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L’herméneutique et la théorie critique restent envisagées, dans l’imaginaire philosophique contemporain, comme de farouches ennemies. Elles l’ont été assurément lors de la célèbre controverse entre Habermas et Gadamer dans le contexte épistémologique et politique allemand des années 1960-1970. Du point de vue de la théorie critique (dans une savante conjugaison d’un post-marxisme et d’un postkantisme), dont Habermas fut alors le chef de file, l’herméneutique est certes reconnue au titre des disciplines tournées vers la compréhension du sens, mais impuissante serait-elle à reconnaître, négativement, les déformations systémiques de la communication, impuissante à dégager, positivement, le potentiel autoréflexif et émancipateur des sociétés humaines. Recroquevillée sur l’autorité des traditions, l’herméneutique flirterait inévitablement avec le conservatisme. Du point de vue de l’herméneutique (dans un héritage qui doit beaucoup au renversement ontologique heideggérien), dont Gadamer fut alors la figure tutélaire, la théorie critique succombe aux travers de la modernité aliénante dans son incapacité à reconnaître les préjugés légitimes, dans sa confiance aveugle à l’égard d’une raison désincarnée, dans son illusion de pouvoir mettre à distance critique les traditions. La théorie critique serait alors le prétexte à un nouveau geste révolutionnaire qui ne pourrait rimer qu’avec le chaos et la perte du sens.
Radicalisées en ces termes, les farouches ennemies ont peu de chance de se réconcilier. C’est pourtant le pari de l’ouvrage de Lorenzo Simpson, dont le titre même appelle à considérer l’herméneutique comme critique. La question qui se pose est, bien entendu, de savoir sous quelles conditions une telle entreprise est possible, si l’on tient compte de la dramatisation originaire de l’antagonisme entre herméneutique et théorie critique. Le pari semble d’autant plus risqué que c’est bien sous les auspices de Habermas et de Gadamer que Simpson entend mener à bien son projet. Comment une herméneutique peut-elle être en même temps critique ou réciproquement, une critique en même temps herméneutique ? Tel est le problème que pose Simpson dans sa contribution magistrale qui ouvre assurément des voies nouvelles. Contribution magistrale qui aurait toutefois mérité d’inscrire cette nouvelle problématisation dans son historicité contemporaine. Car Simpson n’est pas le premier à tenter cette réconciliation. Ce fut le projet même de Ricoeur dès les années 1970 dans sa recherche d’arbitrage entre la critique des idéologies, façon Habermas, et l’herméneutique des traditions, façon Gadamer.
Ricoeur est certes cité et convoqué dans l’ouvrage de Simpson, mais uniquement son Essai sur Freud[1], à l’appui de l’herméneutique du soupçon. Mais les écrits de Ricoeur rassemblés dans Du texte à l’action[2] et dans L’idéologie et l’utopie[3], pourtant traduits en anglais, ne figurent pas au titre de la discussion proposée par Simpson. Ce sont pourtant dans ces deux ouvrages que s’articule la voix singulière à travers laquelle Ricoeur cherche à élaborer une herméneutique critique. Celle choisie par Simpson s’en démarque cependant. D’abord parce qu’elle prend appui sur les travaux plus récents d’Habermas, à commencer déjà par la Théorie de l’agir communicationnel, qui se sont davantage rapprochés de la tradition herméneutique, sans renoncer pour autant à la perspective critique. Ensuite, parce qu’elle vise à élargir l’herméneutique au-delà de son site originel, autour de la compréhension des textes (variante méthodologique) ou de l’être (variante ontologique), pour mieux l’appliquer à une compréhension de la vie ordinaire. Enfin, parce qu’elle met directement la compréhension critique du sens à l’épreuve d’enjeux très contemporains autour des questions de genre, de classe ou de race, largement ignorées tant par Gadamer que par Ricoeur.
C’est à la lumière de cette triple innovation qu’il faut apprécier la contribution de Simpson au renouvellement de l’herméneutique, qui affecte aussi bien, et corrélativement, la compréhension du sens et le statut de la critique. À Gadamer, Simpson reste attaché, par l’importance qu’il accorde à la fois à la structure dialogique de la compréhension (faire le pari du sens du discours d’autrui, reconstruire la question à laquelle le discours est la réponse…) et à la fusion des horizons. Qui dit fusion des horizons, dit impossibilité de faire abstraction du contexte culturel et historique à partir duquel prend forme une interprétation. C’est là une manière de contester une certaine théorie critique, héritée du kantisme, qui prétend énoncer des normes, des jugements, des évaluations à partir du non-lieu de la raison ou du sujet transcendantal. C’est aussi une manière de déconstruire une certaine herméneutique romantique et idéaliste à la fois, de Schleiermacher à Dilthey, qui aspire à annuler la distance historique et culturelle qui sépare un interprète de l’auteur d’un texte, lorsque le premier est censé pouvoir se transposer dans le psychisme du second. C’est donc affirmer que toute compréhension est d’emblée impliquée et contextualisée au monde de l’interprète. Est-elle pour autant bornée à cet horizon ? Non, pour que fusion des horizons il y ait, l’horizon de ce qui est à interpréter (comme un texte ancien ou une oeuvre d’art) doit transformer l’horizon de l’interprète qui se met à son écoute. C’est sous cette condition, pour Gadamer, que la fusion des horizons peut devenir une rencontre ou un événement.
Qu’en est-il alors de la critique ? Elle n’est pas absente de Vérité et méthode. Elle se justifie par l’existence de préjugés de précipitations, « innombrables, qu’il appartient à la raison critique de surmonter[4] ». En revanche, la raison critique est néfaste et aliénante à l’égard du préjugé comme précompréhension, comme jugement préalable que Gadamer fait reposer in fine sur l’autorité de la tradition. Certes, la tradition, pour qu’elle devienne autorité, doit requérir un acte de reconnaissance et d’adhésion de celui auquel elle s’applique, mais elle n’est pas assimilable à un acte critique au sens fort, au sens d’une distanciation radicale des traditions de sens.
C’est à ce moment que l’herméneutique de Simpson prend le relais de celle de Gadamer. D’un côté, elle récuse toute posture de critique transcendantale, toute critique externe, à la fois parce qu’elle contrarie, ontologiquement, la finitude de toute compréhension et parce qu’elle a trop longtemps flirté avec l’impérialisme épistémologique et politique de la Raison occidentale, là où l’appel à l’universalité du transcendantal peut encore masquer un ethnocentrisme larvé. De l’autre, elle pointe les impasses d’une herméneutique radicale, que l’on voit par exemple à l’oeuvre dans la réappropriation de Gadamer par Rorty, qui débouche sur un relativisme intégral. Car c’est bien le spectre du relativisme, aux conséquences épistémologiques, éthiques et politiques désastreuses, qui oblige Simpson à réhabiliter la critique, bien au-delà de la seule critique gadamérienne des « préjugés par précipitation ». Revient alors la question initiale : quelle est la nature de cette critique, si elle ne peut émaner d’une raison désincarnée ? Elle ne peut être qu’interne. C’est là tout l’enjeu de l’ouvrage : seule une critique interne est à même de se coordonner avec l’herméneutique ; seule une critique interne est capable de lutter contre les affres du relativisme, tout en conjurant les écueils d’une raison désincarnée. C’est à ce titre qu’une herméneutique peut être en même temps critique.
Ce programme, audacieux et ambitieux, Simpson le décline dans chacun des chapitres de son ouvrage en fonction d’enjeux épistémologiques, culturels, sociaux et politiques. L’enjeu proprement épistémologique de l’herméneutique critique fait l’objet du premier chapitre du livre (« Twin Earth and Its Horizons »). Le problème est de savoir si les sciences sont capables de connaître directement les propriétés du réel ou s’il revient au sens de déterminer indirectement la référence. Simpson conteste vigoureusement les théories objectivistes qui prétendent se passer du sens pour accéder aux référents du réel. En s’appuyant sur la sémantique de Frege et sur l’herméneutique, il montre qu’il ne saurait y avoir de référence sans donation de sens. Il prend toutefois au sérieux les objections qui ont été formulées à l’égard des conséquences relativistes de cette thèse en vertu de laquelle il y aurait autant de références qu’il y aurait de sens, de langages, de récits, de paradigmes. Le risque est de rendre incommensurables les ordres du sens entre eux, de ne pouvoir comparer des théories scientifiques entre elles, sans pouvoir statuer sur la validité de chacune d’entre d’elles ; risque assumé par l’herméneutique post-moderne à la manière de Rorty ou de Vattimo, mais pas par Simpson. À la limite, les tenants d’une théorie scientifique resteraient enfermés dans leur paradigme, dans leur ordre du sens, sans pouvoir même comprendre et communiquer véritablement avec le paradigme des autres. Pour sortir de cette impasse, Simpson en appelle à la fusion des horizons et à l’apprentissage critique du sens de l’autre. Dire que le sens détermine la référence ne revient donc pas à dire que chacun reste prisonnier de son paradigme et de son langage. L’herméneutique critique appelle ici à l’élaboration progressive d’une langue commune pour qu’un sens commun et un référent partagé puissent émerger de la conversation entre les tenants de tel ou tel paradigme : « dans la mesure où il existe un domaine de référents projetés, un monde sur lequel ils s’accordent, il peut y avoir une pierre de touche commune pour le désaccord et la comparaison. Les paradigmes rivaux peuvent partager des données d’observation facilement formulables[5] ».
C’est de nouveau le principe de la fusion des horizons qui est mobilisé par Simpson, dans le second chapitre (« Critical fusions »), pour le mettre désormais à l’épreuve des enjeux culturels de l’herméneutique critique et promouvoir ce qu’il appelle un « humanisme dialogique » (« dialogical humanism »). Le défi est de pouvoir défendre un pluralisme culturel, contre un universalisme de surplomb, sans verser dans le relativisme qui reviendrait à accepter toute pratique, au nom du respect intangible de la différence culturelle. L’humanisme dialogique n’est possible que sous la condition d’envisager les cultures comme des traditions ouvertes (et non comme des blocs monolithiques), susceptibles d’interprétations et de réinterprétations de leur univers de sens et de pratiques. L’herméneutique de Simpson suppose que toute société dispose d’un potentiel d’autoréflexion et d’autocritique qui lui permet de réviser, de mettre à distance, de transformer ses valeurs et ses normes, sans avoir à se soumettre à l’impérialisme d’une critique externe. Tout l’enjeu de la critique interne se tient autour de ce présupposé majeur. C’est ce que Simpson appelle le « phénomène de cluster » qui signifie « que certains éléments de l’ensemble des caractéristiques qui constituent collectivement l’identité sociale d’une personne peuvent être révisés à la suite d’une réflexion critique, sans qu’il en résulte une perte de cette identité[6] ».
Le phénomène de cluster est renforcé par la « critique dialogique contrefactuelle » (« counterfactual dialogical critique ») qui repose sur deux piliers : d’une part, l’idée que la critique n’est pas imposée du haut d’une raison solitaire et souveraine, mais émerge à l’intérieur d’une tradition culturelle ; d’autre part, l’idée qu’il y a dans toute tradition culturelle des éléments non encore réalisés (« contrefactuels »), des potentialités qui peuvent servir de contrepoint critique aux valeurs et aux normes instituées. C’est à cette condition qu’une critique interne est possible. Là est le point le plus divergent avec Gadamer. Alors que ce dernier privilégie une relation verticale à travers laquelle la tradition est placée en position d’autorité, Simpson préfère une relation horizontale à travers laquelle le potentiel contrefactuel d’une tradition est transformé par l’art de la conversation.
Il en donne une bonne illustration à partir de la pratique controversée de l’excision en vigueur dans certaines sociétés traditionnelles. Il n’est pas question, pour Simpson, de condamner cette pratique rituelle au nom d’une critique externe, de normes occidentales, du principe des droits de l’homme, sous peine de réintroduire un impérialisme universaliste donneur de leçons. En revanche, une critique interne de cette pratique est possible parce que la culture dans laquelle elle s’inscrit n’est pas complètement homogène, parce qu’elle peut être traversée par des contradictions et des contestations, parce qu’il existe en son sein des potentialités non réalisées qui peuvent servir d’horizon critique. L’herméneutique du soupçon, que Simpson reprend de Ricoeur, trouve ici sa juste place lorsque parole est donnée aux principales concernées par l’excision, à savoir les femmes elles-mêmes qui en sont les victimes. Soupçon à l’égard de l’asymétrie d’une pratique culturelle qui masque le sens caché de la domination masculine. C’est un tel dialogue critique contrefactuel que Simpson voit à l’oeuvre dans certaines pratiques conversationnelles, par exemple au Mali, sous les auspices de l’association COFESFA : « Ces conversations mettent en lumière les conséquences physiques et émotionnelles du rituel, la plurivocité des récits culturels déployés pour justifier la pratique, et les intérêts patriarcaux qui le sous-tend [7]».
Le troisième chapitre (« The Agency, the Politics of Memory ») décline l’herméneutique critique à l’aune d’enjeux sociaux et politiques dans le contexte de réflexions menées depuis plusieurs années sur « l’injustice épistémique », à la suite des travaux de Miranda Fricker[8]. Il est peut-être dommage à ce propos que les travaux de cette dernière, peu cités dans l’ouvrage, ne soient pas davantage discutés (notamment la distinction entre injustice herméneutique et injustice testimoniale). C’est vrai également des recherches, à sa suite, de José Medina dont le pluralisme herméneutique « polyphonique[9] » pourrait pourtant entrer en forte résonance avec l’herméneutique critique de Simpson.
Si le chapitre se focalise sur l’agentivité (agency), particulièrement des personnes minorées ou défavorisées, on peut s’étonner par ailleurs de la référence aux « politiques de la mémoire » dans le titre, et dont il n’est pas vraiment question dans le développement du chapitre. La thèse défendue par Simpson s’oppose clairement au présupposé épistémique et politique conservateur qui fait reposer l’agentivité sur les seules ressources personnelles et psychologiques des individus. En vertu de ce présupposé, si les Africains-Américains connaissent une moindre réussite scolaire, universitaire, sociale, économique ou un taux de criminalité plus important que d’autres catégories sociales, c’est par défaut de volonté, de persévérance, de maîtrise de soi. Pour déconstruire ce présupposé psychologisant, Simpson introduit une distinction fort heuristique entre agentivité de premier ordre et agentivité de second ordre. La première désigne la capacité pour un agent de produire un effet ou de provoquer un changement dans l’état du monde. La seconde désigne la conscience et la capacité de produire, d’acquérir ou de se prévaloir des conditions facilitantes de l’agentivité du premier ordre. Dans ce schéma, ce sont les capacités de second ordre qui conditionnent l’exercice des pouvoirs de premier ordre : « L’agence de second ordre peut être systématiquement minée pour certains agents en raison de caractéristiques contingentes et structurelles de la société qui sont au-delà de leur contrôle. Pensez aux enfants vivant dans la pauvreté qui pourraient bien être pleinement disposés à s’appliquer à leurs études, mais qui sont ignorants ou incapables d’obtenir des espaces de silence nécessaires pour les réaliser. D’une manière générale, le manque d’occasions éducatives compromet l’agentivité sociale[10] ».
L’erreur épistémique du conservatisme est finalement de ne s’en tenir qu’à l’agentivité du premier ordre, d’ignorer en somme que la première agentivité dépend de la seconde pour se réaliser effectivement. Or les agentivités du second ordre sont distribuées de manière très inégale au sein d’une société. Pour illustrer autrement sa thèse, Simpson reprend à John Locke l’exemple d’une personne emprisonnée et portée à croire, à tort, que toutes les portes sont verrouillées. Du point de vue de l’agentivité du premier ordre, le prisonnier est potentiellement capable de sortir librement de sa cellule. Mais étant donné qu’il ne dispose pas de l’information selon laquelle les portes sont déverrouillées (qui relève d’une agentivité de second ordre), il ne peut intelligemment se prévaloir de cette occasion et donc exercer l’agentivité du premier ordre.
Que peut l’herméneutique face à ces injustices systémiques ? Elle est bien éloignée ici de Gadamer tant les questions d’injustice sociale n’ont jamais été sa grande préoccupation, par contraste avec la théorie critique. Avec Simpson, l’herméneutique a un rôle fondamental à jouer comme mode d’enquête, comme diagnostic des « pathologies agentielles » visant à interpréter le réseau des croyances, les récits, les imaginaires dont les agents disposent réellement au sujet de l’éventail des options et des occasions qu’ils peuvent mobiliser pour réaliser les agentivités de premier ordre[11]. La mission de l’herméneutique, selon Simpson, ne devrait pas se limiter cependant à une fonction de diagnostic, mais devrait s’élargir à une tâche prescriptive dans ce qu’il appelle « l’exigence de représentativité narrative », à savoir la possibilité d’aider les groupes socialement défavorisés à construire des récits sur eux-mêmes, comme autant de variations imaginatives, récits dans lesquels les conditions favorables d’agentivité du second ordre pourraient figurer et permettre de les reconfigurer.
L’ouvrage se clôt par un dernier chapitre consacré à « l’herméneutique de la race ». Comparé aux innovations portées par les chapitres précédents, ce cinquième chapitre n’est sans doute pas le plus percutant. Cela tient au fait qu’il consacre de (trop) longs développements aux nouvelles théories biologiques de la race, fût-ce dans une orientation non raciste comme celle de Philip Kitcher, où l’on se perd un peu. C’est bien entendu pour en contester le soubassement, déjà sur le plan scientifique, où ce qui prédomine est davantage la diversité intraraciale qu’interraciale. L’idée biologique, même non raciste, de race « pure » est donc impropre et contredite par l’histoire génétique des populations humaines qui n’ont cessé de se mélanger, y compris avec d’autres genres homos, comme Néandertal. Un des arguments supplémentaires avancés par Kitcher pour défendre la thèse de races homogènes est qu’elle pourrait être à l’avantage de races minorées, à la fois pour protéger la diversité des populations humaines contre le risque d’homogénéisation et pour leur faire bénéficier de programmes économiques et sociaux ciblés (par exemple sous la forme de discrimination positive).
Le contre-argument de Simpson n’est pas seulement de nature scientifique, il est également de nature herméneutique. Il ne nie point la pertinence de la catégorie raciale, mais à condition qu’il repose sur un fondement social ou sociologique. En d’autres termes, la race est une construction sociale et historique, ou une catégorie de reconnaissance sociale. En quoi l’herméneutique a-t-elle ici quelque chose à dire ? Elle est pertinente à un double niveau. D’une part, pour analyser, par le haut, les classifications raciales comme des phénomènes, non pas naturels, mais interprétatifs, par lesquels les sociétés en général et des institutions en particulier imposent des cadres d’identification et de démarcation entre des populations. D’autre part, pour comprendre, par le bas, comment les individus et les groupes s’auto-identifient (ou pas), se reconnaissent ou dénient, s’auto-interprètent en fonction de ces classifications raciales. À cette tâche descriptive, Simpson ajoute une exigence prescriptive : faire prendre davantage conscience aux groupes racialement minorés de l’impact de ces classifications, a fortiori lorsqu’elles débouchent sur des formes de racisme. Simpson ne s’oppose pas par ailleurs au principe de programmes ciblés à l’endroit de ces populations, mais sous la réserve qu’il repose sur une base sociologique et non biologique. Il refuse toutefois toute forme d’essentialisation, qu’elle soit biologique ou culturelle, des groupes sociaux, tant les identités collectives sont sans cesse travaillées par des forces et des valeurs exogènes. L’hybridité culturelle est devenue la norme des sociétés humaines.
L’ouvrage de Simpson signe assurément un renouvellement significatif de la tradition herméneutique, à la fois dans l’élargissement de son objet d’enquête au-delà des textes et dans la manière de l’articuler finement avec la théorie critique. C’est plus précisément le modèle de la critique interne qui permet de se dialectiser avec l’herméneutique. Simpson n’hésite pas à reconnaître des « affinités électives », sans confusion toutefois, entre le modèle de la critique interne et le modèle de la critique immanente à l’oeuvre dans la première génération de l’École de Francfort (Adorno, Horkheimer, Marcuse). Inspirés de la conception hégélienne de la « possibilité réelle », Adorno et Marcuse ont soutenu que les conditions souhaitées pouvaient être comprises comme étant présentes de manière latente, comme possibilités réelles de conditions existantes : le réel est gros de potentialités non encore réalisées, qui peuvent servir de contrepoint critique au réel déjà réalisé. Le concept simpsonien de « dialogue critique contrefactuel » s’inscrit clairement dans cette tradition, pour autant qu’il n’est pas nécessaire d’importer des normes extérieures, transcendantes ou transcendantales pour remettre en question une pratique. C’est dans les possibles non encore réalisés de cette tradition que l’on peut espérer construire une critique de cette pratique. Mais là où la théorie critique de Simpson se distingue de celle de la première génération de l’École de Francfort est qu’elle est justement herméneutique et dialogique. C’est uniquement à partir d’une fusion des horizons et d’une conversation réelle que le contrefactuel peut voir le jour.
Assurément novatrice, l’herméneutique critique interne de Simpson est cependant lourde de présupposés qui ne vont pas de soi et méritent donc discussion. Le premier repose sur l’idée que toute société, tout groupe social, toute collectivité serait disposé à l’autoréflexivité, à l’autointerprétation, à l’autotransformation. C’est ce présupposé qui rend possible le projet même d’un « dialogue critique contrefactuel » ou l’exigence de reconstruction narrative. Un dialogue critique contrefactuel n’est envisageable que sous la condition d’une société déjà ouverte à la critique, déjà prête à mettre en question et en discussion ses principes, ses valeurs, ses normes. Au risque d’une pétition de principe, le dialogue critique n’est concevable que dans une société déjà ouverte à la critique. Or, cette condition fondamentale est loin d’être empiriquement vérifiée à l’échelle historique et actuelle des sociétés humaines.
C’est ainsi que Jan Patočka distingue, dans ses Essais hérétiques[12], les sociétés historiques et les sociétés préhistoriques, dans un sens ici spécifique très éloigné de la notion historiographique de préhistoire. Paradoxalement, le monde préhistorique, tel que Patočka l’envisage, n’est pas dépossédé de récits, de mythes, d’annales. Bien au contraire, ces formes narratives servent à maintenir l’homme dans le préhistorique, c’est-à-dire dans un cycle social et vital de transmission et de réception d’univers de significations jamais vraiment questionnés. Le monde préhistorique, comme monde naturel, est fondamentalement un monde « non problématique » : « la vie simple telle qu’elle est contenue dans l’évidence d’un sens reçu, contenu pour sa part dans un mode vie traditionnel avec ses formes et coutumes. Cette vie dans ses peines et sa finitude est acceptée, approuvée comme ce qui convient à l’homme[13] […]. » En toute cohérence, le monde historique est caractérisé par la « problématicité du sens ». L’histoire commence, en d’autres termes, lorsque l’homme n’accepte plus le sens transmis par la tradition ; l’histoire commence lorsque l’homme devient interprétant. C’est véritablement avec la civilisation grecque qui met en suspens et en question l’ordre politique, cosmologique, naturel, que prend naissance l’histoire. Et Patočka de retrouver l’intention de la Krisis husserlienne : « Il s’ensuivrait que l’histoire, en tant que déploiement et réalisation progressive de cette idée téléologique, serait au fond l’histoire de l’Europe, et celle du monde seulement dans la mesure où celui-ci pénétrerait dans le champ de la civilisation européenne. Une autre conséquence serait que le commencement de l’histoire semble coïncider avec le commencement de la civilisation européenne[14] ». En contrepartie, les autres civilisations qui ont précédé « le miracle grec » ou celles qui n’ont pas encore été directement affectées par son aura sont renvoyées au monde préhistorique. Il en va ainsi des annales d’Asie Antérieure, d’Égypte et de Chine dont les récits maintiennent « le style de vie de l’homme » dans un sens donné et prescrit qui se borne à l’acceptation et la conservation de la vie telle qu’elle est.
La démarcation que fait Patočka entre sociétés historiques et sociétés préhistoriques est sans doute trop rigide et pêche par un européocentrisme assumé. Sans dénier l’importance du « miracle grec », l’histoire européenne est loin d’être marquée dans sa longue durée par la systématicité de la problématicité du sens, car elle a été sans cesse traversée par des périodes de régression, parfois très longues, où elle est redevenue préhistorique. Réciproquement, il n’est pas du tout certain que la problématicité du sens soit absente des sociétés non européennes ou non occidentales, même lorsqu’elles n’ont pas connu son influence directe ou indirecte. En revanche, on peut gager, sans succomber à un ethnocentrisme étroit, que la problématicité critique du sens n’a jamais été autant développée historiquement qu’à l’intérieur des sociétés européennes et, par extension, occidentales.
C’est cette donnée capitale que Simpson n’interroge pas assez, en supposant que l’autointerprétation réflexive est également partagée par l’ensemble des sociétés humaines ou des groupes sociaux. Ce n’est pas dire inversement qu’elle serait inexistante en dehors des cultures occidentales. Les exemples qu’il donne de mise en oeuvre de dialogue critique contrefactuel au Mali et au Sénégal sont tout à fait éclairants de ce point de vue (resterait cependant à savoir si ces expériences prennent leur source dans des régimes de problématicité critique puisés dans les traditions africaines ou prennent comme modèle des régimes inspirés de la culture critique occidentale). Mais ils sont loin d’être la règle ou la tendance dominante à l’échelle des sociétés humaines. Ce que Simpson ne prend donc pas assez en considération concerne les conditions inégalement partagées, historiquement et culturellement, d’accès au dialogue critique contrefactuel.
Mais dire que ces conditions historiques et culturelles sont favorables à un tel dialogue, est-ce aussi dire qu’elles lui sont suffisantes ? Sont-elles suffisantes pour assurer la critique de certaines pratiques ? On peut émettre des doutes. Le modèle de la critique interne ne présuppose pas seulement des dispositions structurelles des sociétés à se soumettre à des problématicités du sens ; il suppose en outre qu’il y a, dans une tradition culturelle, suffisamment de possibles non encore réalisés pour permettre à l’exercice de la critique de pouvoir s’exercer pleinement. Or cela ne va nullement de soi. Par exemple, la domination masculine et patriarcale a structuré durablement l’histoire des sociétés européennes, pourtant les plus disposées à la problématicité du sens, en réservant finalement la capacité critique au genre masculin, y compris au grand siècle des Lumières, à quelques philosophes près. Une critique interne de cette pathologie sociale est-elle bien suffisante ? Peut-on vraiment trouver à la fois dans la culture judéo-chrétienne et dans la culture gréco-romaine, qui cimentent la civilisation européenne, des contrepoints contrefactuels féministes ou égalitaristes ? Il faudrait sans doute une enquête très approfondie pour l’affirmer, mais on peut raisonnablement émettre des doutes si l’on mesure le lourd stigmate qui a pesé et pèse parfois encore sur le genre féminin considéré comme être hétéronome.
Les interrogations que nous formulons ne visent pas du tout à invalider purement et simplement la pertinence de la critique interne (elle a toute sa justification), mais à en pointer les limites. Elles s’adressent à l’herméneutique critique de Simpson, mais également à la théorie critique héritée de la première génération de l’École de Francfort. Elles s’adressent encore au modèle défendu par Michael Walzer, étrangement non cité dans l’ouvrage de Simpson, alors que sa démarche comporte de fortes affinités avec la sienne sur de nombreux points. Comme Simpson, Walzer[15] dénonce en effet vigoureusement toute forme de rationalisme désincarné. Il distingue plus précisément trois modalités de critique sociale : la découverte, l’invention et l’interprétation. Seule la dernière est véritablement souhaitable et praticable à ses yeux, et entre en résonance avec la critique interne de Simpson. La découverte consiste à critiquer les valeurs existantes d’une société à partir de principes transcendants qui lui sont extérieurs. Il s’agit donc typiquement d’une critique externe. Il ne s’agit pas de découvrir des valeurs déjà existantes dans ce monde-ci, dans telle société, mais de découvrir des principes le plus souvent dans un arrière-monde, un autre monde placé en position d’idéal et donc appelé à critiquer et à évaluer ce qui est. C’est ainsi que procède le philosophe platonicien qui découvre le monde intelligible des Idées pour juger le monde sensible. C’est encore le cas dans le modèle de la révélation religieuse, tel Moïse qui découvre les Tables de loi au mont Sinaï. Or, objecte Walzer, la voie de la découverte est largement trompeuse dans la mesure où elle revient à reformuler en des termes différents ou plus abstraits des valeurs déjà existantes dans une société : « Nous n’avons pas à découvrir le monde moral parce que nous y avons toujours vécu[16] ».
C’est le même argument qui prévaut concernant le second modèle (l’invention), bien qu’il procède de manière différente de la découverte : non pas révéler les lois venant d’un monde idéal, mais construire, à la faveur de procédures spécifiques, des principes de justice et des normes morales. Le paradigme de l’invention trouve ses sources à la fois du côté du rationalisme cartésien et du criticisme kantien et se prolonge du côté du procéduralisme rawlsien. C’est ainsi que le dispositif neutre ou équitable du « voile d’ignorance » est censé, dans la théorie rawlsienne de la position originelle, garantir la validité et l’universalité de principes de justice. Mais là encore, objecte Walzer, la sophistication du constructivisme procédural masque le fait que ce qui semble inventé de toutes pièces reformule des valeurs déjà existantes d’une société. Toute critique externe ou transcendante est donc vouée à l’échec. Il reste donc à faire droit au troisième modèle :
L’expérience de l’argument moral est mieux comprise dans le modèle de l’interprétation. Ce que l’on fait quand on se dispute, c’est rendre compte de la morale réellement existante. Que la morale fasse autorité pour nous parce que ce n’est qu’en vertu de son existence que nous existons en tant qu’êtres moraux. Nos catégories, relations, engagements, aspirations sont tous façonnés et exprimés dans des termes de morale existante. La découverte et l’invention sont des efforts d’évasion, dans l’espoir de trouver une norme externe et universelle pour juger l’existence morale. L’effort est peut-être louable, mais c’est, je pense, inutile. La critique de l’existence commence ou peut partir de principes internes à l’existence elle-même[17].
Les traditions herméneutiques ne sont pas explicitement convoquées à l’appui de l’argumentation de Walzer (à la différence de Simpson), mais c’est bien dans son esprit qu’il faut comprendre le sens de sa démarche. En d’autres termes, une critique sociale ne peut se justifier qu’en tant qu’elle est immanente ou interne à un monde de valeurs déjà constitué. Walzer compare ce qui peut être une critique interne du monde social avec une maison occupée par une même famille sur plusieurs générations. La maison conserve une même structure d’ensemble, mais elle a fait l’objet de réaménagements, d’ajouts imprévus, de nouveaux décors. Il en va ainsi de notre rapport aux valeurs.
En quel sens peut-on parler toutefois de critique ? Elle ne peut être, on l’a vu, externe, en important des principes qui transcendent les compréhensions partagées d’une société donnée. Ce serait là violer la défense du pluralisme qui est au coeur de Sphères de justice. Le modèle de la critique interne de Walzer serait davantage « cohérentiste ». Il revient au critique, et notamment au philosophe social et politique, d’interpréter et de reconstituer la cohérence des valeurs partagées dans une société donnée et d’évaluer leur manquement, leur réalisation faussée ou incomplète dans les pratiques concrètes. Une mise à distance est bel et bien justifiée (ce en quoi il y a critique), mais à l’intérieur d’une sphère de valeurs déjà instituées et sans que ce socle de valeurs fasse lui-même l’objet d’une critique. Si Walzer et Simpson partagent la même méfiance à l’égard de la critique externe (sous la forme de la découverte et de l’invention), et le même attachement au principe de la critique interne, ils se séparent toutefois sur les modalités de leur réalisation. D’une part, le modèle de Walzer, à la différence de celui de Simpson, ne prend pas explicitement appui sur la voie contrefactuelle des possibilités non encore réalisées d’une tradition. D’autre part, le modèle de Walzer est plus cohérentiste que celui de Simpson, davantage attentif aux tensions, aux contradictions qui traversent un même ensemble culturel. Enfin, le modèle de Walzer est moins dialogique et démocratique que celui de Simpson : alors que le premier fait reposer la critique interne sur l’expertise du philosophe social et politique, le second l’élargit à une discussion réelle où tous les protagonistes concernés ont droit de cité.
Pour ces trois raisons, l’herméneutique critique de Simpson nous semble plus riche que la critique sociale de Walzer, finalement plus ouvert à la critique, plus ouvert à la discussion, plus ouvert au contrefactuel. Reste cependant que notre problème initial reste entier concernant les limites de la critique interne. Faut-il alors s’en remettre à une critique externe ? Le risque serait de nous heurter aux objections de Simpson et de Walzer : reconduire une raison désincarnée ou un procéduralisme abstrait, cautionner un impérialisme transcendantal…
Toute critique externe est-elle cependant de nature idéaliste, transcendantale, ou procédurale ? Ce n’est pas le cas si l’on se fie aux ressources, moins de la raison, que de l’imagination, ou mieux encore de l’imaginaire social et politique. C’est là où l’herméneutique critique de Ricoeur, que Simpson n’a pas vraiment exploitée, peut entrer en jeu. Ricoeur ne parle pas explicitement de critique externe, mais la dialectique de l’idéologie et de l’utopie en propose implicitement une déclinaison tout à fait originale, d’autant plus que, en toile de fond, elle cherche à arbitrer la controverse entre Habermas et Gadamer. En quoi l’imaginaire social et politique pourrait-il jouer une fonction de critique externe ? En tant qu’utopie, en tant que projection d’un nulle part, en tant que variations imaginatives sur l’exercice du pouvoir, de l’égalité, de la dignité, en tant que capacité de créer de l’écart (de la non-congruence) par rapport à la réalité sociale, politique, économique. Alors que l’idéologie tend à justifier ce qui est, l’utopie, à la faveur de sa puissance imaginative, tend à le subvertir. Il y a donc une fonction émancipatrice des utopies que Ricoeur reconnaît notamment dans les oeuvres des socialistes utopiques du xixe siècle qui, en créant un lieu imaginaire, maintiennent ouvert le champ des possibles et de la transformation sociale. L’utopie, dans sa fonction positive, empêche l’horizon d’attente de coïncider avec le champ d’expérience. En d’autres termes, il revient à l’utopie de jouer une fonction de critique des idéologies lorsque celles-ci tendent à la pétrification, au rétrécissement, à la dissimulation : « Il semble en effet que nous ayons toujours besoin de l’utopie, dans sa fonction fondamentale de contestation et de projection dans un ailleurs radical, pour mener à bien une critique également radicale des idéologies[18] ».
Le modèle critique de l’utopie se distingue clairement de la critique interne contrefactuelle : alors que le premier projette de purs irréels, de la non-effectivité radicale, la seconde repose sur des réels contenus au moins en puissance dans une tradition. C’est pourquoi l’utopie relève clairement d’une critique externe. N’est-ce pas au nom de certaines utopies égalitaristes que l’on a pu contester vigoureusement la domination masculine et patriarcale, alors que la critique interne contrefactuelle ne disposait que de peu de ressources ? L’utopie n’est pas exempte elle-même de travers lorsqu’elle vire à la fantasmagorie. N’est-ce alors la fonction de la discussion, de la conversation, du dialogue, de la mettre à l’épreuve collective dans ce que l’on pourrait appeler un dialogue critique utopique (qui se distingue du dialogue critique contrefactuel) ? Sachant qu’une utopie n’a pas nécessairement vocation à être pleinement réalisée, elle peut jouer une fonction de distanciation de ce qui est et en même temps constituer un horizon régulateur de ce qui pourrait être. Il en est ainsi de l’idéal régulateur habermassien ou apelien « de communauté de communication sans bornes ni contraintes ».
Le dialogue critique contrefactuel et le dialogue critique utopique sont-ils incompatibles ? Ils reposent assurément sur des logiques différentes, critique interne pour la première, critique externe pour la seconde, interprétations de possibles réels dans une tradition pour la première, projection d’irréels pour la seconde. Mais rien n’empêche de les exercer conjointement pour soumettre une même pratique à la critique. Rien ne s’oppose donc à la justification d’une herméneutique critique interne et externe[19].
Parties annexes
Notes
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[1]
Paul Ricoeur, De l’interprétation. Essai sur Freud (Paris : Seuil, 1965).
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[2]
Paul Ricoeur, Du texte à l’action (Paris : Seuil, 1986).
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[3]
Paul Ricoeur, L’idéologie et l’utopie (Paris : Seuil, 1997).
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[4]
Hans-Georg Gadamer, Vérité et méthode (Paris : Seuil, 1996), p. 298.
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[5]
Lorenzo C. Simpson, Hermeneutics as Critique : Science, Politics, Race, and Culture (New York : Columbia University Press, 2021), p. 48. Les traductions des citations de l’ouvrage de Simpson sont de notre fait [Nda].
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[6]
Simpson, Hermeneutics as Critique : Science, Politics, Race, and Culture, p. 59.
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[7]
Simpson, Hermeneutics as Critique : Science, Politics, Race, and Culture, p. 80.
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[8]
Miranda Fricker, « Powerlessness and Social Interpretation », A Journal of Social Epistemology 3, no 1-2, 2006, p. 96-108. L’injustice testimoniale désigne les mécanismes qui empêchent des individus et des groupes sociaux d’être reconnus en tant que porteurs d’un discours légitime sur eux-mêmes, les autres, le monde ; l’injustice herméneutique désigne le défaut de compréhension de sa propre expérience en raison d’un déficit de structure collective d’interprétation.
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[9]
José Medina, « Hermeneutical Injustice and Polyphonic Contextualism : Social Silences and Shared Hermeneutical Responsibilities », Social Epistemology : A Journal of Knowledge, Culture and Policy 26, no 2, 2012, p. 201-220. À la suite des travaux de Du Bois et de Mills, Medina souligne le fait que des groupes minorés peuvent paradoxalement développer une acuité et une sensibilité herméneutiques supérieures (qui peuvent se traduire en résistance herméneutique), en comparaison de ceux qui disposent de positions privilégiées dans la société, mais qui n’ont pas conscience de certains phénomènes (comme la discrimination raciale) et sont donc incapables de les comprendre ; phénomène connu sous le nom de « l’ignorance blanche ». Le paradoxe que veut assumer Medina est que ceux qui sont les plus victimes d’injustice (économique, politique, culturelle…) ne sont pas nécessairement celles et ceux à qui manquent les ressources herméneutiques pour les comprendre.
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[10]
Simpson, Hermeneutics as Critique : Science, Politics, Race, and Culture, p. 19.
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[11]
C’est moins, sans doute, même si Simpson ne pose pas le problème, une philosophie herméneutique qui aurait les armes méthodologiques pour mener à bien une telle enquête qu’une vaste sociologie herméneutique, à la fois quantitative et qualitative, sur les catégories sociales les plus démunies en matière d’agentivité de second ordre.
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[12]
Jan Patočka, Essais hérétiques (Paris : Verdier, 1990).
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[13]
Patočka, Essais hérétiques, p. 39.
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[14]
Patočka, Essais hérétiques, p. 83. La distinction entre sociétés historiques et sociétés préhistoriques recoupe partiellement la distinction que fait Castoriadis entre sociétés autonomes et sociétés hétéronomes, seules les premières étant capables de mettre en question et en discussion leurs fondements, leurs normes, leurs sens (voir Cornelius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société [Paris : Seuil, 1975]).
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[15]
Michael Walzer, Interpretation and Social Criticism (Harvard : Harvard University Press, 1997).
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[16]
Walzer, Interpretation and Social Criticism, p. 19.
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[17]
Walzer, Interpretation and Social Criticism, p. 20.
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[18]
Ricoeur, Du texte à l’action, p. 391.
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[19]
C’est une telle herméneutique critique que nous avons cherché à mettre en oeuvre dans notre dernier ouvrage (Johann Michel, Qu’est-ce que l’herméneutique ? [Paris : Presses universitaires de France, 2023]).