Résumés
Résumé
Le cinéma des femmes autochtones contient aujourd’hui des propositions fortes et percutantes qui transforment le paysage médiatique et cinématographique au Québec. Afin de souligner la présence des réalisatrices autochtones et de reconnaître leur apport grandissant au cinéma québécois, nous présentons et commentons les propos tenus par la réalisatrice mohawk Tracey Deer lors d’un entretien public réalisé en octobre 2017, à l’Université de Montréal, en clôture du colloque « “Je suis île” / “I Am Turtle” ». Organisé par Marie-Eve Bradette, Julie Graff, Gabrielle Marcoux, Alexia Pinto Ferretti et Louise Vigneault, ce colloque interrogeait la place des « représentations artistiques, culturelles et identitaires autochtones dans l’espace urbain ». Dans cet entretien, Deer revient sur son parcours comme femme et réalisatrice mohawk de Kahnawà:ke et elle discute des réflexions qu’elle souhaite mener au cinéma et à la télévision, des différents publics visés par ses créations, ainsi que des voies d’avenir qu’elle désire ouvrir.
Mots-clés :
- Décolonisation,
- Cinéma des femmes,
- Télévision,
- Cinéma des premières nations
Abstract
Current indigenous women’s cinema contains strong and powerful proposals that are transforming the media and film landscape in Quebec. To highlight the presence of indigenous women directors and to recognize their growing contribution to Quebec cinema, we present and comment on the remarks made by Mohawk director Tracey Deer in a public interview conducted in October 2017 at the Université de Montréal. closing of the conference "" Je suis île “/” I Am Turtle "“. Organized by Marie-Eve Bradette, Julie Graff, Gabrielle Marcoux, Alexia Pinto Ferretti and Louise Vigneault, this conference questioned the place of”artistic representations, cultural and indigenous identity in the urban space". In this interview, Deer reflects on her journey as a Mohawk woman and director of Kahnawà: ke and discusses her thoughts on film and television, different audiences for her creations, and avenues that she wishes to open.
Corps de l’article
En 1983, les femmes autochtones étaient absentes de la réflexion autour des deux volets « être vues » et « prendre la parole » examinés dans la publication Femmes et cinéma québécois (Carrière, 1983). Celles-ci avaient pourtant été représentées dans le cinéma québécois. Plus encore, des pionnières telles la réalisatrice abénaquise Alanis Obomsawin et la poétesse et documentariste innue Joséphine Bacon travaillaient déjà à remédier au manque de visibilité des autoreprésentations autochtones au grand comme au petit écran. Ces cinéastes s’affairaient à allier les récits et les traditions orales autochtones aux méthodes du cinéma documentaire. À l’occasion de ce numéro de Nouvelles Vues, « Femmes et cinéma québécois II : 35 ans plus tard », nous souhaitons rendre compte de la distance parcourue depuis 1983 en remédiant à l’absence des représentations et de la prise de parole des femmes autochtones observée dans la première publication, il y a plus de trois décennies. Les cinéastes autochtones portent aujourd’hui des propositions fortes et percutantes qui transforment le paysage médiatique et cinématographique au Québec. C’est ce qu’indique clairement le travail de cinéastes telles que Sonia Bonspille-Boileau, Kim O’Bomsawin, Alethea Arnaquq-Baril, Caroline Monnet, Reaghan Tarbell ou encore, au Wapikoni mobile, Meky Ottawa, Jemmy Echaquan Dubé, Elisa Moar et Karen Pinette Fontaine.
À l’heure actuelle, étant donné cette vitalité et l’impératif de décolonisation que ces créatrices maintiennent au premier plan, il nous apparaît essentiel de souligner la présence des réalisatrices autochtones et de reconnaître leur apport grandissant et crucial au cinéma québécois. Pour ce faire, nous partageons les propos de la cinéaste mohawk Tracey Deer, tels qu’exprimés dans le contexte d’un entretien public réalisé autour de la démarche artistique de la cinéaste et portant plus spécifiquement sur Mohawk Girls (2013-2017), la série télévisée que Deer a récemment cocréée, réalisée et coproduite. Cet échange a constitué, en octobre 2017, à l’Université de Montréal, l’activité de clôture du colloque « “Je suis île” / “I Am Turtle” », qui interrogeait la place des « représentations artistiques, culturelles et identitaires autochtones dans l’espace urbain ».[1] Dans une visée de décolonisation, les organisatrices du colloque souhaitaient créer « un espace multiforme d’échanges critiques afin d’étudier ces dynamiques d’absences, de (ré)inscriptions et de (ré)appropriations actives des espaces urbains, institutionnels et immatériels. » Répondant à leur appel, des artistes autochtones telles que Catherine Boivin, Jani Bellefleur-Kaltush, Sonia Robertson et Tracey Deer sont venues discuter de leurs démarches créatrices et des contextes dans lesquels elles s’inscrivent. La grande richesse de l’entretien de clôture et de l’échange avec le public nous a incitées non à le représenter ou à l’interpréter, mais bien à le présenter ici comme parole savante à part entière.[2]
En effet, si la réflexion et les approches théoriques ayant émergé depuis 1983 permettent de nouvelles analyses, telles les interrogations féministes, queer et intersectionnelles, cela est d’autant plus vrai dans le domaine des études autochtones. Au cours des deux dernières décennies, des travaux importants sur la méthodologie de la recherche (Mihesuah et Wilson, 2004; Smith, 2012; Morenton-Robinson, 2016; Justice, 2018), les représentations coloniales (Singer, 2001; LaRocque, 2010; Cornellier, 2015) et la souveraineté visuelle (Richards, 1995; Raheja, 2011; Dowell, 2013 et 2018) ont mis au point des outils théoriques essentiels à l’étude du cinéma et des médias autochtones. Ces nouvelles perspectives nous incitent à réfléchir aux créations audiovisuelles des femmes autochtones dans leur relation au cinéma québécois, certes, mais également à prendre acte de nouvelles façons de les comprendre et de les contextualiser. Ainsi, en prolongeant le colloque « “Je suis île” », qui visait à (re)donner place aux récits individuels et collectifs sous leurs formes diverses (théorie, art, littérature, cinéma, politique, urbanité), nous souhaitons ici faire place aux propos de la cinéaste Tracey Deer, qui, devant un public attentif et de plus en plus captivé, a rendu compte de son parcours, de ses motivations, de sa méthodologie et de ses objectifs, à la fois en tant que femme mohawk et femme de cinéma.
Nous invitons la lectrice et le lecteur à se mettre à l’écoute de la créatrice et militante avec en tête l’idée que les histoires sont porteuses de théorie, comme le souligne l’écrivaine et intellectuelle sto:lo Lee Maracle dans Memory Serves (2015).[3] Nous les incitons du même coup à considérer que l’expérience individuelle des femmes autochtones recèle, comme l’affirme l’écrivaine et intellectuelle nishnaabeg Leanne Betasamosake Simpson dans Sur le dos de notre tortue (2018), une portée heuristique capable de nourrir une solide réflexion sur la résurgence politique et culturelle des peuples premiers. Il ressort d’ailleurs de l’échange qui suit que Deer, à l’instar des réalisateurs autochtones étudiés par la chercheure seneca Michelle H. Raheja dans Reservation Reelism, se saisit de l’espace filmique et télévisuel comme « d’un site expressif qui convoque et matérialise des savoirs et des connaissances autochtones » (traduction libre, 2011, p. 188). Deer conçoit le médium filmique comme outil de réflexion qu’elle met stratégiquement à profit pour rejoindre des publics différents. D’une part, elle cherche à générer des questionnements internes à Kahnawà:ke et chez les communautés autochtones en général. D’autre part, elle œuvre à réduire les écarts entre communautés autochtones et sociétés coloniales. Cet engagement à rapprocher les communautés est particulièrement remarquable dans la mesure où il est né de son expérience du conflit territorial tristement connu comme la crise d’Oka, ou la résistance à Kanehsatà:ke et à Kahnawà:ke, et plus précisément de la brutale et traumatisante attaque à coups de pierres perpétrée contre elle et des femmes et des aînés mohawks, à un moment du siège armé où des gens de Kahnawà:ke étaient évacués pour assurer leur sécurité.[4]
Dans l’ensemble, l’entretien avec Tracey Deer nous invite à nous interroger sur 1) la place non normative et fragile qu’occupe Deer au sein du cinéma québécois (en tant que cinéaste de la nation mohawk qui produit surtout en langues kanien’ké:ha et anglaise), 2) l’apport de sa démarche cinématographique en tant que « projet intersectionnel » (Maddison et Partridge, 2014) visant l’amélioration des rapports autochtones-allochtones, et 3) la manifestation d’une « souveraineté visuelle » (Raheja, 2011) dans sa représentation de l’espace dans Mohawk Girls, une télésérie stratégiquement présentée (textuellement et para-textuellement) comme une version autochtone de Sex and the City. Malgré sa proximité avec Montréal, Kahnawà:ke demeure le centre de l’univers du récit de Mohawk Girls, grâce notamment à la saturation visuelle de l’écran. Nous soutenons que cette préoccupation spatiale constitue non seulement une affirmation de « souveraineté visuelle », mais un apport certain au cinéma québécois au féminin; apport qui acquiert une vive portée politique dans l’actuel contexte marqué par la résurgence (culturelle) autochtone et les projets de réconciliation entre les peuples.
Isabelle St-Amand : Bonjour Tracey! Pour entamer notre conversation, pourrais-tu te présenter brièvement ainsi que ton travail?
Tracey Deer : Bonjour à toutes et à tous! Je suis super contente d’être ici. C’était passablement émouvant pour moi de voir l’épisode que nous venons de regarder [Mohawk Girls : « Defending my Turf », saison 4, épisode 3], car nous venons tout juste de terminer de filmer la dernière saison, la saison 5, et je suis présentement au stade de la post-production. Je dois donc faire mes adieux à ces personnages et à la télésérie. Mon dieu! Je vais essayer fort de ne pas pleurer. Mais j’avais les larmes aux yeux à la fin de l’épisode. Le fait d’entendre cette musique triste, c’était juste ce qu’il fallait pour que mes émotions prennent le dessus.
Alors, quelques renseignements à mon sujet. J’ai grandi à Kahnawà:ke, une communauté située à seulement vingt minutes d’ici [l’entretien a eu lieu à l’Université de Montréal]. J’y demeure toujours. J’ai vécu la crise d’Oka. J’avais douze ans pendant la crise d’Oka et avant cet événement je ne savais même pas que je pouvais être différente des autres enfants de ce monde. Je jouais dans la boue, je construisais des forts, je faisais des feux et je pêchais. Puis la crise d’Oka a commencé et, en tant qu’enfant, au début c’était fabuleux. C’était tellement le fun! Les activités normales de la communauté se sont arrêtées, aucun de nos parents n’allait travailler, les voitures ne circulaient plus dans les rues, nous devions même nous rendre à la banque alimentaire et tous les jours nous demander ce qu’il pouvait bien y avoir dans le petit sac de papier brun… Pour l’enfant que j’étais, tout ceci était une gigantesque aventure, jusqu’à que ça arrête d’en être une. Pour moi, ce moment s’est cristallisé lorsque nous avons dû fuir la communauté parce que nous avions entendu dire que l’armée canadienne pourrait envahir [Kahnawà:ke] et que si cela devait se produire, la situation risquait de véritablement s’envenimer. Il a donc été décidé que les femmes, les enfants et les aînés partiraient. Une caravane d’environ deux cents voitures a fui la communauté. De l’autre côté du pont Mercier, une foule de gens furieux nous attendaient pour nous jeter des pierres. Notre voiture a été atteinte par plusieurs de ces pierres, mais une en particulier a éclaté la fenêtre arrière en mille morceaux et ma mère pleurait. J’étais assise devant et elle nous a dit de nous coucher par terre. Ma sœur et mes deux cousines étaient assises sur la banquette arrière. À ce moment-là… j’ai véritablement commencé à me rendre compte de qui j’étais dans ce monde et dans ce pays. À douze ans, ça a véritablement été un moment très difficile. Mon adolescence a été une période très difficile.[5]
J’ai toujours voulu être cinéaste. Mais je ne me rendais pas compte que je pourrais utiliser ce travail pour tenter d’apporter un changement et pour tenter d’améliorer ce pays, pour faire en sorte que ce que j’avais vécu n’arrive plus jamais à un enfant autochtone. J’ai entrepris tout un processus de thérapie pour essayer de résoudre mes propres problèmes. Je suis encore en thérapie et c’est très important pour moi que nos communautés [allochtones et autochtones] se rapprochent, que l’écart qui nous sépare s’amenuise, qu’on construise des ponts et qu’on en arrive à une compréhension mutuelle, dans l’intérêt de mon peuple et de ce pays. Je pense que les gens dans ce pays portent en eux une culpabilité immense à laquelle ils ne veulent pas faire face et, par conséquent, nous continuons d’avoir des problèmes. J’essaie donc d’utiliser mon travail pour construire ces ponts et je déploie beaucoup d’humour parce qu’à mon avis, l’humour aide à faire passer la pilule et ainsi les choses peuvent changer. À l’heure actuelle, Mohawk Girls est le projet qui me permet d’instaurer ces changements. Nous avons tourné cinq merveilleuses saisons, pour un total de trente-trois épisodes. La télésérie, comme vous avez pu le constater, met en scène quatre fabuleuses femmes mohawks qui vivent à Kahnawà:ke. Elles ont toutes la vingtaine avancée et elles cherchent à trouver leur place dans ce monde. Tout en venant d’un endroit avec des règles et des contraintes particulières, elles s’intéressent au monde extérieur. Comment rallier ces deux mondes…
La télésérie est inspirée de ma vie personnelle et de celle de ma sœur, de mes cousines et de mes amies : tout ce qu’on a vécu en tant que jeunes dans la vingtaine – et que j’ai aussi vécu en tant que trentenaire. Beaucoup de ce qui se retrouve dans la série est directement tiré de ma vie personnelle ou inspiré par ce dont j’ai été témoin autour de moi. Bien que ce soit une télésérie de fiction, je maintiens qu’elle est authentique et fidèle à la réalité. Vous pourriez relever n’importe quelle intrigue et vous dire : « Ben voyons, ce genre de truc n’arrive jamais ou ça ne s’est certainement pas passé comme ça! » Et je pourrais vous répondre : « Eh oui, c’est arrivé! Ça s’est produit tel ou tel jour. » C’est une comédie, bien sûr, ce qui fait que nous nous plaisons à exagérer. Mais ça reflète effectivement mon expérience de ma propre communauté. Ça ne correspond pas au vécu de tous et je n’essaie pas de parler pour tous les Mohawks, mais je maintiens que mon expérience est valide. Plusieurs personnes ont également soutenu que la série reflète aussi leur vécu.[6] Les cinq merveilleuses années passées à réaliser la série ont été une expérience hautement épanouissante. [Elle s’arrête et regarde l’intervieweuse.] Pensez-vous que ça commence à être assez comme présentation? [L’auditoire s’esclaffe.]
Isabelle St-Amand : Oui, c’est une excellente entrée en matière! Commençons par Mohawk Girls, la télésérie que nous venons de regarder. Je sais que tu as d’abord réalisé un documentaire également intitulé Mohawk Girls, avant de te tourner vers la fiction. Pourrais-tu nous en dire plus sur ton passage du documentaire à la fiction et sur ce que tu essaies d’accomplir à travers la fiction qui n’est peut-être pas possible avec le documentaire?
Tracey Deer : Certainement! Quand j’avais douze ans, j’ai décidé que je voulais devenir cinéaste et cet amour pour la réalisation – la narration – a tout à voir avec la crise d’Oka. Tout de suite après la crise d’Oka, les appareils VHS portables ont fait leur apparition sur le marché et mon père en louait un toutes les fins de semaine. Il louait des tonnes de films. À l’époque, en tant que jeune fille aux prises avec ce qu’aujourd’hui je comprends être un syndrome de stress post-traumatique, ces films ont été mon refuge et ma thérapie : je pouvais voyager, je pouvais vivre de la souffrance, de la tristesse et de la colère à travers ces films et leurs personnages. Je n’arrivais pas à vivre ces émotions directement, mais je pouvais en faire l’expérience à travers [ce rituel cinéphilique]. Je n’avais qu’à… qu’à disparaître dans ces films et à la fin de chacun d’eux je décidais : « Mon dieu, je dois absolument devenir une scientifique qui guérit le cancer. » Ça c’était Medicine Man (John McTiernan, 1992) avec Sean Connery, si vous avez saisi la référence. Il y a également eu Pompiers en alerte (Ron Howard, 1991) : « Je vais devenir pompière et je vais sauver les gens! » À la fin de chaque film, j’allais voir mes parents et je disais : « Mon dieu, quand je serai grande je veux faire ÇA! » Ensuite, comme je suis une personne très logique, je prenais quelques jours pour comprendre comment je pourrais en arriver à exercer telle ou telle profession et je trouvais des obstacles à toutes les carrières possibles et imaginables. Par exemple, Sean Connery a dû se rendre en Amazonie. En Amazonie, il n’y a pas d’installations sanitaires et j’aurais donc dû aller aux toilettes dehors. Et il y a des serpents… et les serpents sont effrayants. Après deux jours, je retournais donc voir mes parents et je disais : « Bon, je ne pense pas que je vais aller en Amazonie en fin de compte… » Ça m’a pris environ quatre mois avant d’avoir cet éclair de génie : « et si je réalisais ces films… peut-être que je pourrais ainsi inspirer cette jeune fille qui un jour se rendra effectivement en Amazonie et trouvera un remède pour traiter le cancer. Je pourrais faire l’expérience de chacune de ces histoires si je créais ces histoires. » Je suis donc retournée voir mes parents et je leur ai dit : « Voici ce que je vais faire… » et je ne suis jamais revenue sur ma décision depuis.
Mon premier amour de jeune fille a été le cinéma de fiction. Mon rêve a toujours été de quitter ma communauté, de quitter Kahnawà:ke. J’ai eu une relation très, très [elle marque une pause] tumultueuse et difficile avec ma communauté lorsque j’étais adolescente. Mon but initial était de sortir de là au plus vite et de disparaître dans cette « soupe » qu’est l’Amérique, d’avoir la « petite clôture blanche » comme tout le monde… Quand j’étais jeune, je voyais ça comme ma planche de salut. Je suis effectivement partie lorsque j’avais dix-huit ans. Je suis allée étudier aux États-Unis et je voulais aller à Hollywood. C’est à l’université que je suis entrée dans cette nouvelle étape de ma quête pour comprendre ce qu’être une personne autochtone sur ce continent signifie. Je n’étais plus parmi les miens. Je n’étais plus chez moi. J’évoluais alors dans un univers complètement différent. J’ai étudié à Dartmouth College, un établissement destiné aux élites, des gens très riches, beaucoup de Blancs. J’ai été soudainement plongée dans cette tout autre vision du monde. Ça m’a pas mal choquée : « Un instant, je ne pense pas que c’est ce que je veux non plus. » C’est bien entendu à l’université que beaucoup de gens se trouvent et c’est souvent douloureux… Je me suis assurée de prendre au moins un cours de cinéma par semestre, car c’était là ma passion.
Lors d’une session d’été, la seule option disponible était un cours sur le documentaire et je me suis dit : « Oh, quelle merde, un cours sur le documentaire! » Puis j’ai pensé : « Bon, au moins, c’est du cinéma, c’est quand même un cours en études cinématographiques. » Je me suis donc inscrite et ça a changé ma vie. Jusqu’à ce jour, le seul contact que j’avais eu avec le documentaire était pas mal juste à l’école secondaire et dois-je vous rappeler à quel point ces documentaires du secondaire sont plates… ouf! Mais dans ce cours nous avons couvert l’histoire du documentaire et ça m’a complètement renversée : une histoire vraie, de vraies personnes, la réalité! Il ne s’agissait plus de me laisser bouleverser par une souffrance fictive. Il s’agissait de la souffrance de vraies personnes et de leur parcours. Je suis littéralement tombée en amour et c’est alors que je me suis dit : « D’accord, je vais raconter de vraies histoires! »
J’ai obtenu mon diplôme et j’avais l’intention de me rendre à New York, jusqu’au jour où j’ai reçu cet appel génial d’une productrice de Montréal qui s’apprêtait à commencer un documentaire sur les Cris du Nord du Québec. Ils cherchaient une stagiaire – et ils allaient la payer! Ils ont appelé dans ma communauté et parlé avec quelqu’un du journal local en disant : « Nous cherchons une personne pour ce poste, connaissez-vous quelqu’un? » J’étais fraîchement diplômée, et ma cousine travaillait là… De fil en aiguille, vous connaissez la chanson, quelqu’un qui connaît quelqu’un qui connaît une telle, mon nom s’est retrouvé entre les mains de cette productrice. Elle m’a convoquée en entrevue. C’était la deuxième fois que j’étais bouleversée à ce point – ou plutôt la troisième fois – parce que c’est le moment où j’ai eu la révélation suivante : « Mon dieu, je peux raconter des histoires à propos de nous? Les gens veulent entendre nos histoires [intonation de complète surprise]? » À l’époque, il n’y avait qu’une personne qui réalisait ces films et c’était Alanis Obomsawin avec l’ONF (Office national du film). Une seule personne! Et c’était à l’ONF. Je ne pensais vraiment pas qu’il y avait là un marché. Mais l’année où j’ai obtenu mon diplôme a été celle de la création du Réseau de télévision des peuples autochtones [APTN : Aboriginal Peoples Television Network]. Ils avaient besoin de contenu et ils voulaient du contenu produit par des Autochtones, pour les Autochtones. Une porte s’est ouverte et je me suis retrouvée sur le plateau de tournage de ce documentaire. Trois mois plus tard, j’ai été promue coréalisatrice du film et j’ai toujours, au cours des quinze dernières années, trouvé du boulot [dans ce milieu].
Durant les dix premières années de ma carrière, je me suis concentrée sur le cinéma documentaire. C’est tout simplement génial de rencontrer de vraies personnes, qui éprouvent de vraies difficultés, et qui décident de partager leur vécu avec toi – ils doivent d’abord te faire confiance – et ensuite d’avoir le privilège de le partager avec le public. Tout ça pour, avec un peu de chance, motiver le changement, améliorer les choses et ouvrir les horizons. C’est tout simplement incroyable. J’ai réalisé deux documentaires et j’en ai coréalisé plusieurs autres. Mohawk Girls (2005) est le premier long-métrage que j’ai réalisé seule, et le film porte sur des adolescentes de ma communauté. Comme j’ai dit plus tôt, mon adolescence à Kahnawà:ke a été une période très sombre de ma vie et je suis même étonnée d’y avoir survécu – je suis sincèrement étonnée que les adolescents y survivent constamment! C’est tellement dur d’être adolescent. Je voulais faire ce film pour retourner [dans ma communauté] et vérifier si, dix ans plus tard, c’était toujours aussi dur que ce dont je me souvenais. Je me suis aussi sentie tellement invisible et tellement peu importante en tant qu’adolescente que je voulais prêter une voix aux adolescentes, leur donner la chance de dire ce qui était important pour elles. J’ai donc trouvé ces trois incroyables jeunes filles et j’ai passé deux ans avec elles, à suivre leurs vies, et c’est devenu Mohawk Girls [le documentaire].
Par la suite, j’ai réalisé Club Native (2008), qui traite de la question des degrés de sang [blood quantum] et d’enjeux d’appartenance. D’ailleurs, chaque documentaire me prend environ trois ans. Après Club Native, je me suis retrouvée face à un mur et je ne pouvais plus [me relancer dans un autre projet de documentaire]. Club Native m’a épuisée. Toutes ces personnes qui nous dévoilent leur âme s’exposent à la critique, à cause de moi, à ma demande… Cette responsabilité est dure à porter et on n’en sort pas : on vit constamment avec elle.[7] À la sortie du film, j’étais brûlée et je ne savais pas vers qui ou quoi me tourner pour un prochain film. Juste à penser que je réinviterais une fois de plus quelqu’un à prendre le risque de se mettre à nu comme ça : je ne pouvais penser à aucun sujet. J’ai passé six mois à ne pas travailler. Je me demandais ce qui allait m’arriver. À un moment donné, j’ai pensé : « Est-ce que je vais tout simplement devoir me trouver un vrai travail? Qu’est-ce que je fais? » Puis j’ai pensé : « Quand tu étais jeune, tu aimais vraiment beaucoup la fiction. Pourquoi ne pas faire un court-métrage de fiction pour voir si tu as ce qu’il faut et si tu aimes toujours ça? » J’ai alors réalisé un court-métrage intitulé Escape Hatch (2009), qui est devenu l’amorce de Mohawk Girls [la série]. J’ai pris ce film et je l’ai utilisé comme démo pour lancer l’idée aux responsables du réseau de télévision et leur dire « Je pense qu’il y a là une télésérie ». Ils ont acquiescé. C’est ainsi que je me suis lancée dans l’aventure de la télésérie Mohawk Girls.
Ma seule et unique frustration avec le cinéma documentaire a été de constater que ce n’est pas tout le monde qui s’intéresse au cinéma documentaire. Il y a un certain type de personne qui est disposé à regarder un documentaire. J’adore ces gens, vous êtes formidables! Mais l’auditoire documentaire est généralement déjà acquis à la cause : les gens sont ouverts à ce que je cherche à partager. Ce ne sont pas eux que je dois secouer. La télévision de fiction, en contrepartie, est diffusée dans tous les salons dans un format accessible : c’est comique et divertissant. Les gens sont davantage à l’écoute de la fiction que du documentaire. Mon intention était donc d’avoir accès à plus de cœurs et d’esprits de cette manière.
Isabelle St-Amand : Merci d’avoir pris le temps de nous présenter cette trajectoire, car c’est vraiment intéressant de voir comment tu as commencé par la fiction pour ensuite retourner, d’une certaine manière, à ta passion initiale. J’ai lu un entretien où tu parlais de Club Native et des enjeux difficiles que vivent les gens de ta communauté à propos de leur appartenance [à la communauté]. Ce qui m’a frappée dans cet entretien, c’est que lorsque l’intervieweur t’a demandé si tu avais une réponse à apporter à cette question d’appartenance, ta réaction a été de dire : « Je n’ai pas de réponse, mais j’espère que mes films sauront générer une discussion et nous permettre de mieux réfléchir à cette question. » J’aime beaucoup cette manière que tu as de considérer ton cinéma comme un moyen d’établir un dialogue et de générer des réflexions collectives. Et lorsque tu fais ça dans le contexte de Mohawk Girls, c’est vraiment pour un vaste auditoire. Quel genre de réflexions cherches-tu à générer avec cette télésérie et auprès d’un aussi vaste auditoire?
Tracey Deer : Oui! Bonne question! Mohawk Girls a deux auditoires cibles. La télésérie est faite pour les miens [my people], mais elle est aussi faite pour les Canadiens. J’ai réalisé tous mes films avec ces deux auditoires en tête et ça implique le respect d’un équilibre très délicat. D’un côté, les gens de ma communauté savent ce dont je parle. Pour en arriver à générer un véritable dialogue, je dois réussir à aller au-delà de ce niveau de compréhension de base. D’un autre côté, plusieurs Canadiens ne savent pas grand-chose, alors ils ont besoin de ce niveau pour se sentir interpellés. Ça a donc toujours été une question d’équilibre : en fournir assez aux Canadiens pour qu’ils embarquent, tout en en offrant suffisamment aux miens pour leur brasser un peu la cage et soutenir leur intérêt.
Isabelle St-Amand : Dans l’épisode que nous venons de regarder, il me semble que tu mets également en cause l’ignorance des allochtones, les discours scandaleux et les réactions que les gens ne remarquent même pas qu’ils ont…
Tracey Deer : Tout à fait! Mon dieu, tout dans la télésérie, toutes les interactions que les filles ont avec les allochtones se sont effectivement produites! Tous les rendez-vous que le personnage de Bailey (Jenny Pudavick) a avec des gars allochtones et les choses qu’ils expriment… Et ils croient se montrer curieux de sa culture, mais ils lui disent qu’elle ne devrait pas boire de vin parce que « vous avez un problème avec ça, non? » Ça m’est véritablement arrivé lors d’un blind date… Dieu merci, j’ai la série pour être en mesure de digérer tout ça, de le mettre là pour me le sortir du système!
Ça ajoute à la question de l’auditoire double : je pense que mon but pour l’auditoire allochtone est de parvenir à une compréhension accrue. Je pense que les connaissances de l’auditoire allochtone sur nous et sur nos enjeux sont très superficielles : c’est un clip sonore de trente secondes et le contexte de ces bribes de nouvelles est tellement important. La nouvelle est vraie, mais ces choses négatives qui se produisent ne sont que la pointe d’un immense iceberg. Pour comprendre la nouvelle, on doit pouvoir comprendre l’iceberg. Vous devez également comprendre que vous faites partie de cet iceberg : c’est vous qui l’avez construit. Vous ne pouvez pas tout simplement vous installer confortablement sur votre siège, déconnecter et dire : « Oh! que c’est dommage! » La télésérie se voulait un moyen de montrer aux Canadiens la complexité de nos vies et de notre réalité. De tout ce qui a contribué à créer notre réalité actuelle. Vous faites partie de ça et l’histoire de votre pays fait partie de ça. Mais, ensemble, on peut décider de faire les choses différemment.
Pour les gens de ma communauté, c’est le même genre de défi : il s’agit de leur tendre un miroir et de dire : « Voici où nous en sommes, voici comment nous nous comportons. » Ou « voici nos croyances et voici les effets que ce comportement et que ces croyances ont sur nos vies. » La série le montre surtout à travers la vie de ces quatre femmes. Tout ce qu’on se fait subir les uns aux autres. Et s’il pouvait en être autrement? Est-ce qu’on aime ce qu’on voit? Les gens de ma propre communauté sont à la fois mes plus grands critiques et mes plus grands fans. Les détracteurs disent : « Comment peux-tu faire ça? Comment peux-tu nous montrer ainsi? Tu nous fais si mal paraître. » Ma réponse est la suivante : « Je ne nous fais pas mal paraître. Nous en sommes là. Si ça ne nous plaît pas, voyons ce qu’on peut faire et prenons des décisions pour changer les choses. » Mais voici ma réalité, voici comment j’ai grandi, ce sont là les personnages, ce sont là les choses qui se produisent. Je n’ai pas inventé ça. Pour moi, c’est ça la grande question et non : « Taisons-nous. » Si on n’aime pas ce qu’on voit, qu’est-ce qu’on va faire pour changer la donne? C’est là tout le travail que j’espère que la télésérie puisse accomplir auprès des deux auditoires.
Isabelle St-Amand : Ce que tu viens de dire à propos de l’iceberg dont nous [les allochtones] sommes partie prenante et de ce que les Autochtones vivent au quotidien évoque à mon sens la manière dont tu traites des interactions entre la vie des individus et cette structure coloniale, ou plutôt la manière dont cette structure traverse la vie des individus. C’est très bien exécuté au sens où cet enchevêtrement apparaît assez clairement. Je me demande quelles ont été les réactions de l’auditoire allochtone et comment cet auditoire comprend [les réalités et les commentaires présentés dans la télésérie]? Est-ce que ça rend les choses plus claires pour eux? Crois-tu que ça les déstabilise un peu parfois?
Tracey Deer : Nous sommes tellement contents de la quantité de téléspectateurs canadiens que nous avons : il y a un vaste auditoire allochtone qui regarde la série. Beaucoup des commentaires que nous recevons sont transmis à travers les réseaux sociaux, tant par des Autochtones que par des allochtones. Les commentaires que nous avons reçus de la part d’allochtones indiquent qu’ils adorent la série et qu’ils apprennent beaucoup. Ils disent aussi : « Quelque chose du genre se produit aussi dans ma culture »; « On n’est finalement pas si différents »; « Je comprends tout à fait ». Il n’y a rien de mieux que ce genre de réception. La réception a donc été bonne. Nous avons été stratégiques dans le traitement des personnages allochtones et des situations auxquelles ils font face et où on observe différents niveaux d’ignorance ou de colonialisme. Nous avons réparti ces situations et elles se jouent à différents niveaux : parfois c’est un personnage présent sur plusieurs épisodes, parfois c’est juste quelqu’un de passage. Nous nous sommes également assurées d’avoir aussi des personnages allochtones qui n’agissent pas de cette manière. Tout comme mes personnages autochtones, les personnages allochtones présentent un éventail de personnalités. C’est qui est souvent insidieux avec l’ignorance, c’est qu’on ne sait pas qu’on est ignorant. On ne pense pas l’être alors qu’on dit quelque chose ou on formule une opinion à propos de quelque chose et pourtant on l’est. Dans la télésérie, plusieurs personnages agissent de la sorte et c’est génial de pouvoir signaler : « Non, on n’aime pas ça. On n’aime pas se faire dire ce genre de chose. Ce n’est vraiment pas chouette, ne dis pas ça. » C’est génial parce que souvent, lorsque je me retrouve dans ces situations, je fais toujours face à la même grande question : « Bon, d’accord, on profitait juste d’un bon souper et cette personne vient de faire cette remarque. Est-ce que je prends dix minutes pour intervenir et ruiner la belle soirée de tout le monde pour expliquer que “Non, ça n’avait rien de cool… Pourrais-tu éviter de dire ça la prochaine fois? Et s’il te plaît ne redis plus jamais ça devant une autre personne autochtone”? » Parfois, je dois laisser faire. Je ne veux pas avoir à être constamment à l’affût de ce genre de commentaires et c’est pourquoi j’espère que la série aura un impact sur nous tous. J’adorerais être en mesure de quitter la réserve en n’ayant pas à porter une armure et me demander : « Bon, qu’est-ce que ça va être cette fois-ci? »; « Est-ce que je vais répliquer? Et si je ne dis rien, est-ce que je vais être capable de me regarder dans le miroir après? » Je me sens souvent comme ça lorsque je fais face au monde extérieur.
Isabelle St-Amand : Peut-être une dernière question avant la séance de questions-réponses… Cette conférence s’articule autour de l’île de la Tortue et l’affiche présente l’île de Montréal, territoire traditionnel haudenosaunee. Puisque Montréal est une métropole et que Kahnawà:ke est une grande communauté au sein de cette métropole, je me demandais si, étant donné cette situation particulière, tu penses avoir, en tant que cinéaste, une perspective spécifique sur la question des relations Autochtones-allochtones. Particulièrement dans le contexte tendu d’une zone historiquement et jusqu’à ce jour très peuplée et centrale… Est-ce que tu te sens inspirée par le point de vue que te confère cet endroit particulier?
Tracey Deer : Absolument. C’est là où j’ai grandi et je suis ces filles. J’ai grandi dans cette communauté très particulière en ayant vraiment l’impression qu’il y avait une sorte de bulle autour de nous, que l’univers tournait autour de Kahnawà:ke, et non l’inverse. Ce n’est que plus tard durant mon adolescence – et bien sûr à travers le rêve de sortir de cette bulle – que j’ai commencé à sortir de cette bulle. À l’heure actuelle, ma vie se déroule dans ces deux sphères : j’ai un pied à l’intérieur, un pied dehors. Mon expérience en tant que personne autochtone, la personne que je suis aujourd’hui, est très liée au fait que j’ai grandi dans une réserve située à deux pas de cette immense métropole et dans une province francophone. La télésérie ne serait pas ce qu’elle est sans ce détail. Si vous avez grandi dans une réserve qui est située à cinq cents kilomètres de toute autre communauté, votre expérience ne sera forcément pas la même que la mienne. C’est crucial pour la série que les communautés soient si proches l’une de l’autre. Ça génère beaucoup de situations conflictuelles chez ces jeunes filles. Ça a amené beaucoup de conflit dans ma propre vie et toutes les histoires proviennent de conflits. C’est donc en effet absolument crucial.
Question du public : En tant qu’artiste, comment canalises-tu le fait de venir d’un endroit où une partie de ton identité est opposée aux gens qui t’entourent? Comment la télésérie t’a-t-elle aidée à exprimer cela de ton point de vue et comment cela t’a-t-il aidée à développer un autre point de départ, une autre manière de concevoir les rapports entre la culture québécoise et la culture mohawk?
Tracey Deer : Il y a plusieurs choses que je veux dire. J’ai grandi dans cet environnement et ça a véritablement façonné qui j’étais. Grandir avec ce type de haine et d’agression n’est pas bon. Ce n’est pas bon pour les enfants et ce n’est pas bon pour les adultes. Dans la télésérie, je m’attarde à la manière dont cette attitude nous fait mal. Ça ne cause de tort à personne d’autre, ça ne fait pas mal aux Montréalais, ça ne fait pas mal aux Québécois : les seuls qui souffrent de porter toute cette colère, c’est nous. C’est assurément quelque chose que j’explore à travers le parcours de ces femmes. En ce qui concerne les gens de l’extérieur qui regardent la série, j’espère qu’ils se rendent compte de ces liens, du fait que : « En fin du compte, on n’est pas si différents » ou « Oh, notre bataille est la même. »
Et voici mon anecdote personnelle à ce sujet. Je suis mariée à un Québécois, que j’ai rencontré après avoir tourné la première saison. On s’est rencontrés grâce à une agence de rencontre et je pense que c’était lors de notre quatrième rendez-vous, alors que je commençais à bien l’aimer… Nous devions commencer à discuter des grandes questions telles que la peine de mort, les châtiments corporels, que penses-tu de ci, c’est quoi ta position sur ça… On en est venus à la question politique et j’ai fait une blague à propos du fait qu’il était souverainiste. Ha! ha! Son visage s’est effondré et il a dit : « Je, je suis souverainiste… » [l’auditoire s’esclaffe]. Et moi de poursuivre: « Ha! Ha! elle est trop bonne! » Il tenait son café et il a dit : « Non, Tracey… je suis souverainiste. » J’ai eu une attaque de panique! J’avais le cœur qui battait à tout rompre et je me suis dit : « Mon dieu! Je sors avec un souverainiste… et il me plaît! Oh! mon dieu! » [l’auditoire s’esclaffe de plus belle]. Puisque nous avions eu trois autres rendez-vous géniaux et que j’aimais bien cette personne, que nous en étions là, j’ai pu converser pour la première fois avec un souverainiste. J’ai pu lui poser des questions et me faire une tête. C’est clair qu’il y a là un schisme, un écart entre les deux points de vue. Alors, j’ai pu lui poser des questions, il y a répondu et à la fin de la conversation une chose incroyable s’est produite. Nous nous sommes rendu compte que nous étions bien plus semblables que différents, car sa position sur la question, c’est qu’il aime sa culture, il aime sa langue et il veut s’assurer qu’elles survivent. Eh bien, devinez quoi? Moi aussi! L’autre chose dont nous nous sommes rendu compte, ou qui est devenue claire, c’est que son intérêt pour toutes ces choses n’existe pas au détriment d’autres cultures : il veut simplement s’assurer que la sienne demeure riche et forte. Et moi de même! De toute façon, je ne pense pas qu’il y ait la moindre possibilité que les Mohawks s’emparent du monde [l’auditoire s’esclaffe], alors je n’ai jamais même eu cette notion. Mais j’avais toujours eu en tête que les souverainistes se basaient sur des idées d’exclusion. À la fin de notre rendez-vous, au fur et à mesure que nous avons appris à mieux nous connaître, le fait qu’il soit un fier Québécois – mais c’est un homme allochtone, alors il y a assurément une bonne partie de son vécu et de sa perspective qui l’empêcheront toujours, d’une certaine manière, de comprendre la mienne, je travaille fort à générer le plus de compréhension possible –, le fait qu’il ait une culture dont il se préoccupe autant constitue un niveau de compréhension que je ne pourrais probablement pas retrouver chez un Canadien ordinaire. C’est vraiment chouette! Je suis donc mariée à un Québécois souverainiste [rires dans la salle], qui est marié à une Mohawk activiste, et ça se passe bien!
Question du public : Pouvez-vous nous parler de vos projets à venir? Pensez-vous retourner vers le cinéma documentaire ou allez-vous continuer en fiction pendant quelque temps? Ou peut-être que c’est un secret…
Tracey Deer : Non, non. Ce n’est pas un secret. Je suis à l’aube d’un tout nouveau chapitre maintenant que [la série] est terminée. C’est ce qui a entièrement et constamment occupé les six dernières années de ma vie. Je me tourne maintenant vers trois long-métrages. Je n’ai jamais réalisé un long-métrage de fiction et j’aime les défis. J’ai déjà travaillé en cinéma documentaire, en télévision, et là je me dis : « Oh! un long-métrage de fiction… » Je n’ai encore jamais fait ça, c’est nouveau et excitant. J’ai donc trois long-métrages qui sont à divers stades de développement. Celui qui à mon avis ira en production en premier est un projet sur lequel je travaille depuis plusieurs années. C’est l’histoire d’une jeune Mohawk de douze ans qui grandit dans le contexte de la crise d’Oka – maintenant vous savez tous pourquoi! Ce conflit a façonné la personne que je suis, mais il a également contribué de manière cruciale à l’émergence de notre voix dans ce pays.[8] Je pense qu’il est très important, dans ce pays, de présenter cet événement clef à travers le vécu d’une personne, d’un être humain, plutôt que de n’en représenter que les enjeux politiques, ce qui ressemble beaucoup à ce qui a déjà été fait. Mais aussi les effets que cela a sur un enfant et comment le traumatisme intergénérationnel n’influence pas que cet enfant et son parcours, mais également les générations à venir.[9] Il est si important que quelque chose comme ça n’arrive plus jamais! Or, le conflit de la crise d’Oka se poursuit à l’heure actuelle à travers les divers conflits qui persistent entre nous dans ce pays et leurs répercussions. Voilà les thèmes sous-jacents que j’aimerais explorer dans ce film.
J’ai aussi récemment été approchée par un producteur de documentaire qui voulait savoir si, maintenant que Mohawk Girls tire à sa fin, je serais intéressée à refaire du documentaire. Et, oui, ça m’a manqué. Après cette longue pause, je suis prête à m’y remettre. Ce documentaire est également en lien avec la crise d’Oka et cet épisode dont je vous ai parlé, où des pierres ont été lancées. Le film reprend cet épisode crucial dans ma vie et montre à quel point il m’a marquée, mais je m’y intéresse du point de vue de la réconciliation : trente ans après, où en suis-je, où en sont ceux qui ont jeté ces pierres et où en sont les policiers qui n’ont rien fait? Le film portera aussi sur le pardon, sur la forme que prend ce pardon. Pourquoi le pardon est-il important? Pourquoi la réconciliation est-elle importante? Je vais utiliser cette expérience comme tremplin pour explorer cette nouvelle idée.[10]
Question du public : J’ai lu que les droits de la télésérie ont été vendus par APTN, en Australie à tout le moins. Lorsque vous discutiez de votre auditoire cible pour la télésérie, ce dernier semblait être composé d’Autochtones et d’allochtones canadiens. C’est pourquoi je me demandais ce que vous pensez des échos transnationaux de votre série. Comment pensez-vous qu’elle puisse être reçue par un auditoire qui ne connaît pas nécessairement notre univers?
Tracey Deer : Nous avons gardé ça en tête tout au long du processus et nous pensons que les thèmes sont tellement universels que la télésérie peut voyager. Notre distributeur, celui qui a vendu les droits en Australie, tente présentement de rendre la série accessible dans d’autres territoires. Cependant, si l’on prend seulement l’épisode que nous avons regardé [Mohawk Girls : « Defending my Turf », saison 4, épisode 3], on peut voir qu’il est spécifiquement canadien à plusieurs égards. Par exemple, cette scène où les personnages parlent du scandale Harper [le scandale fédéral de 2012 concernant les dépenses du Sénat] : personne d’autre dans le monde ne risque de comprendre ce dont il est question. Ça a donc été difficile. Je crois que malheureusement, la perception, c’est que la série porte sur des Autochtones et que, par conséquent, seuls les Autochtones la regarderont. C’est le genre de réponse que nous avons obtenue jusqu’à maintenant à travers le monde : les réseaux de télévision et plateformes allochtones ne lui donnent aucune chance, car ils ne veulent même pas regarder un ou deux épisodes, pour ensuite évaluer si oui ou non ils pensent que leurs téléspectateurs pourraient s’y intéresser. Nous sommes bien entendu fermement convaincus du fait que la série est géniale et que tout le monde l’adorerait et la regarderait!
Cette situation a donc été passablement frustrante, car la simple possibilité de se retrouver sur une plateforme de streaming comme Netflix ou Hulu serait géniale. Nous savons que c’est une modeste télésérie en comparaison des budgets disponibles chez n’importe quel grand réseau américain de télévision. Ça, nous le comprenons très bien. Mais en ce qui concerne les Netflix, Hulu et autres plateformes de streaming… je ne comprends tout simplement pas pourquoi nous n’y sommes pas déjà. C’est frustrant. En contrepartie, ce pays, c’est là où je suis, où se trouve ma communauté et où se trouvent les miens. Le changement commence chez soi. Petit à petit, tranquillement, ça grossit : c’est l’effet boule de neige. C’est chez moi ici et c’est ici que je veux que ce changement s’opère. C’est ici que je vis, c’est ici que mes enfants vivront et c’est ici que les enfants de mes enfants vivront – quoique, qui sait si nous ne vivrons pas sur Mars quand nous en serons là? Mais bon, pour l’heure, c’est ici que je vis!
Question du public : J’ai vu que la série est disponible sur le site d’APTN en langue mohawk [Kanien’ké:ha]. Est-ce qu’APTN a une politique à ce sujet? Pourriez-vous nous en dire plus sur ce que ça représente pour vous?
Tracey Deer : Il est effectivement pratique courante pour toutes les émissions d’APTN d’avoir une version disponible en langue autochtone, car un de leurs mandats est de s’assurer que nos langues survivent. Chaque émission doit avoir une version en langue autochtone, mais nous pouvons décider laquelle. J’aurais pu choisir le cri si j’avais voulu, mais bien sûr comme c’est une série mohawk à propos des Mohawks et que c’est ma langue, nous avons opté pour le mohawk.
Il y a eu un vaste mouvement de revitalisation linguistique dans ma communauté : ma génération a été la première à vivre le programme d’immersion à l’école primaire et nous sommes maintenant devenus parents. Je suis tellement fière de mes concitoyens qui ont relevé le défi de refaire du mohawk la langue maternelle employée à la maison! J’en connais plusieurs qui font ça chez eux et ils le parlent couramment. On a donc lancé un appel pour voir qui serait intéressé et nous nous sommes retrouvés avec une douzaine de doubleurs. Chacune des quatre protagonistes féminines de la série avait sa propre comédienne de doublage, sa propre locutrice pour représenter sa voix. Je pense qu’on avait aussi deux autres locutrices pour doubler les voix des personnages principaux. Tous les amoureux principaux avaient une voix et on avait aussi deux autres locuteurs pour s’occuper des autres voix masculines. Ça été un processus vraiment le fun! Pour la première saison, je les ai convoqués à une audition et on a travaillé ensemble pour mettre plus de jeu dans leurs voix. C’est une chose que de dire [voixmonotone] : « Heille toi ne t’approche pas de mon chum. » Il faut plus quelque chose comme : « Heille, toi! Ne t’approche pas de mon chum! » En mohawk en plus! Ce ne sont pas des acteurs, ce sont des locuteurs. Il m’a donc fallu intervenir : « il me faut plus de colère de ta part, comme si tu voulais vraiment la frapper en plein visage. » Ça les faisait bien rigoler, on enregistrait la réplique à nouveau et ça marchait. Par la suite, je pouvais choisir : « Oh, ça c’est une Anna, c’est une bonne voix pour Anna. » Ou : « Oh, j’aime bien son attitude pour les répliques de Vicky. » C’était vraiment chouette et ce sont les mêmes locuteurs qui ont assuré le doublage pendant les cinq saisons. Je suis super fière d’avoir une version mohawk. Deux saisons sont en ligne à l’heure actuelle, mais les autres saisons sont également disponibles en mohawk.
Question du public : La série ne me semble pas être basée sur la haine ou le ressentiment, mais plus sur des attitudes positives comme la reconnaissance des malentendus et de l’incompréhension mutuelle. Tout le monde peut se reconnaître dans les personnages et ne pas se sentir pointé du doigt. Je crois que ça pourrait expliquer une partie du succès de la télésérie. Est-ce que cet élément était délibéré et conscient? Est-ce que c’est une chose à laquelle vous avez réfléchi en réalisant cette série?
Tracey Deer : Oui, en effet. Je suis contente d’entendre que c’est également ce que vous avez senti parce que ça a véritablement été notre approche : il ne s’agit pas de jeter le blâme sur personne. Je suis à blâmer, vous êtes à blâmer, nous jouons tous un rôle là-dedans : c’est une danse – j’ai appris ça dans ma thérapie. Une bonne partie de la thérapie que j’ai entreprise, mon processus de guérison, ma compréhension du monde dans lequel je vis et ma compréhension du monde extérieur : tous ces éléments sont reflétés dans la télésérie. La culpabilité et la colère ne mènent nulle part : rien de valable ne peut être construit sur la base de ces deux sentiments. Nous n’avons en aucun cas voulu évoquer cela. Je me réjouis donc d’entendre que c’est également ce que les téléspectateurs perçoivent, car c’est absolument le fruit d’une stratégie. Nous voulons que vous suiviez la série : nous ne voulons d’aucune façon que vous regardiez un épisode et que vous vous disiez : « D’la merde » [rires dans l’auditoire]. Donc, oui, très stratégique de notre part!
Question du public : Votre télésérie s’attaque à plusieurs croyances ancrées et à plusieurs problématiques complexes. Vous avez fait l’objet de critiques pour avoir secoué votre auditoire des deux côtés. Vous faites également face à la nécessité de gérer votre propre traumatisme. Tout cela aurait un effet passablement dévastateur sur plusieurs personnes et sur plusieurs artistes autochtones. Comment arrivez-vous à continuer et à transposer tout cela dans votre art?
Tracey Deer : Je crois que cet exutoire, ce mode d’expression artistique a été une grande partie de ma thérapie – en plus de la thérapie traditionnelle. Je suis fort reconnaissante d’y avoir accès parce qu’autrement ça serait très difficile. Il est vrai que je fais l’objet de beaucoup de critiques et que je suis parfois rejetée par les gens de ma propre communauté à cause de mon travail. Cependant, je pense que ça serait encore plus difficile de ne pas avoir cet exutoire, de ne pas avoir de voix et de ne pas être en mesure d’exprimer tout cela. J’accepte donc de vivre avec la critique puisqu’avoir une voix est beaucoup plus important pour moi – bon, vous voyez… là vous avez réussi à me faire pleurer… vous avez réussi à me faire pleurer… [dit-elle d’une voix enjouée]. Je m’étais presque rendue à la fin! [L’auditoire s’esclaffe.] Je suis d’ailleurs célèbre pour ça : vous m’invitez quelque part, c’est certain que je vais pleurer. Mais je ne pleure jamais sur le plateau de tournage et tu peux en témoigner [dit-elle à une personne dans l’auditoire qui a été figurante dans la série]. Je ne pleure jamais sur le plateau de tournage. C’est donc là où j’en suis et je vais continuer à faire mon travail, car c’est ma guérison : pouvoir parler, pouvoir m’exprimer et peut-être aider d’autres personnes à parler. Je pense que nous avons besoin de parler… nous avons besoin de [nous] regarder… nous avons besoin de guérir [11].
Parties annexes
Notes biographiques
Mélissa Gélinas est professeure au Département de français du Collège Dawson à Montréal. De 2017 à 2019, elle détenait une bourse postdoctorale du CRSH, au sein de l’École de cinéma Mel Hoppenheim de l’Université Concordia. Les affirmations multilingues et les initiatives de (re)vitalisation linguistique portées par les pratiques artistiques contemporaines sont au cœur de sa recherche et de son enseignement. Ses travaux actuels portent sur les enjeux culturels et linguistiques de la littérature et des arts médiatiques autochtones, en lien avec la résurgence culturelle autochtone au Québec et au Canada.
Isabelle St-Amand est Queen’s National Scholar et professeure au rang d’adjoint à l’Université Queen’s. Publié à l’origine en version française (2015), son livre Stories of Oka. Land, Film, and Literature a paru aux Presses de l’Université du Manitoba en 2018 avec une préface de Katsitsén:hawe Linda David Cree. Elle a codirigé avec Warren Cariou le dossier bilingue « Éthique environnementale et activité militante dans la littérature et le cinéma autochtones », paru en 2017 dans la Revue canadienne de littérature comparée et, avec Marie-Hélène Jeannotte et Jonathan Lamy, l’anthologie Nous sommes des histoires. Réflexions sur la littérature autochtone parue chez Mémoire d’encrier en 2018. La même année, elle a contribué au dossier « Premiers Peuples : cartographie d’une libération » codirigé par Nawel Hamidi, Darryl Leroux et Pierrot Ross-Tremblay dans la revue Liberté.
Notes
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[1]
Le comité organisateur de ce colloque était composé de cinq femmes, soit Marie-Eve Bradette, Julie Graff, Gabrielle Marcoux, Alexia Pinto Ferretti et Louise Vigneault.
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[2]
Cet entretien a été transcrit et traduit de l’anglais par Mélissa Gélinas. Nous remercions Tracey Deer d’avoir accepté de publier cet entretien sous forme d’article dans ce dossier. Nous remercions également les organisatrices du colloque d’avoir donné leur aval à cette publication.
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[3]
À ce sujet, voir aussi Lee Maracle, « Oratoire : accéder à la théorie » (2018).
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[4]
En mars 1990, des gens de la communauté mohawk de Kanehsatà:ke occupent un chemin boisé pour protéger leurs terres d’un empiètement projeté par la municipalité voisine, Oka. Le 11 juillet 1990, quatre mois plus tard, une intervention de la Sûreté du Québec entraîne une fusillade causant le décès tragique d’un policier, le caporal Marcel Lemay. Le même matin, des gens de Kahnawà:ke bloquent le pont Honoré-Mercier en soutien à Kanehsatà:ke. Le long siège armé qui s’ensuit se soldera à la fin de l’été avec l’intervention des Forces armées canadiennes. Dans son livre Mohawk Interruptus, la chercheure mohawk Audra Simpson écrit que « [l]a “Crise d’Oka” est une résistance autochtone de 78 jours contre l’expropriation territoriale », ainsi qu’« un évènement spectaculaire qui a accentué la structure du colonialisme de peuplement au Canada, illuminant son désir de territoire, sa propension à consumer et son indifférence pour la vie, la volonté, et tout ce qui est considéré sacré, responsable et juste » (2014, p. 147, traduction libre). Au sujet de l’expérience de ce siège telle que vécue par les gens des communautés de Kanahwà:ke et de Kanehsatà:ke, voir notamment Entering the War Zone (1995) de Donna K. Goodleaf et À l’orée des bois. Une anthologie de l’histoire du peuple de Kanehsatà:ke de Brenda Katlatont Gabriel-Doxtater et Arlette Kawanatatie Van den Hende (2010).
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[5]
Alanis Obomsawin relate cet épisode violent en détail dans Pluie de pierres à Whiskey Trench (2000), le dernier d’une série de quatre films documentaires qu’elle a réalisés à l’Office national du film du Canada sur la résistance à Kanehsatà:ke en 1990. Obomsawin tenait à faire entendre les voix des gens qui, comme Deer, étaient dans ces voitures lapidées par la foule. Dans Stories of Oka, Isabelle St-Amand affirme que cette attaque raciste « peut être conçue comme une matérialisation localisée et éphémère de la dynamique genrée qui anime la colonisation de peuplement et suivant laquelle, comme l’affirme Audra Simpson, “le Canada exige la mort et la soi-disant ‘disparition’ des femmes autochtones pour solidifier sa souveraineté” » (2018, p. 63, traduction libre).
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[6]
Cette démarche de recherche et de création fondée sur une volonté de parler à partir de sa propre expérience se retrouve chez de nombreux créateurs et intellectuels autochtones (Maracle, 2018; L. Simpson, 2018). Dans son essai Alanis Obomsawin : The Vision of a Native Filmmaker, Randolph Lewis soutient à cet égard que la « vision cinématographique » de la renommée documentariste « reflète un regard autochtone souverain, une façon de regarder qui est issue de l’expérience autochtone et qui détermine la nature même du film » (2006, p. 182, traduction libre). Au sujet de l’importance du récit de vie d’un point de vue autochtone, voir aussi l’article de K. Tsianina Lomawaima (2016) et l’article correspondant de David A. Chang (2016).
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[7]
Au sujet de la responsabilité que l’on acquiert lorsque l’on se voit confier une histoire, voir la réflexion que l’écrivain d’origine cherokee Thomas King tisse tout au long de son essai Histoire(s) et vérité(s) (2015).
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[8]
À propos du mouvement littéraire « post-Oka », le chercheur et artiste de la nation Métis Warren Cariou explique que « les écrivains autochtones ont répondu au défi que leur avait lancé Lee Maracle d’entrer dans l’arène discursive et d’offrir au monde leurs propres représentations des cultures autochtones » (2014, p. 580). Pour une analyse de divers textes d’auteurs autochtones mentionnant la résistance menée à l’été 1990 contre l’empiètement territorial à Kanehsatà:ke et à Kahnawà:ke, voir l’essai La crise d’Oka en récits de St-Amand (2015).
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[9]
Ces questions sont explorées par des cinéastes et artistes médiatiques mohawks qui ont vécu cet événement dans leur jeunesse, notamment Sonia Bonspille-Boileau (2006 et 2016), Skawennati (2017) et Roxanne Whitebean (2015). Au sujet du caractère traumatique de ce siège armé pour les communautés mohawks qui l’ont vécu, voir entre autres le récit de Dan David (1992), auteur mohawk de Kanehsatà:ke.
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[10]
Au sujet du rôle des artistes dans les efforts de réconciliation préconisés par la Commission de Vérité et de réconciliation du Canada et au-delà, voir l’ouvrage collectif de Robinson et Martin (2016).
Bibliographie
- CARIOU, Warren, « Indigenous Literature and Other Verbal Arts, Canada (1960–2012) », dans James H. Cox et Daniel Heath Justice (dir.), The Oxford Handbook of Indigenous American Literature, 2014, p. 577-588.
- CARRIÈRE, Louise, Femmes et cinéma québécois, Montréal, Les éditions du Boréal, 1983, 282 p.
- CHANG, David A., « Indigenous Biography, Genealogy, and Webs of Relation », Biography, vol. 39, no 3, 2016, p. 274-276.
- CORNELLIER, Bruno, La « chose indienne ». Cinéma et politiques de la représentation autochtone au Québec et au Canada. Essai, Montréal, Nota bene, coll. Études culturelles, 2015, 307 p.
- DAVID, Dan, « Razorwire Dreams », dans Linda Jaine et Drew Hayden Taylor (dir.), Voices: Being Native in Canada, Saskatoon, University of Saskatchewan, Extension Division, 1992, p. 20-31.
- DOWELL, Kristin L., « Digital Sutures : Experimental Stop-Motion Animation as Future Horizon of Indigenous Cinema », Cultural Anthropology, vol. 33, no 2, 2018, p. 189-201.
- DOWELL, Kristin L., Sovereign Screens. Aboriginal Media on the Canadian West Coast, Lincoln, University of Nebraska Press, 2013, 296 p.
- GABRIEL-DOXTATER, Brenda Katlatont et Arlette Kawanatatie VAN DEN HENDE, À l’orée des bois. Une anthologie de l’histoire du peuple de Kanehsatà:ke. Essai, recherche principale de Louise Johnson, traduction de l’anglais par Francine Lemay, Kanehsatà:ke, Centre culturel et de langue Tsi Ronterihwanónhnha ne Kanien’ke’ha, 2010, 278 p.
- GOODLEAF, Donna K., Entering the War Zone: A Mohawk Perspective on Resisting Invasions, Penticton, Theytus Books, 1995, 189 p.
- JUSTICE, Daniel Heath, « Voir (et lire) rouge : les Indiens hors-la-loi dans la tour d’ivoire », dans Marie-Hélène Jeannotte, Jonathan Lamy et Isabelle St-Amand (dir.), Nous sommes des histoires. Réflexions sur la littérature autochtone, Montréal, Mémoire d’encrier, 2018, p. 105-130.
- KING, Thomas, Histoire(s) et vérité(s). Récits autochtones, Montréal, Éditions XYZ, coll. « Théorie et littérature », 2015, 230 p.
- LAROCQUE, Emma, When the Other Is Me: Native ResistanceDiscourse 1850-1990, Winnipeg, University of Manitoba Press, 2010, 218 p.
- LEWIS, Randolf, Alanis Obomsawin: The Vision of a Native Filmmaker, Lincoln, University of Nebraska Press, 2006, 262 p.
- LOMAWAIMA, K. Tsianina, « A Principle of Relativity through Indigenous Biography » Biography, vol. 39, no 3, 2016, p. 248-269.
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