Corps de l’article

Introduction

Repères théoriques pour repérer des contradictions sous-jacentes dans les textes officiels

Trois modèles de qualification professionnelle se sont succédé au fil du temps : celui des métiers, du poste du travail, du diplôme. Jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle, le savoir-faire se transmet sur le modèle du compagnonnage, du maître vers l’apprenti. Le taylorisme cherche à abolir ce « retranchement professionnel » (Touraine, 1957) : au cours des XIXe et XXe siècles, le travailleur est considéré comme un exécutant qui sera un bon professionnel si l’ensemble des tâches réalisées correspond au poste normé (pour les postes les moins qualifiés). À la fin du XXe siècle apparaît le modèle de la compétence qui vient rompre avec le modèle du taylorisme dans un contexte où face à la complexification des tâches, le travailleur est invité à faire preuve d’initiative.

Christophe Dejours (2003) présente la « réalité » du travail comme un ensemble de dysfonctionnements qui vient surprendre toute organisation, aussi sophistiquée soit-elle : « Si les gens s’en tenaient à exécuter rigoureusement comme on le leur prescrit les consignes et les procédures, aucune production ne sortirait […] Travailler, c’est donc ajouter quelque chose à la prescription pour que ça marche » (Dejours, 2003).

Schwartz (2000) repère trois logiques, travail, emploi et métier. Dans la logique du travail (au sens d’occupation professionnelle, source de revenus), s’exercent les gestes professionnels, la mise en actes des savoirs et l’articulation des postures. Dans la logique de l’emploi, où le travail est effectivement utilisé et rétribué, se rendre employable passe par la constitution de son personnage professionnel assumé, la construction de son style singulier et la préparation au rôle à jouer. La logique du métier organise les tâches, les gestes professionnels et les compétences acquises pour s’exercer à une culture du genre (Clot & Faïta, 2000). En formation, les trois logiques ont à bouger ensemble pour l’acquisition des compétences, qui elles, sont toujours situées et mobilisées dans l’activité (Guillemot & Vial, 2013).

Toute certification inscrite en France au Répertoire National de la Certification Professionnelle (http://www.cncp.gouv.fr/) peut désormais être organisée par bloc de compétences. La certification par les titres du Ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation Professionnelle et du Dialogue Social a pour spécificité d’être basée sur la reconnaissance et la validation de compétences, avec possibilité de délivrance de certificats de compétences professionnelles. Le référentiel de certification du titre professionnel de Formateur Pour Adultes été élaboré dans sa dernière version de 2013 suivant ce modèle (http://www.rncp.cncp.gouv.fr/).

On sait aujourd’hui que travailler, c’est mettre en actes des compétences, c’est-à-dire faire, dire, penser, ressentir. Il est important de ne pas réduire la compétence à une action finalisée, opérationnelle, pour fabriquer des produits, dans une vision fonctionnaliste. L’agir est plus large : les errances et les détours y sont signifiants avant d’être seulement productifs ou non

Vial, 2014

Pourtant, l’étude du vocabulaire employé dans le référentiel de Certification de Formateur Pour Adultes confirme que la certification des compétences n’exonère pas de la logique sous-jacente par objectifs, qui est foncièrement additive, séquentielle et linéaire (Legendre, 2008). En effet, parmi les six critères retenus dans le référentiel pour évaluer la compétence « Accompagner les apprenants dans la construction et la mise en oeuvre de leur parcours », figurent « Les objectifs, étapes et modalités du parcours sont formalisés en concertation avec l’apprenant » et « Les étapes du suivi sont planifiées et respectées, les outils de suivi permettent une traçabilité du parcours ». Le parcours de formation vise donc ici explicitement l’atteinte d’objectifs. Il est constitué d’étapes, dont le déroulement est linéaire, chronologique, à effet cumulatif, enchaînées les unes aux autres, chacune devant produire un effet attendu, et non de phases, consubstantiellement interdépendantes et qui n’ont de sens que l’une par rapport à l’autre (Vial, 2005). Tels que formulés dans le référentiel, ces critères relèvent d’un projet de formation où est valorisé le respect d’un programme pour atteindre des objectifs.

Or, la pédagogie par objectifs inspirée par Tyler (1964) et reprise en Europe francophone par De Landsheere (1975) et Hameline (Hameline,1979), s’inscrit dans un mode de pensée par objectif, et donne lieu à une évaluation ancrée dans la gestion (Vial, 2001) qui relève de la maîtrise (Bonniol & Vial, 1997), incompatible avec l’accompagnement (Vial, 2012). La mention d’« étapes » renforce le caractère programmatique du projet, où une étape s’achève lorsque l’effet attendu est atteint, pour laisser place à l’étape suivante, dans un mode de pensée fonctionnaliste (Vial, 2001).

Dans un projet programmatique, « les moyens sont organisés pour atteindre un objectif (ici, un état de professionnalité) » (Guillemot & Vial, 2012, p.191). Il s’agit de fabriquer des professionnels, ici formateurs, conformes aux normes, de garantir une professionnalité, de corriger des écarts, de certifier l’atteinte d’objectifs. La certification atteste d’une professionnalité. Dans un projet-visées (Ardoino, 1986), « les formés se créent en tant que professionnels au fur et à mesure qu’ils avancent dans le parcours de formation » (Guillemot & Vial, 2012, p.191). Il s’agit d’accompagner des professionnels dans leur professionnalisation en vue d’un agir professionnel inscrit dans le genre du métier et relevant du style professionnel (Clot & Faïta, 2000) du praticien, de certifier la mise en oeuvre de compétences. Le style professionnel s’évalue mais ne se certifie pas.

Ainsi, les textes officiels, Référentiel de certification du titre professionnel de Formateur pour Adules et Référentiel Emploi Activités Compétences correspondant, recèlent une contradiction entre l’énoncé des compétences « accompagner » et l’énoncé des critères correspondant à ces compétences.

Au-delà de la contradiction des textes, comment les formateurs peuvent-ils se situer dans leur activité ?

1. Accompagner, guider, quelle posture pour le formateur ?

Les référentiels cités plus haut suggèrent que la concertation avec l’apprenant serait un critère suffisant de l’accompagnement. Nous présentons ici quelques modèles de l’accompagnement avant de préciser notre référence majeure pour ce travail.

Paul (2004, p. 79) pointe que « le verbe accompagner ne dit rien de ce que l’on fait en le faisant » et qualifie cette pratique de « nébuleuse ». Cet auteur liste différentes pratiques qu’elle nomme « accompagnement », leurs contextes et leurs spécificités. Elle porte une attention particulière à l’étymologie de ces différentes pratiques, ainsi qu’aux fondements traditionnels de l’accompagnement et à son évolution. Parmi ses critères de l’accompagnement, on trouve « soutenir, guider une personne dans sa progression » (Paul, 2004, p.60) et même « aider » (Paul, 2004, 2016). Les travaux de Vial et Capparos-Mencacci (2007) puis Vial (2010) viennent affiner le concept d’accompagnement pour sortir de la confusion entre étayer et accompagner, distinguent l’accompagnement de l’aide ; guidage et accompagnement relèvent l’un et l’autre de la fonction d’étayage dans la relation éducative. Issu du vocabulaire de la psychanalyse (Freud, 1914, Ed. 1969), l’étayage permet la construction psychique du sujet. En pédagogie, il a été défini par Bruner (1983) comme intervention de l’adulte dans l’apprentissage de l’enfant, dans une visée émancipatrice du sujet : « ensemble des interactions d’assistance de l’adulte permettant à l’enfant d’apprendre à organiser ses conduites afin de pouvoir résoudre seul un problème qu’il ne savait pas résoudre au départ » (Bruner, 1983, p. 8). Paul (2016) relie l’accompagnement à un projet socio-politique par un triple travail identitaire avec l’accompagné (identité personnelle, identité communautaire et identité humaine). Jorro et Pana-Martin (2012) montrent l’importance de prendre en compte la reconnaissance dans l’accompagnement des professionnels novices, et précisent cinq critères d’accompagnement :

  • relation intersubjective ouverte à la fonction critique dans une relation positive instaurée par l’accompagnateur

  • positionnement de l’accompagnateur en tant qu’« ami critique » ; tiers qui permet la décentration de l’acteur sur sa pratique

  • situation définie dans un espace-temps et dans son objet

  • cheminement à envisager en termes d’orientation et de progression

  • exigence éthique

Si Vial et Caparros-Mencacci (2007) réfutent l’acception englobante de Paul, ils divergent aussi de Jorro et Pana-Martin (2012) pour qui « l’accompagnement peut déboucher sur une situation de coévaluation » et va « favoriser une évaluation qui permette la valorisation d’une professionnalité émergente » : dans leur modélisation, l’accompagnement est évaluation, une évaluation au sens étymologique, qui diffère du contrôle, telle que spécifiée par Ardoino et Berger pour qui « ce qui spécifie l’évaluation, c’est la notion de valeur, non pas au sens économique mais philosophique du terme » (1986, p. 120). Evaluer consiste à attribuer une valeur, l’accompagnement ne comprend pas des moments d’évaluation, il ne prépare pas à l’évaluation, il est évaluation.

Une autre spécificité de leur conceptualisation se situe dans la prise en compte du problème dans la relation éducative. Dans le guidage, l’approche du problème est spatialisante : le problème est un obstacle à franchir, par une solution qui éradiquera la question dans une réponse apocritique, qui clôt le questionnement car contient véritablement la réponse à la question posée. Dans l’accompagnement, l’approche est temporelle : le problème est à élucider, par une avancée de l’ordre de la quête dans une réponse immanente au sujet, dans laquelle subsiste un questionnement en reste. La posture face au problème diffère, ainsi les gestes professionnels correspondant. À la posture de guidage et à celle d’accompagnement correspondent des répertoires de gestes professionnels - action adressée, pour faire agir ou réagir l’autre (Bucheton, 2009) - de registres différents.

Parce que plus précise, plus restreinte, moins englobante grâce à distinction entre accompagnement et étayage, nous retenons pour ce travail le modèle de l’accompagnement de Vial et Caparros-Mencacci (2007), en lien avec les critères de Jorro (2006) et Jorro et Pana-Martin (2012).

Tableau 1

Le modèle de l’accompagnement de Vial et Caparros-Mencacci, en lien avec les critères de Jorro et Jorro et Pana-Martin

Le modèle de l’accompagnement de Vial et Caparros-Mencacci, en lien avec les critères de Jorro et Jorro et Pana-Martin

Tableau 1 (suite)

Le modèle de l’accompagnement de Vial et Caparros-Mencacci, en lien avec les critères de Jorro et Jorro et Pana-Martin

-> Voir la liste des tableaux

Dans sa relation éducative au formé, le formateur guide l’apprenant vers des objectifs en suivant des étapes ; il puise principalement ses gestes professionnels dans le répertoire du guidage : le plus souvent, une progression pédagogique est pré-établie pour atteindre le but fixé d’avance (objectifs d’apprentissage atteints, certification validée, compétences visées acquises). Néanmoins, il est attendu du formateur qu’il soit également en capacité d’accompagner. Des études précédentes ont montré que les formateurs ont intégré cette double attente assortie d’une hiérarchisation entre guidage et accompagnement dans leur activité : s’ils « se situent dans l’obligation d’avoir à guider vers l’acquisition du savoir et à accompagner à l’occasion de cette acquisition » (Guillemot & Vial, 2009, p. 98), l’accompagnement ne se joue pas à parts égales avec le guidage dans le métier de formateur ; les moments d’accompagnement, au service de l’apprenant, s’effectuent à l’occasion d’un parcours de formation, par le même professionnel, dans un même lieu, et sous couvert du même contrat (Guillemot & Vial, 2013, p. 136).

A partir des critères d’accompagnement présentés ci-dessus, nous avons cherché à repérer ce qui est considéré comme « accompagnement » par un formateur.

2. Etude de cas

2.1 Méthodologie et présentation du cas

Nous avons cherché à isoler et comprendre un aspect de la réalité du travail de formateur, à savoir l’activité accomplie par un formateur lorsqu’il accompagne. Pour cela, nous avons retenu une méthode que nous qualifions de socio-clinique compréhensive en cela qu’elle permet la triple approche des sujets et des situations :

  • compréhensive

  • dans leur complexité notamment issue de l’inscription du sujet dans des dynamiques sociales

  • dans leur singularité

Nous avons mené des entretiens de type compréhensif (Kaufmann, 1996), fondés sur le principe de la non directivité et de l’écoute attentive dans une relation interpersonnelle positive, sans induction de réponse dans les questions, qui permettent d’accéder au discours de l’entretenu sur son activité. L’entretien compréhensif selon Kaufmann diffère de l’entretien clinique en cela qu’un temps d’ajustement entre l’entreteneur et l’entretenu permet par un jeu de questions plus soutenu au départ, qui va progressivement s’espacer, de laisser la relation se construire progressivement jusqu’à ce que l’effacement de l’entreteneur laisse place à une posture de plus en plus clinique. La matrice d’entretien portait sur ce que fait, dit, pense, éprouve le formateur lorsqu’il met en acte des compétences qui selon lui relèvent de l’accompagnement. A partir de l’énonciation du thème de départ et d’une question liminaire « qu’est-ce vous faites quand vous faites de l’accompagnement ? », nous cherchons à obtenir la production par notre interlocuteur d’un discours continu et structuré. Le formateur est d’abord invité à s’exprimer sur la dimension accompagnement dans son activité en général, puis à partager avec l’entreteneur une ou deux situations d’accompagnement qu’il considère comme emblématiques.

Les entretiens ont été réalisés en présentiel, sur le lieu de travail des entretenus. D’une durée de trente à quarante cinq minutes environ, ils ont été enregistrés, puis intégralement retranscrits. La retranscription a fait l’objet d’une analyse de contenu (Bardin, 2011) visant à repérer dans le discours des entretenus leurs propres indicateurs d’accompagnement.

Nous avons dégagé un cas significatif, celui de Florence, titulaire par la Validation des Acquis de l’Expérience du titre de Formateur Pour Adultes, dont relèvent les référentiels de certification ci-dessus présentés.

2.2 Résultats

Lorsqu’elle s’exprime sur sa pratique d’accompagnement, Florence fournit dans son discours des indicateurs issus de son acception de l’accompagnement. Nous les avons isolés puis mis en regard des indicateurs fournis dans notre cadre théorique sur l’accompagnement, synthétisés dans le tableau 1. Cette mise en regard est illustrée dans le tableau 2 ci-dessous.

La première partie du tableau permet de repérer les indicateurs d’accompagnement présentés par Florence en phase les modèles théoriques. Si son discours contient bien des indicateurs théoriques d’accompagnement, la deuxième partie du tableau montre des contradictions entre son acception de l’accompagnement et la théorie : Vial et Mencacci (2007) classifient comme pratique de guidage, contraire à celle d’accompagnement, ce que Florence présente comme accompagnement : son discours relatif à sa pratique d’accompagnement mêle les deux registres contraires.

Tableau 2

Analyse de l’entretien avec Florence en regard avec notre cadre théorique sur l’accompagnement

Analyse de l’entretien avec Florence en regard avec notre cadre théorique sur l’accompagnement

Tableau 2 (suite)

Analyse de l’entretien avec Florence en regard avec notre cadre théorique sur l’accompagnement

Tableau 2 (suite)

Analyse de l’entretien avec Florence en regard avec notre cadre théorique sur l’accompagnement

-> Voir la liste des tableaux

Le discours de Florence fournit des éléments pour comprendre cette absence de distinction. Les dispositifs dont relèvent les situations relatées par Florence (formation ou accompagnement à la Validation des Acquis de l’Expérience) sont au service d’un projet programmatique : la certification est le but. Pour ce faire, la logique de contrôle reste prégnante. Ce qui pose problème dans le cas de Florence, ce n’est pas qu’elle recourt au guidage alors qu’il est question d’accompagnement : c’est qu’elle travaille « au feeling », à son insu : « je le fais un petit peu au feeling (tour de parole 52) j’ai pas d’outil particulier, là je le fais un petit peu au feeling, ce genre de truc (tp 56 ) ben après on est sur le feeling, donc comment l’expliquer ? (tp 117) ben je sais pas je fais au feeling. Et ça je suis incapable de l’expliquer (tp 119) il y a des choses je sais pas trop comment les expliquer par contre hein donc quand je dis au feeling c’est vraiment du feeling, j’ai pas la technique (tp 121) ». Florence ne choisit pas ses gestes professionnels parce qu’elle ne connaît pas les répertoires des gestes issus des théories de l’accompagnement : «  je me rends compte que en fait j’ai tout appris sur le tas, donc avec des façons de fonctionner qui sont celles ben que j’ai improvisées, qui ne sont pas la théorie » (tp 89), «  c’est un peu dur de dire au moment où je le décide mais c’est presque ça, et je n’ai aucune technique, je ne sais pas comment je fonctionne » (tp 119).

Florence exprime qu’elle n’est pas formée à l’accompagnement, pas même aux techniques d’entretien. Elle n’est pas compétente pour discriminer les gestes de guidage des gestes d’accompagnement. Dans l’action, elle ne dispose pas des repères pour choisir ses gestes en situation. En amont lors de la préparation d’intervention, ou en aval lors de la phase réflexive d’auto-évaluation, elle ne peut décider sciemment, ni repérer ses gestes de guidage ou ses gestes d’accompagnement. De ce fait, sa posture est instable.

3. Interprétation : se former pour choisir

3.1 Quelle posture pour le formateur ?

La « posture dépend au moins autant des caractéristiques de la situation où elle vient s’inscrire, et des représentations que s’en donnent nos partenaires, que de notre intentionnalité, de nos stratégies et de nos procédures » (Ardoino, 1989, p. 14). Il n’est pas aisé de passer d’une posture à l’autre, d’une logique à l’autre (contrôle ou accompagnement), sans risque pour soi et pour l’autre car «lLa posture se distingue de la pose ou de la position par son instabilité » (Vial , 1997, p. 25). Le formateur dont la mission a pour but la certification de l’apprenant se situe prioritairement du côté du guidage. Il a été antérieurement montré que le formateur peut passer de gestes qui relèvent du guidage à des gestes qui relèvent de l’accompagnement, sans pour autant varier dans sa posture, et en tenant sa position de formateur. Alors, les gestes d’accompagnement préparent le guidage, le facilitent, le servent (Guillemot & Vial, 2013) et il n’y a pas de contradiction : le formateur, par ses gestes d’accompagnement, contribue au projet de l’accompagné : à ses côtés, il permet la distanciation de l’objectif (accompagnement) qui va favoriser au final d’atteinte de l’objectif (guidage) : l’accompagnement se fait bien au côté de l’accompagné pour aller avec lui là où il a choisi de se rendre, ici vers la certification.

3.2 Choisir les gestes professionnels pertinents à la situation

L’accompagnateur peut utiliser les deux logiques, celle du contrôle et celle de l’accompagnement, sans leur ôter leurs contradictions : « Accepter les deux logiques et faire avec, assumer d’avoir à les jouer toutes, pas en même temps, mais choisir sans cesse et pourtant sans rien renier […] Choisir, n’est pas fermer des voies, mais en prendre une, les autres restant ouvertes aussi » (Vial , 1997, p. 25). Le formateur formé qui va mobiliser des gestes de l’autre logique le choisir. Il choisit l’une ou l’autre posture en fonction de la situation et du but recherché, à condition qu’il soit en compétence pour choisir.

Un formateur non formé à l’accompagnement ne dispose pas des modèles théoriques ni des concepts pour travailler sur sa pratique, distinguer guidage et accompagnement. Au mieux, il limite son activité à l’exécution de la commande. Il cherche à agir en conformité et s’autoévalue alors dans la logique de contrôle. Au contraire d’un accompagnateur formé à évaluer les situations et à s’autoévaluer en situation à partir des modèles théoriques de l’accompagnement, il agit « au feeling ». Or le savoir-agir de la compétence suppose la capacité à investir dans l’action les savoirs précédemment acquis mais aussi la capacité à abstraire de ses actions des savoirs qui pourront être réinvestis dans de nouveaux contextes (Legendre, 2008).  

Conclusion : libérer l’accompagnement de l’effet de mode et reconnaître au guidage sa valeur intrinsèque

Si des mots comme « guider » ou « conduire », sont fréquemment employés aux côtés du mot accompagnement, c’est par manque de conceptualisation, du fait d’une banalisation du terme à la mode. Or « être à la mode ne présente pas que des avantages : il en résulte une banalisation du terme et son appauvrissement qui peuvent faire obstacle à un questionnement ouvrant sur une amorce de conceptualisation » (Avenier, 2000, p. 107). Lorsque le terme accompagnement tend à être utilisé à la place de celui d’étayage, c’est pour désigner tout ce qui n’est pas de l’enseignement compris comme instruction. Cela inclut le guidage (tutorat, formation) et la relation d’aide ou le mentorat, exclus par Vial et Mencacci (2007) de l’accompagnement, même des auteurs comme Paul (2004, 2016) dans leur acception englobante de l’accompagnent, les y englobent. Or l’accompagnement ne peut être cette « nébuleuse » (Paul, 2004) qui engloberait tout cela, mais une posture que l’éducateur, au sens de praticien engagé dans une relation éducative, choisit de jouer.

Si le professionnel de la relation éducative qu’est le formateur n’est pas formé au choix du geste approprié à la posture jouée, alors il y a risque d’importer involontairement des gestes professionnels d’une posture contraire. Cette confusion des gestes explique la difficulté à spécifier les postures d’étayage, les imprécisions, les effets de « nébuleuse ». L’expression « gestes professionnels » a pour qualité de faire considérer la pratique sous la catégorie du geste qui réfère au corps (Sensevy, 2010). Caractéristiques d’un corps professionnel et incarnés dans les corps des professionnels, les gestes professionnels se conjuguent dans un métier, un genre (Clot & Faïta, 2000). Le genre professionnel du formateur répond prioritairement au guidage, dans une logique de contrôle. Cela n’empêche pas un formateur d’emprunter des gestes à l’accompagnement. L’un comme l’autre relèvent de l’étayage. Parce que le terme « accompagner » est à la mode, il est employé à la place de « étayer ». Confondre étayer, qui recouvre guidage et accompagnement, avec accompagner, c’est risquer de confondre accompagnement et guidage. Or accompagner est le contraire de guider. Il ne peut y avoir de pratique qui se situerait entre l’un et l’autre des contraires. C’est soit l’un, soit l’autre. Les confondre, c’est priver les formateurs de la reconnaissance de la valeur intrinsèque du guidage, au coeur du genre professionnel de formateur, et de l’opportunité développer leur singularité professionnelle dans ce genre, c’est à dire d’interpréter.