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Introduction

La loi du 11 février 2005, en réformant la loi d’orientation du 30 juin 1975, rappelle les droits fondamentaux des personnes handicapées et vise à garantir « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». L’implication de ce texte est vaste, mais dans le cadre de l’école, la principale innovation de la loi de 2005 est de reconnaître pour chacun le droit à une scolarisation en milieu ordinaire. Basée sur la notion d’inclusion, elle exige du Système éducatif « d’assurer la réussite scolaire et l’inscription sociale de tout élève indépendamment de ses caractéristiques individuelles ou sociales » (Ebersold, 2009). Cette volonté d’inclusion est aussi soutenue par les résultats des recherches qui semblent montrer une meilleure progression des élèves en situation d’inclusion scolaire (Tremblay, 2012).

Pour l’élève handicapé, il s’agit aujourd’hui d’exercer son métier d’élève avec les autres et non plus à côté d’eux. Cette (r) évolution éthique et idéologique s’inscrit dans un contexte international. En effet, suite à la déclaration de Salamanque signée en 1994 par 92 pays et 25 organisations internationales à l’issue de la Conférence mondiale sur l’Éducation et les Besoins éducatifs spéciaux organisée sous l’impulsion de l’UNESCO, l’inclusion scolaire est élevée au rang de priorité et l’article 3 de cette déclaration « engage et exhorte tous les gouvernements à adopter en tant que loi ou politique, le principe de l’Éducation intégrée… ».

Notons qu’en parallèle, l’OMS revoit en 2001 sa définition du Handicap dans la Classification internationale du fonctionnement (CIF) pour évoluer vers une conception plus interactionniste des causes et conséquences du handicap. En France, dans cette perspective, la loi de 2005 adopte un nouveau point de vue sur le handicap et propose un changement de paradigme en substituant la notion de « situation handicapante » à celle de « handicapé ». Il s’agit maintenant de prendre en compte les conséquences du trouble subi par une personne plus que la nature ou l’origine de ce trouble. Avec cette nouvelle volonté d’égalité des droits et des chances, il s’agit dorénavant de « mettre en adéquation l’universel de la mission de l’école et la singularité des élèves » (Le Capitaine, 2007).

Dès lors, on observe, « une étape supplémentaire dans la démocratisation de l’école » (Ebersold, 2006) et les chiffres issus de l’Éducation nationale présentés ci-après semblent attester quantitativement du changement opéré. Le nombre d’élèves scolarisés reconnus en situation de handicap affiche une progression annuelle moyenne de 6,3 % depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2005.

Figure 1

Évolution de la scolarisation des enfants et des adolescents en situation de handicap (1) Environ 1 500 élèves dans le premier degré et 600 élèves dans le second degré n’ont pas pu être recensés

Évolution de la scolarisation des enfants et des adolescents en situation de handicap (1) Environ 1 500 élèves dans le premier degré et 600 élèves dans le second degré n’ont pas pu être recensés
Source : Repères et références statistiques (RERS) – édition 2013

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Pour autant, au-delà de ces chiffres, il est à noter que les modalités de scolarisation sont très diverses. Ainsi, l’inclusion peut être réalisée individuellement dans un établissement ordinaire ou dans des structures collectives déjà existantes de type CLIS, SEGPA et UPI ou encore au sein d’Unités locales pour l’Inclusion scolaire depuis 2010 (ULIS). Parfois, il peut s’agir d’une scolarisation complémentaire à celle proposée au sein des d’établissements médico-sociaux. Éventuellement, la scolarisation se réalise entièrement dans ces structures. Autrement dit, bien que le nombre d’élèves en situation de handicap soit en augmentation, les résultats ne reflètent pas l’hétérogénéité des modalités de scolarisation.

Dans ce contexte de modifications des missions accordées à l’école, notre contribution souhaite apporter un éclairage sur l’évolution que la loi de 2005 induit pour la profession enseignante. En effet, en modifiant le code de l’éducation, la loi de 2005 questionne la définition, mais aussi l’articulation de la « licence » et du « mandat » (Hughes, 1958) des enseignants. Les notifications de la Maison Départementale des Personnes handicapées (MDPH) qu’ils doivent intégrer à leurs pratiques, la confrontation avec des élèves à besoins éducatifs particuliers, la coopération avec d’autres professionnels de l’éducation ou du secteur médico-social, mais aussi avec des parents informés et exigeants sont autant d’épreuves (Guibert et Périer, 2012) que rencontrent, depuis maintenant plus de neuf ans, les enseignants. Cette situation est d’autant plus intéressante à analyser que, selon Hughes (1996), « la capacité d’un métier à protéger sa licence et à conserver son mandat, les circonstances dans lesquelles ceux-ci sont attaqués, révoqués ou modifiés — tout cela constitue autant de sujets de recherche. » (p. 104)

Dans ce contexte de modifications des missions accordées aux enseignants, une enquête a été réalisée auprès de 7 professionnels : enseignants exerçant en collège ou lycée à l’aide d’entretiens compréhensifs semi-directifs, enseignant référent handicap, ou chef de service en Institut médico-social (cf. tableau en annexe). Notre échantillon étant restreint, nous avons pris soin de rencontrer des enseignants exerçant dans différents types de structures (collèges mixte ou « difficile », LGT, LP) avec une ancienneté allant de 5 à plus de 20 ans. Le guide que nous avons construit abordait trois thématiques principales : les parcours professionnels, les formations (initiale ou continue) et les pratiques pédagogiques face à des élèves en situation de handicap. Aucune question n’évoquait spécifiquement la loi de 2005, car nous souhaitions aussi pouvoir évaluer leur connaissance et leur maîtrise du nouveau cadre institutionnel autour du handicap à l’école.

1. Ambition et moyens d’accompagnement de l’inclusion scolaire

Pour André Legrand (2006), « La loi nouvelle se réclame d’une forme de révolution copernicienne ». En effet, différente dans ses termes, elle est résolument ambitieuse dans ses objectifs et dans les moyens d’accompagnement qu’elle met en oeuvre. Elle annonce aussi la mise en place de nouveaux acteurs.

Rappelons tout d’abord, que la loi du 11 février 2005 revoit la définition du handicap et le situe dans l’interaction entre l’individu et le milieu dans lequel il évolue, car « constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. » (Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 – art. 2). C’est un changement de perspective fondamental, car il ne s’agit plus de vérifier qu’un enfant peut s’adapter à l’école telle qu’elle est, mais il incombe maintenant à l’institution scolaire de trouver les réponses adéquates en termes de compensation, principe nouveau et inscrit dans la loi, pour qu’un enfant handicapé puisse suivre en établissement ordinaire sa scolarité. En outre, le terme d’éducation spéciale disparaît de ce texte et laisse place à l’éducation « ordinaire » en lui associant un accompagnement médico-social renforçant par la même une logique de parcours continué et non plus de filière (ordinaire vs spécialisée). Autre point primordial, cette nouvelle définition permet de reconnaître comme tels des handicaps jusque-là ignorés, mais source de difficultés ou d’échecs scolaires importants. Il s’agit par exemple des troubles DYS[1], dénomination qui regroupe des Troubles cognitifs spécifiques et les Troubles des Apprentissages (TSA) qu’ils induisent. Ainsi, comme le montre le tableau ci-après, ce n’est pas seulement à un transfert d’élèves issus d’institutions spécialisées vers les établissements ordinaires auquel nous assistons, mais à une reconnaissance officielle de situations handicapantes pour des élèves déjà présents dans le système éducatif ordinaire. Ainsi, le nombre plus important d’élèves considérés en situation de handicap résulte non seulement d’une volonté plus grande du législateur d’inclure ces élèves dans des établissements ordinaires, mais aussi, plus indirectement, du fait qu’ils sont plus nombreux à être reconnus en situation de handicap.

Figure 2

Évolution comparée de la population handicapée scolarisée en milieu ordinaire et dans les établissements médico-sociaux sanitaires (1) Environ 1 500 élèves dans le premier degré et 600 élèves dans le second degré n’ont pas pu être recensés

Évolution comparée de la population handicapée scolarisée en milieu ordinaire et dans les établissements médico-sociaux sanitaires (1) Environ 1 500 élèves dans le premier degré et 600 élèves dans le second degré n’ont pas pu être recensés
Source : Repères et références statistiques (RERS) – édition 2013

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Par ailleurs, la loi de 2005 impose aussi de nouveaux partenaires et la nécessité de nouveaux modes de coopération. Pour cela, elle instaure la Maison Départementale des Personnes handicapées (MDPH) qui rassemble des équipes pluridisciplinaires modulables pour élaborer le projet personnalisé de scolarisation (PPS) des élèves concernés afin de définir les modalités de déroulement de leur scolarité ainsi que les compensations à mettre en place pour répondre à leurs besoins spécifiques, qu’elles soient d’ordre pédagogique, psychologique, éducatif, thérapeutique, médical, paramédical ou social. Parmi ces modalités, nous pouvons évoquer les aménagements (emplois du temps, temps imparti pour les épreuves d’examen…) et les aides matérielles (ordinateurs…), humaines (AVS — Auxiliaires de Vie scolaire, codeurs…). Pour véritablement articuler ces actions, la loi crée un nouveau poste, celui d’Enseignant Référent Handicap (ERH), et lui octroie un rôle pivot. Issu de l’Éducation nationale (généralement un enseignant titulaire d’une certification spécifique de type CAPA-SH[2] ou 2CA-SH[3], il est l’interlocuteur privilégié des familles et doit assurer le suivi du PPS dans le cadre d’ESS (équipes de Suivi de Scolarisation). Ainsi, l’ERH peut être appréhendé comme la figure symbolique d’une relation de coopération nouvelle entre l’Éducation nationale et les milieux sanitaires et médico-sociaux.

Enfin, la place des parents d’enfants en situation de handicap est aussi fortement confortée. Ainsi, les ESS ne peuvent se réunir sans eux et leur position est déterminante dans les décisions à prendre.

Cependant, au-delà de l’avancée législative, la distance entre les intentions politiques et les actions sur le terrain est encore grande. Un rapport d’information réalisé pour le Sénat par P. Blanc, publié le 3 juillet 2007, fait état d’un premier « bilan contrasté ». Plus précisément, dans le cadre de l’école  

Il subsiste une certaine incompréhension au niveau des parents d’enfants handicapés qui ne comprennent pas toujours que l’inscription administrative obligatoire de leur enfant ne se traduise pas effectivement par une scolarisation dans l’établissement en question. Si, dans certains cas, la non-scolarisation de l’enfant à l’école ordinaire résulte d’un choix réfléchi, dans l’intérêt de l’enfant, dans d’autres, il s’explique par des obstacles matériels (inaccessibilité des bâtiments) ou humains (réticence de l’équipe éducative, absence d’auxiliaire de vie scolaire susceptible d’assister l’enfant) qui scandalisent à juste titre les parents. […] Certains parents déplorent encore une scolarisation à l’école ordinaire envisagée sous l’angle de la seule socialisation de l’enfant, sans réel souci des contenus auxquels celui-ci doit pouvoir accéder. Pour ne pas décevoir les attentes légitimes des parents, il convient donc de rester exigeant sur la qualité de l’intégration scolaire proposée.

2. Un groupe professionnel à l’épreuve de la loi de 2005

Partant de ces constats, nous avons souhaité comprendre les difficultés voire les résistances des enseignants du secondaire à appréhender cette nouvelle mission dévolue à l’école. Les notifications de la Maison Départementale des Personnes handicapées (MDPH) qu’ils doivent intégrer à leurs pratiques, la confrontation avec des élèves à besoins éducatifs particuliers, la coopération avec d’autres professionnels de l’éducation ou du secteur médico-social, mais aussi avec des parents informés et exigeants sont autant d’épreuves (Guibert et Périer, 2012) que rencontrent depuis maintenant plus de dix ans les enseignants. Dans l’approche interactionniste des professions (Hughes, 1958), s’agit-il, pour les enseignants, d’une modification du mandat délégué à leur profession? La licence dont ils disposent leur semble-t-elle en adéquation avec cette nouvelle mission? Quels choix pédagogiques s’autorisent-ils pour favoriser l’inclusion des élèves en situation de handicap?

Le chef de service d’un Institut public nantais pour jeunes sourds et malentendants explique qu’il existe une forte prégnance des « habitus professionnels des enseignants liée à leurs représentations professionnelles », notamment dans le second degré. Témoin privilégié de l’inclusion de jeunes déficients auditifs depuis les années 1980, il reconnaît que les premières inclusions de jeunes enfants sourds ont eu lieu en école primaire et se sont réalisées sans trop de problèmes. Ensuite, des difficultés plus importantes sont apparues au collège et des situations d’exclusion (ségrégation, indifférence…) réelles ou symboliques ont pu être relevées :

En collèges et lycées, la notion de norme scolaire est encore plus prégnante qu’en école élémentaire… C’est récurant dans le discours des enseignants, y compris sur des jeunes qui sont déjà en lycée, c’est « il n’a pas sa place ici, il n’a pas sa place en S », il y a une espèce de barrière qui est instituée sur des valeurs, des critères, uniquement subjectifs et scolaires… Du point de vue de l’école, on ne peut pas expliquer le refus du handicap si on ne regarde pas ce qu’il y a autour, si on ne regarde pas la manière dont les enseignants s’attribuent la fonction de l’école, quelle mission ils ont, laquelle leur est donnée, à laquelle ils adhèrent? Quelle idée ils se font de leur mission, de transmission, d’apport culturel, d’activation de l’intelligence? Et on va trouver des profils et des postures différents dans l’accueil de la diversité selon l’idée que se font les enseignants de leur mission.

Les premières inclusions de jeunes déficients auditifs dans le système ordinaire ont été acceptées par les établissements d’accueil sous réserve qu’ils soient capables d’atteindre le niveau scolaire attendu. Autrement dit, un élève handicapé doit montrer son aptitude à poursuivre une scolarité comme les autres, comme s’il était capable de pouvoir un jour rejoindre la norme scolaire telle qu’elle est rédigée dans les textes définissant le curriculum formel au risque de « résumer la scolarisation des élèves à des besoins éducatifs particuliers au seul accès ou à la réussite scolaire au détriment des diverses dimensions facilitant l’ouverture à la différence Ebersol (2009) ». Ainsi, l’affranchissement de la norme scolaire commune constitue une première épreuve à surmonter pour les enseignants de l’enseignement secondaire que nous avons rencontrés.

Un deuxième entretien avec un Enseignant Référent Handicap de l’Académie de Nantes atteste de la difficulté à expliquer les enjeux aux enseignants du second degré de manière à susciter une réflexion sur les pratiques. D’après son expérience sur le terrain, cette prise de conscience n’est pas en lien avec l’ancienneté, c’est davantage un « état d’esprit », « une démarche intellectuelle », « une réflexion sur les pratiques », une « façon de voir le handicap ». La loi leur fait obligation de s’adapter, mais les enseignants du 2nd degré n’arrivent pas toujours à « sortir du carcan », et « sont démunis ». Ainsi pour les enseignants l’adaptation à ces situations nouvelles constitue « une sorte de “minirévolution” dans la façon de concevoir la prise en charge des difficultés d’apprentissage dans la classe » (Gombert, Feuilladieu, Gilles, Roussey, 2008).

Les propos ci-dessous permettent de mieux appréhender certaines des formes que la résistance à ces modifications du travail peut prendre :

… c’est vrai que chaque matière à ses spécificités. En même temps, chaque professeur est responsable de sa pratique pédagogique, donc je ne vais pas [en tant que professeur principal] aller demander aux autres professeurs d’appliquer telle ou telle chose sachant que je ne le fais pas forcément. […] Le professeur, il y pense pas toujours... il a d’autres élèves et s’il n’y a pas de dialogue entre les deux, il n’y aura pas d’action concrète. Après, moi je sais, je vais vers ces élèves là, dans la classe en tant que professeur principal, mais je ne fais pas non plus forcément l’effort de le faire quand je ne suis pas professeur principal d’une classe

Rémi, 31 ans, Professeur de lettres-histoire en lycée technologique et lycée professionnel

3. Un sentiment de non-adéquation entre licence et mandat

Dans Men and their Work (1958), E.C. Hughes développe les notions de « licence » et « mandat », à partir desquelles il propose de considérer les métiers, car elles « constituent les manifestations premières de la division morale du travail » (p. 100). Il explique aussi que « la compréhension de la nature et des limites de la licence et du mandat, de leurs relations mutuelles et des circonstances dans lesquelles l’un et l’autre s’étendent ou se restreignent, est un domaine crucial de l’étude des professions et, au-delà, de la société » (p. 100). Enjeux de définition, licence et mandat sont constamment (re) négociés, à la fois avec les membres du groupe professionnel, avec l’Etat, avec les autres groupes professionnels en périphérie et avec les usagers.

Lors des entretiens que nous avons réalisés, seulement deux enseignants ont explicitement évoqué la loi de 2005, mais tous en avaient fait l’expérience, au moins parce qu’ils avaient eu des élèves « avec PAI[4]». D’autres ont aussi montré qu’ils sont devenus familiers d’acronymes typiques et consécutifs de la loi de 2005 comme les PPS, les ESS ou les AVS et parmi les différents types de handicap auxquels ils ont été confrontés, citons des déficiences (visuelle, auditive), des troubles du psychisme (autisme, hyperactivité), des troubles du langage (dyslexie, dysorthographie, dysgraphie, dyscalculie, dyspraxie, bégaiement), mais aussi des troubles cognitifs, des troubles du comportement et des problèmes de daltonisme ou de phobie scolaire. Pour autant, aucun des enseignants interrogés ne déclare avoir été sensibilisé aux situations de handicap lors de la formation initiale, pas même les deux plus jeunes alors qu’ils ont été formés à l’IUFM après la promulgation de la loi du 11 février 2005. C’est donc directement par leur contexte d’exercice qu’ils ont découvert ces situations d’enseignement :

[La loi de 2005] on n’en parlait pas pendant la formation, à aucun moment on en a entendu parler […]. Dans la formation que j’ai eue, dans le forfait de départ, à aucun moment, et ça, c’est hyper regrettable, à aucun moment on nous parle des élèves en difficultés, des classes difficiles, des collèges ceci cela, c’est comme si... on fait comme s’ils n’existaient pas

Manon, 28 ans, Professeur de français en collège

Pourtant la question de la formation des enseignants est aussi au coeur de ce changement de perspective (Mazereau, 2009). L’article L. 112-5 de la loi du 11 février 2005 prévoit que « les enseignants et les personnels d’encadrement, d’accueil, techniques et de service reçoivent, au cours de leur formation initiale et continue, une formation spécifique concernant l’accueil et l’éducation des élèves et étudiants handicapés et qui comporte notamment une information sur le handicap […] et les différentes modalités d’accompagnement scolaire ».

Dans la réalité, la majorité des professionnels de l’enseignement secondaire ordinaire confrontée au quotidien par les modifications introduites effectivement par cette loi n’en connaît ni l’existence ni les enjeux, et ce, en dépit des moyens annoncés par la loi. Pour ces enseignants, la « licence », telle qu’elle est proposée encore actuellement, n’est pas en adéquation avec ces nouvelles situations pédagogiques, car elle ne les prépare ni aux tâches ni à l’activité[5] qu’elle implique face à des élèves à besoins spécifiques.

… en fait on nous pousse dans nos retranchements d’incompétence donc il faut arrêter de croire qu’on a la science infuse, ça, ce n’est pas vrai. …]. Alors qu’il y ait des gens qui aient pris du recul, qu’il y ait des grands discours c’est très bien, mais nous on a d’abord, avant de prendre du recul, on a besoin […] qu’on nous aide, ça, c’est très clair parce que ce n’est pas vrai qu’on peut tout faire.

Stéphane, 48 ans, Professeur de sciences physiques en collège-lycée

Pourtant la formation semble un bon moyen pour transformer les pratiques enseignantes afin de les adapter aux situations rencontrées (Frangieh, Weisser, 2013).

Le mandat au sens de Hughes rassemble les missions accordées à un groupe professionnel c’est-à-dire l’utilité sociale qui lui est déléguée et octroie en retour des privilèges (financiers, statuts...). La loi de 2005 impose aux enseignants du second degré de recourir à des savoirs, savoir-faire, voire savoir-être qui jusque là relevaient d’une spécialisation et la prise en compte de handicaps de différentes natures apparait comme une modification de leur activité professionnelle principale à savoir la transmission des connaissances. En conséquence, devant le nombre grandissant d’élèves avec des « besoins éducatifs particuliers » dans les classes, les enseignants que nous avons enquêté, ont le sentiment que le mandat délégué à leur profession est en train de changer à leur insu. Cette redéfinition du contour de la profession est aussi introduite par le travail avec l’AVS. Comme le disent Nédélec-Trohel et Toullec-Théry (2010), « c’est l’acceptation et le respect par l’AVS du contrat de places instauré par l’enseignante qui permet l’actualisation de la partition des tâches in situ ».

Mais ce sont surtout les prescriptions contenues dans les PAI qui paraissent souvent pour les enseignants difficiles à traduire pédagogiquement. Rédigées par le médecin scolaire, elles sont alors souvent considérées comme un outil de communication entre professionnels de statuts différents : chaque groupe utilisant un « jargon » spécifique mal maitrisé par les autres.

C’est des documents que tu reçois comme ça, que tu lis rapidement, mais, en fait, certains termes que tu maitrises pas ou y a des notions qui ne sont pas assez concrètes pour toi donc, du coup, tu prends ça un peu à la légère. […] Et si ce n’est pas expliqué clairement par une personne compétente, et bien tu le reçois comme un document administratif de plus et qui n’aura aucun impact sur ta pratique.

Rémi, 31 ans, Professeur de lettres-histoire en lycée technologique et lycée professionnel

[Évoquant certains de ses collègues] Quand dans un PAI on demande que les cours soient en format A3, c’est juste une manip » à la photocopieuse, mais ce n’est pas fait souvent. […] ce n’est pas beaucoup de travail, mais ce n’est pas fait [rire]. Et ça ne coûte rien [rire] et c’est exaspérant, on va dire.

Laurent, 35 ans, Professeur d’électrotechnique en lycée professionnel

Ainsi, ces enseignants trouvent difficilement acceptable de se voir prescrire, par des professionnels du milieu médical, ce qu’ils doivent faire sur ce qu’ils estiment être leur territoire. Selon E. C. Hughes, le mandat « peut se borner à insister sur la nécessité de laisser à ceux qui sont du métier une certaine marge de manoeuvre dans leur travail » (p.99), c’est effectivement ce que les enseignants que nous avons interrogés revendiquent ici, signifiant leur volonté de conserver le monopole sur leur territoire. Autrement dit, la scolarisation d’élèves en situation de handicap ne va pas de soit pour les enseignants du secondaire, car elle modifie les contours de leur profession. Dès lors, la reconfiguration de leur position sur un territoire qui jusqu’alors leur était réservé s’accompagne d’un sentiment de perte d’autonomie pédagogique et d’affaiblissement de leur pouvoir.

Certains enseignants développent alors parfois un sentiment d’incompétence :

... il faudrait qu’on bénéficie d’une aide en équipe avec des gens dont c’est le métier de gérer le handicap. Il faut arrêter de croire que le prof il sait tout faire, non c’est pas vrai. [Dans ce lycée]  on ne s’implique pas autant qu’on devrait et donc cette charge là est assez prise par, non pas l’équipe, mais par le professeur principal avec le directeur des études, le responsable de niveau. Et puis les solutions qu’ils apportent vont être des solutions ponctuelles avec un prof à un moment. C’est eux qui vont nous solliciter, mais c’est vraiment eux qui gèrent, ils le font pour nous décharger de ces tâches supplémentaires. [Puis évoquant plus spécifiquement l’inclusion d’un élève déficient visuel] C’est dur, c’est dur de les amener à un niveau supérieur et le mot handicap est vraiment bien choisi. Ils sont plombés, c’est chapeau de se mettre la barre aussi haute avec un handicap comme ça. Ça complique le métier parce que je me sens désarmé autant que les autres ça c’est clair […]. Dès le début, on a rencontré l’équipe éducative qui le formait et qui était formée pour, avec laquelle en plus on faisait des bilans réguliers sur le plan humain parce qu’elle le sentait mieux que nous, soit en sa présence soit en son absence…

Stéphane, 48 ans, Professeur de sciences physiques en collège-lycée

Tous les enseignants que nous avons interrogés et qui exercent dans de telles classes ont évoqué le « handicap social » au même titre que ceux reconnus par la MDPH, illustrant l’ampleur de la mixité avec laquelle ils doivent composer et des conditions de travail de plus en plus lourdes.

Je trouve qu’il y a certaines choses qui sont trop lourdes à appliquer quand tu as des effectifs importants. J’essaie de le faire de plus en plus, mais je sais que j’ai eu des tensions avec certains élèves, à ce sujet, parce qu’ils me mettaient, en gros, le PAI sous le nez et puis ils me disaient, voilà, vous devez faire ça, par exemple vous devez me donner les cours en avance, en format polycopié, police 14 interlignes 1,5… Enfin des choses qui sont par forcément réalisables en cours que, matériellement, je ne peux pas faire. […] C’est vrai que je me pose des questions par rapport à des professeurs qui sont plus avancés dans le métier que moi et qui sont proches de la retraite par exemple et à qui on demande de remettre en cause leur pédagogie, de refaire de nouveaux programmes, en plus de ça de maitriser les nouvelles technologies et puis de prendre en compte l’ensemble des élèves, de prendre en compte toutes les difficultés, de prendre en compte les élèves handicapés. Je comprends que ce n’est pas évident quand tu, quand tu as passé un certain âge

Rémi, 31 ans, Professeur de lettres-histoire en lycée technologique et lycée professionnel

De la même façon, la non prise en compte de difficultés spécifiques comme les différents troubles du langage se justifiait avant 2005 soit par un désir d’égalité soit par la nécessité de respecter les normes en usage notamment dans le domaine de l’évaluation des élèves. Aujourd’hui elle est plus difficile à comprendre :

Il y a aussi des cas très très lourds de dyslexie, dysorthographie qui posent des problèmes, là dans la matière, en l’occurrence le français où tu sais que l’examen, le bac, c’est déjà bien compromis quand il arrive en seconde... et que tout ce que tu peux faire, c’est l’aider petit à petit, progressivement de constater de tout petits progrès. Mais comme l’examen c’est toujours un écrit avec la même notation et que même avec un tiers temps en plus même avec des aménagements c’est perdu d’avance….

Rémi, 31 ans, Professeur de lettres-histoire en lycée technologique et lycée professionnel

Par ailleurs, avant la loi de 2005, il était plus facilement envisageable d’orienter ces élèves vers d’autres professionnels, souvent hors du système scolaire ordinaire (institution spécialisée du secteur médico-social, secteur libéral, etc.), ayant des compétences plus spécifiques. Cette possibilité pour les enseignants à diriger ces élèves vers d’autres personnes correspond à ce que Hughes (1958) décrit comme le pouvoir d’un professionnel de déléguer à d’autres ce qu’il considère comme le « sale boulot » et pouvait relever de « savoirs coupables » partagés par les acteurs des établissements scolaires.

On se voyait régulièrement. L’argument c’était technique : est-ce qu’il faut qu’on améliore notre façon de faire avec lui? Mais ça c’était le prétexte, mais ça, c’était pas le vrai objectif, le vrai objectif était de communiquer sur l’élève, humainement comment il était, où il en était comment il le vivait si ça montait ou si ça descendait et parfois de dire nos difficultés, nos impossibilités à répondre à ses attentes

Stéphane, 48 ans, Professeur de sciences physiques en collège-lycée

Même si la loi de 2005 renvoie à l’environnement la situation de handicap et transfère au système scolaire et ses professionnels la responsabilité de la réussite de tous, quelles que soient les limites de chacun, cette volonté de délégation existe encore notamment dans certains établissements du centre (Van Zanten, 2001) ceux où la norme scolaire de l’excellence est la plus manifeste. Aussi, il n’est pas surprenant de réaliser que, face à la loi de 2005, certains établissements sont encore préservés voire se préservent et n’accueillent qu’exceptionnellement des élèves en situation de handicap. Stéphane professeur dans un de ces établissements qu’il qualifie lui-même de « prestigieux » explique comment implicitement se mettent en place des stratégies d’évitement qui font qu’au final, les élèves en situation de handicap partiront vers d’autres structures. Dans un tel contexte, il reconnaît qu’il n’a pas (encore) eu besoin d’adapter ses pratiques de façon fondamentale.

Pour les situations de handicap […] on est typiquement l’établissement qui va freiner des quatre fers en disant c’est pas pour nous. Que l’établissement n’est pas adapté, et que rien n’est prévu. Mais on est sollicité, et on va l’être de plus en plus parce que les familles demandent de plus en plus le droit à suivre des études avec un handicap.

Stéphane, 48 ans, Professeur de sciences physiques en collège-lycée

Dans notre système éducatif, effectivement marqué par la ségrégation scolaire (Merle, 2012) et la hiérarchisation des filières, on comprend mieux l’augmentation plus importante du nombre d’élèves encadrés par des protocoles de compensation de handicap dans des filières moins valorisées[6] .

4. A la recherche d’une adéquation licence-mandat

Nos analyses laissent aussi entrevoir une forme de revendication portant sur la reconnaissance de compétences et de savoirs spécifiques de façon à répondre aux nouvelles missions qui leur sont déléguées. Devant l’inconfort du travail avec des élèves qui s’éloignent bien souvent du modèle de « client idéal » (Becker, 1952), il s’agit bien pour les enseignants de trouver les moyens de répondre à l’insuffisance de leur formation. Il s’agit alors de mettre en place des gestes pédagogiques d’adaptation (Gombert, Feuilladieu, Gilles, Roussey, 2008).

Lorsqu’il s’agit de surmonter l’épreuve d’une telle hétérogénéité se dessinent aussi les contours d’une dynamique beaucoup plus collective de l’enseignement (Barrère, 2003) généralement grâce à des aménagements organisationnels locaux.

On peut être plusieurs professeurs dans la classe, on profite de certaines heures, certaines HSE[7], certaines heures qu’on nous donne à droite à gauche, et dans ce cas là, le directeur s’organise pour qu’on puisse être en doublon sur certaines classes Alors ça peut être continu avec certaines classes vraiment difficiles […], on met ça aussi en place entre nous de façon spontanée quand on voit que, qu’un prof c’est trop dur quoi, qu’y’a une saturation et que voilà l’enseignant ne va pas y arriver tout seul, ou se met en danger. Ça peut durer plusieurs séances […], ce ne sont pas forcément des enseignants de la même matière…

Manon, 28 ans, Professeur de français en collège

Les enseignants que nous avons rencontrés remodèlent leur conception initiale du travail au gré de leur parcours professionnel (Guibert, Lazuech, Rimbert, 2008), des expériences vécues et des épreuves rencontrées (Guibert et Périer, 2012) tout au long de leur socialisation professionnelle.

Certains mettent en avant le travail enseignant en milieu qualifié de « difficile » comme un élément leur ayant permis d’acquérir des compétences transposables dans les contextes relevant de l’enseignement à des élèves en situation de handicap. L’adaptation des pratiques, nécessaires pour aider les élèves à compenser leur handicap et surmonter leurs difficultés, peut alors se révéler source de développement professionnel (Van Zanten, Grospiron, Kherroubi, Robert, 2002).

J’ai l’impression de faire ce que je pourrais faire ailleurs ce que je fais avec ces élèves (en situation de handicap) parce que les compétences que je développe... je me spécialise pas, mais c’est comment intéresser les élèves, comment leur donner les outils pour apprendre. Si demain je vais dans un collège classique ou dans un lycée, voilà plus élitiste, à ce moment là, ces compétences elles me serviront donc pour moi ce n’est pas se spécialiser, mais c’est vraiment le, c’est le coeur du métier quoi

Manon, 28 ans, Professeur de français en collège

Les modifications que les enseignants vont s’autoriser (ou non) à introduire dans leurs pratiques sont aussi très dépendantes des pôles de professionnalité (Lang, 1999) qui leur servent de référence. Pour Lang, chaque pôle se définit par l’ensemble des connaissances (savoirs, savoir-faire, savoir-être) et des valeurs qui organisent la façon de penser et de faire son métier. Fondé sur les connaissances disciplinaires et leur transmission, le pôle dit académique est dominant dans l’enseignement secondaire et met l’accent sur les échéances proposées par les examens. D’ailleurs, l’une des limites que les enseignants de collèges et lycées évoquent volontiers dans l’aide pédagogique et didactique apportée aux élèves handicapés est la prégnance de la forme scripturale dans l’enseignement et dans l’évaluation. Pour certains, tant que l’écrit conserve un rôle prédominant aux examens (DNB, Bac…), cela rend inutiles les adaptations proposées.

Comme l’examen c’est toujours un écrit et que même avec un tiers temps même avec des aménagements…. Ça ne suffira pas, et le système scolaire est comme ça, malheureusement. Je ne peux pas le changer, moi tout seul. L’élève, il sera pénalisé quoi qu’il en soit même avec toute la bonne volonté du… possible, avec tous les PAI possibles, aujourd’hui, il sera forcément pénalisé par rapport à d’autres. Tant que le système scolaire est comme ça, on peut ne rien faire.

Rémi, 31 ans, Professeur de lettres-histoire en lycée technologique et lycée professionnel

D’autres, comme Béatrice et Manon en poste en collège, ont rapidement compris la nécessité de s’adapter. La tonalité de leurs discours les inscrit davantage sur le pôle de professionnalité personnaliste (Lang, 1999) qui met l’accent sur la qualité de la relation à l’élève et cherche, avant tout, l’épanouissement de l’individu (développement intellectuel et affectif). Pour elles, ces adaptations sont donc une évidence pour que les élèves concernés puissent s’autoriser à prendre des risques, souvent valorisés et source de progrès.

Pour l’évaluation de type lecture d’un texte ou questions de compréhension, moi en règle générale, je le fais à l’écrit, les dyslexiques le font aussi sachant qu’à aucun moment je leur tiendrai grief si c’est écrit de façon complètement… euh [rire] euh… arbitraire et tout ça. Je vais m’attacher uniquement à la compréhension […], s’il y a une chose qu’on fait ici, c’est que l’élève est tout le temps tout le temps tout le temps encouragé, voilà donc ça ne semble rien à dire, et pourtant c’est sans doute l’essentiel. Voilà, on va essayer de le faire progresser à son rythme de manière à ce qu’il perçoive que ce qu’il fait est bien

Manon, 28 ans, Professeur de français en collège

Pour ces professeurs de français, le « deuil de la discipline » (Barrère, 2002) ne semble pas trop douloureux et c’est en privilégiant le pôle artisanal de leur professionnalité c’est-à-dire en puisant avant tout dans leurs expériences qu’elles vont tenter de définir les principes et les logiques d’action pour répondre aux situations rencontrées. Par exemple, devant la multiplication des notifications MDPH individuelles, elles ont cherché à rationaliser leur façon de faire. Ainsi, tout en évitant l’écueil de la simplification des situations d’apprentissage qu’elle propose, Manon réorganise le programme de sa discipline pour permettre à tous de s’investir et de progresser. Laurent et ses collègues d’électrotechnique vont encore plus loin :

Au niveau des CAP, on a individualisé la formation. Chaque élève a une tâche différente à faire. Et ça leur permet d’avancer. Bon, c’est un planning défini par nous quand même, on a limité le degré de liberté. Donc chaque élève a une tâche différente pour arriver au même point commun à avoir… mais ils avancent à leur rythme. …]. On a aussi supprimé les notes. On évalue par compétence

Laurent, 35 ans, Professeur d’électrotechnique en lycée professionnel

Ceux qui ont reçu une formation spécifique, collective ou individuelle, reconnaissent qu’elle a été déterminante pour leur permettre de mieux appréhender et s’adapter aux difficultés rencontrées. Ils mettent en avant qu’elle leur a donné des pistes de réflexion plus efficaces sur leurs pratiques.

Par exemple, confronté aux difficultés de ses élèves, Laurent a éprouvé la nécessité de rechercher des réponses par une formation complémentaire. Il s’est donc engagé dans un parcours de formation individuelle visant à terme l’obtention d’une certification spécialisée (2CA-SH). Selon lui, l’obtention d’une nouvelle « licence », au sens de Hughes, lui permettra de mieux assurer les missions confiées aux enseignants

C’est pour cela que j’ai fait une formation, car c’est notre boulot aussi […]. Tu regardes dans le BO la mission du prof, les deux dernières missions rentrent complètement là dedans. C’est prendre en compte les difficultés des élèves et puis […] savoir innover, savoir innover en fonction du public qu’on a…

Laurent, 35 ans, Professeur d’électrotechnique en lycée professionnel

Parfois devant le nombre grandissant d’élèves identifiés comme relevant d’une situation de handicap, la formation est demandée au niveau d’un établissement. C’est le cas de Béatrice et de ses collègues qui ont pu bénéficié d’une formation sur site pour l’ensemble de l’équipe éducative. Initiée par le chef d’établissement, elle s’est effectuée dès 2005, année de promulgation, et a été suivie par un temps de formation et de réflexion long sur les moyens de sa mise en oeuvre sur le terrain.

Ça a interpellé les collègues sur la façon de gérer ça. On avait demandé aussi, au tout début une formation sur site, donc deux intervenantes sont venues nous parler de la dyslexie : une orthophoniste et une enseignante qui s’était un peu spécialisée sur ça et voilà on a réfléchi à la façon de gérer ça, quelles solutions proposer pour ces élèves […] Et, oui du coup cette intervention là a été éclairante. Je me suis dis c’est ne pas cristalliser sur dyslexique ou pas dyslexique, c’est en fait trouver une méthode et trouver des moyens à proposer à ces élèves là pour qu’ils puissent suivre le cours sans être pénalisés parce qu’ils ont plus de mal, parce qu’ils ont un problème de dyslexie, parce qu’ils entendent pas bien ou que sais-je encore et du coup, oui ça m’a interpellée sur la façon de faire cours et sur qu’est-ce qu’un élève doit garder comme trace pour pouvoir après répondre aux évaluations que je vais lui demander.

Béatrice, 47 ans, Professeur français en collège

Depuis, cette enseignante, n’a pas demandé de nouvelle formation, préférant continuer d’enrichir son expérience, « se dépatouiller avec ça », à partir de ses propres constats ou par échange avec des collègues réels ou virtuels puisqu’elle participe souvent à des forums professionnels dans sa discipline où « cette question revient forcément ».

Par ailleurs, la confrontation avec des élèves en situation de handicap amènent les enseignants à développer des capacités de diagnostic pour des élèves non reconnus comme tels, mais qui présentent des difficultés symptomatiques de troubles spécifiques comme les dyslexies ou dysorthographies.

Et puis, je pense aussi qu’avec l’expérience aussi, j’arrive beaucoup mieux à comprendre ce que c’est et à détecter aussi certaines difficultés qui ne sont pas forcément identifiées comme handicap où il n’y a pas forcément de PAI. Par exemple, un élève, cette année en seconde qui n’a pas de PAI, mais qui a clairement des difficultés dans la lecture et dans l’écriture de consignes, c’est des choses basiques et je me suis dit, tout de suite, c’est un profil d’élève qui ressemble à un élève dyslexique

Rémi, 31 ans, Professeur de lettres-histoire en lycée technologique et lycée professionnel

Ils vont alors informer les familles et les encourager à réaliser un bilan auprès d’un professionnel spécialisé. Très souvent ils vont prendre l’initiative d’élargir à d’autres élèves les compensations, les remédiations qu’ils proposent aux élèves en situation de handicap.

Conclusion

En modifiant profondément le code de l’Education, la loi de 2005 en faveur des personnes handicapées, questionne les pratiques des enseignants du secondaire et l’adéquation licence/mandat face aux situations de handicap. En fonction de leurs référents professionnels, ils facilitent plus ou moins l’inclusion de ces élèves. Souvent, ils adaptent leurs pratiques pédagogiques en s’appuyant sur les expériences acquises. Certains développeront le pôle artisanal de leur professionnalité, particulièrement lorsqu’ils sont convaincus que chaque élève, quelle que soit la nature de ses difficultés, a un potentiel de progression. Ils développeront des solutions qu’ils essayeront parfois d’élargir aux élèves en difficulté.

Rares sont les enseignants qui s’engagent dans une formation spécifique pour avoir une meilleure compréhension de la nature des difficultés des élèves.

Pourtant les propos recueillis confirment les résultats de recherche existants (Frangieh & Weisser, 2013) et montrent que lorsqu’elle est articulée à leur expérience de terrain, la formation continue permet de construire un cadre réflexif plus riche et leur apporte les moyens de s’affranchir d’un système scolaire encore très normatif. Or, cette aide par la formation permettant une meilleure adéquation entre licence et mandat ne semble pas suffisante. Un rapport sur l’application de la loi de 2005 remis au Sénat le 4 juillet 2012 relève que « malgré l’affichage de priorités par le ministère de l’Éducation nationale, les inspections académiques et les chefs d’établissements, la formation continue des enseignants au handicap continue de relever, pour l’essentiel, du volontariat ».

Malgré tout, la loi de 2005, par les expériences professionnelles qu’elle impose aux enseignants laisse-t-elle entrevoir les contours d’une nouvelle définition de la profession enseignante? Peut-on faire l’hypothèse que, dans la perspective de la réussite de tous les élèves, elle peut contribuer à professionnaliser les professeurs du second degré et permettre de reconnaître que le rôle d’un enseignant en tant que professionnel ne se limite pas à la transmission de savoirs scolaires (Altet, Guibert & Perrenoud, P., 2010)? Si c’était le cas, la loi de 2005 pourrait alors servir la professionnalisation des enseignants c’est-à-dire permettre l’amélioration des capacités et la rationalisation des savoirs mis en oeuvre dans l’exercice de la profession afin d’atteindre une plus grande maîtrise professionnelle et une meilleure efficacité individuelle et collective (Bourdoncle, 1991).

Pour cela, face à la fréquence et à l’intensité des épreuves rencontrées par les enseignants, la reconnaissance sociale de ce nouvel aspect de la professionnalité enseignante est primordiale et serait facilitée par une meilleure prise en compte en formation des attentes du législateur et de celles des professionnels confrontés à ces situations en classe.