Résumés
Résumé
La publication d’un article scientifique sur les effets néfastes d’un hybride de maïs transgénique exprimant une δ-endotoxine du Bacillus thuringiensis contre des larves du papillon monarque causait, il y a quelques années, une controverse sans précédent sur l’impact environnemental des caractères recombinants introduits au bagage génétique des cultures agricoles. Le présent article de synthèse, complémentaire à un article de ce même numéro abordant la migration des transgènes dans l’environnement (Michaud 2005), discute de l’impact des caractères recombinants encodés par les transgènes sur l’incidence et le développement des différents organismes vivants du milieu. L’impact des nouveaux caractères est d’abord considéré à l’échelle des écosystèmes, à la lumière des effets exercés par les pratiques agricoles courantes sur la diversité biologique au champ. L’impact de ces caractères est ensuite considéré en fonction des interactions spécifiques établies au champ ou en conditions de laboratoire entre la plante modifiée et une gamme d’espèces modèles incluant des ravageurs herbivores secondaires, des arthropodes prédateurs et différents organismes du sol.
Mots clés:
- Biodiversité,
- cultures transgéniques,
- impact environnemental,
- interactions multitrophiques,
- protéines recombinantes
Abstract
A scientific communication reporting the deleterious effects on monarch butterfly larvae of a transgenic corn hybrid expressing a Bacillus thuringiensis δ-endotoxin has caused, a few years ago, an unprecedented controversy on the environmental impact of recombinant traits introduced into the genome of agricultural crops. This review, complementing a review in this same issue on transgene migration in the environment (Michaud 2005), addresses the impact of these new traits on the development and survival of different non-target living organisms present in the environment. The impact of these new traits is first considered at the ecosystem level, in relation with the effects of current agricultural practices on field biodiversity. The impact of these traits is then considered in relation with the specific interactions established in the field or under laboratory conditions between the modified plant and a collection of model organisms including secondary herbivorous pests, predatory arthropods and different species of the soil community.
Keywords:
- Biodiversity,
- environmental impact,
- multitrophic interactions,
- recombinant proteins,
- transgenic crops
Corps de l’article
Introduction
La publication fort médiatisée d’une communication scientifique sur les effets néfastes d’un hybride de maïs transgénique contre le papillon monarque, Danaus plexippus (L.) [Lepidoptera : Danaidae] (Losey et al. 1999), causait, il y a quelques années, une controverse sans précédent sur l’impact environnemental des caractères recombinants introduits au bagage génétique des cultures agricoles (Pimentel et Raven 2000; Shelton et Sears 2001). Cette étude s’intéressait aux effets secondaires possibles d’hybrides de maïs transgéniques exprimant une δ-endotoxine de la bactérie du sol Bacillus thuringiensis (Bt), la protéine Cry1Ab, développés à la base pour la répression d’un insecte ravageur répandu, la pyrale du maïs Ostrinia nubilalis Hübner [Lepidoptera : Pyralidae]. Réalisée en laboratoire et appuyée par des tests similaires effectués en partie en champ (Hansen Jesse et Obrycki 2000), cette étude rapportait que l’un des hybrides étudiés, l’hybride Event 176, était toxique pour les larves du papillon nourries de feuilles d’asclépiade (Asclepias syriaca L.) enduites d’une forte quantité de pollen isolé de cet hybride. Ces observations, explicables par la toxicité démontrée des toxines CryIA contre les Lépidoptères et l’abondance particulièrement élevée de la protéine Cry1Ab dans le pollen de l’hybride testé (Hellmich et al. 2001; Pimentel et Raven 2000), soulevaient la question des effets secondaires possibles associés aux cultures transgéniques résistantes aux ravageurs herbivores sur les organismes non ciblés retrouvés dans le milieu. Alors que des études ultérieures démontraient finalement un effet négligeable des hybrides commerciaux de maïs Bt sur le papillon monarque en contexte agricole (Gatehouse et al. 2002; Shelton et Sears 2001; Stanley-Horn et al. 2001), ce nouvel épisode du débat sur les végétaux transgéniques contribuait à catalyser la poursuite des efforts de recherche sur la question complexe de l’impact environnemental des caractères recombinants introduits au génome de ces organismes. De nombreuses études ont été publiées ces dernières années sur l’effet des caractères recombinants sur les organismes du milieu et, dans une perspective plus large, sur l’impact de l’adoption des plantes transgéniques sur les pratiques culturales et la diversité biologique dans les agroécosystèmes (Clark et al. 2005; Dunfield et Germida 2004; Firbank et al. 2003; Groot et Dicke 2002; Kowalchuk et al. 2003; Losey et al. 2004a, b; O’Callaghan et al. 2005). En complément à un article traitant de la migration des transgènes dans l’environnement (Michaud 2005), cet article de synthèse aborde l’impact des cultures transgéniques et des caractères recombinants exprimés sur les organismes du milieu, à la lumière des pratiques agricoles actuelles et du concept général de biodiversité.
Qu’elles croissent en milieu naturel ou qu’elles soient le fruit d’un programme d’amélioration génétique, les plantes exercent une influence marquée sur leur environnement parce qu’elles interagissent de façon dynamique avec une gamme d’organismes prédateurs, pathogènes, pollinisateurs ou symbiontes. Les plantes contribuent aussi à façonner leur environnement en altérant les propriétés physiques, chimiques et biologiques du sol par l’intermédiaire de leur système racinaire. La déposition naturelle de matériel végétal à la surface du sol pendant la saison de croissance ou l’application de résidus de culture dans le sol pour l’amender en matière organique ont aussi une influence significative sur les éléments du milieu. D’un point de vue agronomique, la conversion d’un site naturel en terre agricole a un impact marqué sur les propriétés du sol et la diversité biologique au champ, tout comme des pratiques culturales courantes comme l’application de fertilisants, les rotations de cultures, le labour, la lutte aux mauvaises herbes ou l’application d’insecticides (Robinson et Sutherland 2002; Wilson et al. 1999). Le choix des variétés végétales ensemencées à la ferme a aussi une incidence importante sur les populations microbiennes du sol à proximité des racines (Siciliano et al. 1998), illustrant encore une fois la nature complexe et dynamique des processus physicochimiques et biologiques en milieu agricole, la grande plasticité des agroécosystèmes et l’impact marqué des pratiques culturales sur l’environnement.
Impact des cultures transgéniques sur le milieu
Dans ce contexte, les impacts environnementaux associés aux cultures transgéniques doivent être considérés sur une base comparative, par une identification des effets divergents associés à ces cultures et à leurs contreparties isogéniques conventionnelles. Considérant la diversité et la spécificité variable des caractères recombinants, la complexité des interactions biotiques à l’échelle des écosystèmes et la nature aléatoire du processus d’insertion des transgènes au génome de la plante hôte, les impacts environnementaux associés aux plantes transgéniques pourront résulter : (i) d’un spectre d’action biologique non spécifique du produit recombinant exprimé; (ii) d’une altération des composantes de la plante hôte résultant de l’insertion ou de l’expression du transgène; (iii) de l’impact du nouveau caractère sur la prépondérance des différents organismes, incluant la plante modifiée, dans l’écosystème considéré.
Spectre d’action du produit recombinant. Bien que la spécificité des caractères recombinants introduits au génome des plantes transgéniques permette en principe de limiter leur action à des cibles précises, des effets éventuels sur d’autres organismes ne peuvent être exclus dans tous les cas. Le cas du papillon monarque et de la toxine Cry1Ab est un exemple désormais classique illustrant la spécificité préférentielle mais non absolue d’un caractère recombinant contre une cible herbivore (Pimentel et Raven 2000). Comme la protéine Cry1Ab, d’autres toxines du Bt montrent un spectre d’action préférentiel contre certains insectes lépidoptères, mais sont toxiques à fortes doses contre des espèces apparentées (v. par ex. : Sims 1995, 1997). De même, des caractères recombinants alternatifs maintenant considérés pour la répression des ravageurs herbivores pourraient montrer des effets sur les organismes non ciblés en raison de leur spécificité parfois limitée (v. plus loin : Spécificité des produits recombinants et mutagénèse insertionnelle).
Altération des composantes de la plante hôte. Le processus de transgénèse permet l’intégration de nouveaux caractères par l’ajout d’une quantité minimale de matériel génétique, mais le lieu d’insertion du transgène demeure le plus souvent aléatoire (Gelvin 2003). Dans la plante modifiée, le site d’insertion du transgène pourra influencer son expression et celle de gènes résidants. Les taux d’expression variables du transgène, observés couramment d’un clone transgénique à l’autre pour une même construction génétique, seraient expliqués par l’influence de son environnement immédiat au sein du bagage génétique de l’hôte. De même, le transgène pourra influencer l’expression de gènes résidants par l’intermédiaire des séquences régulatrices incluses dans les constructions géniques ou parce que son insertion aura compromis leur intégrité physique, avec un impact éventuel sur les caractéristiques de la plante, indépendamment de l’activité du produit recombinant (Elmore et al. 2001; Masoero et al. 1999; Saxena et Stotzky 2001a). À ces phénomènes de mutagénèse insertionnelle pourront s’ajouter, le cas échéant, des phénomènes pléiotropiques (ou d’interférence métabolique) liés à l’activité biologique de la protéine recombinante encodée par le transgène. Si des protéines recombinantes répandues comme les δ-endotoxines du Bt ou des enzymes de détoxification des herbicides montrent une spécificité élevée envers des cibles précises, d’autres protéines pourraient montrer, en marge de l’effet prévu, des effets plus étendus modifiant la composition ou les caractéristiques physiques de la plante hôte par un impact direct sur son métabolisme ou son développement (v. par ex. : Gutierez-Campos et al. 2001; Van der Vyver et al. 2003).
Impact écosystémique du caractère introduit. La presque totalité des cultures transgéniques introduites jusqu’ici en milieu agricole sont destinées à la répression des mauvaises herbes ou des insectes herbivores (James 2005). Par définition, toute mesure de phytoprotection adoptée à la ferme a un impact direct sur les différentes espèces retrouvées sur le site traité. Comme les herbicides, les plantes transgéniques développées pour la répression des mauvaises herbes pourront avoir un impact négatif important sur le nombre d’espèces végétales présentes, avec un effet à la baisse sur la diversité des refuges et des sources de nourriture disponibles dans le milieu (Firbank et al. 2003; Robinson et Sutherland 2002). En outre, la répression des insectes herbivores par la culture de variétés transgéniques résistantes pourra, comme les insecticides, influencer les équilibres établis entre les différentes populations constituantes, avec des conséquences tangibles sur l’incidence relative des ravageurs secondaires, des insectes auxiliaires, des arthropodes du sol et des organismes s’en nourrissant (Losey et al. 2004a, b; Robinson et Sutherland 2002). Le caractère recombinant nouvellement exprimé pourra aussi avoir un impact sur les populations du milieu en conférant à la plante modifiée un avantage sélectif favorisant son implantation en milieu agricole ou naturel (v. Michaud 2005).
Au bilan, l’ensemble des effets associés à une culture transgénique déterminera son impact net, positif ou négatif, sur l’environnement. Étant donné l’influence marquée des pratiques agricoles sur le milieu et la multiplicité de facteurs à considérer pour une analyse exhaustive des interactions biotiques à l’échelle des écosystèmes, l’impact des cultures transgéniques sur l’environnement est généralement estimé sur une base relative plutôt qu’absolue, à la lumière des impacts exercés par les pratiques agricoles courantes. L’idée n’est pas de déterminer si la plante modifiée montrera – comme toutes les plantes – des effets sur son milieu, mais plutôt d’évaluer les conséquences relatives des effets mesurés dans un contexte agricole. Plusieurs études empiriques sur l’impact agroenvironnemental des cultures transgéniques se sont attardées à leurs effets sur la croissance et le développement d’espèces modèles variées incluant des ravageurs secondaires, des agents pollinisateurs et des organismes du sol. D’autres études ont considéré ces effets dans une perspective plus large, s’attardant en particulier aux processus physicochimiques majeurs et à la diversité biologique caractéristiques des écosystèmes.
Équilibres écosystémiques et diversité biologique au champ
Une inquiétude souvent formulée au sujet des cultures transgéniques réfère à leurs conséquences négatives possibles sur la diversité biologique (ou « biodiversité ») dans l’environnement. Selon certains, la culture de variétés transgéniques est un nouveau type d’agriculture dont la maîtrise limitée et déficiente pourrait compromettre l’intégrité du taux de biodiversité dans le milieu et la pérennité des systèmes agricoles adoptés dans un contexte de développement durable (Garcia et Altieri 2005). Aujourd’hui reconnu mondialement, le concept de biodiversité demeure complexe et difficile à définir. Selon la Convention sur la diversité biologique (CBD 1992), la biodiversité réfère à la variété d’organismes vivants de toutes natures – ailés, terrestres et aquatiques – au sein d’un écosystème, tenant compte aussi bien de la variabilité intraspécifique que de l’incidence relative des espèces constituantes. D’autres définitions ont aussi été proposées, mettant tour à tour l’accent sur la diversité des écosystèmes et des biotopes, la diversité des espèces recensées ou la diversité génétique globale dans le milieu considéré (Jenkins 1992; OECD 1996; OTA 1988). Souvent estimée, en pratique, par le nombre d’espèces animales, végétales et microbiennes présentes (OECD 1996), la biodiversité d’un milieu donné apparaît importante à plusieurs égards. Sous un angle utilitaire ou économique, elle est à l’origine d’une multitude de produits importants comme les aliments, les fibres, les ressources énergétiques, plusieurs médicaments et des composés chimiques variés (Pimentel et al. 1997; ten Kate et Laird 1999). Sous un angle plus philosophique, la biodiversité est liée à un ensemble de valeurs esthétiques, scientifiques et culturelles essentielles pour une société saine et florissante (Kunin et Lawton 1996; Lockwood 1999).
Agriculture et biodiversité
Dans un sens plus spécifique, le concept d’« agrobiodiversité » a été proposé pour une prise en compte mieux adaptée au contexte agricole (Hardon et al. 2000). L’agriculture moderne est le résultat d’un long processus de domestication et de sélection des végétaux, de leur culture sur une base sédentaire et de l’amélioration dirigée de leurs caractéristiques à diverses fins. Au cours du temps, de nombreuses espèces animales, végétales et microbiennes ont adopté les milieux agricoles comme principale niche écologique, co-évoluant avec les plantes cultivées et contribuant à façonner les (agro)écosystèmes riches et complexes observés en milieux ruraux (Hardon et al. 2000; Robinson et Sutherland 2002). L’agrobiodiversité caractéristique d’un site agricole, influencée par des facteurs abiotiques comme le climat, la topographie ou la nature du sol, est aussi modelée par les pratiques adoptées à la ferme, qu’il s’agisse du choix des cultures et des variétés ensemencées, des plans de fertilisation appliqués au sol ou des mesures phytosanitaires mises en place pour la répression des mauvaises herbes, des arthropodes nuisibles ou des agents pathogènes (Wilson et al. 1999).
La richesse des agroécosystèmes s’est toutefois amenuisée de façon marquée au cours des dernières décennies avec l’industrialisation et la spécialisation croissantes des exploitations agricoles (Robinson et Sutherland 2002). Historiquement, la mise au point de variétés végétales répondant toujours mieux aux contraintes agroéconomiques exercées sur les agriculteurs a modelé l’évolution des systèmes agricoles, avec un impact direct sur les composantes du milieu. L’amélioration génétique des cultures et les pratiques agricoles courantes, en particulier, ont souvent été régies par des impératifs agroéconomiques, avec pour résultat une diminution graduelle du nombre d’espèces et de variétés cultivées, un appauvrissement du patrimoine génétique des cultures majeures, un accroissement rapide de la taille et du degré de spécialisation des exploitations agricoles et un effet à la baisse de ces différents facteurs sur les populations animales recensées en milieu agricole (Pretty 1995; Wilson et al. 1999). D’un point de vue plus global, l’évolution récente de l’agriculture a aussi suivi un cheminement axé sur l’uniformisation des ressources. Alors que des milliers d’espèces végétales ont été utilisées à travers le temps à des fins alimentaires (Ehrlich et Wilson 1991), une vingtaine d’espèces seulement contribuent aujourd’hui à 90 % des produits végétaux désormais utilisés à l’échelle mondiale (Solbrig 1992). De ces espèces, quatre seulement – le blé, le maïs, le riz et la pomme de terre – constituent aujourd’hui 50 % de la production agricole mondiale et 15 espèces en constituent les deux tiers (Gotsch et Rieder 1995). Dans un tel contexte, des variétés transgéniques comme les cultures tolérantes aux herbicides ou les plantes Bt résistantes aux insectes pourront être assimilées à des modes de culture d’abord voués à la recherche de hauts rendements et associées de facto à l’ensemble des contraintes exercées par l’agriculture sur la biodiversité.
Impact des cultures transgéniques sur la biodiversité
L’impact spécifique des cultures transgéniques apparaît par contre plus mitigé à l’échelle des agroécosystèmes. Considérant le nombre d’espèces vivantes recensées comme un indicateur fiable du taux de biodiversité (OECD 1996), l’impact d’une culture transgénique sur la diversité biologique au champ est établi en comparant l’incidence relative des espèces recensées sur le site considéré à celle des espèces retrouvées en systèmes conventionnels. En théorie, des cultures transgéniques auront des effets sur le milieu et la biodiversité : (i) en raison de la mise en oeuvre des gestions de cultures associées à leur utilisation; ou (ii) par les effets directs ou indirects de leurs nouveaux caractères sur les organismes du milieu.
Des études exhaustives ont été menées en Grande-Bretagne au début des années 2000 pour mesurer l’impact des cultures tolérantes aux herbicides sur l’incidence d’une gamme d’organismes animaux et végétaux dans les champs agricoles et les sites environnants (Firbank et al. 2003; Perry et al. 2003). Réalisées sur une période de trois ans sur des dizaines de sites à l’échelle du pays, ces études ont démontré dans l’ensemble un effet significatif de la gestion des cultures associée aux lignées modifiées, comparativement aux impacts mesurés sur des parcelles témoins ensemencées de lignées conventionnelles traitées avec les herbicides de synthèse normalement utilisés (Bohan et al. 2005; Brooks et al. 2003; Champion et al. 2003; Haughton et al. 2003; Hawes et al. 2003; Heard et al. 2003a, b; Roy et al. 2003). Ces impacts, indépendants du processus de transgénèse ou du caractère recombinant exprimé, étaient plutôt liés à l’efficacité du désherbage pour les différents types de gestion (Firbank 2003). Alors que la biodiversité était affectée à la baisse dans les cas du canola et de la betterave transgéniques en raison de taux d’éradication des mauvaises herbes plus efficaces, la situation inverse était observée pour le maïs parce que la gestion conventionnelle de désherbage était plus efficace, avec cette fois un impact moindre sur le milieu en faveur des hybrides transgéniques. Les différences observées d’un cas à l’autre étaient directement liées, en somme, au nombre d’espèces végétales toujours présentes suite au désherbage et à la variété de refuges et de sources alimentaires encore disponibles dans le milieu.
L’impact des cultures transgéniques Bt sur la biodiversité a aussi fait l’objet de plusieurs études récentes, avec comme hypothèse générale des effets directs ou indirects possibles de ces plantes sur les populations d’organismes non ciblés par la toxine recombinante (Clark et al. 2005). Alors que l’impact négatif d’un hybride de maïs Bt sur la survie du papillon monarque était observé en laboratoire (Losey et al. 1999), aucun effet de ces hybrides n’était observé au champ sur plusieurs populations de coléoptères (Lozzia 1999). Des études subséquentes suggéraient dans l’ensemble des effets négligeables du maïs Bt sur l’incidence des arthropodes herbivores secondaires, des insectes carnivores et des populations d’arthropodes du sol (Bourguet et al. 2002; Candolfi et al. 2004; Jasinski et al. 2003). Le suivi systématique d’acariens du sol et d’une quinzaine d’arthropodes bénéfiques dans les champs de l’Ohio, aux États-Unis, a mené à des conclusions semblables pour différentes lignées transgéniques de maïs et de soja résistantes aux insectes ou tolérantes aux herbicides (Jasinski et al. 2003), suggérant de nouveau des effets limités de ces cultures modifiées dans les écosystèmes agricoles.
Ces conclusions suggérant un impact négligeable des cultures transgéniques sur la biodiversité n’entament toutefois pas la pertinence d’études additionnelles situant la question dans un contexte plus large. Une difficulté inhérente à l’étude des écosystèmes tient du fait que l’échelle spatio-temporelle généralement adoptée pour les études ne correspond pas à l’échelle réelle (Freckleton et al. 2004). Alors que des études « réalistes » à l’échelle d’une région devraient idéalement s’appuyer sur des données prises sur l’ensemble de cette région et sur des périodes de plusieurs années (Watkinson et al. 2000), les études réalisées sur le sujet s’appuient le plus souvent sur des données récoltées sur des sites spécifiques pendant deux ou trois ans. S’il apparaît irréaliste et improductif, pour des raisons de financement et de pertinence, d’entreprendre des études exhaustives à long terme pour toutes les questions posées, l’acquisition de nouvelles données empiriques spécifiques à chaque culture majeure et l’accès à des procédures plus puissantes pour l’analyse des données apparaîtront souhaitables, dans les années à venir, pour tirer des conclusions sans cesse plus fidèles de la réalité complexe des agroécosystèmes (Bourguet et al. 2002). La très grande variété d’arthropodes dans des cultures agricoles pourtant très homogènes comme le maïs (Losey et al. 2003) rendra également souhaitable la définition de stratégies rationnelles pour un choix judicieux des espèces modèles étudiées (Dutton et al. 2003). À plus petite échelle, une compréhension accrue des interactions possibles entre les variétés transgéniques et différents organismes modèles représentatifs du milieu permettront une prise en compte et une modulation plus fines des effets éventuels, négatifs ou positifs, exercés par les nouveaux caractères recombinants. De nombreuses études en milieu contrôlé publiées ces dernières années au sujet de l’impact des plantes transgéniques sur la croissance et le développement d’organismes modèles variés contribuent aujourd’hui à notre compréhension des interactions et des phénomènes possibles dans l’environnement.
Effets des lignées transgéniques sur les organismes du milieu
En théorie, les plantes transgéniques peuvent montrer des effets sur les organismes du milieu : (i) par voie directe, en établissant un lien fonctionnel avec les organismes touchés; ou (ii) par voie indirecte, en exerçant leur influence par l’intermédiaire d’un organisme tiers avec lequel elles auront interagi au préalable. En plus de montrer des effets sur l’insecte herbivore ciblé, des hybrides de maïs Bt pourront par exemple influencer le développement ou le comportement d’organismes comme les insectes pollinisateurs, les bactéries symbiontes, les organismes détritivores, les agents pathogènes ou d’autres organismes phytophages consommant leurs tissus ou des produits dérivés (Fig. 1).
De manière indirecte, elles pourront affecter des organismes prédateurs, parasites ou pathogènes utilisant comme proie ou comme hôte l’insecte herbivore nourri de matériel transgénique.
Impacts directs sur les arthropodes herbivores et pollinisateurs
Plusieurs études ont été menées pour évaluer l’impact des cultures transgéniques sur les arthropodes phytophages non ciblés par le composé recombinant, avec comme modèle végétal dans la plupart des cas des lignées exprimant une toxine Cry du Bt. Non toxiques pour les mammifères (McClintock et al. 1995) et sans incidence mesurable sur la croissance et le rendement des animaux de ferme (Folmer et al. 2002), ces bioinsecticides sont généralement considérés comme étant très spécifiques, avec une action limitée à certains insectes (Sims 1997; Sims et Martin 1997) ou nématodes (Marroquin et al. 2000). Cette spécificité élevée des toxines Cry, qui contribue à leur popularité en phytoprotection, n’assure toutefois pas une absence systématique d’effets secondaires dans le milieu. La toxine Cry1Ac purifiée d’une lignée de coton transgénique, par exemple, s’est avérée bénigne en laboratoire pour une dizaine d’insectes herbivores ou prédateurs non ciblés, mais toxique à fortes doses contre plusieurs insectes lépidoptères apparentés à l’insecte visé (Sims 1995). De manière similaire, les études initiales rapportant des effets négatifs du maïs Bt sur le papillon monarque (Hansen Jesse et Obrycki 2000; Losey et al. 1999) ont été appuyées par des travaux en champ confirmant l’impact négatif de l’hybride Event 176, retiré du marché en 2001, sur les larves du papillon (Stanley-Horn et al. 2001; Zangerl et al. 2001). Si des facteurs variés comme le faible taux d’expression de la toxine Cry1Ab dans les lignées de maïs Bt actuellement disponibles, la faible quantité de pollen déposée sur les feuilles d’asclépiade dans les champs ou la préférence des adultes pour des feuilles d’asclépiade sans pollen au moment de la ponte (Oberhauser et al. 2001; Pleasants et al. 2001; Tschenn et al. 2001) suggèrent des impacts négligeables de ces hybrides sur le papillon en comparaison aux effets négatifs des mesures phytosanitaires adoptées pour la répression des mauvaises herbes et des insectes en systèmes conventionnels (Gatehouse et al. 2002; Sears et al. 2001; Shelton et Sears 2001; Wolt et al. 2003), de nouvelles données empiriques sur les interactions possibles au champ s’avèreront utiles pour une description toujours plus juste de l’impact relatif des cultures modifiées et de leurs contreparties conventionnelles sur les organismes du milieu.
Les différentes études menées en laboratoire et en champ concernant l’impact des cultures transgéniques Bt sur la croissance, le développement ou la survie des arthropodes herbivores non ciblés ont conduit à des conclusions variables en fonction : (i) du degré de parenté entre l’insecte cible et l’organisme non ciblé; (ii) de la nature de l’interaction entre l’organisme étudié et la plante modifiée; et (iii) de la lignée végétale utilisée pour les tests (Tableau 1). En lien avec l’action des toxines du Bt contre certains groupes d’insectes, des effets négatifs ont été notés dans les cas où l’espèce considérée était apparentée à l’insecte visé par la toxine exprimée. Pour les hybrides de maïs exprimant la toxine Cry1Ab, par exemple, des effets négatifs ont été observés contre certains lépidoptères apparentés à la pyrale du maïs (Felke et al. 2002; Hansen Jesse et Obrycki 2000; Losey et al. 1999; Pilcher et al. 1997a; Stanley-Horn et al. 2001; Zangerl et al. 2001), alors qu’aucun effet significatif n’était observé, en champ comme en laboratoire, pour une gamme d’espèces plus éloignées incluant des pucerons, des acariens et divers arthropodes omnivores (Duan et al. 2002; Head et al. 2001; Lozzia et al. 1998, 2000; Lumbierres et al. 2004; Lundgren et Wiedenmann 2002; Obrist et al. 2005; Pilcher et al. 1997b). Dans le cas d’une ingestion de toxine via le pollen, les impacts négatifs observés pour certains lépidoptères étaient associés systématiquement à l’hybride Event 176 (Felke et al. 2002; Hansen Jesse et Obrycki 2000; Losey et al. 1999; Stanley-Horn et al. 2001; Zangerl et al. 2001), reconnu pour sa teneur élevée en protéine recombinante dans les tissus du pollen. À l’opposé, les hybrides commerciaux Bt11 et Mon810 montraient des effets négligeables sur les mêmes espèces, corrélés à une faible teneur en protéine recombinante dans le pollen (Stanley-Horn et al. 2001; Wraight et al. 2000). Ces données confirmaient, en somme, la spécificité des effets toxiques causés par la toxine dans l’hybride Event 176 et soulignaient les faibles risques associés au pollen des hybrides commerciaux contre les insectes non ciblés sensibles à cette protéine (Sears et al. 2001).
Des tests menés sur des insectes pollinisateurs comme l’abeille domestique (Apis mellifera L.) [Hymenoptera : Apidae] ou le bourdon terrestre (Bombus terrestris L.) [Hymenoptera : Apidae] appuyaient également l’idée d’un impact négligeable des plantes transgéniques Bt sur les organismes non ciblés (O’Callaghan et al. 2005). Bien que la pollinisation de cultures comme le maïs ou le coton ne dépende pas des abeilles, ces insectes sont parfois attirés par ces plantes et peuvent entrer en interaction avec des lignées transgéniques Bt. Selon les données actuelles, les toxines Cry exprimées dans les plantes transgéniques sont toutefois sans effet, même à fortes doses, sur la croissance et le développement des abeilles domestiques et des bourdons terrestres (EPA 2000; Malone et Pham-Delègue 2001, 2002). Ces observations, en accord avec l’impact limité des lignées transgéniques Bt sur ces organismes (Pham-Delègue et al. 2002), n’excluent pas, par contre, la pertinence d’études additionnelles sur le sujet, tenant compte notamment de variables comportementales liées aux relations fonctionnelles et sociales complexes établies chez ces espèces dans l’environnement (Malone et Burgess 2000).
Impacts directs sur les organismes du sol
Des études additionnelles seront également utiles pour une compréhension plus fine de l’impact des cultures transgéniques sur les populations du sol et l’ensemble des processus biochimiques qui en dépendent (Bruinsma et al. 2003; Dunfield et Germida 2004; Kowalchuk et al. 2003; Motavalli et al. 2005). Partie intégrante des écosystèmes, les sols abritent une variété d’organismes incluant de nombreuses espèces bactériennes et fongiques, des nématodes, des protozoaires et une microfaune active composée entre autres de vers de terre, de collemboles, d’acariens et d’isopodes (Kowalchuk et al. 2003; O’Callaghan et al. 2005). Ensemble, ces organismes forment un réseau biotique complexe qui assure le fonctionnement de processus importants pour les écosystèmes, comme la décomposition de la matière organique, le recylcage des éléments nutritifs, la fixation de l’azote atmosphérique et la solubilisation des minéraux (Motavalli et al. 2005). Comme toute plante cultivée, les cultures transgéniques pourront entrer en interaction avec les organismes du sol par différentes voies, via leur système racinaire ou par les résidus de culture relâchés en saison ou appliqués au sol après la récolte. Les protéines recombinantes, excrétées dans le sol par les exsudats racinaires des plantes en culture (Borisjuk et al. 1999; Saxena et Stotzky 2001a; Saxena et al. 1999, 2002, 2004) ou libérées des tissus de la plante en décomposition (Saxena et Stotzky 2001a; Saxena et al. 2004), pourront s’adsorber aux particules argileuses du sol et montrer des effets éventuels sur les espèces résidantes, en fonction de leur spécificité d’action et de leur stabilité dans l’environnement édaphique.
Plusieurs études ont été menées pour évaluer la persistance des protéines recombinantes dans les sols, en particulier dans le cas des toxines Cry du Bt. Selon les propriétés physicochimiques et la teneur en matière organique du sol, les conditions ambiantes et leurs caractéristiques propres, les protéines recombinantes montrent une stabilité très variable une fois relâchées des tissus végétaux, disparaissant du sol en quelques jours (Herman et al. 2002; Hopkins et Gregorich 2003; Palm et al. 1994; Sims et Holden 1996; Sims et Ream 1997) ou demeurant stables, à l’inverse, sur de longues périodes (Baumgarte et Tebbe 2005; Crecchio et Stotzky, 1998, 2001; Donegan et al. 1997; Tapp et Stotzky 1998; Zwahlen et al. 2003a). Considérant l’expression constitutive des transgènes dans la plupart des variétés transgéniques présentement sur le marché, cette stabilité différentielle des protéines recombinantes pourrait toutefois ne pas être déterminante dans un contexte agricole, alors que le relargage de protéines dans le sol à partir de la plante pourrait se faire de manière continue en cours de saison. Dans un sol cultivé, même des protéines rapidement dégradées par la flore et la faune résidantes, au point de n’être pas détectables après plusieurs années de culture (Head et al. 2002), pourraient en théorie s’y retrouver sur des périodes suffisamment longues pour interagir avec les organismes du milieu.
Dans l’ensemble, les études publiées sur le sujet suggèrent toutefois un impact mineur des plantes transgéniques sur les populations du sol et les processus biochimiques qui leur sont associés (Tableau 2). Alors que les pratiques culturales et les choix variétaux ont une influence marquée sur la microflore (Buckley et Schmidt 2001; Clegg et al. 2003; Siciliano et al. 1998), les cultures transgéniques montrent en général des effets négligeables sur l’incidence relative des populations microbiennes et animales du sol, ou encore sur le déroulement de processus comme la respiration microbienne ou la décomposition de la matière organique (Kowalchuk et al. 2003). Sur une base comparative, plusieurs études démontraient en outre que des variables comme le climat, le site de culture, le génotype de la plante ou même son stade de développement ont un impact beaucoup plus marqué sur les populations du sol que l’utilisation ou non de variétés transgéniques exprimant des caractères recombinants spécifiques comme la résistance aux insectes, la résistance aux agents phytopathogènes ou la tolérance aux herbicides (Dunfield et Germida 2001; Griffiths et al. 2000; Gyamfi et al. 2002; Heuer et al. 2002; Lottmann et Berg 2001; Lukow et al. 2000).
Dans les années à venir, le développement de lignées transgéniques produisant des protéines à fonctions biologiques variées souvent moins spécifiques rendra néanmoins justifiée la poursuite des études sur les interactions entre les cultures modifiées et les organismes du sol. En pratique, la détection et la caractérisation des diverses interactions possibles seront facilitées par un raffinement parallèle des approches méthodologiques adaptées à l’étude des organismes du sol. Des procédures améliorées pour : (i) l’extraction des protéines recombinantes à partir d’échantillons de sol; (ii) l’identification des espèces microbiennes et animales résidantes; (iii) un échantillonnage tenant compte de l’hétérogénéité du sol; et (iv) le choix rationnel d’organismes modèles représentatifs du milieu considéré contribueront, en particulier, à une prise en compte plus fidèle des interactions possibles entre les lignées transgéniques et la composante biotique des sols (Jepson et al. 1994; Kowalchuk et al. 2003), essentielle au bon fonctionnement des écosystèmes (Motavalli et al. 2005).
Impacts indirects sur les insectes prédateurs et parasitoïdes
La grande complexité des relations trophiques établies dans le milieu justifiera en outre la poursuite des études sur les impacts indirects exercés par les cultures transgéniques (v. Fig. 1). Dans un écosystème agricole, la plante cultivée peut être vue comme le maillon central d’un réseau trophique à plusieurs niveaux impliquant non seulement des organismes herbivores, détritivores ou pollinisateurs, mais aussi de nombreuses espèces de niveaux trophiques supérieurs se nourrissant de ces organismes (Groot et Dicke 2002). Au champ, les cultures transgéniques pourront ainsi montrer des effets aussi bien sur les organismes se nourrissant de tissus végétaux (effets directs) que sur des organismes carnivores ou parasites établis dans le milieu (effets indirects).
De manière plus spécifique, les cultures transgéniques pourront montrer des effets indirects sur les organismes non ciblés : (i) en diminuant la quantité de nourriture disponible par leur impact négatif sur l’incidence des populations herbivores ou détritivores; (ii) en altérant la santé générale ou la qualité nutritionnelle de ces organismes herbivores; ou (iii) en interférant avec des fonctions métaboliques ou cellulaires précises suite au transit du caractère recombinant dans le continuum [plante hôte] – [herbivore/détritivore] – [prédateur/parasite]. Plusieurs études ont été menées en laboratoire pour évaluer les impacts indirects des variétés transgéniques Bt sur la croissance, le développement et la survie d’organismes variés, avec comme modèles différents insectes prédateurs et parasitoïdes mis en contact avec des proies herbivores nourries de matériel transgénique (Tableau 3).
Dans plusieurs cas, les effets notés étaient négligeables, en lien avec l’action spécifique des toxines Cry contre les herbivores ciblés par les lignées à l’étude (Bernal et al. 2002a; Dogan et al. 1996; Dutton et al. 2002; Obrist et al. 2005; Ponsard et al. 2002; Riddick et Barbosa 2000; Schuler et al. 2001; Zwahlen et al. 2000). En revanche, des effets négatifs ont été notés dans plusieurs cas, aussi bien pour des insectes prédateurs (Dutton et al. 2002; Hilbeck et al. 1998; Ponsard et al. 2002; Raps et al. 2001; Riddick et Barbosa 1998) que pour des insectes parasitoïdes (Ashouri et al. 2001a; Bernal et al. 2002b; Prütz et Dettner 2004).
Selon les données disponibles, l’impact négatif des lignées Bt sur ces organismes serait lié à une mauvaise santé des proies (ou des hôtes) herbivores causée par l’ingestion de protéines Cry et à une baisse conséquente de leur qualité nutritionnelle. Un exemple éloquent à cet effet est celui de l’insecte prédateur Chrysoperla carnea Stephens [Neuroptera : Chrysopidae], dont les paramètres de développement sont affectés par des hybrides de maïs Bt exprimant la toxine Cry1Ab si le vecteur herbivore est un lépidoptère sensible à la toxine (Dutton et al. 2002; Hilbeck et al. 1998; Raps et al. 2001), mais ne sont pas affectés si l’insecte est nourri de proies insensibles à la toxine comme des pucerons, des thrips ou des acariens (Dutton et al. 2002; Lozzia et al. 1998; Obrist et al. 2005). Ces observations, supportées par des études comportementales démontrant la préférence du même prédateur pour des lépidoptères nourris de matériel végétal non transgénique (Meier et Hilbeck 2001) ou celle de l’insecte parasitoïde Cotesia plutellae Kurdjumov [Hymenoptera : Branocidae] pour des hôtes résistants à la toxine recombinante (Schuler et al. 1999, 2003), suggèrent que les effets indirects des variétés transgéniques Bt résulteraient plus d’une mauvaise qualité des proies (ou des hôtes) que d’un effet spécifique des toxines exprimées dans les plantes modifiées.
Cet effet diffus des lignées Bt sur les populations d’insectes prédateurs et parasitoïdes est aussi suggéré par des données collectées en champ. Si la migration d’organismes prédateurs en réponse à une faible densité de proies herbivores nourries de plantes Bt a été observée dans certains cas (Riddick et al. 1998), la plupart des études suggèrent plutôt des effets très limités sur les populations non visées (Al-Deeb et al. 2001; Jasinski et al. 2003; Liu et al. 2002; Ning et al. 2001; Sun et al. 2002; Wold et al. 2001). Dans un contexte agricole, l’effet des cultures Bt serait en fait négligeable comparativement aux effets négatifs généralement observés sur les mêmes populations avec les insecticides de synthèse, qui montrent souvent un effet toxique plus étendu (Musser et Shelton 2003; Reed et al. 2001). À l’échelle des écosystèmes, cet impact négligeable des lignées Bt serait le résultat, en somme, de la spécificité d’action des toxines Cry et d’un effet tampon du milieu qui, par la diversité des espèces qu’il abrite, exercerait une pression limitée sur les populations carnivores et parasites en assurant la disponibilité d’une diversité de proies et d’hôtes herbivores.
Spécificité des produits recombinants et mutagénèse insertionnelle
Le développement en cours de lignées modifiées exprimant des protéines recombinantes à fonctions biologiques moins spécifiques rendra toutefois essentielle, dans les années à venir, la poursuite des études sur les impacts directs et indirects des cultures transgéniques sur les organismes du milieu. Des protéines comme les toxines Cry du Bt ou les enzymes de tolérance aux herbicides montrent une action contre des cibles moléculaires précises, mais d’autres protéines actuellement considérées pour la répression des herbivores nuisibles (Tableau 4), comme les lectines ou les inhibiteurs de protéases, montrent en revanche des spectres d’action plus étendus (Ferry et al. 2004; Michaud 2000; Romeis et al. 2003).
Alors que l’activité insecticide des toxines Cry repose sur des interactions spécifiques avec des protéines réceptrices chez certains organismes cibles, des inhibiteurs de protéases pourraient par exemple réagir avec les protéases digestives d’une gamme d’organismes en interaction dans l’écosystème avec la plante modifiée ou l’herbivore cible se nourrissant de cette plante (Bouchard et al. 2003a, b; Brodsgaard et al. 2003; Burgess et al. 1996; Ferry et al. 2003, 2005; Malone et Burgess 2000; Malone et al. 2000).
Plusieurs études ont été menées en laboratoire pour estimer l’impact de lignées transgéniques exprimant des inhibiteurs de protéases ou des lectines sur la croissance, le développement et la survie des insectes prédateurs et parasitoïdes (Tableau 5).
Comme pour les variétés Bt, des effets négligeables ont été notés dans plusieurs cas (Bell et al. 2003; Bouchard et al. 2003a, b; Couty et al. 2001; Ferry et al. 2003; Graham et al. 2002; Schuler et al. 2001; Setamou et al. 2002a, b), mais des effets notables – positifs ou négatifs – ont aussi été observés à plusieurs reprises (Bell et al. 2001; Birch et al. 1999; 2003; Down et al. 2003; Ferry et al. 2005; Tomov et al. 2003). Ces effets, qui pourraient s’expliquer en partie par une piètre qualité des proies herbivores suite à l’ingestion des protéines recombinantes, pourraient aussi résulter d’un effet d’interférence de ces molécules dans la chaîne trophique. Des études visant à mesurer l’impact d’une lignée de pomme de terre exprimant un inhibiteur de protéases du riz sur l’insecte prédateur Perillus bioculatus F. [Hemiptera : Pentatomidae] démontraient par exemple une inhibition des protéases digestives du prédateur compensée rapidement par la sécrétion de nouvelles protéases insensibles à l’inhibiteur recombinant (Bouchard et al. 2003a, b). Plus récemment, une autre étude décrivait les effets négatifs transitoires d’une lignée de canola exprimant un inhibiteur de protéases de la moutarde sur le taux de croissance du prédateur Pterostichus madidus F. [Coleoptera : Carabidae], compensés ensuite par un ajustement graduel du système protéolytique digestif de l’insecte (Ferry et al. 2005). Ces observations, qui illustraient la capacité remarquable de ces organismes à éluder l’effet de substances nocives ou antinutritives retrouvées dans la diète, mettaient aussi en évidence le mouvement possible des protéines recombinantes vers des niveaux trophiques supérieurs.
À ce stade, des travaux demeurent souhaitables pour une prise en compte plus précise des impacts associés aux différents facteurs recombinants en développement sur les organismes du milieu. Des protéines comme les lectines, les inhibiteurs de protéases, les chitinases ou des protéines hybrides intégrant les fonctions de plusieurs de ces protéines représentent un complément potentiel aux toxines Cry pour la répression des ravageurs herbivores (Brunelle et al. 2005; Fitches et al. 2004; Outchkourov et al. 2004; Urwin et al. 1998; Zhu-Salzman et al. 2003). Cependant, la mise au point de lignées végétales exprimant de telles protéines à spectre d’action étendu devra être accompagnée d’études approfondies sur leur degré de spécificité effectif à l’échelle des écosystèmes agricoles. Dans une perspective plus large, l’impact des protéines recombinantes ou celui de l’insertion des transgènes sur le métabolisme de la plante modifiée devront être considérés pour cerner d’éventuels effets dans le milieu suite à une modification tangible de sa composition. Une altération des fonctions cellulaires de la plante par l’action d’un inhibiteur de protéases recombinant inactivant ses protéases endogènes pourrait par exemple montrer des effets, positifs ou négatifs, sur sa capacité de résister à certains stress (Gutierez-Campos et al. 2001; Van der Vyver et al. 2003). De manière similaire, des contenus modifiés en lignine ou en certains composés organiques chez des hybrides de maïs Bt, qui pourraient résulter d’un évènement de mutagénèse insertionnelle ou d’altérations du génome en culture in vitro, pourraient montrer un effet sur leur taux de décomposition dans le sol, indépendamment de l’activité du produit recombinant (Masoero et al. 1999; Saxena et Stotzky 2001a). La mise en évidence de tels phénomènes, dans les années à venir, pourrait expliquer certaines observations inattendues, comme les impacts variables de lignées transgéniques de pomme de terre exprimant une toxine du Bt ou un inhibiteur de protéases sur le puceron Macrosiphum euphorbiae Thomas [Homoptera : Aphididae], présumément insensible aux deux protéines (Ashouri et al. 2001b) et à l’abri de ces molécules en raison de son mode d’alimentation limité aux cellules du phloème (Raps et al. 2001).
En conclusion
En somme, les données scientifiques disponibles mettent en lumière aussi bien la grande complexité des interactions possibles entre les organismes du milieu et les cultures transgéniques que l’impact limité des lignées transgéniques actuelles en milieu agricole, où des pratiques culturales courantes comme la fertilisation, le labour ou la répression des mauvaises herbes montrent des effets très marqués sur l’incidence des populations résidantes. Si les impacts environnementaux de protéines comme les toxines Cry du Bt ou les enzymes de tolérance aux herbicides sont aujourd’hui assez bien circonscrits, des études exhaustives demeurent toutefois essentielles pour évaluer l’impact de plusieurs protéines recombinantes nouvellement considérées en phytoprotection ou à d’autres fins. Une compréhension accrue et une prise en compte systématique des phénomènes de mutagénèse insertionnelle et d’interférence métabolique chez les clones modifiés demeurent également nécessaires pour cerner les impacts associés aux protéines à large spectre d’action et pour élucider certains effets inattendus du processus de transgénèse sur les organismes du milieu ou sur la plante elle-même. Enfin, la poursuite des études sur l’impact agroenvironnemental des pratiques culturales liées aux lignées transgéniques demeure essentielle pour une utilisation optimale de ces plantes dans une optique de développement durable axé, entre autres, sur des modes de production respectueux du milieu et sur une gestion rationnelle des pesticides chimiques et des cultures prévenant l’apparition rapide de résistance génétique chez les organismes nuisibles (Glaser et Matten 2003; Shelton et al. 2002).
Alors qu’une description plus détaillée des effets propres aux cultures transgéniques demeure souhaitable, des études comparatives tenant compte des impacts de leurs contreparties conventionnelles apparaissent essentielles. L’évolution récente des systèmes agricoles, régie le plus souvent par des impératifs agroéconomiques plaçant la recherche de hauts rendements au coeur des développements, est à l’origine d’un ensemble de problèmes d’ordre environnemental comme la pollution du milieu par les engrais et les pesticides, l’émission de gaz toxiques dans l’atmosphère, l’apparition accélérée d’organismes nuisibles résistants aux pesticides, la rareté croissante des surfaces arables disponibles et la dégradation des sols par l’érosion ou la salinisation. L’impact environnemental des cultures transgéniques, dans ce contexte, doit être considéré d’une manière globale, à la lumière de l’ensemble des impacts réciproques associés aux méthodes de culture actuelles. Les variétés transgéniques tolérantes aux herbicides, par exemple, si elles contribuent à un mode d’agriculture axé sur la productivité, pourraient en revanche faciliter l’adoption de pratiques culturales comme le semis direct, permettre une baisse tangible de l’emploi des herbicides en milieu agricole et, sous certaines conditions, tempérer les effets négatifs du désherbage sur la biodiversité au champ (Dewar et al. 2003; Gianessi 2005; Phipps et Park 2002). L’adoption de ces cultures pourrait même contribuer, sur une échelle plus globale, à une diminution significative des besoins en énergie pour la fabrication, le transport et l’application des intrants agricoles, des opérations contribuant de surcroît aux émissions de gaz polluants dans l’atmosphère (Bennett et al. 2004). En définitive, la véritable question pour les années à venir au sujet de l’impact environnemental des cultures transgéniques n’est pas de déterminer si oui ou non elles montrent des impacts sur le milieu, mais plutôt d’évaluer les conséquences nettes de ces impacts à la lumière des défis environnementaux auxquels est confronté, déjà, le monde agricole.
Parties annexes
Remerciements
L’auteur remercie le Dr. Conrad Cloutier pour de nombreuses discussions sur plusieurs des thèmes abordés. Cette étude a été financée par une subvention de recherche du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs du Québec (Projet PARDE 02–1).
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