Résumés
Résumé
Lors d’un safari, vous apercevez une lionne sur le point d’attaquer une gazelle. Or, vous êtes un partisan des droits des animaux. La gazelle a le droit de vivre, donc vous estimez devoir la sauver des griffes du félin. Toutefois, sauver la gazelle signifie violer le droit de la lionne de subvenir à ses besoins. Que vous sauviez la gazelle ou que vous laissiez la lionne la manger, il semble que vous soyez moralement condamnable. Certains estimeront que cette situation est absurde et qu’elle est due à l’attribution de droits aux animaux. De ce fait, nous ne devrions pas leur en attribuer. Le présent article tente d’expliquer pourquoi nous ne devons pas intervenir dans les cas de prédation chez les animaux sauvages (1) sans que cela ne mène à des conséquences absurdes en regard d’une théorie des droits des animaux (2) sans que cela ne soit problématique pour le devoir d’assistance à personne en danger généralement accepté et (3) tout en étant en accord avec, au moins, une théorie de la défense d’un tiers.
Mots-clés :
- droits des animaux,
- prédation,
- devoir d’assistance à personne en danger,
- défense d’un tiers
Abstract
During a safari, you see a lioness about to attack a gazelle. Now you are an advocate of animal rights. The gazelle has the right to live, so you feel you must save it from the feline’s claws. However, rescuing the gazelle will violate the right of the lioness to meet her needs. Rescuing the gazelle or let the lioness eat it, it seems that in any case you are wrong. Some will find this situation absurd and that it is due to the attribution of rights to animals. Thus, we should not attribute rights to them. This article attempts to show why we should not intervene in cases of predation in wildlife (1) without leading to absurd consequences within an animal rights theory, (2) without being problematic for the generally accepted duty to provide assistance and (3) while being consistent with at least a theory of other-defense.
Corps de l’article
Une critique faite à l’encontre de la théorie des droits des animaux, rapportée par Tom Regan dans son fameux livre The Case for Animal Rights[2], est qu’elle mène à des conséquences absurdes. Si les animaux ont des droits (parmi lesquels, bien évidemment, le droit de ne pas être tué), alors nous devons empêcher toute prédation. En effet, la gazelle ayant le droit de ne pas être tuée, j’ai l’obligation morale d’empêcher la lionne de la manger. Le problème est que, si empêcher la lionne de manger la gazelle permet effectivement de sauvegarder les droits de celle-ci, nous nous trouvons, par le fait même, à bafouer les droits de la lionne. Étant donné qu’elle ne possède que ce moyen pour se nourrir, l’empêcher de manger la gazelle équivaut à l’empêcher de subvenir à ses besoins, ce qui constitue une violation de ses droits. Ainsi, que nous sauvions la gazelle ou que nous laissions la lionne s’en sustenter, « nous sommes moralement condamnable, ce qui est absurde[3]. Et comme c’est l’attribution de droits aux animaux qui mène à ces conséquences absurdes, nous avons des motifs rationnels, moraux, de nous abstenir de leur attribuer des droits[4]. »
Face à cette critique, Regan met en avant la distinction entre agents et patients moraux, afin de défendre l’idée que nous n’avons pas à empêcher la lionne de tuer la gazelle, sans que cela soit problématique pour sa théorie des droits des animaux[5].
Les agents moraux sont des individus qui possèdent une variété de capacités complexes, en particulier la capacité de fonder des principes moraux impartiaux sur la base de ce qui, tout bien considéré, devrait être fait et, après avoir déterminé ce qui doit être fait, de choisir librement ou de faillir à choisir d’agir selon ce que la morale, telle qu’ils la conçoivent, exige[6].
Le patient moral, lui,
ne possède pas les facultés préalables qui lui permettraient de contrôler son comportement de manière à ce qu’il soit tenu pour responsable de ce qu’il fait d’un point de vue moral. […] Les patients moraux, en un mot, ne peuvent pas faire ce qui est juste, ni ce qui est injuste. […] Même lorsqu’un patient moral cause des maux considérables à quelqu’un, il n’a pas fait quelque chose d’injuste. Seuls les agents moraux peuvent faire ce qui est injuste. Les nourrissons humains, les jeunes enfants et les personnes mentalement dérangées ou affaiblies de tout âge sont des cas paradigmatiques de patients moraux humains[7].
Pour résumer, un agent moral est une entité qui, du fait de certaines caractéristiques, possède des devoirs moraux et est tenue pour moralement responsable de ses actes. Un patient moral est une entité qui ne possède pas de tels devoirs et n’est pas jugé moralement responsable de ses actes, mais qui entre tout de même dans le domaine moral. Le fait qu’un nouveau-né ne soit pas un agent moral ne signifie pas qu’on puisse faire de lui ce qu’on veut. Ce qui lui arrive est digne de considération morale. Regan estime qu’il en est de même pour les animaux non humains. Ces derniers ne sont pas des agents moraux, mais ils sont des patients moraux et, à ce titre, méritent toute notre considération.
Dans le cas qui nous occupe, Regan tire de cette distinction entre agents et patients moraux la conclusion suivante : si seuls les agents moraux peuvent violer des droits et que les animaux non humains sont des patients moraux, et non des agents, alors la lionne qui mange la gazelle ne viole pas à proprement parler un droit. De ce fait, étant donné qu’aucun droit n’est violé, nous n’avons pas à intervenir pour empêcher la lionne de manger la gazelle — nous n’avons pas à empêcher la prédation, de manière générale —, et les conséquences d’un tel raisonnement ne sont pas absurdes. La théorie des droits des animaux est sauve.
Toutefois, comme l’a souligné Dale Jamieson[8], la réponse de Regan est problématique dans ses implications concernant le devoir d’assistance à personne en danger. En effet, si nous suivons le raisonnement de Regan, nous avons une obligation de venir en aide à ceux qui sont victimes d’une injustice, qu’ils soient des agents ou des patients moraux, mais pas à ceux qui n’en sont pas victimes. Dans son article, Jamieson compare plusieurs situations. Retenons-en deux. Je suis en montagne. En face de moi, un peu plus loin, se trouve un homme. Au-dessus de lui se trouve une femme. J’aperçois soudain qu’elle pousse un rocher, de manière à ce qu’il s’écrase sur la tête de l’homme et le tue. La femme en question est un agent moral. Elle commet donc une injustice. De ce fait, je me dois d’avertir l’homme qu’un rocher est en train de lui tomber dessus. Dans la seconde situation, imaginons que personne ne jette de rocher, mais que c’est un glissement de terrain (naturel) qui fait se détacher le rocher de la paroi. Pour l’homme, le risque est le même : il va mourir si le rocher lui tombe dessus. Toutefois, dans cette seconde situation, le glissement de terrain n’étant pas un agent moral, aucune injustice n’est commise, et, en suivant Regan, je n’ai donc aucun devoir d’avertir l’homme qu’un rocher fonce sur lui et va le tuer.
Le résultat de la seconde situation paraît totalement contre-intuitif. En effet, il est généralement bien accepté que nous avons un devoir d’assistance envers une personne en détresse, que cette dernière soit victime d’une injustice ou non. Ainsi, pour en revenir au cas de la prédation, même si la lionne ne commet elle-même aucune injustice, la gazelle est tout de même en danger et j’ai, semble-t-il, un devoir prima facie de lui venir en aide. Si je ne le fais pas, je commets une injustice. Mais si je viens en aide à la gazelle, je commets une injustice envers la lionne. Dès lors, nous retombons dans la situation absurde décrite au début de ce texte. De ce fait, il semble que, ou bien la théorie des droits de Regan mène à une conséquence absurde, ou bien elle est problématique en ce qui concerne le devoir, généralement accepté, d’assistance à personne en danger.
Jamieson estime que les problèmes engendrés par cette théorie sont tels que « la révision la plus plausible [de celle-ci] conduirait Regan dans la direction de l’utilitarisme[9] », même si Regan présente sa théorie comme étant une solution de remplacement aux théories utilitaristes, qu’il trouve problématiques à bien des égards.
Au contraire de Jamieson, je soutiendrai dans cet article qu’il ne faut pas empêcher la prédation chez les animaux sauvages, sans que cela ne soit problématique pour la théorie des droits des animaux que défend Regan ni en ce qui concerne le devoir d’assistance généralement accepté. L’argument de la prédation comme réduction à l’absurde étant souvent utilisé pour réfuter la théorie des droits des animaux, il est important de pouvoir y répondre.
Dans un premier temps, j’exposerai brièvement les éléments de la théorie de Regan qui sont importants pour notre question. Dans un second temps, je montrerai comment nous pouvons sauvegarder la théorie des droits de Regan, sans pour autant que celle-ci aille à l’encontre du devoir d’assistance généralement accepté. Dans un troisième temps, je prendrai en considération l’argument qui consiste à dire que le phénomène de prédation est moins une question d’assistance à personne en danger qu’une question de défense d’un tiers, ce qui nous autoriserait à intervenir afin d’empêcher toute prédation. Je tenterai de montrer que, même si le cas de la prédation est plus proche de celui de la défense d’un tiers que de celui du devoir d’assistance à autrui, il n’en reste pas moins que nous ne devons pas intervenir pour empêcher la prédation chez les animaux sauvages. Dans un quatrième temps, je m’intéresserai à la question du nombre et montrerai que nous n’avons pas le droit de tuer les prédateurs, même si en tuer un signifie empêcher la mort de nombreuses proies potentielles. Enfin, je montrerai en quoi il n’est pas souhaitable de vouloir éradiquer la prédation de manière globale.
Avant d’aller plus loin, il est important de souligner deux éléments. Premièrement, je pars du postulat que nous adhérons à une théorie des droits, c’est-à-dire à l’idée que certaines entités sont dotées de droits, et qu’il y a des choses que nous n’avons pas le droit de faire à ces entités, quelles qu’en soient les conséquences. Plus particulièrement, je pars du principe que nous adhérons, dans les grandes lignes, à la théorie des droits que défend Regan dans The Case for Animal Rights. Nous pouvons certainement formuler de nombreuses critiques « externes » à sa théorie et, de manière plus générale, à une quelconque théorie des droits, mais ce n’est pas ce qui nous occupera dans cet article. Je ne tiendrai pas compte des critiques que peuvent formuler des théories adverses, telles que le conséquentialisme. Je ne traiterai que des critiques internes que nous pouvons formuler à l’encontre de la théorie de Regan. Le but de cet article est donc de démontrer que, dans l’optique de la théorie des droits de Regan, nous n’avons pas à intervenir dans les cas de prédation chez les animaux sauvages, sans mener à des conclusions absurdes et sans mettre à mal le droit des individus à être secourus, même s’ils ne sont pas victimes d’une injustice.
Deuxièmement, je ne traiterai dans cet article que de la question de la prédation chez les animaux sauvages, c’est-à-dire chez les animaux qui ne sont pas apprivoisés, qui n’ont pas été sélectionnés d’une manière ou d’une autre par l’être humain et qui ne vivent pas au sein d’un élevage. Je ne traiterai pas de la question de la prédation concernant les animaux domestiques ou du cas hypothétique où l’on verrait, au lieu de la gazelle, un être humain être la proie de la lionne.
Quelques éléments importants de la théorie de Regan
Regan considère qu’il existe des entités qui ont une valeur inhérente (inherent value), c’est-à-dire qu’elles ont une valeur en elles-mêmes. Le philosophe commence par se pencher sur le cas des agents moraux.
La valeur inhérente des agents moraux doit être comprise comme étant conceptuellement distincte de la valeur intrinsèque attachée aux expériences qu’ils font […], comme n’étant pas réductible à la valeur de ces expériences et comme étant incommensurable. Dire que la valeur inhérente n’est pas réductible à la valeur intrinsèque des expériences individuelles signifie que nous ne pouvons pas déterminer la valeur inhérente des agents moraux en faisant la somme de la valeur intrinsèque de leurs expériences. Ceux qui ont une vie plus agréable ou plus heureuse n’ont pas une valeur inhérente plus grande que ceux dont la vie est moins agréable ou moins heureuse. […] Dire que la valeur inhérente des agents moraux est incommensurable signifie que nous ne pouvons pas comparer la valeur des premiers avec la valeur intrinsèque de leurs expériences (ou celles d’un autre) et que nous ne pouvons pas substituer l’une à l’autre. […] Considérer les agents moraux comme ayant une valeur inhérente consiste à les voir comme étant différents de simples réceptacles de ce qui a de la valeur intrinsèque et comme étant quelque chose de plus qu’eux. Ils ont de la valeur en soi, une valeur qui est distincte des expériences qu’ils vivent en tant que réceptacles et n’est pas réductible à celles-ci, et qui est incommensurable[10].
De plus, les agents moraux possèdent cette valeur inhérente de manière égale. Il n’y a pas différents degrés de valeur inhérente. Enfin,
premièrement, la valeur inhérente des agents moraux ne peut pas être vue comme quelque chose qui peut être gagné à force d’efforts ou comme quelque chose qu’ils peuvent perdre en fonction de ce qu’ils font où échouent à faire. […] Deuxièmement, la valeur inhérente des agents moraux ne peut pas croître ou diminuer en fonction du degré d’utilité qu’ils ont pour les autres. […] Troisièmement, la valeur inhérente des agents moraux est indépendante du fait qu’ils soient un objet de préoccupation pour quelqu’un ou non[11].
Toutefois, attribuer une telle valeur inhérente uniquement aux agents moraux est arbitraire. En effet, « une partie des maux (harms) faits […] aux patients moraux sont du même type que ceux faits aux agents moraux. On ne peut donc pas soutenir de façon cohérente que les agents et les patients moraux ne peuvent pas être lésés (harmed) de façon comparable[12]. » La valeur inhérente d’un patient moral ne vaut donc pas moins que celle d’un agent moral.
À quel critère doivent satisfaire les agents et les patients moraux pour être considérés comme ayant une valeur inhérente ? À celui du sujet-d’une-vie.
Les individus sont sujets-d’une-vie s’ils ont des croyances et des désirs ; une capacité à percevoir, à se souvenir et à avoir un sens du futur, y compris leur propre futur ; une vie émotionnelle incluant les sentiments de plaisir et de douleur ; des préférences et un intérêt au bien-être ; la capacité de mettre en oeuvre des actions dans l’optique d’atteindre un but et de réaliser des désirs ; une identité psychologique et physique à travers le temps et un bien-être individuel dans le sens où leurs vies concrètes vont bien ou mal pour eux, de façon logiquement indépendante de l’utilité qu’ils ont pour les autres et du fait qu’ils soient un objet de préoccupation pour quelqu’un ou non[13].
Tous les sujets-d’une-vie possèdent des droits que nous avons l’obligation de respecter. C’est le « principe de respect ».
Nous échouons à traiter avec respect des individus qui possèdent une valeur inhérente, en matière de justice, lorsque nous les traitons comme s’ils ne possédaient pas de valeur inhérente, et de fait nous leur manquons de respect lorsque nous les traitons comme s’ils étaient de simples réceptacles d’expériences […] ou comme si leur valeur dépendait de l’utilité relative qu’ils ont pour d’autres[14].
Et de préciser : « Le principe de respect, en tant que principe de justice, exige plus que simplement refuser de nuire à certains de façon à produire les meilleures conséquences pour tous ; il impose également le devoir prima facie de venir en aide à ceux qui sont victimes d’une injustice[15]. »
Prédation et devoir d’assistance à personne en danger
Nous avons vu que Regan considère que le principe de respect implique notamment un devoir d’assistance à personne en danger. Toutefois, sa vision du devoir d’assistance est plus restrictive que celle généralement acceptée. Le devoir d’assistance à personne en danger est généralement compris comme étant le devoir que nous avons de venir en aide à quelqu’un, qu’il soit victime d’une injustice ou non, pour autant que les risques encourus ne soient pas trop dommageables pour le sauveteur et que l’aide apportée ne sacrifie rien d’une valeur morale comparable ou supérieure.
Il suffit de quelques exemples pour démontrer l’aspect intuitivement acceptable du devoir d’assistance défini de cette façon. Imaginons que Jack soit prisonnier d’un immeuble en flammes. Je peux lui venir en aide, et il est probable que je parvienne à le sauver. Toutefois, la situation est telle qu’il y a de grands risques qu’en tentant de le sauver une bonne partie de mon corps, en particulier mon visage, soit brûlé au troisième degré. J’y survivrai, mais j’en subirai les séquelles toute ma vie. Il semble que, dans ce cas, mon devoir d’assistance succombe face aux risques encourus. Par contre, si la seule chose que je risque en tentant de sauver Jack est d’avoir les yeux qui piquent pendant quelques minutes à cause de la fumée, le devoir d’assistance m’incombe toujours, malgré le désagrément que le sauvetage me causera. De même, nous acceptons facilement l’idée que si porter assistance à Jack qui, à la suite d’un accident, risque de perdre son bras, implique de provoquer la mort d’Allen, notre devoir d’assistance disparaît à nouveau[16]. À choisir, nous jugerons certainement préférable qu’un individu perde son bras plutôt qu’un autre meure. De plus, comme nous l’avons vu précédemment, il paraît contre-intuitif de penser qu’il y ait besoin que les personnes en danger soient victimes d’une injustice pour que nous leur venions en aide. Peu importe que la personne en danger soit victime d’une injustice ou non, ce qui compte, pour que le devoir de lui venir en aide soit effectif, c’est le fait qu’elle soit en danger, que les risques encourus par le sauveteur ne soient pas trop dommageables et que l’aide apportée ne sacrifie rien d’une valeur morale comparable ou supérieure[17].
De ce fait, nous estimons généralement que nous avons un devoir d’assistance envers les agents et les patients moraux, sous réserve des restrictions énoncées plus haut. Si nous admettons que les animaux non humains sont des patients moraux, alors nous avons un devoir d’assistance envers eux.
Faisons alors l’expérience de pensée suivante : je participe à un safari et j’aperçois une lionne. Cela fait très longtemps qu’elle n’a pas réussi à attraper un animal, et donc, très longtemps qu’elle n’a pas mangé. Elle est de ce fait très faible. Non loin d’elle se trouve une gazelle. La lionne va clairement tenter de l’attraper. Toutefois, elle est tellement affaiblie que, si elle échoue, elle n’aura plus assez de force pour chasser et mourra de faim. Je n’ai rien à lui donner à manger. Je n’ai avec moi qu’un appareil photo et un fusil. J’ai un devoir d’assistance envers la gazelle qui risque de se faire attraper. Mais j’ai également un devoir d’assistance envers la lionne qui risque de mourir de faim et d’épuisement. Si j’empêche cette dernière de manger, je viole ses droits[18]. Moi-même, à l’abri dans ma voiture, je ne risque rien.
Au premier abord, intervenir aussi bien que ne pas intervenir viole un droit. Il s’agit donc de voir si nous pouvons résoudre le cas de conscience que provoque la prédation sans favoriser injustement (arbitrairement) le prédateur ou la proie. Par exemple, je ne peux pas dire : « Je vais faire fuir la lionne, car la gazelle est si mignonne ! » L’argument paraît totalement arbitraire. Nous ne pouvons pas décider de la vie ou de la mort d’un être en fonction de sa beauté, de sa race ou de son sexe, pour ne prendre que les exemples les plus parlants : ces critères sont totalement arbitraires et sont, de ce fait, injustes. Je ne peux pas non plus dire : « Je vais laisser la lionne tenter sa chance. Il est naturel de chasser et je ne veux pas aller à l’encontre de la nature. » L’appel à la nature ne constitue pas un bon argument. Il est généralement acquis qu’on ne peut pas décider de ce qui est bien ou mal sur la base de ce qui est naturel ou pas. Ce n’est pas parce que quelque chose est naturel que cette chose est bonne ou acceptable. Pour ne donner qu’un exemple, ce n’est pas parce que je ressens naturellement des pulsions violentes que je dois systématiquement laisser libre cours à ces dernières. Bien que ces pulsions soient « naturelles », nous considérons malgré tout qu’il existe de nombreuses situations où il est mal d’user de la violence.
Pour savoir si nous devons intervenir ou non (et si nous devons intervenir, en faveur de qui nous devons intervenir), il peut être utile de présenter une autre expérience de pensée qui possède des caractéristiques communes avec la situation de la lionne et de la gazelle, mais qui est certainement plus facile à trancher. Imaginons que Jack soit un alpiniste pris dans une avalanche, et que j’aie la possibilité de l’aider sans que cela entraîne de gros risques pour ma vie ou ma santé. Toutefois, la neige étant très instable, il y a de très fortes chances pour que lui porter secours déclenche une nouvelle avalanche. Or je sais que plus bas se trouve Allen, qui se fera engloutir dans la seconde avalanche. Malheureusement, en ce qui concerne ce dernier, ni moi ni personne d’autre ne sera en mesure de le secourir. En bref : il y a de grands risques que mon aide provoque la mort d’un autre homme. Dès lors, ai-je le devoir d’intervenir afin de sauver Jack, quitte à tuer Allen ? Nous avons dit que le devoir d’assistance disparaît lorsque l’aide apportée sacrifie quelque chose d’une valeur morale comparable ou supérieure. Il en découle donc que je ne dois pas porter assistance à Jack.
On pourrait toutefois estimer que, si on accepte l’idée qu’on ne doit rien sacrifier d’une valeur morale supérieure, on a peine à voir pourquoi on ne pourrait pas sacrifier quelque chose d’une valeur morale comparable. Finalement, que j’aide Jack ou pas, il y aura de toute façon un mort. Pourquoi, par exemple, ne pas tirer à pile ou face ce que je dois faire ? Jack ne mérite pas plus de mourir qu’Allen. Pourquoi sa malchance le sacrifierait-il nécessairement ?
En fait, même si l’on accepte la présente remarque, il se trouve que la situation est telle que je ne sacrifie pas quelque chose d’une valeur morale comparable si je porte assistance à Jack : je fais quelque chose de moralement plus grave que si je le laisse mourir. En effet, même si laisser mourir quelqu’un — qui est en péril indépendamment des actes que nous avons accomplis — est jugé comme étant moralement condamnable lorsque l’on a la possibilité de le sauver, on juge toutefois généralement que cela est moins grave que de provoquer, directement ou indirectement, la mort de quelqu’un qui, sans notre intervention, serait toujours vivant.
Pour le démontrer de manière intuitive, supposons que je gagne bien ma vie. De plus, j’ai une passion : la philosophie. Or il se trouve que si je donnais chaque mois l’argent que j’utilise habituellement pour m’acheter des livres de philosophie à une association qui vient en aide aux plus démunis, je permettrais à cette association d’entretenir une personne dans le besoin et empêcherais que celle-ci meure de faim[19]. Si je ne le fais pas, je laisse une personne mourir. Cela peut être considéré comme étant moralement condamnable, mais laisser mourir cette personne parce que je continue à acheter des livres de philosophie est-il équivalent au fait de mettre une balle dans la tête de son compagnon qui vient de trouver du travail ? Cela paraît absurde. Il existe certainement une obligation de venir en aide aux plus démunis, que ce soit en donnant de l’argent à des associations ou en militant pour changer la société de façon structurelle afin d’éradiquer la misère, mais ne pas aider tous ceux que l’on pourrait aider et, d’une certaine manière, les laisser mourir, n’est pas équivalent au fait de prendre une mitraillette et de tuer au hasard des piétons dans ma rue. Ou alors, il faudrait admettre que la plupart d’entre nous sommes des criminels condamnables au même titre que l’est un tueur à gages. De nouveau, cela semble absurde.
Ainsi, généralement, laisser mourir quelqu’un alors que nous avions la possibilité de le sauver est grave — même s’il n’était pas en péril par notre faute —, mais tuer un individu qui ne serait pas mort sans notre intervention est plus grave encore.
De ce fait, dans le cas des alpinistes, on jugera moins condamnable que je ne sauve pas Jack, qui se trouve sous l’avalanche indépendamment des actes que j’ai accomplis, plutôt que de provoquer moi-même la mort d’Allen — lequel n’est pas en position de mourir tant que je n’interviens pas. Pour être plus exact, étant donné la situation, on ne jugera pas condamnable du tout que je n’intervienne pas pour sauver Jack si le sauver signifie tuer Allen (même si c’est de façon indirecte, c’est-à-dire en provoquant une avalanche).
Bien entendu, cela ne signifie pas que je ne dois jamais intervenir en faveur de Jack. Imaginons que l’aide apportée à Jack déclenche une nouvelle avalanche qui, cette fois, ne risque pas de tuer, ni même de blesser Allen, mais simplement de le retarder dans sa course. Mon aide provoque un dommage à Allen, mais qu’il paraît acceptable d’infliger si cela permet de sauver une vie. Admettons que quelques écorchures et quelques hématomes ne soient pas considérés comme étant particulièrement « dommageables » à la santé et à la vie d’un individu. De la même façon, si, en aidant Jack, je provoque un petit glissement de terrain qui fait s’ébouler quelques pierres, lesquelles peuvent heurter Allen sans lui faire beaucoup de mal, alors mon intervention est toujours légitime, même si c’est moi qui provoque ce mal[20].
À présent, transposons notre conclusion concernant les alpinistes à notre expérience de pensée de la lionne et de la gazelle. Imaginons que la lionne parvienne à attraper la gazelle et que je décide de porter assistance à cette dernière. J’ai deux solutions : ou bien je tue la lionne avec mon fusil, ou bien je la fais fuir en tirant un ou plusieurs coups de feu en l’air. Malheureusement pour la gazelle, aucune des deux solutions ne convient aux limites morales que nous avons fixées en ce qui concerne le devoir d’assistance. Si je tire sur la lionne, je provoque directement sa mort, ce qui n’est pas acceptable, étant entendu que tuer (ici, la lionne qui, tant que je n’interviens pas, sera en mesure de vivre puisqu’elle est parvenue à attraper la gazelle) est pire que de laisser mourir (ici, la gazelle, qui mourra indépendamment des actes que j’ai accomplis). Si je fais fuir la lionne, je ne la tue pas directement, mais je provoque néanmoins indirectement sa mort puisque, à bout de force, elle n’aura plus les moyens de chasser. Or comme nous l’avons vu, dans le cas présent, provoquer sa mort, même indirectement, est pire que de laisser mourir la gazelle.
Imaginons à présent l’inverse. La lionne a échoué dans sa tentative d’attraper la gazelle. Je décide alors de porter assistance à la lionne en tuant la gazelle ou en la poussant, d’une manière ou d’une autre, à se jeter dans les griffes du félin. De nouveau, par mon intervention, je provoque la mort de la gazelle — alors que si je n’étais pas intervenu elle serait en vie —, ce qui est plus grave que de laisser mourir la lionne, laquelle serait morte indépendamment des actes que j’ai accomplis. Ainsi, dans la situation présente, puisque tuer est plus grave que laisser mourir, intervenir est considéré comme plus grave que de ne pas intervenir.
J’ai donc, semble-t-il, démontré que nous avons l’obligation de ne pas intervenir lorsque nous avons affaire à des cas de prédation entre animaux sauvages, sans que cela ne nous mène à une situation absurde qui discréditerait les droits des animaux, et sans que cela soit problématique pour le devoir d’assistance généralement accepté. Bien entendu, nous pouvons imaginer, par exemple, que si la lionne a réussi à attraper la gazelle, j’achève cette dernière, de façon à réduire ses souffrances. On pourrait de même imaginer que j’ai le droit, voire l’obligation, d’achever la lionne — si celle-ci n’est pas parvenue à attraper la gazelle — plutôt que de la laisser mourir de faim, une mort rapide pratiquement indolore étant préférable à une mort lente dans la souffrance.
Toutefois, même si elle semble être sur la bonne voie, l’affaire n’est pas encore réglée. Il pourrait en effet m’être rétorqué que je ne dois pas intervenir dans le cas précis de l’expérience de pensée décrite, mais non pas que je ne dois jamais intervenir dans toute situation de prédation. Imaginons que je voie une vigoureuse et jeune lionne qui, au lieu d’être près de mourir, compte s’en prendre à une gazelle, dans une région qui fourmille de proies potentielles. De plus, imaginons qu’il me suffise de tirer un coup de feu en l’air, de manière à effrayer la lionne et la faire fuir, pour sauver la gazelle. Dans ce cas précis, je ne tue pas la lionne, et le dommage que je lui cause est faible : je ne fais que reporter son repas, étant donné qu’elle trouvera certainement rapidement un autre animal auquel s’attaquer. Dans ces circonstances, au nom de quoi devrais-je renoncer à mon devoir d’assistance ?
La réponse à cette question est assez simple : si je ne fais que « reporter » le moment où la lionne mange — et je ne peux vouloir que cela car, comme nous l’avons vu, je ne peux pas espérer que, par mon acte, la lionne ne parvienne jamais à se nourrir (cela signifierait provoquer indirectement sa mort, ferait disparaître notre devoir d’assistance et rendrait illégitime toute intervention) —, en quoi mon acte est-il moralement bon ? Certes, j’ai sauvé cette gazelle, mais je n’ai permis qu’une substitution de proie. En effet, j’ai sauvé la gazelle X, mais je ne sauverai pas indéfiniment toutes les autres qui pourraient se trouver sur le chemin de la lionne car, ce faisant, je condamne cette dernière, ce qui est plus grave que de laisser une gazelle se faire tuer indépendamment des actes que j’ai accomplis. Ainsi, à quoi sert-il d’intervenir pour empêcher quelque chose qui, d’une part, doit de toute façon survenir à un moment ou à un autre, et que, d’autre part, il serait moralement condamnable d’empêcher d’arriver ? À la limite, en empêchant, dans ce cas précis, la lionne d’attraper une gazelle particulière, je n’ai rien fait de mal, mais je n’ai rien fait de bien non plus, aussi mon intervention est-elle, au mieux, inutile d’un point de vue moral, au pire, dangereuse pour la lionne. La vie sauvage étant particulièrement incertaine, si par la suite la lionne avait été victime d’une blessure quelconque l’empêchant pendant plusieurs semaines de chasser, qu’elle eût survécu après avoir mangé la gazelle que j’avais sauvée, ayant assez de réserves pour survivre le temps de se remettre de sa blessure mais que, par suite de mon intervention, affamée, elle fût devenue trop faible pour survivre, alors j’aurais indirectement provoqué sa mort, ce qui est plus grave que de laisser mourir la gazelle qui allait mourir indépendamment des actes que j’eusse accomplis. Dans le doute, mieux vaut donc ne pas intervenir.
Si je résume, l’argument principal est le suivant : à choisir entre deux maux, nous devons opter pour celui qui est le moins grave. Or nous considérons généralement qu’il est pire de provoquer (directement ou indirectement) la mort de quelqu’un qui serait resté en vie sans notre intervention plutôt que de laisser mourir quelqu’un en péril indépendamment des actes que nous avons accomplis. De ce fait, toutes choses étant égales par ailleurs, tout comme l’on jugera plus grave de tuer Allen plutôt que de laisser mourir Jack, l’on jugera qu’il est plus grave de tuer la lionne plutôt que de laisser la gazelle se faire dévorer. Bien entendu, dans le cas où la gazelle parviendrait à échapper à la lionne, il serait plus grave de tuer soi-même la gazelle afin de nourrir la lionne plutôt que de laisser cette dernière mourir de faim.
Nous ne pouvons pas non plus considérer avoir le droit, si ce n’est de tuer, du moins de faire fuir la lionne afin de sauver la gazelle, même si la lionne est loin de mourir de faim et qu’elle a de grandes chances de trouver rapidement une autre proie à se mettre sous la dent. Étant donné que nous ne faisons que repousser le moment du repas de la lionne, il n’y a pas d’intérêt véritable à intervenir. Au mieux, nous commettons un acte neutre d’un point de vue moral, au pire, nous mettons la lionne en danger — car s’il y a de fortes chances qu’elle attrape d’autres proies il peut toujours se produire un évènement inattendu qui la condamne alors qu’elle aurait survécu en mangeant la gazelle initiale. Dès lors, nous avons meilleur temps de ne pas intervenir.
Ainsi, après avoir passé en revue les différents arguments, il semble que nous puissions défendre l’idée que l’être humain n’a généralement pas à intervenir afin d’empêcher les cas de prédation chez les animaux sauvages (1) sans que cela ne mène à des conséquences absurdes (donc sans que cela ne nuise à la théorie des droits des animaux que défend Regan) et (2) sans que cela ne soit problématique en ce qui concerne le devoir d’assistance à personne en danger généralement accepté. Toutefois, il nous faut évoquer une critique majeure au raisonnement, que je traite dans la section suivante.
Prédation et défense d’un tiers
La démonstration précédente repose sur le fait que nous considérons généralement comme préférable, d’un point de vue moral, de laisser mourir quelqu’un en péril indépendamment des actes que nous avons accomplis plutôt que de tuer (directement ou indirectement) quelqu’un qui serait resté en vie sans notre intervention. Or il existe un cas typique où cela peut se révéler faux : celui de la défense d’un tiers[21]. Si j’aperçois Allen — qui est un adulte, rationnel et totalement conscient de ce qu’il fait : en bref, un agent moral — sur le point de tuer Jack, et que le seul moyen dont je dispose pour sauver Jack est de tuer Allen, j’ai la permission de le faire, estimera-t-on généralement[22]. On admettra donc que, au contraire du devoir d’assistance, tuer X plutôt que laisser mourir Y est permis dans un cas de défense d’un tiers. Or, si l’on y réfléchit bien, le phénomène de prédation est finalement plus proche d’un cas « Défense d’un tiers » que d’un cas « Assistance à personne en danger ». Le prédateur est un agresseur que nous aurions donc le droit de tuer, ou d’empêcher de tuer d’une autre façon si nous avons cette possibilité. Dans tous les cas, contrairement à ce que je défends dans cet article, nous aurions la permission d’intervenir afin d’empêcher le prédateur de tuer sa proie[23].
Avant de répondre à cet argument, présentons brièvement les différents protagonistes classiques que nous rencontrons dans la littérature concernant la légitime défense et la défense d’un tiers. Il faut d’ailleurs noter que la littérature en question traite moins de défense d’un tiers que de légitime défense. Toutefois, comme le dit Judith Jarvis Thomson, « la légitime défense et la défense d’un tiers ne sont pas exactement les deux faces d’une même pièce, mais elles s’en approchent néanmoins[24] ». En effet, si un individu agressé a le droit, en guise de défense, de tuer son agresseur, il paraît difficilement concevable que, dans le cas où la victime n’a pas la possibilité de se défendre elle-même, je n’aie, moi, pas le droit de la défendre en tuant son agresseur. Le raisonnement dans les cas de défense d’un tiers sera donc sensiblement le même que dans les cas classiques de légitime défense. Si la réponse légitime à la violation du droit de ne pas être tué est la permission de tuer pour se défendre, il semble également vrai que nous avons la permission de tuer pour défendre celui qui se fait agresser injustement. La réponse légitime à la violation du droit de ne pas être tué semble être la même pour tous, que nous nous défendions ou que nous défendions un tiers. Comme le dit Thomson,
ce n’est pas à cause de la relation spéciale qu’il y a entre vous et celui qui veut vous tuer, ce n’est pas parce qu’autrement il va vous tuer que vous pouvez tuer votre agresseur en retour ; vous pouvez le tuer du fait totalement impersonnel qu’autrementil va violer votre droit à ne pas être tué. Mais ce fait impersonnel peut tout aussi bien s’appliquer à vous qu’à un tiers [en tant que justification du meurtre de l’agresseur][25].
On distingue généralement plusieurs types d’agresseurs ou de menaces. Il y a le cas de l’Agresseurméchant. C’est le prototype de l’agent moral qui agresse en toute connaissance de cause une personne dite innocente (c’est-à-dire qu’elle ne mérite pas, dans ce cas précis — pour autant que cela soit acceptable dans d’autres situations —, d’être agressée de la sorte. Cela ne signifie pas que la victime soit exempte de tout reproche dans sa vie, mais que les reproches qu’on pourrait lui faire ne légitiment pas pour autant le traitement infligé par l’Agresseur). Dans ce qui suit, la victime sera toujours considérée comme innocente. Admettons que l’Agresseur en question cherche à tuer la victime (nous considérerons que les différents agresseurs/différentes menaces cherchent systématiquement/impliquent nécessairement la mort de la victime). Il est bien accepté dans ce cas, et pour autant que la victime n’ait pas d’autres moyens à sa disposition pour empêcher l’Agresseur de la tuer, que cette dernière a le droit de tuer son Agresseur.
Un autre cas est celui de l’Agresseurinnocent. Comme le définit Michael Otsuka,
un Agresseur innocent est une personne qui met votre vie en danger parce qu’elle agit avec l’intention de vous tuer. Toutefois, elle est innocente dans la mesure où elle n’est pas responsable de son comportement parce que, plutôt que découlant de sa personnalité, il s’explique par des facteurs qu’elle ne maîtrise absolument pas. Un exemple d’Agresseur innocent est quelqu’un qui vous poursuit avec un couteau de boucher parce qu’il est mû par une rage inhabituelle et irrésistible causée par une puissante drogue que quelqu’un a mis dans son café, et qui peut altérer l’esprit[26].
La Menaceinnocente est,
en revanche, […] une personne « dont les mouvements en tant qu’objet physique ou dont la simple présence constituent une menace pour notre vie[27] ». Une telle personne n’est pas responsable du danger qu’elle constitue dans la mesure où sa présence ou ses mouvements dangereux ne sont pas volontaires ni intentionnels, ni bien accueillis par elle, mais sont le produit de circonstances totalement en dehors de sa volonté. Un exemple d’une Menace innocente est quelqu’un qui a été poussé du haut d’un immeuble et va vous tuer en vous tombant dessus (tandis que lui-même survivra à sa chute) à moins que vous ne le désintégriez avec votre pistolet laser.
Enfin, il existe le cas du Spectateur ou Badaudinnocent, « qui ne constitue pas en soi un danger pour votre vie et qui n’est pas responsable de ce qui menace votre vie[28] ». Une des expériences de pensée classique est la suivante : je suis en voiture, lorsque surgit un Agresseur méchant qui me fonce dessus avec un tank dans le but de me tuer. La seule issue que j’ai pour m’en sortir est de tourner à droite et de rouler sur une rue piétonne afin de rejoindre une route sûre. Malheureusement, dans la rue en question se trouve un piéton qui passe là par hasard. Si je tourne, je renverse le piéton et le tue ; si je reste sur ma route initiale, je vais mourir. Généralement, nous acceptons l’idée que, même si je vais mourir, je ne peux pas être justifié de tuer le Badaud innocent. Par contre, comme nous allons le voir, l’avis n’est pas aussi unanime pour ce qui est de l’Agresseur innocent et de la Menace innocente. Thomson estime que nous avons le droit de tuer l’un et l’autre, car, selon elle, les deux violent notre droit à ne pas être tué[29]. C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi elle considère que nous n’avons pas le droit de tuer le Badaud innocent. Si je ne tue pas la Menace innocente ou l’Agresseur innocent, ils me tueront (ils violeront mon droit à ne pas être tué), ce qui n’est pas le cas du Badaud innocent. En ce qui le concerne, il ne me tuera pas, même si je ne le tue pas. Ainsi, il ne viole pas mon droit à ne pas être tué et je n’ai donc pas le droit de le tuer pour protéger ma vie.
Parmi tous ces cas, dans lequel notre lionne se retrouve-t-elle ? De toute évidence, il semble que le prédateur attaquant sa proie pour la manger soit un cas d’Agresseur innocent. En effet, la lionne a bien l’intention de manger la gazelle (il est admis dans la théorie des droits des animaux que la plupart des mammifères sont doués d’intention), toutefois, elle n’est pas responsable d’un point de vue moral de ses actes. Elle n’est donc, en ce sens, ni un Agresseur méchant, puisqu’en tant que patient moral elle ne peut être ni méchante, ni gentille, ni une Menace innocente, car la Menace innocente ne possède pas d’intention de tuer. Enfin, elle n’est pas un Badaud innocent, car elle constitue clairement une menace pour la gazelle. De ce fait, si nous suivons Thomson, étant donné que nous avons le droit de tuer un Agresseur innocent lorsqu’il s’agit de défendre un tiers, alors nous avons le droit de tuer la lionne (ou de l’empêcher par un autre moyen de tuer si nous avons cette possibilité) pour sauver la gazelle. Plus généralement, nous avons la permission de tuer (ou d’empêcher de tuer par un autre moyen) tout prédateur qui s’en prendrait à une proie. Ainsi, contrairement à ce que je défends dans cet article, nous avons le droit d’intervenir afin d’empêcher les phénomènes de prédation.
Toutefois, un tel raisonnement n’est vrai que si nous acceptons l’idée que nous avons le droit de tuer un Agresseur innocent, ce qui n’est pas évident. Michael Otsuka, par exemple, estime que nous ne sommes justifiés de tuer ni un Agresseur innocent ni une Menace innocente. L’idée d’Otsuka est que « tuer un Badaud innocent, toutes choses égales par ailleurs, est comparable d’un point de vue moral avec le fait de tuer une Menace innocente, et, s’il n’est pas permis de tuer un Badaud innocent, alors il n’est pas permis de tuer une Menace innocente[30] ». De même, il défend l’idée que « le meurtre d’un Agresseur innocent est comparable d’un point de vue moral avec le meurtre d’une Menace innocente, et donc tout aussi inacceptable que ce dernier[31] ».
Comme nous l’avons déjà dit, il est bien accepté que nous ne pouvons pas tuer un Badaud innocent dès le moment où notre vie est en danger.
Si, par exemple, un javelot est lancé sur vous et que votre seule chance de survivre est de vous saisir d’un innocent inconnu afin de vous en servir comme bouclier, un tel usage du Badaud innocent n’est clairement pas permis. […] Même dans le cas où le corps du Badaud n’est d’aucune utilité pour vous et que vous savez que vous ne survivrez que si vous entamez une séquence d’actes qui le tueront, cela est tout aussi inacceptable[32].
Le dernier cas est, par exemple, celui exposé plus haut où, pour sauver ma vie, je dois rouler avec ma voiture sur une rue piétonne sur laquelle se trouve au même moment un passant. Il est entendu, quelles que soient les conséquences pour le moins fâcheuses pour ma personne, que je n’ai pas le droit de tuer le Badaud innocent. Pour justifier cette interdiction de tuer le Badaud, nous pouvons invoquer Thomson qui estime que nous n’avons pas le droit de tuer une personne si cette dernière ne viole pas notre droit à ne pas être tué.
Mais, se demande alors Otsuka, si nous considérons qu’il est mal de tuer un Badaud innocent pour la raison invoquée, qu’est-ce qui nous autorise à tuer une Menace innocente ? Bien entendu, au contraire du Badaud, la Menace innocente va me tuer si je ne fais rien. Mais contrairement à ce que pense Thomson, la Menace innocente ne viole pas mon droit à ne pas être tué. Admettons qu’un rocher me tombe dessus. Le rocher n’étant pas un agent moral, ce dernier ne viole pas mon droit à ne pas être tué. Par analogie, il paraît difficile d’imaginer qu’un homme qui a été poussé du haut d’un immeuble et qui me tombe dessus soit considéré comme violant mon droit à ne pas être tué. Certes, il est un agent moral, mais, en l’occurrence, il n’est pas responsable, ni n’avait l’intention de me tomber dessus pour me tuer. Dans ce cas précis, ilest comme le rocher et, à ce titre, ne viole pas mon droit à ne pas être tué. Toutefois, si j’ai le droit de pulvériser le rocher, je n’ai pas le droit d’en faire autant en ce qui concerne la Menace innocente. Pourquoi ? Parce que la Menace innocente est une personne dotée de droits et, en un sens, est comme le Badaud innocent. En effet, tout comme ce dernier, la Menace innocente est spectatrice de ce qui se passe et se trouve dans une telle situation contre son gré. Ainsi, au regard des ressemblances entre le cas du Badaud innocent et de la Menace innocente, si nous estimons qu’il est injustifié de tuer le Badaud innocent pour survivre, alors il est injustifié de tuer la Menace innocente pour la même raison.
Enfin, Otsuka démontre que si nous ne pouvons pas tuer une Menace innocente, alors nous ne pouvons pas tuer un Agresseur innocent. Cela semble plus difficile dans la mesure où, contrairement à la Menace, l’Agresseur a l’intention de tuer. Toutefois, comme nous l’avons vu, ce dernier n’est pas responsable de ses actes. Il peut normalement être un agent moral, mais, dans une situation précise, se trouver être temporairement un patient moral. En ce sens, l’Agresseur innocent ne viole pas notre droit à ne pas être tué et, étant donné que son intention est motivée par des « facteurs qui sont totalement en dehors de sa volonté[33] », il est à son tour en quelque sorte spectateur de ses actes et de ce qui lui arrive, tout comme le Badaud innocent et la Menace innocente.
Otsuka émet toutefois une réserve. L’argumentation est valable pour les entités qui sont des personnes même si, temporairement, elles n’en ont plus toutes les caractéristiques, que ce soit, par exemple, parce qu’on les a poussées du haut d’un immeuble et qu’elles ne peuvent pas contrôler leurs mouvements (elles sont comme des patients moraux) ou parce qu’on a mis dans leur café une drogue qui les rend folles (elles sont temporairement des patients moraux). Otsuka admet qu’un ours qui vous attaque est, en quelque sorte, un Agresseur innocent. Toutefois, dans ce cas, le philosophe estime que nous avons le droit de le tuer, car ce dernier n’est pas une personne.
La raison la plus simple pour laquelle vous êtes autorisé à tuer un agent létal qui se trouve être un grizzly est que vous êtes une personne humaine, […] et une personne humaine a plus de valeur qu’un grizzly. Je pense que la même chose peut être dite en ce qui concerne une lutte entre une personne humaine normale et certains psychotiques. Un être humain normal a plus de valeur qu’un être humain qu’une maladie mentale a rendu de manière permanente incapable d’être un agent moral[34].
Otsuka ne définit pas ce qu’il entend par « personne », et peut-être qu’il se trompe sur le fait que l’ours ou que le malade mental ne sont pas des personnes. Mais, en fait, cela importe peu. Nous revenons ici aux questions de base concernant les droits des animaux, et nous avons postulé au départ que nous adhérons dans les grandes lignes à la théorie des droits de Regan. Nous pouvons donc adhérer à ce que dit Otsuka, à l’exception du dernier jugement rapporté ou, du moins, en modifiant quelque peu celui-ci.
Premièrement, en ce qui nous concerne, nous adhérons à l’idée qu’il ne faut pas nécessairement être un être humain moralement responsable de ses actes pour posséder des droits. Nous pouvons être un patient moral et posséder de tels droits, indépendamment de l’espèce à laquelle nous appartenons et pour autant que nous soyons, selon la terminologie de Regan, des sujets-d’une-vie. Deuxièmement, dans le cas qui nous occupe, nous opposons le droit à la vie de deux entités qui ont le même statut moral, à savoir, elles sont toutes deux des patients moraux. Peut-être, effectivement, que notre réponse sera différente si l’Agresseur innocent est un patient moral et que la victime est un agent moral. À choisir entre ces deux entités laquelle il faut sauver, il est peut-être moralement justifié de préférer l’agent moral (bien que cela semble contredire la théorie de Regan, mais admettons). Toutefois, en ce qui concerne la prédation chez les animaux sauvages, nous devons savoir si nous avons le droit de tuer un patient moral pour en sauver un autre (ou si nous pouvons l’empêcher de tuer autrement qu’en le tuant — en le faisant fuir par exemple).
À ce stade, la question devient plus délicate, car celle à laquelle nous voulons répondre concerne les animaux sauvages, et notre réponse au cas de la prédation peut être sensiblement différente de notre réponse à d’autres cas où un patient moral agresse un autre patient moral. Imaginons que l’Agresseur innocent soit un être humain — appelons-le Allen — victime d’un trouble psychique incurable, qui agresse un autre malade mental — appelons-le Jack — possédant le même trouble. Supposons que j’aie la possibilité de ceinturer Allen et, ainsi, de l’empêcher de tuer Jack. Étant donné qu’Allen pourrait vivre sans tuer d’autres personnes, l’empêcher de tuer quelqu’un ne met pas sa vie en danger et ne viole ni son droit à ne pas être tué ni son droit à subvenir à ses besoins. Je viole son droit à la liberté de mouvement mais, dans cette situation précise, à choisir entre la liberté de mouvement d’Allen et la vie de Jack, il paraît légitime d’opter pour la vie de Jack. Ainsi, dans ce cas, il semble clair que j’ai la permission d’intervenir.
À l’inverse, pour survivre, le prédateur n’a à sa disposition que le meurtre. Or, face à cette situation, nous nous retrouvons à nouveau devant ce choix difficile : ou bien nous intervenons mais violons un droit (celui de subvenir à ses besoins) qui, s’il est systématiquement violé, mène à la mort, ou bien nous laissons mourir la proie. Comme nous l’avons vu, il est préférable, dans cette situation, même s’il ne s’agit pas d’un cas d’assistance à personne en danger mais d’Agresseur innocent, de laisser mourir plutôt que de provoquer la mort (directement ou indirectement)[35]. Ainsi, s’il semble clair, dans le cas du malade mental que je peux ceinturer, que j’ai la permission d’intervenir pour l’empêcher de tuer, cela n’est plus le cas lorsque l’on se penche sur le cas de la prédation.
Qu’en est-il si la seule solution que j’ai pour sauver Jack (la victime malade mentale) est de tuer Allen (l’agresseur malade mental) d’un simple coup de feu ? (Supposons qu’Allen tuera également sa victime d’un simple coup de feu.) Il semble, cette fois, que nous nous retrouvions dans la même situation que celle qui concerne la prédation. Étant un patient moral, Allen, en tant que tel, ne viole aucun droit, et je me trouve dans la situation suivante : ou bien je laisse se produire quelque chose de malheureux mais qui ne découle pas d’une violation de droits (et dont je ne suis pas responsable), ou bien je viole moi-même un droit majeur : le droit de ne pas être tué. Il semble donc que, dans ce cas, je n’ai pas le droit d’intervenir. On pourrait mettre en avant le fait qu’Allen, au contraire du prédateur, n’a pas besoin d’agresser d’autres personnes pour survivre et que cela nous autorise à le tuer si c’est là la seule possibilité que nous avons de l’empêcher de nuire. Même si je ne suis pas sûr que, dans cette dernière situation, cette caractéristique fasse une si grande différence entre les deux cas, je ne trancherai pas la question. Mais je peux effectivement admettre que les cas du malade mental et de la prédation ne sont pas totalement similaires du point de vue de la survie et de la nécessité de tuer, ce qui peut impliquer des jugements différents sur notre droit de tuer. En tous les cas, pour ce qui concerne la prédation, le jugement paraît clair : au regard des raisons invoquées, nous ne devons pas intervenir, ni en tuant le prédateur ni en le faisant fuir d’une façon ou d’une autre.
En conclusion de cette section, nous pouvons ajouter que, dans les cas de légitime défense, on pourrait admettre que si je ne suis pas justifié à tuer une Menace ou un Agresseur innocents, en revanche, je peux en être excusé. Comme l’explique Nicolas Tavaglione, « justifier un acte, c’est le tenir pour moralement non problématique. Excuser son auteur, c’est non pas considérer que l’acte était non problématique, mais considérer que son auteur ne mérite pas d’être blâmé pour l’avoir accompli[36] ». Ainsi, dans le cas où je tuerais une Menace ou un Agresseur innocents, on pourrait sans doute estimer que je peux être excusé pour autant que je les ai tués par instinct de survie, « si l’on imagine à quoi ressemblerait une humanité qui en serait privée ou si l’on imagine à quoi ressemblerait une théorie morale demandant aux agents de ne plus se soucier de leur propre survie[37] ». Bien entendu, comme on l’a vu avec le cas du Badaud innocent, nous ne pouvons pas systématiquement être excusés du fait que notre « instinct de survie » nous a « poussés » à tuer une autre personne pour survivre. Toutefois, on peut admettre qu’il y a des situations où
l’instinct de survie [est] à ce point sollicité qu’on ne peut raisonnablement attendre d’un agent placé [dans cette situation] qu’il s’interdise le seul moyen à sa portée pour sauver sa peau. L’acte défensif […] n’est pas justifié par la légitime défense ; mais il est entraîné par un motif qu’il serait injustifié de vouloir éliminer et qui fonctionne comme une source d’excuse complète[38].
En revanche, ce qui est valable pour les cas de légitime défense ne l’est plus en ce qui concerne les cas de défense d’un tiers. En effet, si, dans les cas de légitime défense, l’excuse provient de l’« instinct de survie », acceptable dans certaines circonstances, alors celui qui cherche à défendre un tiers ne peut pas être pareillement excusé s’il tue une Menace ou un Agresseur innocents (nous partons du principe que la personne défendue n’est pas un proche du défenseur). Le défenseur pourrait trouver d’autres excuses, comme : « Je n’étais pas sûr que l’Agresseur soit innocent, mais j’étais sûr que la victime l’était et, dans le doute, il me semble préférable de secourir un tiers plutôt que de le laisser se faire tuer. » Toutefois, cette excuse n’est pas valable en ce qui concerne la prédation chez les animaux sauvages. Nous sommes en effet sûrs que le prédateur est innocent. Lorsqu’il s’agit de défendre un tiers qui se trouve être un animal sauvage nous ne sommes pas excusés par avance de tuer le prédateur ou de l’empêcher d’une autre façon de tuer sa proie lorsqu’il le fait pour se nourrir.
La question du nombre
Focalisons-nous sur l’exemple d’une lionne qui parvient à attraper une gazelle. Jusqu’à présent, j’ai soutenu que nous n’avions pas le droit de tuer ou de faire fuir la lionne afin de sauver la gazelle, car cela est plus grave d’un point de vue moral que de laisser la gazelle mourir, même si le phénomène de prédation fait entrer le témoin de la scène (à savoir l’être humain) dans un cas de défense d’un tiers. Toutefois, on pourrait estimer que laisser la lionne vivre est, en fait, plus grave d’un point de vue moral que de la tuer, dans la mesure où cette lionne ne tuera pas une, mais beaucoup d’autres proies. Autrement dit, laisser la lionne vivre, c’est autoriser un carnage[39]. Ne pas tuer la lionne si j’en ai la possibilité constitue donc un mal plus grave que laisser la gazelle se faire tuer, car en refusant de tuer un animal (ici, la lionne), j’en condamne beaucoup d’autres (ici, les futures proies)[40]. La question qu’il faut se poser est donc celle-ci : avons-nous la permission, voire le devoir, de violer un droit fondamental (celui de la lionne à ne pas être tuée) si c’est pour éviter de nombreux maux (non issus d’une violation de droits étant donné que la lionne, en tant que patient moral, ne viole à proprement parler aucun droit) ? Une théorie des droits relativement stricte répondra par la négative.
Rappelons-nous que le droit d’un être à ne pas être tué ne peut pas être mis en rapport avec l’utilité que sa mort aura pour les autres. Rappelons-nous également que si nous avons estimé que nous n’avons pas la permission, dans le cas de défense d’un tiers, de tuer un Agresseur innocent, c’est parce que ce dernier ne viole pas de droits. Par conséquent, ce n’est pas parce que l’Agresseur innocent qu’est le prédateur risque de tuer plusieurs individus que cela nous autorise à le tuer en retour. Si le fait qu’il tue un être ne nous autorise pas à le tuer, alors le fait qu’il en tue cinq autres — voire plus — ne nous autorise pas plus à le tuer. Ainsi, la question du nombre, dans le cas de la prédation, n’entre pas en considération.
Éradiquer la prédation ?
Il semble que, pris individuellement, le cas de prédation dont nous sommes témoins ne nous autorise pas à intervenir. On pourrait toutefois estimer qu’il est de notre devoir de tenter de réduire la prédation de manière globale, ce qui légitimerait une forme d’intervention sur le phénomène de prédation. Steve Sapontzis juge, par exemple, que nous avons l’« obligation morale de réduire les souffrances animales évitables et non justifiées[41] ». De ce fait, nous avons, selon le philosophe, l’obligation de réduire la prédation tant que faire se peut. Sapontzis estime que, pour l’heure, il est plus urgent de s’occuper des maux que l’Homme inflige aux animaux non humains que du phénomène de prédation. Mais réduire la prédation chez les animaux non humains est néanmoins un objectif moral idéal qui est légitime et vers lequel nous devons tendre. Ainsi, celui qui partagerait les vues de Sapontzis pourrait suggérer la chose suivante :
J’admets, dans les cas exposés, que je ne dois pas intervenir quand je suis témoin de prédation chez les animaux sauvages. Mais il ne tient qu’à nous, par exemple, de nourrir le plus de prédateurs possible d’une part et, d’autre part, d’empêcher, tant que faire se peut, ceux qui bénéficient de nos « soins » de chasser. Ainsi, nous pourrions protéger les habituelles proies de la prédation sans provoquer, directement ou indirectement, la mort des prédateurs. Même s’il paraît aujourd’hui peu réalisable, nous avons ce devoir, lequel mènerait à une situation plus satisfaisante et qui serait en accord avec les droits des animaux.
Effectivement, dans mes expériences de pensée, je n’ai pas, dans mon sac, de nourriture que je pourrais donner à la lionne (qu’elle soit faible ou vigoureuse). Si j’avais dans ma voiture une carcasse (imaginons que j’aie trouvé l’animal mort sur ma route et que je l’aie pris pour l’examiner), j’aurais peut-être l’obligation de la donner à la lionne. Ainsi, je sustenterais la lionne et sauverais une gazelle de manière absolue — ce serait un repas de moins pour lequel la lionne devrait tuer. Je ne ferais pas que repousser le moment où elle tuera.
Toutefois, en admettant que cela soit possible — ce qui est peu évident —, nourrir soi-même le maximum de prédateurs sauvages de manière à ce qu’ils ne mangent plus leurs proies habituelles amène d’autres problèmes qui semblent insolubles. Premièrement, nous devrions nourrir tous ces prédateurs sans tuer d’autres animaux, c’est-à-dire que nous devrions les rendre végétariens. En effet, à quoi cela sert-il d’empêcher les prédateurs de tuer si c’est pour que nous le fassions, nous ? Mais il faut bien admettre que rendre végétarien un prédateur sauvage semble être une tâche particulièrement ardue, voire impossible à bien des égards. Deuxièmement, en admettant qu’il soit possible de rendre de nombreux prédateurs végétariens (sans que cela ne constitue un mal fondamental à leur égard), force est de reconnaître que le nombre d’herbivores augmenterait de ce fait de façon conséquente. Nous serions alors certainement dans l’obligation de « réguler » la population des herbivores, autrement dit de tuer certains spécimens, ce qui, une fois de plus, semble absurde, puisque c’est précisément ce que nous voulons éviter[42].
Cependant, est-il vrai que n’avons-nous pas la possibilité de nourrir nous-mêmes les prédateurs sans pour autant devoir les rendre végétariens et sans engendrer la mort d’autres animaux ? Et est-il vrai que nous ne pouvons pas réguler la population des herbivores autrement qu’en les tuant ? Après tout, des chercheurs ont réussi à produire de la viande in vitro. De plus, on pourrait envisager de produire et de faire avaler d’une manière ou d’une autre des pilules contraceptives aux herbivores afin de prévenir leur surpopulation[43]. Malheureusement, aussi bien la viande de synthèse que les pilules contraceptives pour animaux sont encore loin, à l’heure actuelle, de constituer des produits satisfaisants pour ces derniers, de même qu’elles sont loin de pouvoir être produites à grande échelle. Le jour où ce sera le cas, nous pourrons à nouveau réfléchir à la question de la prédation. Toutefois, ce jour n’étant pas encore arrivé — et il n’est pas certain qu’il arrivera —, les problèmes qui consistent à rendre un prédateur végétarien ainsi que celui de réguler la surpopulation des herbivores autrement qu’en les tuant restent d’actualité[44]. Tant que ces problèmes ne seront pas résolus, nous devrons laisser la prédation chez les animaux sauvages se faire.
Conclusion
Résumons notre parcours. L’idée de départ était que certains critiques de la théorie des droits des animaux pouvaient arguer qu’une telle théorie, appliquée au phénomène de prédation chez les animaux sauvages, menait à des conséquences absurdes. Toutefois, la réponse apportée par Regan à cette critique était problématique en ce qui concerne le devoir d’assistance à personne en danger généralement accepté. Ainsi, nous nous trouvions devant ce dilemme apparent : ou bien la théorie des droits de Regan menait à des conséquences absurdes, ou bien elle était problématique pour le devoir d’assistance. J’ai tenté de montrer dans un premier temps comment nous pouvons sauver la théorie de Regan sans que celle-ci soit problématique pour le devoir d’assistance. Il est généralement admis qu’il est plus grave de provoquer (directement ou indirectement) la mort de quelqu’un qui serait resté en vie sans notre intervention que de laisser mourir quelqu’un en péril indépendamment des actes que nous avons accomplis. Si j’ai le choix entre sauver Jack (en péril indépendamment des actes que j’ai accomplis) mais, par voie de conséquence, provoquer la mort d’Allen (qui serait resté en vie sans mon intervention), ou laisser Jack mourir, on jugera généralement qu’il est préférable de laisser mourir Jack. Par analogie, la prédation est un cas où il est préférable d’un point de vue moral de laisser mourir la proie plutôt que de tuer ou de provoquer indirectement la mort du prédateur[45].
Dans un deuxième temps, j’ai tenté de répondre à l’argument qui veut que la prédation soit moins un cas d’assistance à personne en danger qu’un cas de défense d’un tiers qui, lui, nous amène à penser qu’il peut être justifié de tuer plutôt que de laisser mourir. Toutefois, il existe plusieurs cas de défense d’un tiers et, en suivant Otsuka, j’ai montré que le phénomène de prédation, qui s’apparente au cas dit de l’Agresseur innocent, ne justifie pas le fait de tuer (ni d’intervenir d’une autre façon pour empêcher le prédateur de tuer). En effet, les prédateurs n’ayant que ce moyen pour survivre, nous n’avons pas le droit de les tuer ou de les empêcher par tout autre moyen de tuer leurs proies lorsqu’ils le font afin de subvenir à leurs besoins. Le prédateur est un patient moral, sujet-d’une-vie, possédant certains droits qu’il est pire de violer (directement ou indirectement) plutôt que de le laisser tuer un autre animal, lui aussi patient moral.
Enfin, j’ai tenté de montrer d’une part que la question du nombre n’entrait pas en jeu dans les cas de prédation. Même si tuer la lionne permettrait d’éviter la mort de nombreuses proies, nous avons l’obligation de respecter son droit à ne pas être tuée. D’autre part, j’ai tenté de montrer qu’éradiquer la prédation de manière globale n’était pas souhaitable au regard des nombreux problèmes — dans une large mesure insolubles — qu’un tel idéal soulève — en tout cas à l’heure actuelle.
Pour conclure, je tiens à souligner une fois de plus que le présent article ne répond pas à toutes les questions que soulèvent la prédation ou la défense d’un tiers. Les conclusions concernant la prédation sont peut-être différentes de celles qui adviennent si nous devons choisir entre tuer un patient moral (agresseur) et laisser mourir un agent moral (victime). De la même façon, elles sont peut-être également différentes si le patient moral qui en agresse un autre le fait alors (1) qu’il n’en a pas besoin pour survivre ; ou (2) que l’empêcher de tuer un autre patient moral ne viole pas ses droits ; ou (3) que l’empêcher de tuer un autre patient moral ne viole qu’un droit mineur en comparaison du droit de la victime à ne pas être tuée. Par exemple, j’ai certainement la permission d’empêcher, en le ceinturant, un malade mental de tuer un autre malade mental, étant donné que la nécessité de survivre ne motive pas son agression. Si je n’ai pas d’autre moyen que de le tuer pour l’empêcher de tuer, il est également possible que, finalement, j’aie le droit de le faire, étant donné qu’il ne s’agit pas d’un cas où le malade agresse par nécessité[46]. Enfin, l’article n’aborde pas la question de la prédation chez les animaux domestiques[47]. Toutes ces questions restent pour l’heure ouvertes. J’ai uniquement cherché à montrer qu’il ne faut pas intervenir pour empêcher la prédation chez les animaux sauvages, (1) sans que cela ne soit problématique pour la théorie des droits de Regan, (2) sans que cela ne soit problématique pour le devoir d’assistance généralement accepté, et (3) en étant en accord, en tout cas, avec une théorie de défense d’un tiers. Même si, dans ce dernier cas, les conclusions d’Otsuka sont au premier abord contre-intuitives et qu’il ne s’agit peut-être pas de la théorie « généralement acceptée » mais de celle qui, après réflexion, semble être la plus juste.
Parties annexes
Notes
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[1]
Je remercie Nicolas Tavaglione, Enrique Utria, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, les participants au colloque de doctorants en éthique de l’Université de Genève ainsi que les deux évaluateurs anonymes de Philosophiques pour leurs précieux commentaires.
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[2]
1983, p. 284-285.
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[3]
La situation est jugée absurde si l’on refuse l’idée que l’on puisse rencontrer dans la vie des dilemmes moraux, c’est-à-dire des « conflits [pratiques] d’un type spécial dont le trait distinctif est d’ordre épistémologique : ils sont insolubles » (Tavaglione, 2005, p. 96 ; à moins que je ne le précise, c’est toujours l’auteur qui souligne). Toutefois, je ne discuterai pas cette ligne de défense dans la mesure où ma réponse à la critique des conséquences absurdes montre que la question de la prédation ne constitue pas un dilemme pour les partisans des droits des animaux.
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[4]
Regan, 1983, p. 285. Toutes les citations tirées d’ouvrages ou d’articles en anglais ont été traduites par mes soins.
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[5]
Regan, 1983, p. 285.
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[6]
Regan, 1983, p. 151.
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[7]
Regan, 1983, p. 152-153.
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[8]
1990.
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[9]
Jamieson, 1990, p. 349.
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[10]
Regan, 1983, p. 235-236.
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[11]
Regan, 1983, p. 237.
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[12]
Regan, 1983, p. 239. « Les individus sont lésés lorsque leur bien-être est gravement diminué. Tous les maux ne nuisent pas de façon égale, et de la même façon » (Regan, 1983, p. 94). Les maux en question incluent les souffrances physiques et psychologiques ainsi que les privations, entendues ici comme étant la « perte de ce qui rend possible ou augmente les sources de satisfaction dans la vie » (Regan, 1983, p. 97).
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[13]
Regan, 1983, p. 243. Une telle description du critère du sujet-d’une-vie peut sembler problématique : par exemple, est-ce qu’un nouveau-né possède toutes les caractéristiques exigées ? Il ne semble pas. Dès lors, cela signifie-t-il qu’il ne possède pas de droits ? Je ne trancherai pas ici la question, mais il est évident qu’une telle conclusion est totalement contre-intuitive. Rien ne nous empêche donc, par exemple, d’estimer que Regan est trop exigeant et que le simple fait de pouvoir ressentir de la souffrance et du bien-être suffit à posséder des droits. C’est une entorse à la théorie du philosophe, mais une entorse qui, d’une part, ne mine pas le reste de sa théorie et qui, d’autre part, postule une caractéristique qui semble suffisante pour défendre une théorie des droits des animaux. Un tel argument ne serait donc pas un argument ad hoc créé afin de mieux satisfaire nos intuitions, mais un argument économique : il suffit d’être un être sensible pour avoir des droits. Les autres caractéristiques n’apportent rien de plus, ou alors il s’agit de démontrer en quoi elles sont nécessaires pour posséder des droits. Par souci de simplicité, je continuerai à user de la terminologie de Regan, mais le lecteur peut se sentir libre de substituer le terme « être sensible » au terme « sujet-d’une-vie » lorsque j’utilise ce dernier.
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[14]
Regan, 1983, p. 248-249.
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[15]
Regan, 1983, p. 249.
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[16]
Le lecteur m’excusera de ne pas développer, pour des raisons d’« économie », une expérience de pensée en bonne et due forme.
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[17]
Pour être tout à fait complet, il faudrait encore préciser ce que nous entendons par « trop dommageable », mais cela n’est pas nécessaire pour la question qui nous occupe.
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[18]
Peu importe ici que la lionne ne doive nourrir qu’elle-même ou qu’elle doive nourrir des petits ou d’autres membres de sa troupe. De la même façon, peu importe si la gazelle a des petits dont elle doit s’occuper ou non. Cela n’entre pas en considération dans la discussion présente. Comme nous l’avons vu, la valeur inhérente d’un être est indépendante du fait qu’il soit un objet de préoccupation pour quelqu’un ou de l’utilité qu’il peut avoir pour les autres. Par exemple, le droit d’une lionne solitaire à ne pas être tuée n’aura pas moins de valeur que celui de la gazelle, même si cette dernière a un petit qui dépend d’elle. Toutes deux ont un droit équivalent à ne pas être tuées.
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[19]
Bien entendu, pour le besoin de l’argumentation, je considère que les personnes qui se trouvent dans la misère le sont indépendamment des actes que j’ai pu accomplir.
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[20]
Je suppose que les libertariens, qui adhèrent fermement au principe de propriété de soi, n’accepteraient pas l’idée que provoquer un dommage physique à une autre personne sans son accord puisse être légitime. Mais cela n’a pas d’importance pour notre raisonnement. La conception libertarienne qui limiterait plus que je ne le fais le devoir d’assistance n’a pas de répercussion sur mes conclusions concernant la prédation et les droits des animaux.
On pourrait également envisager l’idée qu’au lieu que mon aide déclenche sans aucun doute une avalanche qui tuera Allen, il n’y a, par exemple, qu’une possibilité sur cent qu’une telle avalanche soit déclenchée. Dans cette situation, dois-je venir en aide à Jack ou pas ? Je laisse ici cette éventualité de côté dans la mesure où je traite plus loin du cas analogue où je sauve la gazelle sans nécessairement provoquer la mort de la lionne.
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[21]
Je remercie Nicolas Tavaglione d’avoir attiré mon attention sur ce point.
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[22]
On peut se demander si j’ai la permission ou le devoir de tuer Allen. Les théories de légitime défense parlent généralement de permission de tuer, non de devoir. En ce qui concerne la défense d’un tiers, la question devient cruciale dans la mesure où cette théorie semble faire appel à la fois au devoir d’assistance à personne en danger et aux justifications classiques de la permission de tuer en cas de légitime défense. Toutefois, dans cet article je m’en tiendrai à la question de la permission, sans tenter de savoir si nous avons le devoir ou simplement la permission de tuer lorsqu’il s’agit de défendre un tiers. Et ce pour une raison simple : si j’ai la permission de faire quelque chose, cela ne signifie pas que j’ai le devoir de la faire. Par exemple, ce n’est pas parce que j’ai la permission de faire la grasse matinée que j’ai le devoir de me lever tard. J’ai aussi la permission de me lever tôt. Par contre, si je n’ai pas la permission de faire X, il est impossible que j’aie le devoir de faire X. De ce fait, si je montre que je n’ai pas la permission d’intervenir dans les cas de prédation chez les animaux sauvages, je montre en même temps que je n’ai pas le devoir de le faire.
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[23]
Je ne tente pas de savoir ici si nous retombons ou non dans la situation où les conséquences de la théorie des droits des animaux sont jugées absurdes. Que ce soit le cas ou que le problème soit « juste » que je défends l’idée que nous n’avons pas le droit d’intervenir afin d’empêcher la prédation chez les animaux sauvages alors que nous en avons la permission, ma réponse à ces critiques sera la même.
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[24]
Thomson, 1991, p. 306.
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[25]
Thomson, 1991, p. 308.
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[26]
Otsuka, 1994, p. 74-75 ; c’est moi qui souligne.
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[27]
Nancy Davis (1984) « Abortion and Self-Defense », Philosophy and Public Affairs 13, no 3, p. 190, cité dans Otsuka (1994, p. 75).
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[28]
Otsuka, 1994, p. 75.
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[29]
Thomson, 1991, p. 302.
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[30]
Otsuka, 1994, p. 75.
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[31]
Ibid.
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[32]
Otsuka, 1994, p. 76-77.
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[33]
Otsuka, 1994, p. 74.
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[34]
Otsuka, 1994, p. 92.
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[35]
J’ai également montré auparavant en quoi, au mieux, il était inutile d’un point de vue moral d’intervenir en faveur de la proie sans provoquer la mort du prédateur.
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[36]
Tavaglione, 2009, p. 16.
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[37]
Tavaglione, 2009, p. 17.
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[38]
Ibid.
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[39]
Je remercie François Jacquet d’avoir soulevé ce point.
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[40]
Certes, la lionne chasse également pour d’autres. En tuant une gazelle, une lionne permet de nourrir les membres de sa troupe et, indirectement, des charognards. Toutefois, je doute que « le compte soit bon ». Pour vivre, un prédateur doit manger plus d’un herbivore dans sa vie. Ainsi, même si la lionne qui chasse permet de nourrir d’autres êtres qu’elle-même, il y aura toujours plus de proies tuées que de prédateurs vivants grâce à la chasse.
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[41]
Sapontzis, 1996.
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[42]
Un dernier argument serait qu’on peut douter du fait que contrôler à ce point la nature soit souhaitable, mais il concerne plus l’éthique environnementale que la question des droits des animaux, raison pour laquelle je ne le traite pas ici.
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[43]
Merci à François Jacquet et Enrique Utria d’avoir attiré mon attention sur ces points.
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[44]
Le but d’éradiquer la prédation étant d’éviter de laisser mourir des animaux, la solution de rechange qui consisterait, non pas à tuer les herbivores en surnombre, mais à les laisser mourir à la suite de l’inévitable rareté des ressources n’est pas plus satisfaisante.
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[45]
Bien entendu, de la même façon, il est préférable de laisser s’échapper la proie plutôt que de provoquer sa mort, quitte à ce que le prédateur meure de faim. Même si je ne le préciserai plus, cette conclusion découle logiquement du raisonnement défendu jusqu’ici.
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[46]
Sur ce dernier point, comme je l’ai déjà dit, je suis plutôt sceptique, mais comme l’article ne permet pas tout à fait de trancher la question, je laisse cette dernière ouverte.
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[47]
Il semble toutefois, après ce que nous venons de dire, que, par exemple, j’ai le devoir d’empêcher mon chat de chasser, dans la mesure où (1) il n’est pas nécessaire pour sa survie de chasser (c’est moi qui le nourris) ; et (2) que l’empêcher de chasser (tant que, pour ce faire, je ne le tue pas) ne viole pas un de ses droits ou, à la limite, viole un droit mineur en comparaison du droit de la proie à ne pas être tuée.
Bibliographie
- Jamieson, Dale. « Rights, Justice, and Duties to Provide Assistance : A Critique of Regan’s Theory of Rights », Ethics, Vol. 100, No. 2, 1990, p. 349-362.
- Otsuka, Michael. « Killing the Innocent in Self-Defense », Philosophy and Public Affairs, Vol. 23, No. 1, 1994, p. 74-94.
- Regan, Tom. The Case for Animal Rights, Berkeley, Los Angeles, University of California Press, 1983.
- Sapontzis, Steve F. « Faut-il sauver le lièvre du renard ? », Les cahiers antispécistes, no 14, 1996, URL : www.cahiers-antispecistes.org.
- Tavaglione, Nicolas. Le dilemme du soldat. Guerre juste et prohibition du meurtre, Genève, Labor et Fides, 2005.
- Tavaglione, Nicolas. « La résurgence du pion. Individualisme moral, légitime défense et guerre juste », Igitur- Arguments philosophiques, vol. 1, no 1, p. 1-21, 2009, URL : http://www.igitur.org.
- Thomson, Judith Jarvis (1991). « Self-Defense », Philosophy and Public Affairs, Vol. 20, No. 4, p. 283-310.