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Les dramaturgies françaises actuelles, dans leurs diverses déclinaisons, connaissent un essor important. Or, celles-ci demeurent en partie méconnues à l’extérieur de l’Hexagone où elles essaiment modestement. En ce qui concerne le Québec, espace géoculturel depuis lequel est produite la revue Percées, semblent persister les traces, certes infimes, mais tenaces, d’une retenue face aux écritures françaises. Cette réserve s’origine dans l’ample mouvement d’affirmation identitaire du théâtre québécois au tournant des années 1960 et 1970, une période tendue par « un double discours : d’une part, celui lié à un récit d’émancipation collective qui se veut rassembleur et, d’autre part, celui d’un contre-récit qui en questionne les velléités autarciques et nivelantes[1] » et que trahit la méfiance à l’égard des imaginaires et des constructions sociodiscursives provenant de l’étranger. Qu’en est-il aujourd’hui? Alors que l’autonomie et la singularité des dramaturgies québécoises est désormais bien établie, et que celles-ci, voyageuses, se développent et se vivifient au contact d’autres cultures, il semble que les dramaturgies françaises contemporaines, avec lesquelles il ne s’agit pourtant pas (plus) de rivaliser, peinent encore à se trouver ici une niche – boudées par les directions artistiques des théâtres, ignorées par les institutions d’enseignement où elles sont peu présentes dans les corpus d’études théâtrales et de littérature[2]. Font bien sûr saillie, ici et là sur nos scènes, quelques productions de pièces de Fabrice Melquiot ou de Bernard-Marie Koltès – mais les textes koltésiens précèdent déjà, de loin, les dramaturgies en train d’éclore et de s’affirmer aujourd’hui – et les écritures françaises actuelles, pour peu qu’elles participent de ce type de mise en circulation, se rencontrent parfois à l’occasion des festivals internationaux, notamment le Festival TransAmériques et le Festival du Jamais Lu. Avec son antenne parisienne, cette dernière manifestation établit d’ailleurs depuis quelques années un dialogue fécond entre les auteur·trices et les univers de fiction qui sont mis en lumière des deux côtés de l’Atlantique.

Un même désir de découverte anime le présent dossier élaboré par Pauline Bouchet, maître de conférence à l’Université Grenoble Alpes et membre de la rédaction de Percées. Ce numéro vise en effet à éclairer et à faire rayonner les dramaturgies françaises d’aujourd’hui, à les faire connaître aux lecteur·trices du Québec et aux divers lectorats francophones de notre revue. Outre cet objectif de mise au jour des écritures, le dossier s’attache également à en opérer une saisie rigoureuse et originale à travers le prisme des rapports (esthétiques, discursifs, politiques) que celles-ci entretiennent avec le réel. Il n’est donc pas question ici de réunir en un tout unifié les différents paysages dramaturgiques étudiés, et de risquer, ce faisant, d’en aplanir les particularités et les aspérités, mais bien d’élaborer une trajectoire réflexive faite d’échos mais aussi de frictions, voire de ruptures, entre des imaginaires, des formes d’énonciation, des points de vue sur le réel et des façons de les appréhender. Si, dans les dernières années, les études dramaturgiques se sont surtout concentrées sur les différentes articulations et ramifications de la crise du drame, séisme depuis lequel se déclinent toutes les autres « crises » qui affectent les composantes du texte de théâtre – en particulier le personnage, objet d’une attention soutenue –, et que d’autres axes d’analyse ont plutôt investi les mutations du dispositif d’énonciation ou les scènes intermédiale et immersive[3], Pauline Bouchet propose ici une autre perspective, inédite, où la complexité du rapport au réel agit comme un principe organisateur polymorphe et mouvant. Les articles élaborés par les collaborateur·trices réuni·es ici attestent tout à la fois de la richesse et de la diversité des dramaturgies françaises contemporaines et de la multiplicité des approches (théoriques, méthodologiques) qui en permettent l’abord.

Aussi dans ce numéro

Dans la section « Pratiques et travaux », dédiée aux articles hors dossier, nous accueillons deux contributions : la première, élaborée par Hannah Volland, étudiante au doctorat en études françaises à l’Université de Toronto, se penche sur les pièces Small Talk, de Carole Fréchette, et Red voit rouge, de Jean Marc Dalpé, pour y débusquer et analyser, à travers le dispositif de la honte, une « éthique de l’affect »; la seconde, rédigée par Jeanne Murray-Tanguay, candidate à la maîtrise en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal, noue une approche cinéfictionnelle à l’analyse théâtrale pour examiner, à partir d’un point de vue subjectif, l’influence de l’esthétique filmique dans la pièce L’imposture de l’autrice Evelyne de la Chenelière. Sous la rubrique « Revue des revues », enfin, Lydia Couette, diplômée de la maîtrise en lettres de l’Université du Québec à Trois-Rivières, présente une recension critique de parutions récentes des revues Jeu, Agôn et Alternatives théâtrales.

Bonne lecture!