quelque 78 milliards en 1999. Le Québec échange une fois et demi plus de biens et services avec d’autres pays, surtout les États-Unis, qu’avec le Canada. Pour la province voisine, l’Ontario, c’est même trois fois plus.
En ce qui a trait à la confiance réciproque, Mattei Dogan a démontré que les citoyens des États-membres de l’Union européenne avaient plus de confiance que de méfiance envers les citoyens des autres pays-membres. De même, il appert que les Européens ne font guère plus confiance à leurs compatriotes qu’aux habitants des autres pays de l’Union. À cet égard, la confiance entre les Européens semble assez élevée et elle a même augmenté entre 1976 et 1990. Malgré tout, les niveaux assez élevés et croissants de confiance que les membres de l’UÉ se témoignent peuvent aider à expliquer leur soutien à l’Union et au projet d’unification européenne. Toutefois, il peut arriver que, dans certaines circonstances, le niveau de confiance entre des nationalités connaisse des changements appréciables. Ainsi, en raison d’un passé récent de guerres, les Français et les Allemands se méfiaient profondément les uns des autres dans les années 1950. Or, il semble que l’expérience de travailler de concert au sein d’un ensemble d’institutions communes européennes ait eu un impact significatif. En 1980, en effet, les Français percevaient les Allemands comme leurs plus proches alliés et la nationalité en laquelle ils avaient le plus confiance.
La théorie de K. W. Deutsch et les leçons de l’expérience de l’Union européenne nous mènent à croire que le taux d’interaction généré par l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) conclu en 1992, a un effet similaire sur le niveau de confiance entre les trois pays nord-américains signataires (Canada, Mexique et États-Unis) et entre les régions. Or, il y a des différences appréciables à cet égard entre les nationalités nord-américaines. Le public américain a une grande confiance dans les Canadiens. En fait, ce sentiment surpasse celui de méfiance dans une proportion de 16 contre 1. Le sentiment de confiance est également notable dans le cas des citoyens américains envers les Mexicains, et dans celui des Québécois et des Canadiens envers les Américains. En revanche, le niveau de confiance des Canadiens est sensiblement plus faible envers les Mexicains, ce qui serait vraisemblablement attribuable à un niveau d’interactions jusqu’ici assez faible de même qu’à des différences culturelles et linguistiques. Par ailleurs, les Mexicains sont nettement plus méfiants à l’endroit des Américains : ils sont deux fois plus nombreux à se méfier d’eux qu’à leur faire confiance. De tels sentiments de méfiance sont sans doute dûs à des conflits historiques, notamment la guerre américano-mexicaine de 1848 et à l’annexion par les États-Unis de plus de la moitié du territoire mexicain en 1846.
Selon l’école des communications interétatiques, on devrait s’attendre, comme dans le cas de l’Europe, à ce que des niveaux croissants de confiance entre les trois nationalités nord-américaines s’accompagnent d’un plus fort soutien des citoyens en faveur de liens économiques plus étroits. Les données de l’enquête World Values Survey de 1990 soutiennent fortement cette hypothèse : dans les trois pays de l’ALÉNA, le sentiment de confiance ou de méfiance envers une nationalité donnée est étroitement lié au soutien pour des liens économiques plus étroits. Aux États-Unis, parmi ceux qui disent se méfier des Mexicains, seulement 35 % sont favorables au resserrement des liens économiques avec le Mexique. Parmi ceux qui affirment leur faire totalement confiance, 85 % sont favorables. Des tendances très similaires s’appliquent en ce qui concerne les attitudes aux États-Unis à l’égard de rapports plus étroits avec le Canada, du soutien au Canada pour des relations plus étroites avec les États-Unis et le Mexique, et de l’attitude des Mexicains à l’égard de liens plus étroits avec les États-Unis. Certaines données indiquent que les Québécois seraient moins méfiants que les Canadiens envers les Américains[12].
En somme, les données recueillies dans le cadre nord-américain semblent s’orienter dans la même direction que celles touchant l’Europe occidentale. Des niveaux de confiance plus élevés seraient liés à un plus fort soutien à l’intégration. La volonté de liens économiques plus étroits a également tendance à entraîner des liens politiques plus circonscrits entre les pays concernés. Ici encore, les données des World Values Surveys semblent suggérer que les leçons de l’intégration européenne peuvent s’appliquer au contexte nord-américain. Dans les trois pays de l’ALÉNA, le soutien à l’intégration économique est associé au soutien à des liens politiques plus étroits[13].
Identité nationale et intégration continentale
Une idée fort répandue voudrait qu’un nationalisme faible soit une condition nécessaire au développement de valeurs internationalistes marquées. À l’opposé, d’autres analyses soutiennent qu’une forte identité nationale constitue un tremplin vers l’internationalisme. Toutefois, ni l’une ni l’autre de ces perspectives n’a véritablement été confirmée dans les faits. Des nationalismes à la fois forts et faibles sont associés au soutien à l’Union européenne, selon les circonstances propres à chacune des nations[14]. Nous pourrions également formuler l’hypothèse qu’un nouveau type de nationalisme est né à la suite des pressions exercées sur les nations par les effets de la mondialisation. Nous assisterions alors à l’émergence de postnationalismes guidés par une ouverture continentale et internationale. En fait, les nations possédant des identités nationales fortes seraient plus susceptibles d’avoir une vision plus cosmopolite. Dans le cas de l’Europe, les données empiriques démontrent qu’il n’y a pas de liens clairs, simples et directs entre le soutien à l’Union européenne et l’intégration continentale, d’une part, et le nationalisme et la fierté nationale, d’autre part[15]. En fait, les perspectives continentaliste et internationaliste des nations varieraient davantage en fonction de leur expérience historique[16].
Dans le cas d’un ensemble subétatique comme le Québec, ses craintes moins prononcées face au libre-échange, comparativement à l’ensemble du Canada, seraient le résultat de sa volonté d’accroître son autonomie et d’affirmer autant son identité nationale que ses intérêts propres. À ce chapitre, les schèmes d’intégration continentale, tels que l’ALÉNA et l’UÉ, permettent à certaines communautés ou nations comme le Québec de s’émanciper de l’État auquel elles sont assujetties en faisant davantage et plus facilement affaire avec d’autres partenaires. Cela leur permet ainsi d’être soumises à des règles et pratiques adoptées dans un cadre plus large et auquel elles s’identifient plus facilement. Cela explique que les projets d’intégration continentale reçoivent en général l’aval de ceux qui tiennent à ce que leurs communautés ou nations s’affirment face à l’État dont elles font partie. Songeons dans le cas de l’Europe notamment aux Basques et aux Catalans. De même, les récriminations des Écossais ou des Flamands se manifestent davantage à l’endroit des États britannique et belge qu’envers les instances européennes. Les Québécois, à l’instar d’autres communautés dans une situation similaire, s’avèrent donc mieux disposés envers l’intégration continentale. De même, si plusieurs Québécois ne s’identifient pas au Canada, ils demeurent néanmoins fortement nord-américains[17].
Dans l’enquête que nous avons menée à l’été 1997, nous avons demandé aux Québécois s’ils se considéraient d’abord comme Québécois, Canadiens, Canadiens français ou Canadiens anglais ; 54 % des répondants ont dit s’identifier d’abord et avant tout comme Québécois, 23 % comme Canadiens français, 19 % comme Canadiens. L’existence d’une identité québécoise forte est certes devenue un fait sociologique incontournable depuis une quarantaine d’années. Les Québécois ont donc une identité « nationale » aussi affirmée que celle des Allemands ou des Irlandais et même supérieure à celle des Français. Par ailleurs, nous avons demandé aux Québécois s’ils se considéraient, au-delà de leur identité nationale, davantage comme Américains (au sens de citoyens des États-Unis), Nord-Américains (appartenance continentale) ou européens (attachement aux origines). L’identité nord-américaine a reçu un appui majeur, 68 % des personnes interrogées optant pour cette réponse.
L’adhésion indéfectible des Québécois aux valeurs libre-échangistes nous oblige également à nous interroger sur l’importance de leurs liens « coloniaux » avec l’Europe par comparaison avec les valeurs nord-américaines. Dans notre enquête de 1998, nous leur avions demandé s’ils étaient d’avis que le Québec avait plus d’affinités avec l’Europe qu’avec les États-Unis. Ainsi, 47,9 % des répondants se sont dits en désaccord avec cette proposition (55,8 % des personnes ayant dévoilé leur opinion), tandis que 37,9 % partageaient ce point de vue. Si en 1997, 62 % des Québécois se disaient favorables à l’ALÉNA, ce qui est comparable aux attitudes des Allemands et des Portugais à l’endroit de l’Union européenne, en 1998, 66,3 % estimaient que l’ALÉNA avait eu un impact favorable sur le développement économique du Québec. Clairement, l’identité québécoise s’articule au diapason de ses rapports avec les Amériques. Ils redéfinissent leur appartenance autant à l’intérieur de l’État-nation que par rapport à de plus grands ensembles, qu’ils soient européens ou américains[18].
Nous avons également cherché à savoir à quel espace géographique les Québécois affirmaient appartenir d’abord et avant tout : la localité ou la municipalité où ils habitent, leur région, leur province, le Canada dans son ensemble, l’Amérique du Nord ou le monde dans son ensemble. Les Québécois choisissent dans une proportion de 40 % leur province comme source première de leur identité territoriale. Le Canada dans son ensemble recueille la moitié de ce pourcentage, soit 19 %, suivi de près par la région (16 %). Dans le contexte nord-américain, cette distinction nous semble importante parce qu’il existe de fortes identités nationales et régionales. Si nous additionnons province et région, nous obtenons pour le Québec un score de 56 %, ce qui est nettement supérieur à l’identité canadienne. Une enquête pancanadienne réalisée, en 1998, donnaient des résultats à l’opposé de ceux que nous avons obtenu pour le Québec ; 41 % des Canadiens affirmaient appartenir davantage au Canada dans son ensemble, tandis que 19 % disaient appartenir à leur province ou région[19].
Quant à l’idée de la construction d’une identité supranationale, c’est-à-dire cette propension des individus à éprouver un sentiment d’appartenance qui va au-delà des identités nationale et continentale, celle-ci rejoint 11 % des répondants québécois si l’on additionne les réponses Amérique du Nord et monde dans son ensemble. Dans le cas du Canada dans son ensemble, l’enquête pancanadienne de 1998 donnait le chiffre de 16 %. Ces chiffres sont assez semblables aux résultats des enquêtes européennes. Toutefois, le soutien croissant à l’Union européenne et au processus d’intégration ne semble pas associé à un sentiment accru d’identification à l’Europe[20]. Les Québécois ont donc une forte identité continentale et les germes d’une identité supranationale sont présents aussi bien au Québec qu’au Canada anglais. Ce qui étonne toutefois dans le cas des Québécois et des Canadiens c’est leur identité supranationale aussi affirmée que celle des Européens, même si la dynamique d’intégration continentale en Amérique du Nord est beaucoup plus récente[21] Les Québécois et les Canadiens semblent donc avoir une vision de plus en plus cosmopolite de la réalité nord-américaine[22].
Les Québécois ressemblent ainsi à d’autres peuples, comme les Écossais, les Flamands ou les Catalans, qui redéfinissent leur appartenance autant à l’intérieur de l’État-nation que par rapport à un plus grand ensemble, que ce dernier soit européen ou américain. Les Québécois, et apparemment l’ensemble des Canadiens, se sentent résolument nord-américains. Les valeurs et l’identité québécoises s’articulent donc pour une bonne part au son de l’appartenance continentale[23]. Il nous reste à analyser comment le processus d’intégration a modifié et continue à transformer les valeurs des citoyens.
Les dimensions matérialiste et postmatérialiste au québec : les résultats empiriques
R. Inglehart a posé l’hypothèse que les citoyens des sociétés industrialisées tendent à se différencier suivant deux axes : l’un matérialiste où les objectifs traditionnels de sécurité économique et physique dominent et l’autre dit postmatérialiste où les citoyens donnent priorité à des considérations non matérielles et à la solidarité sociale. En fait, ce serait parmi les personnes jeunes, les plus scolarisées et chez les membres des professions libérales et les non-syndiqués que l’on retrouverait le plus d’adeptes des valeurs postmatérialistes[24].
Afin d’évaluer l’impact de l’intégration économique sur les valeurs des Québécois, nous avons choisi diverses stratégies. Dans notre première enquête de 1997, nous avons décidé de reprendre les énoncés formulés par R. Inglehart[25]. Nous n’avons pas posé ces questions en 1998. Dans le sondage de 1999, nous avons créé une nouvelle échelle reprenant les deux énoncés matérialistes et postmatérialistes qui avaient reçu le plus d’appui en 1997 ; nous avons toutefois dû en modifier deux afin d’obtenir un certain équilibre au sein de l’échelle. Enfin, dans l’enquête de 2000, contrairement aux études de 1997 et de 1999 où les répondants devaient choisir une réponse parmi les énoncés proposés, nous avons demandé à chaque personne interrogée si elle jugeait chacun des objectifs très important, plutôt important ou peu important. Cela nous a permis de construire une nouvelle échelle de valeurs variant de +3 à -3. Nous verrons qu’il y a une forte convergence dans les résultats de nos trois enquêtes.
Notre objectif premier étant de mieux comprendre les effets de l’intégration économique sur les valeurs et les attitudes des citoyens, nous nous sommes appuyés dans un premier temps sur l’échelle proposée dans le World Values Survey afin de pouvoir comparer autant que possible certains résultats. Toutefois, comme nos hypothèses le suggèrent et les données canadiennes le démontrent, on ne peut certes conclure que les valeurs dites « nationales » sont semblables au niveau subétatique. C’est pourquoi, tout en étant conscient du débat entourant la validité de l’échelle matéraliste/postmatérialiste, nous avons modifié l’échelle du World Values Survey afin de répondre aux particularités de notre étude[26]. Nous avons choisi cette stratégie faute de mieux, bien que la construction d’une échelle validée sur les valeurs nord-américaines des Québécois reste pour nous un objectif. Tout en étant fort conscient des limites expérimentales de l’approche adoptée dans notre enquête de 1997, nous avons cherché par la suite à modifier cette première échelle afin de développer une mesure plus fine des valeurs intrinsèques de la société québécoise.
L’échelle du World Values Survey
Afin de tester son hypothèse, R. Inglehart proposait aux personnes interrogées 12 énoncés, 6 de nature matérialiste reflétant les besoins physiologiques de sécurité physique et économique et 6 à caractère postmatérialiste, reflétant des préoccupations d’ordre intellectuel et esthétique. L’évaluation de la dimension matérialiste/postmatérialiste au Québec lors de notre enquête de 1997 s’inspirait largement de l’approche privilégiée par R. Inglehart. Les 12 énoncés étaient répartis en 3 blocs qui regroupaient chacun deux objectifs matérialistes et deux objectifs postmatérialistes. Par cette méthode, R. Inglehart cherchait à diminuer la marge d’erreur due à des réponses hâtives. De plus, afin de minimiser les biais attribuables à la lecture des énoncés, ceux-ci étaient mentionnés en rotation. Après une entrée en matière, soulignant que, dans une société, plusieurs objectifs peuvent être visés, la démarche consistait à demander aux répondants lequel de ces objectifs leur paraissait le plus important.
Toutefois, il existait des différences entre notre échelle et celle du World Value Surveys. D’abord, la question était différente. Nous avons posé à nos répondants la question suivante : « Dans une société, plusieurs objectifs peuvent être visés. Personnellement, parmi les éléments suivants quel est selon vous le plus important objectif que la société québécoise devrait se donner ? » Au lieu de demander quelle devrait être la priorité de leur pays pour les 10 prochaines années, nous avons contextualisé notre question dans l’espace et dans le temps. D’abord, nous ne pouvions utiliser le mot « pays » dans le contexte québécois et nous voulions savoir quelle était la priorité des répondants aujourd’hui même. Ensuite, dans notre premier bloc de questions, nous avons exclu l’énoncé de R. Inglehart concernant le maintien d’une forte défense nationale, puisque nous étions convaincu que cela pouvait créer une certaine confusion, car il s’agit d’une compétence de nature fédérale dans le système politique canadien. Enfin, au lieu de demander à chacun des répondants leurs premier et second choix, nous avons opté pour un seul choix à l’intérieur de chacun des blocs de questions.
Comme nous pouvons l’observer au tableau 1A (page suivante), les résultats au premier bloc de questions démontrent que l’objectif matérialiste no 1 (maintenir un haut taux de croissance économique) obtient le plus fort pourcentage (44,8 %), suivi de près par l’énoncé postmatérialiste no 2 qui suggère de donner aux citoyens les moyens de prendre des décisions à leur travail et dans leur communauté (43,3 %). Un peu plus de la moitié des répondants (55,2 %) estiment que la société québécoise devrait se donner des objectifs de type postmatérialiste. Il faut cependant noter, parmi ceux qui ont priorisé l’objectif no 2, un écart significatif selon la langue d’entrevue : 45 % chez les francophones contre 22 % chez les répondants anglophones. L’écart est encore plus prononcé pour les répondants ayant choisi l’objectif no 3 (faire en sorte que nos villes et municipalités soient plus belles) : 35 % des répondants anglophones ont choisi cet objectif contre 9 % chez les francophones. Par ailleurs, et contrairement aux résultats de R. Inglehart, plus le revenu des gens interrogés est élevé, plus ils sont nombreux à choisir l’objectif matérialiste no 1. À l’inverse, pour les objectifs postmatérialistes no 2 et no 3, la proportion tend à augmenter lorsque le revenu diminue. On observe que les répondants dont le revenu se situe au-dessus de 50 000 $ sont moins sensibles à ce que nos villes soient belles (6 % pour ceux gagnant entre 50 000 $ à 59 999 $ ou 60 000 $ et plus contre 17 % pour ceux gagnant de 10 000 $ à 19 999 $). Ces écarts sont statistiquement significatifs.
Pour ce qui est de l’occupation, on note une attitude très différente chez les professionnels et les personnes sans emploi ou qui demeurent à la maison. Les professionnels choisissent à 56 % l’objectif no 1 (maintenir un haut taux de croissance économique) alors que les deux autres catégories de personnes appuient cet énoncé dans une proportion de 36 %. Ces deux derniers groupes se montrent aussi plus favorable à l’embellissement de nos villes et de nos municipalités, soit 20 % contre 6 % chez les professionnels. De manière générale, les répondants qui restent à la maison ont une vision plus postmatérialiste que les professionnels ou les cadres d’entreprises (61 % contre 43 %). À nouveau, ces écarts sont statistiquement significatifs. On dénote également que les répondants ayant un niveau de scolarité élevé (16 années et plus) ont tendance à choisir l’objectif matérialiste no 1 (53 % contre 28 % pour ceux ayant moins de 7 ans de scolarité). En ce qui concerne l’objectif no 3, ce sont les gens les moins scolarisés qui se démarquent davantage (29 %). On pourra certainement faire valoir que, dans le premier bloc, il y avait un certain déséquilibre au sein de l’échelle, puisque deux énoncés sur trois étaient de nature postmatérialiste. Nous partageons ce point de vue. Mais malgré cela, nos résultats infirment déjà certaines observations sur les caractéristiques sociales des personnes qui appuient les valeurs postmatérialistes.
Dans le deuxième bloc de questions, nous avons cette fois-ci offert aux répondants un choix entre les quatre mêmes objectifs proposés par R. Inglehart. Comme l’illustre le tableau 1A, trois personnes sur quatre (72,4 %) ont préféré un objectif postmatérialiste, l’objectif no 2 (donner aux citoyens plus de moyens pour s’exprimer lors de décisions gouvernementales importantes) obtenant à lui seul 48,7 % des choix. Ce dernier objectif est considéré plus important aux yeux des gens âgés de 37 à 44 ans (53 % contre 44 % chez les 18 à 28 ans) et des personnes ayant le français comme langue maternelle (50 % contre 38 % chez celles dont la langue maternelle est l’anglais). On dénote également des différences statistiquement significatives en ce qui concerne l’identité des personnes interrogées (Québécois, Canadien, Canadien français, Canadien anglais) et la perception du degré de similarité entre citoyens américains et Québécois. D’abord, il faut souligner que 52 % des personnes qui se disent Québécois choisissent l’objectif no 2 contre 29 % pour les Canadiens anglais. Ainsi, les gens interrogés qui s’identifie avant tout comme Canadien anglais sont plus fortement portés vers les valeurs matérialistes (objectifs no 1 et no 3) : 39 % comparativement à 26 % chez ceux qui se définisse comme Québécois. Somme toute, les valeurs postmatéralistes reçoivent ici l’appui d’une nette majorité de répondants.
Finalement, pour ce qui est du troisième bloc, quatre objectifs étaient également soumis aux répondants. L’objectif matérialiste no 2 (maintenir une stabilité économique) obtient la première position (42,3 %). En fait, les objectifs à caractère matérialiste ressortent davantage puisqu’ils obtiennent 42,3 % et 14,4 % (soit un total de 56,7 %), comparativement à ceux de type postmatérialiste qui recueillent 22,8 % et 20,5 % (soit un total de 43,3 %). On notera toutefois que plus d’une personne sur cinq, soit 22,8 % aimerait que la société québécoise soit plus conviviale et moins impersonnelle (objectif postmatérialiste). Soulignons des écarts significatifs selon l’occupation et le revenu. Les professionnels et cadres d’entreprises (52 %) optent dans une plus forte proportion pour l’objectif matérialiste no 2 (maintenir une stabilité économique) comparativement aux chômeurs (35 %) ou aux étudiants (29 %). Ces derniers, les chômeurs et les étudiants, sont toutefois très sensibles (36 %) à l’objectif postmatérialiste d’une société donnant plus d’importance aux idées qu’à l’argent. Ici encore, plus le revenu des gens interrogés est faible, plus ils sont nombreux à privilégier les objectifs postmatérialistes. Les personnes gagnant moins de 10 000 $ par année tiennent davantage (33 %) à une société québécoise plus humaine et moins impersonnelle que celles dont le revenu atteint 60 000 $ et plus (17 %). La proportion de gens ayant des valeurs matérialistes tend de nouveau à augmenter en fonction du revenu.
Afin de tracer un portrait d’ensemble pour ces trois blocs de questions, nous avons fait la somme des résultats. Nous pouvons ainsi classifier nos répondants en quatre catégories : le matérialiste est celui ou celle qui a choisi un objectif matérialiste dans chacun des trois blocs. Une personne matérialiste mixte a opté pour deux objectifs matérialistes et un objectif postmatérialiste. À l’opposé, un postmatérialiste mixte aura choisi deux énoncés postmatérialistes et une proposition matérialiste. Finalement, un postmatérialiste aura opté pour un objectif postmatérialiste dans chacun des trois blocs. Le tableau 1B présente les résultats de cette classification. Comme on peut le noter, les valeurs postmatérialistes et postmatérialistes mixtes obtiennent la cote avec 58 % contre 42 % pour les valeurs matérialistes et matérialistes mixtes ; les deux catégories médianes obtiennent 64,2 %. Une ventilation selon la langue et l’âge des répondants (tableau 1C) n’indique aucune tendance particulière. Il faut souligner que, dans nos trois enquêtes, la variable âge n’est pas statistiquement significative. Toutefois, on peut observer que les personnes les moins fortunés et non fortunées (65,9 %), soit celles ayant un revenu inférieur à 10 000 $, privilégient les valeurs postmatérialistes contre 49,6 % pour les personnes dont le revenu est égal ou supérieur à 60 000 $.
Les études européennes ont démontré que le type de profession ou de métier permettait de classifier les répondants[27]. Ainsi, les agriculteurs appartiennent, et de loin, au métier où se retrouvent le plus d’individus ayant des valeurs matérialistes, ces valeurs devancent les valeurs postmatérialistes dans une proportion de presque 8 pour 1 et ce, dans l’ensemble des 15 pays de l’Union européenne. Parmi les travailleurs manuels, il y a aussi une prédominance (environ 3 pour 1) de matérialistes. D’un autre côté, les postmatérialistes sont presque en aussi grand nombre que les matérialistes chez les professionnels et les cadres. Les études européennes ont révélé que les personnes qui favorisent des objectifs postmatérialistes se retrouvent davantage parmi celles ayant un métier considéré prestigieux ou leur conférant un statut social élevé. Les données sur le Québec (tableau 1C) révèlent toutefois une tendance opposée : plus on a un métier socialement valorisé, plus on est matérialiste.
De plus, les études européennes ont révélé que la relation entre le type de valeurs et l’éducation était encore plus forte que dans le cas du métier, l’éducation étant davantage associée aux expériences formatrices des jeunes. Les données des enquêtes des années 1970 indiquaient que plus les gens avaient un niveau d’éducation élevé, plus ils avaient tendance à être postmatérialistes[28]. Des enquêtes européennes récentes confirment ces résultats[29]. Par contre, les données de notre enquête de 1997 démontrent, dans le cas du Québec, que plus une personne a un niveau de scolarité élevé, plus elle a tendance à favoriser des objectifs d’ordre matérialiste. Il faut cependant noter, comme on peut le voir au tableau 1C, que bon nombre de personnes (58 %) se retrouvent dans les catégories postmatérialistes mixtes et postmatérialistes. Les données du tableau 1C indiquent que les professionnels sont partagés entre les valeurs matérialistes (51,1 %) et postmatérialistes (48,9 %). Il faut donc se demander s’il n’existerait pas un clivage culturel important entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Le Québec semble à tout le moins résolument nord-américain.
Une nouvelle échelle de valeurs : première version
À cause de ces résultats, nous avons opté pour une seconde stratégie. Nous avons décidé de retenir uniquement les quatre objectifs les plus souvent cités précédemment, avec notre première échelle, afin de construire une nouvelle échelle. Les objectifs « maintenir un haut taux de croissance économique » (45 %) et « maintenir la stabilité économique » (42 %) furent de loin les deux énoncés matérialistes les plus souvent choisis. Comme les deux concepts nous semblaient assez semblables, nous avons remplacé le second par l’objectif suivant : « permettre à tous les citoyens d’avoir un emploi ». Parmi les objectifs postmatérialistes, les énoncés « donner aux citoyens plus de moyens pour s’exprimer dans les décisions gouvernementales importantes » (49 %) et « donner aux citoyens les moyens de prendre des décisions à leur travail et dans leur communauté » (43 %) furent les plus souvent sélectionnés. Ces deux objectifs étant relativement semblables, nous avons opté pour le troisième choix des répondants, soit de faire de la société québécoise une société plus humaine, plus conviviale et moins impersonnelle (22,8 %). Nous avons donc conservé trois des quatre énoncés de base de R. Inglehart.
Nous avons testé cette nouvelle échelle en avril 1999 en demandant aux répondants de choisir une seule réponse parmi les quatre objectifs. Comme le montre le tableau 2A, nos résultats furent différents de ceux obtenus précédemment, puisque la majorité des répondants ont préféré des valeurs matérialistes (61,6 %). Ainsi, 42,9 % ont priorisé l’objectif de permettre à tous les citoyens d’avoir un emploi et 18,7 % un haut taux de croissance économique. Par ailleurs, 21,3 % des répondants ont choisi l’objectif de faire de la société québécoise une société plus humaine, moins impersonnelle. Les autres résultats sont toutefois conformes aux précédents, en particulier ceux touchant le revenu et l’éducation.
Parmi les autres résultats de cette enquête de 1999, il faut noter des différences significatives selon la langue maternelle, l’âge, le revenu et le niveau d’éducation (tableau 2B). Plus la scolarité s’accroît, plus on est matérialiste. Les hommes le sont davantage que les femmes. Pour ce qui est de la langue maternelle, on remarque que si les répondants des deux principaux groupes linguistiques favorisent dans une proportion assez similaire les objectifs matérialistes et postmatérialistes, ils diffèrent nettement quant à l’objectif qu’ils estiment le plus important. Ainsi, 30 % des anglophones privilégient l’objectif de maintenir un haut taux de croissance économique contre 16 % chez les francophones, qui privilégient l’objectif de permettre à tous les citoyens d’avoir un emploi dans une proportion de 46 % contre 33 % parmi les répondants de langue anglaise. Par ailleurs, les jeunes de 18 à 24 ans sont ceux (24 %) pour lesquels l’objectif matérialiste de maintenir un haut taux de croissance économique s’avère le plus important ; à l’opposé, l’objectif postmatérialiste d’une société plus humaine recueille de leur part l’appui le moins important (16 %). Il faut également noter que les personnes de 65 ans et plus sont le plus partagées entre les objectifs postmatérialistes (49 %) et matérialistes (51 %). Autre constante, plus on est riche, plus on est matérialiste. Ce sont également les personnes ayant une scolarité de niveau primaire qui privilégient le moins l’objectif matérialiste de maintenir un haut taux de croissance économique (3 % en comparaison à 19 % pour l’ensemble des répondants).
Une nouvelle échelle de valeurs : deuxième version
Afin d’analyser l’ensemble des résultats à nos quatre questions, et d’obtenir une image plus précise des réponses pour l’ensemble des répondants, nous avons construit une échelle de valeurs selon le continuum matérialiste-postmatérialiste. Cette fois-ci, tout en reprenant les objectifs de notre échelle de 1999, au lieu de demander à chaque répondant de faire un choix parmi les quatre objectifs, nous l’avons invité à évaluer si chacun de ceux-ci était à son avis important, assez important, peu ou pas du tout important pour la société québécoise. Nous avons par la suite fait la somme des réponses aux quatre questions afin d’obtenir une échelle variant de -3 à +3. Comme nous avions deux énoncés matérialistes (maintenir le taux de croissance et que les citoyens aient un emploi) et deux énoncés postmatérialistes (participation des citoyens aux décisions importantes et faire de la société québécoise une société plus humaine, moins impersonnelle), nous avons recodé chacune des réponses pour obtenir un score global. Les réponses aux énoncés matérialistes ont été codées de manière positive (3 = très important, 2 = important, 1 = peu ou pas du tout important). À l’inverse, les choix de réponses pour les énoncés postmatérialistes ont été codées avec une valeur négative (-3 = très important, -2 = important, -1 = peu ou pas du tout important). Ainsi, une personne qui a donné la même réponse aux quatre questions se retrouve avec un score de zéro.
Nos résultats, présentés au tableau 3A, démontrent que l’énoncé à l’effet de permettre à tous les citoyens d’avoir un emploi recueille l’appui le plus élevé ; 84,2 % des répondants estiment qu’il est important que la société québécoise se donne cet objectif. Les deux objectifs postmatérialistes reçoivent ensuite les scores les plus élevés. L’objectif matérialiste de maintenir un taux de croissance économique élevé s’avère celui que le moins de personnes jugent important. Après codification et regroupement sur notre échelle matérialiste-postmatérialiste, nous observons au tableau 3B que la majorité des répondants (53,8 %) ont avant tout une attitude mixte. De plus, 26 % convergent vers les valeurs postmatérialistes alors que 20,2 % ont des affinités nettement matérialistes.
Mais c’est le tableau 3C (page 26) qui donne les résultats les plus intéressants. Plus la scolarité augmente, moins l’on est postmatérialiste ; les personnes détenant un diplôme universitaire étant carrément matéralistes. Ces données concordent avec les précédentes. Les Québécois francophones seraient légèrement postmatérialistes, tandis que les Québécois anglophones seraient largement matérialistes. Les personnes qui ont un emploi à temps partiel, sont à la recherche d’un emploi, s’occupent des soins de la maison ou sont à la retraite privilégient davantage des valeurs postmatérialistes que celles qui occupent un emploi à temps plein, ces dernières étant matérialistes. Les étudiants obtiennent un score près de zéro ; il faut sans doute les considérer comme appartenant à la catégorie mixte. Plus le revenu est faible, plus on est postmatérialiste. Les personnes dont le revenu est de 10 000 $ et moins sont les plus postmatérialistes (- 0,26), tandis que celles dont le revenu est de 60 000 $ et plus sont nettement matérialistes (0,46). Finalement, les hommes privilégient plus les valeurs matérialistes que les femmes, ces dernières optant davantage pour des valeurs postmatérialistes.
Conclusion
L’un des objectifs de cette analyse était d’évaluer comment les changements économiques observés au Québec, en particulier depuis la signature de l’ALÉ, ont transformé les valeurs des Québécois. Au cours de la dernière décennie, les échanges commerciaux entre le Québec et ses partenaires nord-américains n’ont cessé de croître, le marché états-unien devenant davantage le premier lieu d’exportation des marchandises québécoises. La coopération entre le Québec et les états de la Nouvelle-Angleterre, par exemple, surtout aux lendemains des événements du 11 septembre 2001, a pris de nouvelles dimensions, la sécurité des personnes, des marchandises et des frontières étant aux premières loges des préoccupations des deux côtés de la frontière. Il ne fait aucun doute, à notre esprit, qu’il y a entre les Québécois et États-Uniens certaines valeurs communes alors que sur d’autres plans il y a des divergences majeures. Notre objectif ici n’était pas de mesurer directement si le rapprochement économique a favorisé cette convergence des valeurs. Une étude comparative Québec-É.-U. serait certes intéressante à réaliser.
Toutefois, l’appui des Québécois aux valeurs libre-échangistes est assez conforme à cette tendance de plusieurs nations subétatiques qui ont choisi carrément de jouer un rôle actif sur la scène internationale et qui ont adopté des politiques favorables à l’ouverture des marchés. Si les Québécois ont une forte identité nationale, se disent carrément nord-américains, tout en partageant une certaine identité territoriale commune avec leurs partenaires canadiens, ils demeurent malgré tout conscients des risques de la mondialisation. Dans un tel contexte, il ne fait aucun doute que le fort sentiment identitaire des Québécois contribue à sculpter leurs valeurs sociétales. Dans ce texte, nous avons simplement voulu porter notre attention sur les changements de valeurs au Québec et ce à l’aune d’une expérience, certes plus ancienne mais relativement comparable, qu’est la construction européenne. Nos résultats indiquent clairement que le Québec évolue au même rythme que plusieurs nations européennes mais que sa situation particulière façonne différemment certaines valeurs.
Nous observons une convergence des résultats de nos trois enquêtes et ce, quelque soit le type d’échelle utilisée. Contrairement au modèle européen, l’âge ne représente pas une variable discriminante, puisque l’on n’observe pas de variations significatives entre l’âge et le type de valeurs. De plus, les personnes dont le statut social est élevé, à cause de leur niveau d’éducation ou de leur revenu, choisissent davantage des valeurs matérialistes que postmatérialistes. Les données québécoises semblent plutôt mettre un bémol à l’hypothèse soutenant que l’intégration économique aurait favorisé l’émergence de changements culturels majeurs au sein des nouvelles générations. Nos résultats témoignent de l’attachement de tous les Québécois pour certaines valeurs de solidarité sociale qui empruntent néanmoins sans retenue le modèle nord-américain. Les résultats de nos trois enquêtes ont démontré que les Québécois n’avaient aucune appréhension quant à leur intégration économique continentale. Nous dirions même que les Québécois sont résolument des social-démocrates mais que leur modèle sociétal s’inspire grandement des valeurs matérialistes nord-américaines liées à l’épanouissement individuel. L’identité québécoise puise autant dans les valeurs matérialistes que postmatérialistes.
L’étude de la dimension matérialiste-postmatérialiste au sein de la société québécoise démontre d’abord que les personnes qui se positionnent en faveur de valeurs matérialistes ont des niveaux de scolarité et de revenu élevés, et exercent des professions bien en vue. Les gens moins riches, moins scolarisés et aux métiers moins socialement valorisés privilégient davantage les valeurs postmatérialistes. Bien qu’il s’agisse là d’une tendance et que des nuances soient nécessaires dans certains cas, nos résultats sont fort probants. Même si la complexité même de la dimension matérialiste-postmatérialiste (la validité de l’échelle) pourrait expliquer certains de nos résultats, nous sommes convaincus que nos résultats sont plausibles et réalistes, même s’ils vont à l’encontre de certaines données européennes. Ce sont les élites politiques et économiques québécoises qui furent les plus favorables au libre-échange et leur inclinaison en faveur de valeurs matérialistes nous semble conforme à la réalité. Mais il existe également au sein de la société québécoise un fort courant social-démocrate avec lequel les gouvernements du Québec doivent composer. Le libéralisme des élites et l’attachement de certains milieux syndicaux et intellectuels minoritaires à certaines valeurs de solidarité sociale nous semblent conformes à la réalité québécoise.
Un dernier mot sur la construction d’une échelle de valeurs. Même si l’objectif premier de cette analyse était d’abord de mesurer les valeurs et les attitudes des Québécois selon un continuum matéraliste-postmatérialiste. Nous croyons que notre dernière échelle constitue une réponse satisfaisante aux critiques entourant l’échelle à quatre items élaborée par R. Inglehart. L’échelle que nous avons utilisée dans notre enquête de 2000 n’est pas constituée de quatre items mais de quatre questions et pour chacune d’elles le répondant était invité à dire s’il était important ou pas important que la société québécoise se donne certaines priorités. Le grand avantage d’une telle échelle est qu’elle offre la possibilité de construire une échelle de –3 à +3 sur les valeurs matérialistes et postmatérialistes de la société québécoise. Mais la réflexion et la recherche doivent se poursuivre afin de pouvoir combler le vide qui nous semble apparent d’indicateurs pouvant mesurer les effets de l’intégration économique ou de la mondialisation sur les valeurs et attitudes culturelles des citoyens.
Parties annexes
Notes sur les auteurs
Guy Lachapelle
Professeur titulaire au département de science politique de l’Université Concordia et secrétaire général de l’Association internationale de science politique. Il a publié plusieurs ouvrages dont le plus récent, en collaboration avec John Trent : Globalization, Governance and Identity (Presses de l’Université de Montréal, 2000). Il s’intéresse plus particulièrement aux liens entre le Québec et ses partenaires nord-américains. Il a participé à la création du Groupe de recherche sur l’américanité (GRAM), qui a pour objectif de mieux comprendre les effets de l’intégration des Amériques sur la gouvernance et les identités.
Gilbert Gagné
Professeur adjoint au département des études politiques de l’Université Bishop’s où il enseigne les relations internationales. Ses domaines d’enseignement et de recherche s’articulent autour des organisations internationales, de l’intégration nord-américaine, de la politique étrangère canadienne et des relations canado-américaines. Il a publié un grand nombre d’études sur ces enjeux. Il est membre du Groupe de référence externe pour le projet de recherche du gouvernement canadien sur les liens nord-américains.
Notes
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[1]
Ronald Inglehart, The Silent Revolution — Changing Values and Political Styles Among Western Publics, Princeton, Princeton University Press, 1977 ; R. Inglehart, Culture Shift in Advanced Industrial Society, Princeton, Princeton University Press, 1990 ; R. Inglehart, Neil Nevitte et Miguel Basañez, The North American Trajectory : Cultural, Economic, and Political Ties Among the United States, Canada, and Mexico, New York, Aldine de Gruyter, 1996.
-
[2]
Stéphane Paquin, La revanche des petites nations — Le Québec, l’Écosse et la Catalogne face à la mondialisation, Montréal, VLB éditeur, 2001.
-
[3]
Guy Lachapelle, « L’américanité des Québécois ou l’émergence d’une identité supranationale », dans Nationalité, citoyenneté et solidarité, sous la dir. de Michel Seymour, Montréal, Liber, 1999, p. 101.
-
[4]
R. Inglehart, N. Nevitte et M. Basañez affirment d’ailleurs que leurs données sur le Québec semblent suivre des avenues différentes de celles du Canada anglais, mais sans donner plus de détails.
-
[5]
Ce sondage a été réalisé par le Groupe de recherche sur l’américanité (GRAM) entre le 12 juin et le 21 juillet 1997 auprès de 2 204 répondants québécois. Il a été possible grâce à un appui financier de l’Université Concordia, de l’INRS — Culture et Société, de la State University of New York (Plattsburgh), de l’Université du Québec à Montréal, de l’Association québécoise d’études américaines et d’Impact Recherche.
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[6]
La première enquête a été effectuée du 10 au 14 novembre 1998 auprès de 1 040 répondants. L’enquête de 1999 a été réalisée entre les 16 et 21 avril auprès de 1 013 répondants grâce à l’appui financier de l’Alliance des manufacturiers et exportateurs du Québec (AMEQ). Les entrevues de la dernière enquête ont été réalisées entre le 5 et le 8 septembre 2000 auprès de 1 003 répondants. Tous les sondages avaient un nombre représentatif de répondants de langue anglaise et un questionnaire en anglais leur fut administré. Le terrain pour ces trois projets fut sous la direction de Jean Noiseux de la firme SONDAGEM.
-
[7]
G. Lachapelle et John Trent (dir.), Globalization, Governance and Identity : The Emergence of New Partnerships, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2000 ; Gilbert Gagné, « Intégration nord-américaine et enjeux culturels pour le Canada », Horizons, vol. 3, no 2, 2000, p. 12-13.
-
[8]
Alberto Alesina et Enrico Spolaore, « On the Number and Size of Nations », The Quarterly Journal of Economics, vol. 112, no 4, 1997, p. 1027-1056 ; G. Lachapelle, « Quebec under Free Trade : Between Interdependence and Transnationalism », dans Quebec Under Free Trade : Making Public Policy in North America, sous la dir. de G. Lachapelle, Québec, Presses de l’Université du Québec, 1995, p. 3-23.
-
[9]
Jennifer M. Welsh, « Is a North American Generation Emerging ? », Revue canadienne de recherches sur les politiques, vol. 1, no 1, printemps 2000, p. 86-92.
-
[10]
Karl W. Deutsch, « Between Sovereignty and Integration », Government and Opposition, vol. 9, no 1, hiver 1974, p. 133-119 ; K. W. Deutsch, « External Influences on the Internal Behavior of States », dans Approaches to Comparative and International Politics, sous la dir. de R. Barry Farrell, Evanston, Northwestern University Press, 1966.
-
[11]
Gabriel Almond et Sidney Verba, Civic Culture, Princeton, Princeton University Press, 1963 ; Mattei Dogan, « Déclin des nationalismes et dynamiques des générations en Europe de l’Ouest », Revue internationale de science sociales, no 136, 1993, p. 207-233 ; Seymour Martin Lipset et William Schneider, The Confidence Gap-Business, Labor, and Government in the Public Mind, Baltimore, John Hopkins University Press, 1983.
-
[12]
Dans notre enquête de 1997, 51 % des Québécois estimaient que les États-Unis avaient une influence bénéfique sur le développement culturel du Québec ; à peine 33 % des répondants jugeaient cette influence mauvaise.
-
[13]
R. Inglehart, N. Nevitte et M. Basañez, The North American Trajectory, p. 8-11.
-
[14]
Guido Martinotti et Sonia Stefanizzi, « Europeans and the Nation State », dans Public Opinion and Internationalized Governance, sous la dir. de Oskar Niedermayer et Richard Sinnott, Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 163-189.
-
[15]
Max Kaase et Kenneth Newton, Beliefs in Government, Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 123-124.
-
[16]
M. Kaase et K. Newton, Beliefs in Government, p. 115-117.
-
[17]
G. Gagné, « Libre-échange, souveraineté et américanité : une nouvelle trinité pour le Québec ? », Politique et Sociétés, vol. 18, no 1, 1999, p. 103-104 ; Frank L. Graves, Tim Dugas et Patrick Beauchamp, « Identity and National Attachment in Contemporary Canada », dans Canada : The State of the Federation 1998-99 : How Canadians Connect, sous la dir. de Harvey Lazar et Tom McIntosh, Kingston, Institut des relations intergouvernementales, 1999, p. 307-354.
-
[18]
G. Lachapelle, « Les Québécois sont-ils devenus des Nord-Américains ? » Le Devoir, 21 et 22 novembre 1998, p. A15.
-
[19]
Ekos Research Associates Inc., Exploring Perceived and Comparative Differences in Canadian and American Values and Attitudes : Continentalism or Divergence ?, Gouvernement du Canada, Développement des ressources humaines Canada, version préliminaire, 21 mars 2000, p. 46.
-
[20]
Sophie Duchesne et André-Paul Frognier, « Is There a European Identity ? », dans Public Opinion and Internationalized Governance, p. 193-226.
-
[21]
G. Lachapelle, « L’américanité des Québécois », p. 104, 109-110.
-
[22]
N. Nevitte, The Decline of Deference : Canadian Value Change in Cross-National Perspective, Toronto, Broadview Press, 1996. Il faut noter que nos résultats diffèrent de ceux de la maison Ekos selon laquelle les Québécois seraient moins cosmopolites que les Canadiens puisqu’ils s’identifieraient davantage à leur groupe d’appartenance. Toutefois, les auteurs de ce rapport ont omis de dire qu’il n’y a pas nécessairement contradiction entre le fait d’avoir un sens patriotique élevé et une ouverture sur le monde. Comme nos résultats le démontrent, les Québécois ont un sentiment national comparable à celui des citoyens de pays européens sans pour autant rejeter des valeurs internationales. Telle est l’essence même du nouveau postnationalisme québécois face à la mondialisation.
-
[23]
G. Lachapelle et G. Gagné, « L’américanité du Québec ou le développement d’une identité nord-américaine », Francophonies d’Amérique, no 10, 2000, p. 87-99.
-
[24]
Claude Dargent, « Appartenance régionale, images de l’Europe et mondialisation », communication présentée lors du XVIIIe congrès de l’Association internationale de science politique, Québec, août 2000 ; Réjean Pelletier et Daniel Guérin, « Postmatérialisme et clivages partisans au Québec les partis sont-ils différents ? », Revue canadienne de science politique, vol. 29, no 1, mars 1996, p. 71-109.
-
[25]
R. Inglehart, The Silent Revolution.
-
[26]
H. D. Clarke, Allan Kornberg, Chris. McIntyre, Petra Bauer-Kaase et M. Kaase, « The Effect of Economic Priorities on the Measurement of Value Change : New Experimental Evidence », American Political Science Review, vol. 93, no 3, septembre 1999, p. 637-647 ; Darren W. Davis et Christian Davenport, « Assessing the Validity of the Postmaterialism Index », American Political Science Review, vol. 93, no 3, 1999, p. 649-664 ; R. Inglehart et P. R. Abramson, « Measuring Postmaterialism », American Political Science Review, vol. 93, no 3, 1999, p. 665-677
-
[27]
R. Inglehart, Culture Shift in Advanced Industrial Society, p. 163-164.
-
[28]
Political Action Surveys menées entre 1974 et 1976. Voir R. Inglehart, Culture Shift in Advanced Industrial Society, p. 163.
-
[29]
C. Dargent, « Appartenance régionale, images de l’Europe et mondialisation ».