Résumés
Résumé
Réalisé initialement dans le cadre du cours universitaire « Critique cinématographique », cet entretien avec la cinéaste québécoise Sophie Goyette investigue les thèmes du deuil et de la perte de l’être aimé qu’on retrouve au cœur du premier long métrage de Goyette Mes nuits feront écho (2016) ainsi que dans ses premiers courts métrages La Ronde (2011) et Le Futur Proche (2012). Au fil de cette discussion, Goyette aborde la façon dont se déploie son monde intérieur dans ses films de même que la part d’humanisme qui les traverse. Faisant primer dans ses images l’Humain, la nature, l’immensité, Goyette revient sur certaines étapes marquantes de son parcours de réalisatrice et sur son envie de continuer à « faire rêver les gens pour se faire rêver aussi ». En mettant l’accent sur l’importance de s’habituer à un cinéma « plus exploratoire, moins normatif » au Québec, la cinéaste expose son rapport à la création et réfléchit à son lien intime avec le septième art.
Mots-clés :
- Court-métrage,
- Intimité,
- Cinéma des femmes
Abstract
Originally produced as part of the class “Critique Cinématographique”, this interview conducted with Québec filmmaker Sophie Goyette investigates the themes of mourning and loss of the loved one found at the heart of the first Goyette’s feature film Mes nuits feront écho (2016) as well as in her first short films La Ronde (2011) and Le Futur Proche (2012). In the course of this discussion, Goyette discusses how her inner world unfolds in her films. Favoring images of the human, nature, immensity, Goyette returns to some of the milestones of her career as a director and her desire to continue to “make people dream to make herself dream too.”By emphasizing the importance of becoming accustomed to a" more exploratory, less normative "cinema in Quebec, the filmmaker presents her relation to creating and reflects on her intimate connection with the seventh art.
Corps de l’article
En découvrant La Ronde (2011), Le Futur proche (2012) ainsi que le premier long-métrage de Sophie Goyette, Mes nuits feront écho (2016), nous avons été happées par un cinéma profondément mûr et éclairé en ce qui a trait à la question du deuil, autant dans sa facture – plans larges sur les paysages vastes, plans rapprochés sur les visages méditatifs des personnages – que dans son contenu : le deuil est la voie par laquelle les personnages tentent de se redécouvrir et font l’apprentissage de leur force intérieure. La scénariste et réalisatrice Sophie Goyette, maintes fois primée pour ses cinq courts-métrages et pour son long-métrage Mes nuits feront écho, a accepté de discuter avec nous du thème de la perte.
Sarah Gauthier et Mélina Verrier : Autant dans La Ronde (2011) que dans Mes nuits feront écho (2016), on retrouve, au sein de la trame narrative, un personnage qui doit composer avec la perte d’un être aimé. Que signifie, pour vous, porter le deuil ?
Sophie Goyette : Je vais répondre en deux volets. D’abord, quand j’ai quitté le domaine de la microbiologie, j’ai travaillé comme préposée aux familles dans des salons funéraires pendant environ deux ans. C’était un travail assez psychologique, où il faut être là pour les familles. J’ai occupé des emplois assez particuliers, mais que j’ai aimés parce que ça me permettait d’être près des gens. Dans les salons funéraires, on pouvait avoir un impact immédiat sur les familles, chose que les films peuvent aussi permettre, dans certains cas. Je pense que la mort est un sujet tabou, mais, pour moi, elle l’est moins, parce que je l’ai vécue de près, dans différentes circonstances. Dans les salons funéraires, je l’ai connue autant à travers des personnes de mon âge que des grand-mamans et des grand-papas. Ça fait en sorte que, pour moi, elle n’est pas aussi négative qu’on pourrait le penser. Ce qu’on voit dans mes films, ce n’est jamais autobiographique, mais c’est mon monde intérieur. Quand on fait un court-métrage, on cherche souvent un pivot dramatique, comme lorsqu’on a l’impression qu’il y a quelque chose de vraiment significatif qui va arriver à un personnage et qu’il y a alors une porte qui s’ouvre sur un moment de compassion et d’empathie. Je donne un exemple: dans un court-métrage, une femme fait une fausse couche. Elle va s’en souvenir toute sa vie, c’est un pivot, un moment dramatique. On dirait que moi, tout naturellement, je suis allée vers le deuil. Mais ça n’a pas toujours été le cas. Quand je pense aux courts-métrages que j’ai faits, avant La Ronde, Le Futur proche et Mes nuits, j’aborde autre chose que le deuil. Dans Mes nuits, je touche aussi au thème du rêve. Je pense que si j’avais travaillé pendant deux ans et demi dans un hôpital, ça aurait été autre chose. C’est comme si mes personnages, quand je rédige mes histoires, quand je les écris, répondaient à mon monde intérieur du moment.
Sarah Gauthier et Mélina Verrier : Dans Le Futur proche (2012), le pilote d’avion essaie de surmonter son deuil grâce à une échappatoire concrète : il fuit à bord de son avion. Il a le contrôle de celui-ci. Il s’échappe, mais dans son travail. Quelle a été la réflexion derrière le sentiment de deuil de ce personnage?
Sophie Goyette : Je me souviens très bien que Le Futur proche marquait mes 29 ans. Le premier nombre qu’on voit quand l’avion est sur la piste, c’est 29. À l’aéroport, j’avais le choix. J’ai choisi 29 parce que ce que le personnage vit, c’est ce que je vivais. Ce n’était pas un deuil, mais j’avais l’impression que ma vie basculait. Il y avait un point de non-retour personnel et professionnel. Quand on expérimente le deuil, c’est comme, pendant un moment, être en état d’apesanteur. On voit les choses différemment. Disons que, très malheureusement, notre mère décède : il ne reste plus rien, mais ce n’est pas que les choses n’ont plus de sens, c’est qu’il y a un moment d’observation où on se sent complètement coupé du monde. C’est vraiment ce que j’avais besoin d’expérimenter à travers ce personnage-là.
Sarah Gauthier et Mélina Verrier : Pour le pilote du Futur proche, il n’est pas question d’un abandon total de sa vie par l’expatriation, le voyage, comme avec d’autres personnages de vos films, féminins cette fois, notamment Ariane dans La Ronde ou Éliane dans Mes nuits feront écho. Au contraire, il se replie encore plus sur ce qu’il connaît et ce qu’il maîtrise. Est-ce que l’individu, peu importe son genre, est à même de témoigner du deuil ?
Sophie Goyette : Quand j’ai fait mon repérage et mon casting sauvage pour Le Futur proche afin de trouver un non-professionnel qui allait incarner ce pilote et cette fiction, avec des textes très dirigés, je n’avais pas de pilote femme, seulement des pilotes hommes. Je cherchais la meilleure personne, homme ou femme. Dans La Ronde, c’était important pour moi qu’il y ait des jumeaux. Quand je développais les personnages des jumeaux, je trouvais que pour un court-métrage qui était déjà de 23-24 minutes, ça allait être un peu trop lourd d’évoquer leurs deux parcours simultanément et j’ai finalement décidé de m’attarder à la quête d’Ariane, le personnage féminin. Mais j’ai vraiment eu, au départ, une sensibilité homme/femme. J’ai choisi le personnage d’Ariane, car, pour moi, elle a aussi un côté masculin et j’ai choisi Patrice, qui devient mon pilote Robin dans Le Futur proche, parce qu’il a un côté féminin. Mais ce n’est pas quelque chose que je calcule. En moi, je suis homme et femme et ça se déploie dans mes films, notamment dans Mes nuits. Quand mes amis proches voient le film, ils me reconnaissent dans tous les personnages. Je suis autant les deux hommes mexicains que le petit garçon mexicain au piano ; je suis tout autant Éliane. J’ai l’impression qu’il y a toujours une partie de moi dans tous mes personnages. Je pense que la manière dont le personnage d’Ariane répond au deuil dans La Ronde s’inscrit dans la façon dont mon monde intérieur s’est formé cette année-là. Je devais avoir 28 ans – je faisais un court par année – et ce film, c’était moi à 28 ans. Puis à 29 ans, c’était Le Futur proche, car j’avais autre chose en moi.
Sarah Gauthier et Mélina Verrier : Est-ce que la forme cinématographique a à voir avec ce monde intérieur ? Vous avez réalisé vos deux plus récents courts-métrages à 28 et 29 ans et votre long-métrage de fiction par la suite.
Sophie Goyette : Un long-métrage, c’est plus particulier parce que le tu portes en toi pendant des années. J’ai écrit Mes nuits assez rapidement, en quelques mois. Le film s’est fait en deux ans et demi. L’écriture, la réalisation répondaient à mon monde intérieur des trois dernières années. Quand j’écrivais Mes nuits, on était dans une époque où Trump venait d’être élu, parlait de construire des murs. J’avais besoin de sentir qu’on est plus unis qu’on pense. Je me suis dit : « Je vais faire un triptyque avec trois personnages, de trois générations différentes, dans trois pays différents pour qu’on ait l’impression qu’il y a quelque chose de plus grand que nous qui nous unit ». Je suis allée dans des projections de mon film où des femmes de Trois-Rivières comme des femmes en Inde venaient me voir pour me dire : « Pendant 1h30, je ne me suis plus sentie seule au monde, j’avais l’impression que quelqu’un me comprenait et m’écoutait ». C’était ça mon but, c’était de me dire que je ne peux pas être là pour chaque personne, mais mon film, lui, peut l’être parce qu’il va voyager plus que moi dans la vie.
Sarah Gauthier et Mélina Verrier : Vous parliez, plus tôt, de pivot en ce qui a trait au deuil. Le deuil, c’est le point autour duquel vous arrivez à aborder d’autres thèmes?
Sophie Goyette : On parle souvent à Xavier [Dolan] de la mère dans ses films. Ça arrive souvent qu’on me parle du deuil, mais, pour moi, ce n’est pas le thème principal. On dirait que c’est quelque chose de scénaristiquement très intéressant pour faire vivre au personnage un choc. Ç’aurait très bien pu être une peine d’amour, mais on dirait que ce n’est jamais aussi radical que la mort. La mort, ça a été un levier pour moi, pour voir comment je pouvais accompagner des personnages de très près et parler différemment de mon monde intérieur.
Sarah Gauthier et Mélina Verrier : Votre monde intérieur transparaît en effet dans la grande sensibilité et l’humanité de vos films.
Sophie Goyette : C’est l’humanité qui prime. J’ai l’impression que la personne qu’on est transparaît dans le scénario ou dans la réalisation d’un film. Il y a peut-être des réalisateurs qui visent à faire quelque chose de touchant, mais qui n’y arrivent pas parce qu’ils ont beaucoup de cynisme ou d’amertume en eux. Je trouve que tout part de l’humain, avec un grand H. Moi, je peux seulement essayer d’être le meilleur humain possible pour que ça se déploie dans mes personnages. Pour Le Futur proche, j’ai pris un pilote qui était très proche de mon personnage écrit. La manière dont je lui faisais vivre le deuil s’est imposée à partir de ce que je ressentais. Ce que je vivais à 29 ans, c’était peut-être un point de bascule. C’était quelque chose qui venait de moi et qui s’est traduit en d’autres actions.
Sarah Gauthier et Mélina Verrier : Nous avons vu dans vos films que l’apprentissage de la force intérieure passe par l’envie de fuir. Dans La Ronde, Ariane flâne dans la banlieue lavalloise. Dans Le Futur proche, l’homme semble trouver du réconfort en étant éloigné de la réalité, dans le ciel. Pour ce qui est de Mes nuits feront écho, Éliane ressent le besoin de quitter complètement le pays. Comment la difficulté d’accepter la perte rend-elle la sédentarité impossible? Est-ce que l’intensité de la douleur est si asphyxiante dans le lieu associé à la personne perdue qu’il est impératif de partir?
Sophie Goyette : En tant qu’humain, c’est quelque chose que j’ai appris. C’est naturel, quand on est dans notre vingtaine, dans notre adolescence, de fuir. Mon constat, dans Mes nuits, c’était que Romes et Pablo se dévoilaient des vérités quand ils étaient dans la chambre d’hôtel pendant les dernières minutes du film, alors qu’ils auraient pu se les dire au Mexique dans la résidence pour personnes âgées, et être vrais et profonds : ils avaient ça en eux. J’ai l’impression qu’en tant qu’humains, on a besoin d’aller au bout du monde pour se distancier de soi et des autres. Si, par exemple, on voyage demain matin en Italie, on va tout observer : le café va être le meilleur café qu’on aura jamais bu. C’est comme si, en voyage, on était dans un espace-temps latent, en apesanteur. Comme le deuil, il y a quelque chose, dans ces moments-là, qui nous permet de plonger au plus profond de nous. On dirait aussi que, parfois, on va au bout du monde et on peut s’ouvrir à un étranger ou à une étrangère, une personne qu’on connaît à peine. C’est un moment de vulnérabilité franche qu’on ne revivra plus jamais. C’était mon constat pour Mes nuits: à quel point on doit aller au bout du monde pour s’ouvrir alors que tout pourrait être dit ici, tout pourrait être changé ici. On pourrait avoir cette perspective différente chaque jour, mais on a besoin de sortir de son quotidien.
Sarah Gauthier et Mélina Verrier : C’est l’idée que, dans notre quotidien, on devient un peu aveugle à ce qui nous entoure parce qu’on est en contact direct avec ce qui est près de nous. Nous devons aller ailleurs pour nous ouvrir à des possibles.
Sophie Goyette : L’échappatoire de Robin dans Le Futur proche, c’est de prendre de la distance dans le ciel. Ce que je voyais, c’est à quel point, dans les airs, les autos, qui sont des objets hideux quand on les voit dans les stationnements des centres commerciaux, d’en haut, deviennent de petites pierres précieuses, de petits bijoux. C’est une tentative de voir le monde différemment.
Sarah Gauthier et Mélina Verrier : Il y a des instants dans Mes nuits feront écho où les personnages sont de dos et tout ce qu’on entend, ce sont les mots en arrière. Vous avez une sensibilité pour la poésie des mots.
Sophie Goyette : Je ne suis pas poète ou auteure, je suis scénariste, mais, pour moi, ce qui compte, c’est de redonner l’importance aux mots à certains moments et de ne pas avoir peur de les assumer, même si ce sont des mots compliqués. Je pense qu’au cinéma, il faut faire très attention à la sonorité d’une phrase. Tu la travailles pour qu’il y ait quelque chose qui accroche joliment l’oreille et qui fasse qu’on s’intéresse encore plus au personnage. Il ne faut pas simplement lire nos dialogues, mais les tester à voix haute. J’ai reçu comme un compliment que certaines personnes me demandent le texte de Mes nuits feront écho. Ils me demandaient si j’allais en faire une publication et voulaient avoir accès au scénario. C’est touchant quand tu fais un film et que tu te rends compte qu’il peut être transmis de différentes façons. Quand le film est sorti, il y a une salle qui a fait une exposition de photos en même temps. Donc, ce n’était plus seulement les mots, mais aussi les images. Il fallait choisir cinq ou six images format géant pour représenter l’univers du film. Le scénario pour moi est hyper important. Autant je suis une fille d’images, autant les mots, c’est de la poésie. Il y a, oui, la poésie visuelle, mais il y a quelque chose qui peut être de l’ordre d’un français parlé non normatif. On peut inventer un monde en cinéma et je pense que parfois, on l’oublie. C’est l’fun d’avoir des bulles qu’on invente, un peu comme Réjean Ducharme, ou comme Jean-Claude Lauzon. Dans leur cinéma, on a l’impression que tout est possible, même dans le parler un peu décalé des personnages.
Sarah Gauthier et Mélina Verrier : Pour la scène d’ouverture de Mes nuits feront écho, on entend une voix féminine avec un accent hispanique?
Sophie Goyette : Ça, c’est une histoire en soi ! J’ai écrit mon scénario et je suis allée pour la première fois en repérage au Mexique. Je ne parlais pas espagnol, j’ai essayé de l’apprendre rapidement, puisque ça ressemble un peu au français. Je suis partie seule au moins deux ou trois fois pour trouver les acteurs et les lieux de repérage. Une nuit au Mexique, je me suis trouvée dans une auto et la seule chose que j’entendais, c’était la voix de cette femme. Dès que je l’ai entendue, je me suis dit que c’était elle qui allait dire les lignes d’ouverture de mon film. C’était une ancienne actrice et chorégraphe très connue au Mexique, très respectée. Quand je faisais la conception sonore de Mes nuits, elle est décédée. Je plaçais ses mots dans le film et j’ai appris son décès. J’ai fait un montage des scènes du film avec sa voix et je l’ai envoyé à sa famille pour leur dire qu’elle serait toujours avec eux. C’est une grande femme que j’ai eu l’honneur d’avoir dans mon film. Il y a quelque chose de plus grand que nous et c’est ce que j’essaie de mettre dans le film, humblement. Ce qui nous dépasse. J’ai besoin d’être portée par quelque chose de plus grand. Pour le Mexique et la Chine, ce sont des pays plus anciens. Je sentais l’Histoire et une spiritualité plus profonde, que j’ai essayé de transposer dans le film.
Sarah Gauthier et Mélina Verrier : Le traitement de la temporalité dans Mes nuits feront écho est très réussi. C’est comme si le long-métrage se donnait le temps, au même rythme que les personnages, d’explorer cet état émotionnel. Nous avons trouvé la scène de révélation de la mort des parents très forte parce qu’elle est l’aboutissement de la séquence avec Éliane. Le film a pris le temps, avec elle, d’arriver à ce moment d’expression du trauma. Est-ce que c’était une esthétique réfléchie?
Sophie Goyette : Oui ! C’était vraiment voulu. J’expliquais aux acteurs que c’était une course à relais avec le temps et quand Éliane dit : « When you see someone for the last time, you don’t know it’s for the last time », le spectateur ne le sait pas encore, mais c’est la dernière fois qu’on la voit. C’était vraiment pour qu’on passe d’un personnage à un autre et que ça soit comme un relais. Ça revient à cette forme que j’avais en tête.
Sarah Gauthier et Mélina Verrier : Il y a une partie très onirique dans le film avec le personnage de Romes, quand il parle au téléphone. Est-ce que c’était un rêve?
Sophie Goyette : Oui. C’était comme un rêve dans un rêve. C’est pour ça qu’après je le ramène sur le bateau avec Éliane et qu’on montre qu’ils se sont endormis. Je voulais trouver une façon moins évidente d’inclure le rêve, encore une fois pour dérouter, évoquer un monde de sensations pour qu’on ne soit pas juste ici, mais ailleurs. Je peux comprendre que lorsqu’on n’est pas habitué au cinéma exploratoire, moins normatif, ça peut être déroutant, mais je pense que c’est sain d’en voir un peu juste pour ressentir quelque chose différemment et pour essayer de lâcher prise, d’embarquer dans un flot et de vivre le film différemment aussi.
Sarah Gauthier et Mélina Verrier : Il y a un imaginaire de la nature avec le brouillard, l’eau, le flot. Est-ce que c’est quelque chose qui est important pour vous? Est-ce que ce serait en lien avec l’onirisme?
Sophie Goyette : Je suis née à Montréal, je suis une fille très urbaine, mais la nature pour moi c’est quelque chose qui appartient à plus grand que soi. Si, un jour, il n’y a plus d’humains sur terre, c’est la nature qui va primer. Il y a quelque chose pour moi dans les étoiles, l’eau, la jungle, dans la nature qu’on pense pouvoir maîtriser, mais qui nous échappe. Dans mon film À l’état sauvage, un petit garçon de huit ans fuit sa réalité violente et va dans un planétarium. Oui, ça se passe à Montréal, mais j’avais besoin des étoiles. J’ai besoin d’immensité. J’ai besoin de faire rêver les gens pour me faire rêver aussi. Il y a le deuil dans la vie, il y a des choses extrêmement tristes, sans point de retour, mais il y a aussi quelque chose qui nous enveloppe, qui est plus grand que nous. Ce court-métrage parlait de violences faites à l’enfant. C’est encore quelque chose de négatif qu’on peut voir dans la vie, mais qui est relié ici avec le Planétarium à quelque chose de très grand et de beau en même temps, qui peut apporter de l’apaisement. Donc, oui c’est important, mais je ne l’analyse pas. Ça sort ainsi et après, je vois ce qui s’est passé. Je trouve ça super beau les interprétations que vous faites de mon film, j’ai l’impression que vous saisissez beaucoup de choses, mais de mon côté, je n’intellectualise pas ça sur le coup.
Sarah Gauthier et Mélina Verrier : Après au moins deux courts-métrages sur la question du deuil et de son possible surpassement, êtes-vous arrivée, avec votre long-métrage, à une forme de sagesse quant au deuil, une compréhension de cette épreuve, une forme d’aboutissement du sujet ? Comment Mes nuits vient-il clore cette exploration thématique?
Sophie Goyette : Je pense que ça va toujours être en moi parce qu’il y a des choses que je peux vivre dans mon monde intérieur d’année en année et il y a des choses qui sont plutôt relatives à la personnalité. Je trouve vraiment porteur de voir ce genre de thématique sur un écran, peu importe l’écran, pour que les gens sentent à quel point ils sont beaux, intelligents, résilients. Ce qui m’a le plus touchée de toute l’aventure de Mes nuits feront écho, c’était de rencontrer des gens plus vulnérables qui venaient m’en parler et de savoir que le film leur avait donné de la force. C’était de leur dire : « Moi je crois en vous, vous êtes brillants, surpassez le deuil, surpassez votre peine d’amour, la violence, etc. » J’essaie de donner ça comme je peux. Si ça se trouve, ça va peut-être revenir. C’est quelque chose que je trouve important de donner. Encore une fois, ce n’est pas conscient, c’est à force d’en parler que je le vois.
Sarah Gauthier et Mélina Verrier : On a l’impression que le film nous dit qu’il faut continuer, qu’on va passer à travers et qu’il y a toujours le monde autour, il y a plus large que ce qu’on vit. On montre une force, mais en même temps le film est très doux dans sa forme et dans son esthétique. Tout était réfléchi ?
Sophie Goyette : C’était voulu, parce que je savais que, dans mon scénario, les thèmes allaient être dramatiques et je me suis dit que je voulais équilibrer le tout avec de la douceur. Même chose pour le traitement des couleurs dans le film. Il y a deux aspects que je voulais traiter par les couleurs. Je voulais quelque chose de très uniforme, parce que la Chine et le Mexique peuvent être facilement colorés. Je voulais que le film ait une unicité, que le spectateur ne se dise pas qu’il est en terre étrangère ou que c’est exotique. Je voulais qu’on puisse toujours être proche des personnages et qu’on reste avec les thèmes. Ensuite, la réalisation dans la douceur, c’est aussi un peu à cause des moyens financiers. J’étais un peu freinée parce que je ne possédais pas plusieurs caméras. Je ne pouvais pas me permettre de faire mille plans. J’ai vraiment privilégié des plans statiques. Tandis que dans certains de mes courts-métrages j’avais plus de moyens et je pouvais me permettre plus de choses. Je ne veux pas dire que le budget me limite, mais j’en suis très consciente. Je me dis que ça va aller avec la douceur du film, ce côté plus technique, le cadrage des plans, la sobriété.
Sarah Gauthier et Mélina Verrier : Travaillez-vous sur des projets de film en ce moment? Est-ce que ça s’enligne pour être un autre long-métrage ou pensez-vous retourner au court-métrage?
Sophie Goyette : En fait, c’est comme si, après mes courts-métrages, sans le vouloir, mes histoires avaient pris de l’expansion dans ma tête. Je serais ouverte au court-métrage, mais on dirait que là ce que j’écris c’est toujours 90 pages, 100 pages. Ce n’est pas quelque chose que je contrôle, ça vient tout seul.
Sophie Goyette nous quitte sur ces douces paroles : « Le film n’existe pas en moi, pas dans le film, pas en vous, mais dans la relation que vous avez au film, qui est entre le film et vous ».
Parties annexes
Notes biographiques
Sarah Gauthier est née à Rosemère en 1995. Étudiante à la maîtrise en littératures de langue française volet recherche-création à l’Université de Montréal, elle s’intéresse à la poésie québécoise de l’extrême-contemporain.
Mélina Verrier est titulaire d’un baccalauréat en littératures de langue française de l’Université de Montréal. Amateure de cinéma, elle ponctue son parcours de cours à option portant sur le cinéma québécois, allemand et la critique cinématographique. Elle publie régulièrement dans la revue de création littéraire Le Pied et participe à son projet connexe de poèmes-affiches, autant en tant qu’auteure qu’illustratrice. Elle étudie présentement en communication (relations publiques) à l’Université du Québec à Montréal.