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1. La question de la pertinence philosophique de l’histoire de la philosophie
Dans Récit et reconstruction[2], Claude Panaccio présente une conception originale, claire et solide de l’histoire de la philosophie. Cette conception est le fruit de plus de deux décennies de réflexion sur les enjeux les plus fondamentaux de l’histoire de la philosophie (cf. Panaccio, 1994, 2000 et 2000a) et est sans équivalent dans la littérature francophone des trente ou quarante dernières années.
La question au coeur de la réflexion de Claude Panaccio sur l’histoire de la philosophie est celle de « l’opposition de principe entre continuisme et discontinuisme » (p. 11), c’est-à-dire celle de l’opposition qui subsiste entre ceux qui sont convaincus qu’il n’y a pas de fractures ou de discontinuités importantes dans l’histoire de la philosophie et ceux qui pensent qu’il y a, au contraire, de telles discontinuités. Cela dit, la question qui, à mon avis, sera reçue comme la plus intéressante de l’ouvrage est plutôt celle, intimement liée à cette dernière, de la plus ou moins grande pertinence de l’histoire de la philosophie pour la philosophie contemporaine.
Sur ces questions, Claude Panaccio défend une position continuiste qui maintient la pertinence de l’histoire de la philosophie pour la philosophie contemporaine, dans sa dimension aussi bien doctrinale qu’historique (p. 12). Il soutient que l’histoire de la philosophie est philosophiquement pertinente, au moins en ce sens qu’il y aurait un usage philosophique possible de l’histoire (p. 210). Afin de pouvoir apprécier cette position de Claude Panaccio, il importe, dans un premier temps, de se pencher sur ce qu’il faut entendre exactement ici par « la pertinence philosophique de l’histoire de la philosophie », de même que sur les arguments qui la sous-tendent (2). Une fois que cette thèse de la pertinence philosophique de l’histoire de la philosophie aura été clarifiée, je la soumettrai à un examen critique (3 et 4). La conclusion de cet examen ne remettra pas en cause la thèse en question. À ce sujet, je pense que Récit et reconstruction démontre que l’histoire a effectivement, au sens où Claude Panaccio l’entend, une pertinence philosophique. Cependant, je soutiendrai qu’il y a de bonnes raisons de penser que cette pertinence n’est pas aussi importante que ce que Récit et reconstruction suggère.
2. La thèse de la pertinence philosophique de l’histoire de la philosophie
Selon Claude Panaccio, en plus de son intérêt historique, l’histoire de la philosophie a une réelle pertinence philosophique du fait de l’intérêt de sa contribution potentielle à la réflexion philosophique contemporaine, qui peut être plus ou moins important, dépendamment du projet historique qui nous concerne. C’est là une position qu’il avance à plus d’une reprise dans Récit et reconstruction, notamment dans les passages suivants :
Comme l’écrit Anthony Kenny, « l’histoire de la philosophie peut être étudiée en fonction de la compréhension historique ou en fonction de l’édification philosophique » 1. La pertinence d’un projet de recherche en histoire de la philosophie se mesure à la contribution qu’il apporterait à l’une ou l’autre s’il était mené à bien. Il peut servir à mieux comprendre un moment du passé, une culture, une société, une institution ou même des personnes individuelles le cas échéant ; ou alors à nourrir la réflexion actuelle sur un thème généralement reconnu comme philosophique »
p. 78. C’est moi qui souligne
Dans le cas de l’histoire de la philosophie, cette pertinence à son tour peut être évaluée selon deux axes : celui de la contribution historique et celui de la contribution philosophique. Le premier se rapporte à l’augmentation des connaissances sur les textes étudiés, leur mise en contexte et leur exploitation pour une meilleure compréhension de leur époque et de leur milieu. Le second tient à l’intérêt de ces textes pour l’approfondissement de quelque question philosophique. Règle générale, une recherche sérieuse en histoire de la philosophie présente à la fois les deux types d’intérêt, mais elle peut faire mieux (et parfois beaucoup mieux) sur un axe que sur l’autre sans que sa légitimité en soit compromise
p. 79. C’est moi qui souligne
Le résultat net de nos réflexions du chapitre précédent est que rien ne s’oppose en principe à ce que les oeuvres philosophiques du passé soient pertinentes pour les discussions d’aujourd’hui. […] La philosophie contemporaine, à la différence des sciences, est un espace de divergences plus que de consensus et son intérêt tient en grande partie à la façon dont elle explicite des désaccords souvent radicaux en approfondissant les implications et les difficultés des positions en présence. La prise en considération des doctrines du passé, ou de certaines d’entre elles, contribue à cette grande « conversation » — pour reprendre le terme de Richard Rorty1 — dans la mesure où elles ont exploré avec intelligence et minutie, à propos des mêmes phénomènes, des possibilités théoriques qui de prime abord nous paraissent étranges et des chaînes argumentatives aux répercussions inattendues
p. 125. C’est moi qui souligne
Cette idée que l’histoire de la philosophie est en mesure de contribuer à l’« approfondissement » de problèmes philosophiques contemporains ou de « nourrir la réflexion actuelle sur un thème généralement reconnu comme philosophique », ou encore de « contribuer à cette grande conversation » qu’est la philosophie, c’est ce que j’appellerai la thèse de la pertinence philosophique de l’histoire de la philosophie (TPPHP), du moins dans ses formulations générales.
Telle que l’entend Claude Panaccio, la TPPHP se compose de deux sous-thèses. Elle comprend ce que j’appellerai :
La thèse de l’intérêt de l’histoire :
L’histoire de la philosophie, entendue ici au sens de l’ensemble des contributions passées de la philosophie, est, en principe, en mesure de contribuer à la réflexion sur les problèmes philosophiques actuels.
et
La thèse de l’utilité de l’historiographie :
L’histoire de la philosophie, entendue ici dans le sens de discipline, c’est-à-dire l’historiographie de la philosophie, met en oeuvre des opérations qui permettent de comprendre et d’évaluer les contributions philosophiques du passé.
Autrement dit, pour Claude Panaccio, la pertinence philosophique de l’histoire de la philosophie tient à la fois à l’intérêt philosophique des contributions du passé et au fait que le travail de l’historien nous donne accès à ces contributions. Même s’il arrive que Claude Panaccio parle de « la pertinence de l’histoire de la philosophie » afin de désigner l’une ou l’autre de ces deux sous-thèses en particulier, ce qu’il soutient dans son livre, c’est bien la vérité de ces deux sous-thèses. La TPPHP consiste donc en la conjonction de celles-ci.
La thèse de l’intérêt de l’histoire s’oppose à la position des discontinuistes qui considèrent que les contributions des époques antérieures ne présentent pas d’intérêt pour nous sur le plan philosophique parce qu’elles ne traitent pas des mêmes problèmes que ceux qui sont aujourd’hui les nôtres, et ce, même lorsqu’elles ont l’air d’aborder exactement les mêmes problèmes[3]. Bien qu’il ne le mentionne pas explicitement dans son livre, cette thèse de Claude Panaccio s’oppose également partiellement aux positions non discontinuistes plus sceptiques quant à la valeur, sur le plan philosophique, des contributions provenant de l’histoire de la philosophie[4]. Cela dit, cette thèse de l’intérêt de l’histoire n’implique pas que toute contribution philosophique passée soit philosophiquement pertinente. En effet, pour reprendre l’expression consacrée par Kevin Mulligan, Claude Panaccio en a une compréhension whiggish : seules les contributions philosophiques du passé qui sont des réponses possibles aux problèmes philosophiques actuels sont philosophiquement pertinentes[5]. Par ailleurs, bien qu’il insiste à plus d’une reprise sur la valeur philosophique des contributions du passé, il ne faudrait pas croire que toute contribution du passé à un problème philosophique contemporain présente une réelle valeur. L’attachement de Claude Panaccio à la valeur des contributions du passé n’exclut pas qu’il ait pu y avoir des erreurs, des faussetés ou du non-sens qui aient été avancés dans l’histoire de la philosophie. Sur cette dernière question, il n’y a toutefois pas de théorie comparable à celle de Brentano ou d’indication quant à la question de savoir quelles seraient les contributions du passé qui ne présentent pas ou peu de valeur sur le plan philosophique (Brentano, 1895) et, malgré l’absence de précisions sur cette question, Claude Panaccio est nettement moins sceptique et critique sur la question de la valeur ou de l’intérêt philosophique des contributions du passé que ne l’ont été Wittgenstein, Brentano et plusieurs autres.
La thèse de l’intérêt de l’histoire trouve sa justification dans la conception nominaliste et naturaliste de l’histoire de la philosophie comme consistant dans le passé de la philosophie ainsi que dans la thèse du caractère transtemporel des problèmes philosophiques. En effet, dans Récit et reconstruction, Claude Panaccio conçoit l’histoire de la philosophie comme « la succession des discours philosophiques, depuis l’époque de Thalès environ jusqu’à nos jours » (p. 7). Il insiste sur le fait que ces discours philosophiques du passé forment une multitude d’actes de discours singuliers temporellement situés et ne doivent pas être conçus comme exemplifiant des thèses et des notions générales abstraites :
Peut-on cerner de façon plus précise le genre d’entités concrètes auxquelles les historiens de la philosophie se réfèrent couramment ? Et faut-il vraiment admettre dans l’ontologie, d’autre part, des entités non spatio-temporelles, comme des contenus conceptuels ou doctrinaux ? […] La perspective que j’adopterai à ce propos est à la fois nominaliste et naturaliste. Je ne tiendrai pour réelles que les seules entités singulières (c’est le nominalisme) et spatio-temporellement situées (c’est le naturalisme). Si donc l’historien de la philosophie prétend se référer à quelque chose d’extérieur à son propre discours — et il faut bien qu’il le fasse, à défaut de quoi son entreprise n’aurait aucun sens —, ce ne pourra être, de ce point de vue, qu’à des réalités matérielles ou psychologiques, historiquement localisées
p. 20[6].
Cela dit, ces réalités matérielles, psychologiques et historiquement localisées que sont les actes de discours passés des philosophes sont des tentatives de répondre, non pas à des mêmes questions, mais à des mêmes problèmes philosophiques, dans la mesure où, selon Claude Panaccio, les problèmes philosophiques sont des difficultés issues de phénomènes objectifs, de nature linguistique, qui peuvent se présenter sous la forme de questions diverses, mais qui perdurent dans le temps à travers les époques. Claude Panaccio n’adhère pas ainsi à une conception platoniste, mais à une conception de ces problèmes comme transtemporels :
La thèse que je voudrais soumettre à l’attention du lecteur est que, loin de se limiter à la logique ou à la sémantique, cela est généralisable à l’ensemble de la philosophie : les phénomènes qui font d’abord problème pour elle sont le plus souvent d’ordre logico-linguistique. Ils ne sont pas intemporels, puisqu’ils tiennent à l’existence de certaines langues naturelles, mais ils traversent les époques, celles en tout cas où l’on reconnaît de la philosophie au sens que nous donnons aujourd’hui à ce mot
p. 110. Je souligne
Étant donné que les actes de discours passés dans lesquels se sont exprimées les conceptions philosophiques constitutives de l’histoire de la philosophie sont des tentatives de réponses tout à fait valables à des problèmes philosophiques qui sont toujours les nôtres, Claude Panaccio en vient ainsi à conclure : « Rien n’empêche en principe que les développements passés qui s’y rapportaient [aux phénomènes qui font d’abord problème] soient encore éclairants pour les discussions actuelles » (p. 110). Bref, pour Claude Panaccio, l’histoire de la philosophie, c’est l’ensemble des actes de discours passés qui ont été produits en réponse à des problèmes philosophiques qui proviennent de phénomènes objectifs et linguistiques qui font problème et qui sont, pour cette raison, transtemporels et, pour plusieurs, toujours les nôtres. Dans la mesure où ces actes de discours constituent des contributions de valeur et originales à nos problèmes philosophiques actuels, cela suffit à justifier la thèse selon laquelle l’histoire de la philosophie peut en principe contribuer aux efforts que nous déployons aujourd’hui afin de résoudre ces problèmes philosophiques.
La thèse de l’utilité de l’historiographie est, elle, en rupture avec la position de ceux qui soutiennent une forme de continuisme naïf souvent associé aux philosophes analytiques et suivant lequel l’histoire de la philosophie, en tant que discipline, n’apporte rien à la philosophie, car même si les contributions philosophiques du passé sont d’intérêt pour la philosophie contemporaine, la seule étude des doctrines philosophiques du passé suffit à en tirer les bénéfices attendus[7]. Nul besoin de tenir compte du contexte historique et de ce qui intéresse habituellement l’historien. Cette thèse s’oppose également à la position des discontinuistes qui soutiennent qu’il y a des ruptures sémantiques tellement importantes entre les époques qu’il n’est pas possible de parvenir à saisir le sens véritable des contributions philosophiques du passé.
Contre ces deux visions des choses, Claude Panaccio soutient que l’utilité de l’historiographie réside dans les différents processus de médiation qui permettent de retrouver une thèse, d’en montrer la pertinence philosophique et de l’évaluer de façon critique, dont les reconstructions doctrinales, qui sont constituées par des explications méta-discursives (caractérisations, analyses internes, comparaisons, évaluations) et des reformulations en style indirect (attribution de thèses et reconstitutions des arguments). Ces processus de médiation sont non seulement censés nous faire saisir la position historique concernée et ses arguments, mais la rattacher aux phénomènes qui font problème en philosophie à travers les époques et, éventuellement, nous faire apprécier la valeur de leurs contributions à ces problèmes, ce qui est un travail souvent indispensable.
Claude Panaccio fournit quelques exemples concrets de ce travail de médiation qui illustre bien l’utilité du travail de l’historien. Le plus convaincant est sans doute celui du travail d’interprétation de la phrase suivante de Duns Scot : « Dans la troisième distinction, nous avons à nous enquérir de la distinction des anges en personnes ». Claude Panaccio soutient que, bien que tout à fait énigmatique à première vue, cette phrase peut être comprise, à la lumière d’un commentaire tel que celui de Gérard Sondag, comme annonçant une réflexion sur la question de l’individuation des espèces d’un même genre[8]. Ainsi, selon Claude Panaccio, ce qui justifie la thèse de l’utilité, c’est sa position selon laquelle, bien qu’il puisse y avoir une relative incommensurabilité des positions à travers l’histoire, celle-ci n’est jamais radicale en raison de la continuité sémantique, qui est rendue possible par le fait que nos discours renvoient à un même monde. Cela dit, la distance qui nous sépare des contributions plus anciennes demande souvent, pour que ces contributions puissent être comprises et appréciées, l’intervention du travail de l’historien, qui met en oeuvre les opérations permettant de surmonter cette distance.
3. L’histoire, le contemporain et la TPPHP
Comme on l’a vu à la section précédente, pour Claude Panaccio, l’histoire de la philosophie, c’est le passé de la philosophie ou l’ensemble des contributions passées aux problèmes philosophiques. Une telle conception pose toutefois un problème de démarcation (quand, exactement, devrait commencer la période actuelle et quand devrait se terminer le passé de la philosophie ?), qui ne semble pouvoir être résolu que de manière arbitraire. Claude Panaccio est conscient de ce problème puisqu’il propose de considérer le passé comme la période antérieure au vingtième siècle tout en reconnaissant qu’il s’agit là d’une balise approximative, une balise commode qui constitue tout de même une « condition suffisante » pour qu’un travail puisse être considéré comme historique :
On ne saurait, bien entendu, fixer un moment précis en deçà duquel s’étendrait le « passé » de la philosophie, par opposition à son état actuel, et distinguer de façon tranchée entre les références historiques et les discussions d’auteurs contemporains. Mais la situation n’est pas différente ici de ce qu’elle est en bien d’autres domaines : il y a des cas clairs de part et d’autre de la ligne de démarcation et une zone floue entre les deux. On conviendra à tout le moins de tenir pour « historique », aux fins du choix des exemples, tout travail sérieux portant sur des textes antérieurs au xxe siècle. Cela ne donne pas une définition en bonne et due forme — il y a après tout des historiens de la phénoménologie ou de la philosophie analytique qui font porter sur le siècle dernier le gros de leur recherche —, mais cela nous fournira au départ une condition suffisante sinon nécessaire, qui présente l’insigne avantage d’être commode
p. 49-50. Je souligne
Il y a toutefois, en philosophie comme en sciences, des contributions qui sont antérieures au xxe siècle et que l’on ne tiendra pas comme appartenant au « passé » au sens où l’entend Panaccio ici, c’est-à-dire « par opposition à son état actuel », et il y a également des exemples de travaux sérieux ayant porté sur le passé ainsi compris, qui ne sont pas des travaux historiques. Le théorème de Pythagore, la thèse de Lamarck selon laquelle l’évolution ne surviendrait pas de façon graduelle et la conception de la vérité comme correspondance sont autant de contre-exemples ici à cette idée qu’il suffit qu’une contribution soit antérieure au xxe siècle pour appartenir au passé de la science ou de la philosophie plutôt qu’à son état actuel. Bien qu’elles aient été formulées dans le passé, il s’agit là d’une thèse admise actuellement en mathématique, d’une thèse qui fait actuellement l’objet de travaux de recherche en biologie, et d’une réponse considérée actuellement comme tout à fait possible en philosophie à la question de la nature de la vérité. Bref, ce que ces contributions formulées dans le passé ont en commun, c’est qu’elles ont toutes été retenues, depuis leur formulation jusqu’à nos jours, comme partie intégrante de notre savoir actuel sur les problèmes concernés, à tout le moins comme réponse possible à ces problèmes. Par ailleurs, on ne dira pas de Stephen Jay Gould qu’il fait de l’histoire de la biologie lorsqu’il expose et défend le lamarckisme et on ne considèrera pas non plus que l’on fait de l’histoire des mathématiques ou de la philosophie lorsqu’on expose le théorème de Pythagore ou la théorie de la vérité comme correspondance. Bien que ces travaux portent sur des textes antérieurs au xxe siècle dans lesquels ces thèses sont exposées, ils ne sont pas considérés comme « historiques » pour autant.
Le problème avec la position de Claude Panaccio sur cette question vient, je pense, de ce qu’il conçoit implicitement l’histoire ou le passé de la philosophie et son état actuel ou ce qui est contemporain comme des catégories uniquement temporelles, et qu’il présuppose une coupure nette entre l’actuel ou le contemporain et le passé (le passé, par opposition à l’état actuel de la philosophie). Si cette façon de concevoir le contemporain et le passé selon l’ordre temporel de succession convient à l’histoire des événements, il ne convient pas à l’histoire des idées, qui n’est pas régie que par l’ordre de succession, mais l’est également par des considérations épistémologiques : les thèses demeurent actuelles lorsqu’elles sont, sur une question donnée, notre meilleure solution ou une possibilité de réponse tout à fait valable. Elles appartiendront au passé d’une discipline non pas lorsqu’on aura formulé, à leur suite, une nouvelle explication ou lorsqu’elles seront devenues anciennes, mais uniquement lorsqu’on les aura écartées ou qu’elles auront sombré dans l’oubli sans qu’on ait pu en trouver de meilleure. De ce point de vue, une thèse peut être une contribution « passée » en ce sens qu’elle a été formulée il y a longtemps, mais être néanmoins constitutive de « l’état actuel » d’une discipline, ou être contemporaine. C’est la raison pour laquelle deux thèses formulées par un même auteur à une même époque peuvent être considérées comme n’étant pas toutes deux historiques ou contemporaines, ce qui n’est pas possible dans une optique purement temporelle. Par exemple, le naturalisme méthodologique, notamment en épistémologie, est l’une des thèses de Quine les plus discutées et les plus largement admises à l’heure actuelle en philosophie. Par contre, la thèse de Quine selon laquelle une épistémologie naturalisée consisterait en une théorie béhavioriste de la connaissance est quasi universellement reconnue comme appartenant au passé par opposition à l’état actuel de la philosophie : ça ne fait plus partie aujourd’hui des possibilités de réponses envisagées à cette question. Pourtant ces deux contributions appartiennent à un même texte et ont toutes deux été défendues en 1969.
Cette idée que le passé ou l’historique et le contemporain ou l’actuel ne se réduisent pas à des considérations purement temporelles comporte toutefois un présupposé qui « heurte » le nominalisme de Claude Panaccio. En effet, dire qu’une thèse reste contemporaine tant qu’elle demeure une réponse possible, c’est présupposer que les thèses ont une certaine étendue temporelle, une durée, plus ou moins grande et, par conséquent, qu’elles ne sont pas, comme le veut son nominalisme (cf. supra, section 2), que des événements « localisés ». Cela n’implique toutefois pas que l’on doive renoncer à une conception nominaliste des contributions philosophiques constitutives du passé et de l’actualité de la philosophie. Cela requiert seulement que ce qui a été dit dans l’acte de discours dans lequel une thèse a été formulée a été retenu comme vrai ou est toujours considéré comme une réponse possible à un problème donné, que la position en question s’est transmise et a été retenue comme valable à travers le temps par des philosophes qui l’ont comprise et l’ont fait leur sous la forme d’énoncés équivalents dans leur propre langue. Bien qu’ayant été formulée à une époque plus lointaine, elle demeure alors tout à fait contemporaine.
En ce qui concerne la question de la pertinence de l’histoire de la philosophie, ce que je viens d’avancer ici n’implique pas que la TPPHP est fausse. Cela implique toutefois que cette thèse n’a pas une portée aussi grande qu’il n’y paraît en ce sens qu’elle ne s’étend pas à tout ce qui a été dit en philosophie par le passé et est philosophiquement intéressant pour nos problèmes contemporains. En effet, si ce que j’avance est juste, bon nombre des contributions du passé sont toujours constitutives de l’état actuel de la philosophie. Ce ne sont donc pas des thèses historiques philosophiquement pertinentes ou des thèses du passé par opposition à l’état actuel de la philosophie, mais des thèses de cet état actuel. En tant que thèses actuelles, ce qu’elles disent est bien compris et leur valeur philosophique est largement admise. Ainsi, un projet historique qui consisterait à exposer de telles thèses, à nous exposer ce qu’elles disent et à nous en montrer la pertinence serait reçu comme superflu et non comme un travail utile. Par exemple, un historien voulant exposer le principe d’indiscernabilité des identiques à partir de ce que Leibniz en dit et qui voudrait en montrer la pertinence philosophique apparaîtrait comme quelqu’un qui n’est pas au courant du fait que ce principe est aujourd’hui connu et largement admis. En pareil cas, l’historien peut sans doute nous apprendre des choses sur le contexte historique entourant la formulation du principe, mais il ne nous apprendra rien sur le plan doctrinal ni sur sa pertinence philosophique. Le mieux qu’il puisse faire, sur ce dernier point, c’est de fournir d’autres arguments en sa faveur ou de tenter de le réfuter (mais il s’engage alors dans un projet philosophique). La situation est alors fort différente de celle qui prévaut, par exemple, avec le nominalisme d’Ockham. Comme celui-ci a été oublié des défenseurs contemporains du nominalisme et qu’il s’agit d’une réponse tout à fait valable aux problèmes philosophiques qui les intéressent, le nominalisme d’Ockham apparaît comme une contribution du passé de la philosophie qui présente un intérêt pour la philosophie contemporaine et dont la pertinence peut tout à fait être établie grâce au travail historiographique. Ce sont les cas de ce type qui étayent la TPPHP et démontrent qu’il est effectivement possible de faire un usage philosophique de l’histoire de la philosophie. Mais toutes les contributions philosophiques qui ont été formulées dans le passé ne sont pas de ce type et, pour cette raison, la TPPHP ne s’étend qu’à une partie d’entre elles. Même si elle est vraie, sa portée n’est pas aussi grande que ce qui est avancé dans Récit et reconstruction.
4. La philosophie comme grande conversation et la question de la suffisance de l’historiographie
D’après Claude Panaccio, un projet qui porte sur une contribution philosophiquement pertinente devrait, s’il est bien mené, nous permettre non seulement de comprendre la position de l’auteur grâce à la reconstruction rationnelle et de montrer en quoi consiste sa pertinence pour un problème philosophique donné, mais on peut s’attendre à ce qu’il nous permette également d’apprécier la valeur d’une contribution du passé par rapport à des contributions contemporaines. Bref, du point de vue de la conception de Claude Panaccio, l’historiographie de la philosophie, dès qu’elle touche à des contributions philosophiquement pertinentes, requiert un travail philosophique important. Elle ne saurait être que mise en contexte ou récit, qu’un travail purement historique, car elle passerait alors à côté d’une bonne partie du projet.
Par ailleurs, comme nous l’avons vu à la section 2, Claude Panaccio fait sienne l’image de Rorty voulant que la philosophie consiste en une grande conversation entre les positions de toutes les époques, et il soutient que l’historiographie peut parfois contribuer à cette grande conversation dans la mesure où elle nous fait découvrir des possibilités de réponses autres et intelligentes à nos problèmes philosophiques actuels (cf. supra, section 2). C’est en cela que résident son utilité et sa pertinence sur le plan philosophique.
S’il est vrai que l’historiographie accomplit un travail philosophique de reconstruction rationnel des doctrines et d’évaluation, sur le plan philosophique, de la valeur des contributions du passé par rapport aux contributions contemporaines, et s’il est vrai que la philosophie peut être considérée, jusqu’à un certain point, comme consistant en une grande conversation entre les doctrines, cela suggère que le travail de l’historien de la philosophie peut parfois être suffisant pour faire le travail dévolu à la philosophie. Autrement dit, cela suggère que philosopher peut, lorsqu’on a affaire à un projet historique suffisamment pertinent sur le plan philosophique pour être partie prenante de la grande conversation qu’est la philosophie, ne consister en rien de plus que la réalisation du projet historique en question[9]. En effet, une fois que l’on a exposé les tenants et aboutissants d’une position du passé et qu’on en a évalué la valeur par rapport à des positions contemporaines, qu’est-ce qui pourrait encore être requis pour procéder à la conversation entre cette position et les positions contemporaines concernées ? Autrement dit, n’est-ce pas déjà procéder à cette grande conversation qu’est la philosophie que de procéder à l’évaluation d’une contribution du passé par rapport à une contribution contemporaine à un même problème ?
Cette suggestion est d’autant plus plausible qu’on ne trouve pas, dans l’ouvrage de Claude Panaccio, de considérations qui nous permettraient de l’écarter. Il n’y a pas, notamment, de considérations sur la nature de la philosophie suffisamment explicites pour déterminer en quoi l’histoire de la philosophie et la philosophie se distinguent. En suggérant cette thèse, les positions de Claude Panaccio sur la pertinence philosophique de l’historiographie et sur la nature de la philosophie nous engagent toutefois à une conception forte de la TPPHP, trop forte à mon avis : contrairement à ce que sa position laisse entendre, l’historiographie ne suffit pas pour faire le travail de la philosophie.
En effet, cette suggestion de la position de Claude Panaccio se dissipe lorsqu’on tient compte de la finalité des deux disciplines. Contrairement à la philosophie, l’histoire de la philosophie n’a pas pour but de trouver la bonne réponse à une ou des questions philosophiques données. Son but est plutôt de déterminer avec justesse qui a soutenu quoi en ce qui concerne telle ou telle question philosophique. Bien entendu, cela n’exclut pas qu’elle puisse procéder à la comparaison de deux positions historiques sur une même question, ni qu’elle fasse de l’évaluation critique d’une position historique par rapport à une ou à toutes les contributions actuelles sur un problème donné. Mais cela reste un travail dans la perspective d’une meilleure compréhension de l’histoire : il s’agit alors uniquement de voir, pour une contribution historique donnée, ce que cette contribution dit et quelle est sa valeur sur le plan philosophique par rapport à d’autres contributions relativement à une même question. Même si on arrivait à la conclusion que la contribution du passé qui nous intéresse est meilleure qu’une ou que plusieurs contributions contemporaines, tant qu’on n’a pas entrepris de montrer qu’il s’agit de la bonne réponse au problème concerné, notre entreprise est historique et non philosophique (et ce, même si, en menant ce projet historique à terme, on philosophe par moment). On a alors peut-être contribué à la grande conversation de Rorty, mais on n’a pas fait le travail de la philosophie[10]. Bref, même si Claude Panaccio a raison de dire que l’histoire de la philosophie est philosophiquement pertinente, elle ne l’est toutefois pas au point qu’elle pourrait être suffisante pour faire le travail attendu de la philosophie.
Parties annexes
Notes
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[1]
Une version préliminaire de ce texte a été présentée dans le cadre de la table ronde que j’ai organisée autour de Récit et reconstruction lors du dernier colloque annuel de la SPQ à l’Université du Québec en Outaouais. Certaines des réflexions critiques présentées dans ce texte ont aussi fait l’objet d’une conférence sur la pertinence de l’histoire de la philosophie à l’Université Ioan Cuza de Iassy. Je tiens à remercier Claude Panaccio, Sandrine Roux et Dario Perinetti d’avoir accepté d’être de la table ronde et je tiens également à remercier Claude Panaccio, Petru Bejan et George Bondor pour leurs commentaires sur les deux présentations à l’origine de ce texte.
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[2]
Claude Panaccio, Récit et Reconstruction. Les fondements de la méthode en histoire de la philosophie, Paris, Vrin, 2019. Toutes les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées uniquement par un numéro de page entre parenthèses, dans le texte.
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[3]
D’après Claude Panaccio, ce serait un enjeu central de son débat avec Alain de Libera et la méthode par complexes de questions—réponses : « La méthode en question, cependant, si on la tient pour la seule manière légitime de parler des doctrines du passé, tend à accréditer une vision discontinuiste radicale qui creuse l’écart entre les époques, et tout particulièrement entre la nôtre et celles qui l’ont précédée. À force de renvoyer chaque texte aux questionnements précis qui lui ont donné naissance et chaque auteur à ses sources et à la forme exacte des débats dans lesquels il était engagé, on en vient à compromettre leur intérêt de principe pour les discussions philosophiques actuelles. Collingwood, déjà, rejetait catégoriquement l’idée qu’il y a des « problèmes permanents » en philosophie2 et cette négation devient chez de Libera l’une des thèses centrales de son « relativisme historique de style collingwoodien »3. Le problème des universaux au Moyen Âge n’était pas à ses yeux celui qui est discuté sous cette étiquette dans la philosophie analytique contemporaine » (p. 86).
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[4]
Dans un passage célèbre du Tractatus, Wittgenstein soutient que les contributions philosophiques du passé sont dénuées de sens : « La plupart des propositions et des questions qui ont été écrites au sujet des matières philosophiques ne sont pas fausses, mais dépourvues de sens. Nous ne pouvons donc en aucune façon répondre à de telles questions, mais seulement établir leur non-sens » (Wittgenstein, TLP, 4.003). Puis, dans un passage moins connu du « Tournant de la philosophie », Moritz Schlick laisse entendre que les thèses philosophiques du passé sont, pour la plupart, fausses : « [D]e tous les penseurs, ce sont précisément les meilleurs esprits qui ont rarement cru que la philosophie des époques précédentes (et même celle des modèles classiques) soit parvenue à des résultats solides et durables » (Schlick, 1930, p. 178).
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[5]
À ce propos, cf. Mulligan, 1997, p. 64. On doit à Brentano une des toutes premières formulations du principe de base du whiggisme : « Seul le fait historique ayant de l’importance du point de vue de la philosophie appartient à une histoire de la philosophie » (Brentano, 1888, p. 132). Ce principe justifie toutefois une version plus radicale du whiggisme que ce que l’on trouve dans l’ouvrage de Panaccio, puisque, pour ce dernier, l’intérêt d’une contribution du passé pour un problème philosophique n’est une condition nécessaire que pour ce qui concerne la pertinence philosophique de cette contribution et non pour sa place et son traitement dans le cadre d’une histoire de la philosophie.
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[6]
Au-delà des enjeux métaphysiques et épistémiques liés à la question, il est intéressant de noter qu’il y a ici également un enjeu méthodologique pour Claude Panaccio : « À réifier les contenus, l’historien risque de se laisser abuser par de pseudo-explications, où les forces vives de l’histoire sont identifiées à des doctrines ou des idées, plutôt qu’à des humains concrets engagés dans des jeux de pouvoir, des échanges économiques et des réseaux complexes d’interaction discursive. Quelle que soit la solution que l’on adopte en définitive au problème métaphysique des entités abstraites, la perspective nominaliste présente au moins, pour l’entreprise qui nous occupe, l’avantage méthodologique de nous inciter à mieux circonscrire l’ordre de ces occurrences concrètes auxquelles le discours de l’historien de la philosophie fait toujours référence de toute façon » (p. 25).
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[7]
À ce propos, cf. Mulligan, 1997 et Engel, 1997.
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[8]
Le souci de montrer la pertinence philosophique d’une contribution du passé à la réflexion philosophique contemporaine et, en un sens, l’utilité, sur le plan philosophique, de l’historiographie est une préoccupation qui a animé le travail de Claude Panaccio depuis le début de sa carrière, lui qui écrivait déjà, dans son premier livre : « Je m’intéresse aux discussions de la philosophie analytique contemporaine autour de la question du nominalisme et je me demande si la pensée d’Occam, dûment reconstruite, a quelque chose de positif à y apporter » (Panaccio, 1992, p. 19).
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Cela suggère également que l’on ne peut pas faire de philosophie en ne s’appuyant aucunement sur l’histoire, car le travail du philosophe qui ne s’appuie pas sur l’histoire serait incomplet de manière importante : il ne mettrait en discussion que des auteurs contemporains, c’est-à-dire qu’une partie des positions à mettre en discussion. De ce point de vue, il ne serait peut-être pas nécessaire de tenir compte de l’histoire chaque fois que l’on fait de la philosophie, mais ce serait nécessaire afin d’aller au terme de l’entreprise philosophique. Comme je ne vois pas, dans l’ouvrage de Claude Panaccio, autre chose qui suggère cette position, je ne l’examinerai pas ici. Cela dit, si la conception de l’histoire de la philosophie de Claude Panaccio l’engageait également à prendre cette position, cela l’engagerait également à prendre position pour une version trop forte de la TPPHP.
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Cette idée qu’il n’est jamais suffisant, pour faire de la philosophie, d’être engagé dans un projet historiographique parce que la philosophie n’a pas uniquement pour but de comparer ou établir les mérites respectifs de positions du passé par rapport à des positions actuelles me semble être exactement ce que veut dire Wittgenstein lorsqu’il affirme : « Si la philosophie était une question de choix entre des théories rivales, alors il serait judicieux de l’enseigner historiquement » (Wittgenstein, 1980, p. 74). Si la philosophie veut plus que permettre d’établir les valeurs respectives des positions passées et actuelles sur une question, nous dit Wittgenstein, il ne sera jamais suffisant, pour philosopher, de s’en tenir à la contribution de l’histoire afin de les traiter.
Bibliographie
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