Résumés
Résumé
Le confinement, à la suite de la COVID-19, a généré des situations qui ont affecté la qualité de vie des populations étudiantes du Québec, mais celle des étudiant.e.s internationaux.les (EI) reste encore mal connue. Cette étude qualitative vise à cerner l’expérience du confinement et ses répercussions sur la qualité de vie des EI fréquentant des universités québécoises. Quarante entrevues semi-structurées ont été menées auprès d’EI, hommes et femmes, provenant de France et d’autres pays. L’analyse des thèmes retenus (configurations résidentielles, santé physique et psychologique, activités sportives, vie religieuse, alimentation et consommation d’alcool et autres substances) montre des répercussions positives et négatives et permet de cerner les stratégies d’adaptation.
Mots-clés :
- COVID-19,
- confinement,
- étudiant.e.s internationaux.les,
- qualité de vie,
- adaptation
Abstract
Lockdown, following COVID-19, has generated situations that have affected the quality of life of student populations in Quebec, but that of international students (IS) remains poorly understood. This qualitative study aims to identify the experience of lockdown and its repercussions on the quality of life of IEs attending Quebec universities. Forty semi-structured interviews were conducted with male and female IEs from France and other countries. Analysis of the selected themes (residential configurations, physical and psychological health, sports activities, religious life, diet and consumption of alcohol and other substances) shows both positive and negative repercussions, and identifies coping strategies.
Keywords:
- COVID-19,
- lockdown,
- international students,
- quality of life,
- adaptation
Corps de l’article
Introduction
La COVID-19 a entraîné au Québec l’instauration de mesures sanitaires draconiennes, dont une période de confinement, entre le 22 mars et le 25 juin 2020. Cette situation a perturbé les routines quotidiennes. La qualité de vie des étudiant.e.s postsecondaires a été significativement affectée (anxiété, dépression, difficultés relationnelles, drogues, traumatismes, difficultés d’apprentissage, concentration et fatigue, isolement) comme l’indiquent des résultats récents (CISMC, Rashid et Di Genova, 2022). La complexification des tâches du quotidien et l’appauvrissement des liens sociaux ont été les deux phénomènes expérimentés conjointement, témoignant de la précarité vécue par les étudiant.e.s (Bernet et al., 2022). Ces répercussions se retrouvent dans les recensions des recherches qui rapportent une augmentation de l’anxiété et de la dépression chez les étudiant.e.s (Wang et al., 2022 ; Peng et al., 2023). Plusieurs d’entre elles ont été menées sur l’évaluation de la qualité de vie des étudiant.e.s de l’international (EI) en période de COVID-19, mais aucune au Québec. Pourtant, les EI sont nombreux (CAPRES, 2019) et vivent des situations de vulnérabilité. Outre l’adaptation socioculturelle au pays d’accueil, iels doivent faire face à des règles administratives compliquées (statut juridique de résident temporaire, formulaires d’entrée au Canada, normes d’emploi, etc.) et iels rencontrent des difficultés socioéconomiques, d’accès à des ressources financières, à des services (santé, services sociaux) et à un emploi (Frozzini, 2020 ; Frozzini et Tremblay, 2020). Comment la pandémie a-t-elle influencé leur situation ? Quelles sont les répercussions sur leur qualité de vie ? Cet article tentera de répondre à ces questions par le biais d’une recherche qualitative auprès d’un échantillon de EI fréquentant des universités québécoises. Nous aborderons d’abord le cadre théorique et la synthèse des travaux qualitatifs sur la qualité de vie des EI lors de la COVID-19.
Cadre thÉorique
Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la qualité de vie fait référence à « la perception d’un individu quant à la position qu’il occupe dans la vie, dans le contexte de la culture et des systèmes de valeurs dans lequel il vit et par rapport à ses objectifs, ses attentes, son niveau de vie et ses inquiétudes. Il s’agit d’un large champ conceptuel, englobant de manière complexe la santé physique de la personne, son état psychologique, son niveau d’indépendance, ses relations sociales, ses croyances personnelles et sa relation avec les spécificités de son environnement » (cité par Andrieu, 2012, p. 35). Chaque dimension correspond aux sous-catégories principales suivantes :
1. Santé physique : douleur, inconfort, fatigue, mobilité, activités quotidiennes et dépendance aux substances (alcool, drogues, tabac) ;
2. État psychologique : santé mentale, sentiments positifs ou négatifs, estime de soi, image corporelle et capacités cognitives ;
3. Niveau d’indépendance : capacité à mener une vie autonome, mobilité, activités quotidiennes et indépendance financière ;
4. Relations sociales : interactions sociales, relations personnelles, soutien social, communication et intégration sociale ;
5. Croyances personnelles : spiritualité, religion, valeurs personnelles influencent le bien-être individuel.
6. Environnement : liberté, sécurité physique, qualité de l’habitat, participation et accès aux loisirs (OMS, 2012).
Généralement, la qualité de vie est mesurée par des questionnaires autoadministrés, mais cette approche quantitative a été critiquée, car elle « contribue à contraindre les réponses et échoue à explorer les interprétations subjectives et les contextes de vie » (Burton et al., 2017, p. 375). Pour pallier ces limites, des chercheur.e.s ont préconisé une approche qualitative qui peut mieux rendre compte des expériences individuelles, leurs constructions et leurs interprétations par les participant.e.s aux études. Notre recherche s’est donc appuyée sur une perspective qualitative qui privilégie les dimensions expérientielles, élargissant ainsi les travaux sur les EI qui se situent dans cette perspective.
Recension des travaux qualitatifs sur la qualité de vie des EI
Études internationales
Les études qualitatives, encore rares, menées dans plusieurs pays, dont la Finlande (Pappa et al., 2020), les États-Unis (Maleku et al., 2021 ; Kerr, 2022 ; Lai et al., 2021), la Grande-Bretagne (Lai et al., 2021 ; Al-Oraibi et al., 2022) et la Chine (Iftikhar et al., 2022 ; English et al., 2022), mettent en évidence les impacts de la COVID-19 sur la santé mentale. Elles relèvent, entre autres, des niveaux élevés d’anxiété, des problèmes de sommeil (Pappa et al., 2020 ; Maleku et al., 2021 ; English et al., 2022), l’isolement (Pappa et al., 2020 ; Maleku et al., 2021 ; Kerr, 2022 ; Al-Oraibi et al., 2022 ; Lai et al., 2021 ; Calvo et al., 2022) et des inquiétudes concernant la santé de la famille et des amis dans le pays d’origine (Pappa et al., 2020 ; Kerr, 2022 ; Calvo et al., 2022). D’autres effets ont été identifiés : procrastination (Pappa et al., 2020), irritabilité, agressivité, augmentation de la consommation de tabac (English et al., 2022), appauvrissement du réseau social (Pappa et al., 2020 ; English et al., 2022) et discrimination (Lai et al., 2021 ; Maleku et al., 2021). Des réponses indifférentes ou apathiques des universités aux États-Unis et au Portugal face aux situations vécues par les EI ont aussi été relevées (Maleku et al., 2021 ; Kerr, 2022 ; Calvo et al., 2022).
Les répercussions négatives sur la santé mentale ne sont pas généralisées et certaines de ces études rapportent des améliorations sur le plan de l’autonomie, de la communication avec l’entourage (Pappa et al., 2020 ; Lai et al., 2021), du soutien de la famille et des pairs (Lai et al., 2021 ; Maleku et al., 2021 ; Al-Oraibi et al., 2022 ; Calvo et al., 2022) et de l’adoption de nouvelles activités de loisirs.
D’autres répercussions ont été relevées. En Grande-Bretagne, les exigences bureaucratiques des responsables de l’immigration et des douanes ont limité l’entrée des EI sur le territoire, avec la remise en cause provisoire du visa d’études, accroissant leurs incertitudes concernant leurs études et leur avenir. Pour les nouveaux.elles EI et ceux qui retournaient en Grande-Bretagne, le confinement a généré de nombreux obstacles à leurs démarches bancaires, alimentaires et administratives (Al-Oraibi et al., 2022). Le manque de soutien les a obligé.e.s à enfreindre les mesures sanitaires pour se ravitailler (Al-Oraibi et al., 2022). Les restrictions internationales sur les voyages ont empêché des EI de retourner en Chine et ont eu des effets sur leur bien-être : augmentation des sentiments de désespoir et d’incertitude, préoccupations quant à l’avenir et à la diplomation, manque de concentration et perte d’intérêt pour les études, manque de soutien institutionnel, difficultés financières ou pour trouver un emploi (Iftikhar et al., 2022). Les entraves au déplacement et à l’accès à des ressources financières sont également signalées chez des EI d’origine africaine et brésilienne au Portugal (Calvo et al., 2022).
En Angleterre, les difficultés liées au passage à l’enseignement en ligne (initiation aux plateformes, problèmes de connectivité) et ses retombées sur la qualité de vie sont soulignées (Al-Oraibi et al., 2022 ; Calvo et al., 2022). En Finlande, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, les EI rapportent le manque d’interactions avec leurs camarades de classe, les problèmes associés aux cours en ligne (progression retardée dans le programme d’études, supervision à distance, incertitudes quant à la finalisation des études et obtention du diplôme, coût des études (Pappa et al., 2020 ; Al-Oraibi et al., 2022 ; Lai et al., 2021). Pour des EI, dans ces conditions, la qualité des études s’est détériorée et le manque de motivation et de concentration a entraîné une baisse des notes (Pappa et al., 2020 ; Lai et al., 2021 ; Kerr 2022). Par contre, pour des EI résidant en Finlande (Pappa et al., 2020), les études en ligne n’ont pas constitué un désavantage, grâce au soutien du corps enseignant.
Études canadiennes et québécoises
Au Canada, les premiers articles qualitatifs (Firang, 2020 ; Firang et Mensah, 2021) ont mis en évidence la vulnérabilité des EI face à la pandémie, ce qui a affecté leur qualité de vie sur plusieurs plans (finances, détresse émotionnelle, atteintes à l’estime de soi, perte de contacts interpersonnels, détérioration de la performance scolaire, manque de soutien). Les témoignages des EI fréquentant les universités de Colombie-Britannique soulignent le sentiment d’isolement et le manque d’exercice physique, mais iels ont été peu nombreux.ses à rapporter des symptômes d’anxiété ou de panique (Garg, 2021). Iels ont maintenu des contacts avec leur famille et amis en ligne et se sont adapté.e.s à l’enseignement en ligne, malgré le manque d’activités pédagogiques de groupe. Dans des universités ontariennes, selon des EI d’Afrique et d’Asie (Hari et al., 2021), les conditions de vie difficiles sont associées à des sentiments de peur, d’incertitude et d’anxiété face à l’avenir (accès aux voyages aériens, résidence et statut migratoire précaires, recherche d’emploi). Le soutien familial a été essentiel pour atténuer les stress rencontrés (aide financière, fréquence des communications, proximité affective), non sans retombées sur les conflits intrafamiliaux liés à l’intensité de ces contacts qui ont affecté leur sentiment d’autonomie.
Au Québec, deux articles de Frozzini et al. (2023a ; 2023b) ont présenté les premiers résultats de la recherche qualitative auprès des EI d’où proviennent les données du présent article. Le premier a dégagé les répercussions du confinement sur les pratiques universitaires : problèmes technologiques et pédagogiques des cours en ligne, baisse des notes et de la motivation à poursuivre les études, atténuation du niveau de concentration et d’attention, symptômes physiques et « fatigue numérique », mais aussi maintien des études et résilience. Le second a cerné les usages des technologies numériques dans les stratégies de communication et les loisirs lors de la COVID-19 ainsi que leurs répercussions positives : réduction de l’isolement, maintien des relations familiales et sociales, divertissement ; et négatives : surcharge d’informations, dépendance à l’écran et tensions physiques. Notre article prolonge l’analyse des expériences liées au confinement en explorant des dimensions de la qualité de vie des EI qui n’ont pas fait l’objet de recherches dans le contexte québécois et qui sont présentées dans la méthodologie.
MÉthodologie
La population ciblée comprend, selon la définition canadienne, « des étudiants au Canada qui détiennent un visa ou sont réfugiés, mais qui n’ont pas de statut de résidence permanente au Canada […] [ainsi que des] étudiants non canadiens qui étudient par Internet » (Statistique Canada, 2011). Des EI inscrit.e.s dans des universités québécoises ont été sollicité.e.s par courriel par le biais des contacts établis lors d’une recherche précédente (Bérubé et al. 2018 ; Frozzini, 2020) et cela grâce aux partenaires provenant des services aux étudiants de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), des professionnel.le.s de soutien dans le réseau de l’Université du Québec (UQ) et de chercheur·e·s. L’échantillon de convenance comprenait 19 femmes, 20 hommes et 1 personne non binaire, âgé.e.s de 20 à 58 ans, avec une moyenne d’âge de 29 ans. Iels provenaient de France, pour près de la moitié, et d’autres régions du monde (Europe, Afrique, Moyen-Orient, Asie). Iels fréquentaient les universités québécoises suivantes : Université du Québec à Rimouski (18) ; Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (8) ; Université du Québec à Trois-Rivières (6) ; École Supérieure de Technologie (3) ; Université Concordia (1) ; Université du Québec à Montréal (2) ; Université Laval (2). Iels étaient inscrit.e.s dans des programmes d’études variés : sciences sociales et humaines (11), ingénierie (7), administration/gestion (6), biologie (5), environnement (5), lettres (3), santé (2), non spécifié (1). Au total, 10 EI étaient inscrit.e.s au 1er cycle, 17 au 2e cycle et 13 au 3e cycle. La grande majorité (33) rapportait un faible revenu.
Entre le 4 mai et le 17 juin 2021, 40 entrevues semi-dirigées ont été réalisées en distanciel. La plateforme Zoom a permis d’effectuer les entrevues après l’obtention du consentement des EI. L’anonymat a été garanti par le recours à une codification numérique. La durée des entrevues variait entre 90 à 150 minutes, selon la longueur des réponses fournies par les participant.e.s pour chaque thème. Ces entrevues ont été réalisées par deux assistant.e.s de recherche, inscrit.e.s en maîtrise (un homme et une femme formé.e.s et supervise.é.s), puis retranscrites.
Inspirée de l’analyse phénoménologique interprétative (Smith et al., 2009), l’approche méthodologique permettait d’approfondir les expériences de vie des EI en confinement et d’explorer leur qualité de vie en leur laissant toute liberté d’exprimer leur vécu et leurs émotions (Bonneville, Grosjean et Lagacé, 2007) dans un contexte particulier (Kumar, 2016). Le questionnaire semi-structuré dont les thèmes ont été dégagés à la suite de la recension de la littérature sur les EI comprenait, outre celles des usages des TIC académiques et communicationnels et leurs répercussions, plusieurs sections : modalités résidentielles, relations interpersonnelles, santé physique, exercices, sommeil, santé psychologique, loisirs, dimensions spirituelles, habitudes alimentaires et usage de substances. Le quotidien avant, pendant et après le confinement a ainsi été exploré. Un questionnaire sociodémographique complétait l’entrevue. Le logiciel NVivo a été utilisé pour l’analyse et la codification descriptive (accent sur les thèmes) et celle in vivo (accent sur les mots et les expressions des participant.e.s) (Saldaña, 2016). Cette grille de codification thématique a fait l’objet d’une validation après discussion et accord entre les assistant.e.s de recherche. Iels ont analysé et codifié ensemble quelques entrevues puis ont procédé individuellement à la codification du reste du corpus sur une même base de données Excel, ce qui permettait la vérification et l’enrichissement des sous-thèmes pour chaque dimension de la qualité de vie. Le comité d’éthique de la recherche de l’UQAC[1] a validé cette étude.
RÉsultats
Répercussions du confinement sur l’environnement résidentiel et les relations interpersonnelles
Le confinement n’a pas modifié significativement les configurations résidentielles des EI. La modalité la plus fréquente (21) était une résidence partagée avec plusieurs, entre 2 et 8 colocataires, (maison, appartement, résidence universitaire) suivie de la résidence en couple, en maison ou en appartement (13), celle de personnes seules (3) et de parents et enfants (3).
Routines quotidiennes
Les répercussions du confinement sur l’organisation de la vie quotidienne des EI sont en partie liées au type de configuration résidentielle, donnant lieu à des stratégies variées concernant les finances (séparées ou communes) et la répartition des tâches domestiques.
Dans le cadre de la colocation, plusieurs arrangements sont en place. Dans le premier, la division des tâches est restée la même, avec une réduction de la fréquence des sorties pour les courses assumées individuellement et une rotation entre colocataires pour les autres tâches domestiques. Dans le second agencement, la division préexistante n’a pas été modifiée en profondeur, mais a tenu compte des contraintes sanitaires en limitant la fréquence des sorties, assurées alors par une seule personne du groupe, les tâches domestiques internes continuant à être accomplies individuellement. Dans la troisième stratégie, les achats ont été exécutés en commun et les tâches ménagères divisées également, certaines étant réalisées en fonction des préférences individuelles. Une EI en résidence universitaire rapporte une réorganisation où les colocataires assuraient, indépendamment ou collectivement, les achats, avec une organisation plus communautaire et des activités communes en cuisine et autres étaient organisées, d’où une atmosphère de convivialité. Plus rarement, une désorganisation significative et plus conflictuelle dans la répartition des tâches est rapportée, des colocataires refusant d’assurer leurs responsabilités domestiques, ce qui obligeait les autres résident.e.s à les faire contre leur gré. Un EI met en relief l’intensité des conflits entre locataires quant à la répartition et au suivi des tâches ménagères (vaisselle, poubelles, nettoyage, courses, etc.) et à la gestion d’un animal domestique. Ces sources de litige ont abouti à une rupture entre colocataires, malgré des tentatives de médiation.
Dans le cas d’une résidence comprenant deux colocataires, la réorganisation a consisté à assurer ensemble la préparation des repas et à définir des tours de vaisselle et des tâches ménagères, contrairement à l’arrangement prépandémique où chacun les assurait de façon autonome. Une EI rapportait avoir assumé toutes les tâches ménagères avant le confinement, mais par la suite chaque locataire se chargeait de ces tâches de façon autonome. À l’inverse, dans un autre modèle, l’autonomie dans la préparation des repas et les tâches ménagères qui existait avant le confinement a fait place à une collaboration dans l’exécution des menus, le recours aux tours de vaisselle et des autres tâches domestiques.
Quant aux EI en couple, iels rapportent une réduction de la fréquence des sorties pour les courses, effectuées par l’un.e des conjoint.e.s ou ensemble, avec une planification plus rigoureuse des repas et la modification des horaires pour limiter les contacts extérieurs, l’organisation des autres tâches restant identique. Une EI en couple avec un enfant note un changement dans la division des tâches avec une alternance hebdomadaire dans la répartition entre les conjoints pendant le confinement. Dans une situation semblable, une EI dit s’être plus impliquée dans les tâches domestiques et dans la préparation des repas.
Relations interpersonnelles
Les tensions relationnelles, lors du confinement, ont augmenté dans certains cas. La proximité des appartements et le manque d’insonorisation ont créé des situations difficiles. Un EI rapporte avoir entendu les disputes et les cris d’une famille avec enfants vivant dans un logis mitoyen du sien. Des activités bruyantes pendant les heures nocturnes sont aussi notées, des conduites attribuées à la désorganisation des temporalités dues à la pandémie. La cohabitation forcée a aussi donné lieu à des tensions ou à des conflits ouverts, quelquefois passagers, entre les résident.e.s à cause du manque d’intimité, de l’impatience et de la nervosité plus palpables. Dans certains cas, l’atmosphère toxique difficilement supportable a entraîné le départ de colocataires. Les différences d’opinions ou de personnalité, le tabagisme en milieu fermé, la gestion des espaces communs et des temporalités (salle de bains, utilisation de l’espace alloué dans le réfrigérateur collectif ou de la cuisine) sont aussi relevés comme des irritants. La proximité permanente s’est accompagnée d’un sentiment d’étouffement et d’exaspération : « j’avais besoin de cuisiner toute seule, de faire mes choses pis après de retourner dans ma chambre. Voir les mêmes personnes tout le temps, j’en pouvais plus ! » (Femme, Madagascar). Dans le cas des couples, le confinement a provoqué une augmentation des tensions et, à la longue, une fatigue relationnelle : « Je trouve que c’est difficile parce que toutes les journées se ressemblent, on ne pouvait pas sortir. C’est bien mignon, mais nous on a beau s’aimer, si on se voit tous les jours on n’a plus rien à se raconter » (Femme, France). À l’inverse, ces conditions de vie ont atténué les tensions, sans toujours éliminer les discussions ou les disputes. Pour des EI, le confinement aurait même favorisé une plus grande intimité, un partage commun des tâches et une sollicitude plus grande entre les partenaires :
Ça rapproche, parce que maintenant vous êtes tout le temps à la maison, vous faites votre cuisine ensemble […] donc, du coup, le fait d’être à la maison, ça permettait d’être plus en symbiose avec [mon conjoint], de voir ce qu’il vit quand il travaille, donc du coup, ça a quand même créé une solidarité.
Femme, France
Cette perspective est aussi relevée par des EI résidant en colocation qui notent le maintien d’une ambiance de collaboration et de respect dans les relations interpersonnelles : « on s’entendait bien et puis, on était quand même respectueux de l’espace des autres, de faire attention que chacun ait son espace » (Femme, France). Pour une EI, malgré les conditions difficiles, le confinement a favorisé une forte convivialité entre les colocataires et l’implication dans des activités communes :
Ça a été une expérience quand même heureuse […]. Malgré tout mon mal-être, j’arrivais quand même à profiter de ces moments-là et j’avais l’impression d’être dans un chalet pendant la crise du verglas. […] On jouait à des jeux de société. On faisait des gros soupers les soirs […] des activités artistiques communes l’après-midi.
Femme, France
Suivi des mesures sanitaires
Le suivi des mesures sanitaires a constitué un sujet de discussions ou de tensions. Des EI notent un consensus sur le suivi des règles de prévention avec l’imposition de l’usage du gel hydroalcoolique aux colocataires, le lavage et la désinfection des aires partagées. La réorganisation de l’espace domestique pour assurer des conditions de vie plus supportables est aussi adoptée avec un accès aux chambres personnelles limité pour les colocataires et l’achat de mobilier pour améliorer le confort. D’autres rapportent, par contre, des divergences entre colocataires concernant le respect des règles sanitaires. Les sorties, le travail à l’extérieur dans un milieu peu protégé et la réception d’invité.e.s ont créé des inquiétudes, des disputes face à la transmission possible de la COVID-19 et des difficultés de gestion des crises :
Ah oui, ça, c’était plus compliqué parce qu’il y en avait qui avait super peur de la COVID. […] Il voulait qu’on n’invite personne, personne à la maison. Il était devenu fou. Il ne sortait pas de sa chambre. Il y en avait une autre qui, elle, s’en foutait complètement. Il fallait gérer ces deux-là.
Femme, France
Pour une autre EI en colocation, ces divergences ont provoqué des réactions anxiogènes et ont fini par occasionner une dispute avec une amie de longue date, réfractaire au confinement et aux mesures de distanciation, ce qui s’est conclu par le départ de cette dernière.
RÉpercussions du confinement sur la santÉ physique
La grande majorité des EI ne soulève pas de changements dans l’état de santé physique, lequel est resté stable pendant le confinement. Cependant, pour une minorité d’EI, le manque d’exercice avec la fermeture des installations sportives, la sédentarité, le manque d’équipement ergonomique et la prise de poids ont contribué à aggraver des symptômes musculosquelettiques (douleurs aux articulations, muscles et tendons, dans le dos, les omoplates, la nuque et les genoux). Ces problèmes ont été traités avec des moyens disponibles au domicile, l’accès à un médecin ou à d’autres professionnel.le.s de la santé étant limité.
Exercice et activités sportives
La fermeture des installations sportives (piscines, gymnases, terrains de sport, salles d’escalade) et des parcs nationaux a eu des conséquences marquées sur les routines des EI se livrant régulièrement à des activités physiques. Celles-ci ont été déstructurées ou suspendues brutalement : « Je faisais beaucoup de sports, 4 à 5 heures. Ça m’a quand même fait un choc au début parce que le sport, ça m’avait permis de concilier le travail, le loisir et la détente et tout donc ça m’a manqué pendant le confinement » (Femme, France). Pour des EI, le confinement a provoqué l’abandon des activités sportives pratiquées avant le début de la pandémie, tant individuelles (par exemple, natation, randonnées, escalade, ski, musculation, yoga en salle, zumba) que collectives (par exemple, soccer, ultimate frisbee, basketball, volleyball).
Cette implication ne renvoyait pas seulement à leur composante physique, mais avait aussi une fonction sociale importante en permettant un ressourcement lié aux rencontres régulières avec les membres de leur réseau amical que la pandémie a interrompues. À la suite de cette interruption, des EI ont constaté une démotivation significative et une perte d’intérêt pour l’activité physique régulière, ce qui a contribué à une détérioration de l’état physique (manque d’énergie, fatigue, essoufflement) et à un sentiment de mal-être :
Avant le confinement, c’était beaucoup, beaucoup plus de sport, donc ça, ça a vraiment changé au niveau de ma qualité de vie physique [avec le confinement]. Je me sentais beaucoup moins bien dans mon corps puis tu le sens vite que tu as arrêté de faire du sport. Tu es plus vite essoufflée. Je sens qu’il y a quand même une différence.
Femme, Belgique
À l’inverse, d’autres se sont adapté.e.s aux contraintes du confinement pour maintenir l’activité physique, parfois avec l’aide d’applications en ligne et cela malgré l’absence des appareils disponibles dans les salles de sport : « quand on passe de la fonte en salle de musculation, poids et haltères à finalement rien du tout à part du poids de corps et un petit peu de matériel et un tapis, ça devient tout de suite compliqué, mais finalement, j’y ai vraiment trouvé mon compte ». (Homme, France)
De nouvelles routines et de nouveaux exercices, individuels ou en groupe restreint, ont aussi été adoptés (exercices de musculation, marches, en intérieur ou en extérieur dans les parcs, circuits à vélo, vélo de montagne). La méditation pleine conscience a été pratiquée par une minorité, mais en revanche des séances régulières de yoga ont joué un rôle important pour plusieurs en contribuant à l’amélioration du bien-être, à l’apaisement physique et mental et à la gestion des émotions :
Avec le confinement, je me suis un peu obligée à prendre du temps et à faire du yoga par exemple le matin. C’est cliché, mais ça me faisait du bien. C’est ça, je pense que j’ai pris le temps. J’ai plus pris le temps de prendre soin de moi parce qu’en fait, j’en avais besoin parce que justement, ça n’allait pas très bien, fait que je me disais si je veux bien aller, il faut que je fasse de quoi […].
Femme, France
Certaines des activités se sont maintenues dans le temps ou ont été abandonnées, faute de motivation et de résultats :
Au début, je m’entraînais dans ma chambre, je faisais des exercices. Juste vite fait, pompes, abdos, des trucs comme ça, mais après, tu les fais mais tu vois qu’ils ne sont pas efficaces comme […] avant et puis après j’ai carrément tout arrêté et c’est là […] où j’ai commencé à voir des changements dans mon mental.
Homme, Rwanda
Sommeil
La plupart des EI ne rapportent pas de modifications dans leur cycle de sommeil, à l’exception d’une minorité qui avait déjà des problèmes avant le confinement, ce qui a amplifié leurs difficultés. D’autres rapportent des changements dans leurs habitudes de sommeil attribuées aux perturbations dans leurs routines quotidiennes dues au dérèglement des horaires du coucher et du réveil. Ceux-ci sont devenus plus tardifs avec l’augmentation du temps passé devant l’ordinateur ou la télévision, surtout en soirée. Les difficultés à s’endormir ont été attribuées à des ruminations nocturnes, à des états de vigilance et d’anxiété accrus. La sédentarité et l’inactivité auraient aussi joué un rôle dans l’allongement des heures de sommeil. Pour traiter ces problèmes, une minorité a eu recours à des exercices de yoga, à l’audition d’enregistrements des sons de la nature et à des massages, des activités qui ont contribué à atténuer ces difficultés.
RÉpercussions du confinement sur l’État psychologique
Stress et anxiété
Le confinement a eu des conséquences sur l’état psychologique des EI, en particulier chez les EI nouvellement arrivé.e.s, confronté.e.s au choc culturel lié à l’intégration dans une nouvelle société, mais aussi à la coupure subite avec leur milieu universitaire encore mal connu. En l’absence d’un réseau social déjà constitué, les sentiments d’isolement profond, de sidération et de désorganisation ont affecté la capacité à suivre le programme d’études :
Pendant le confinement, véritablement, ç’a été très dur psychologiquement. Tu arrives dans un pays où tu ne connais pas grand monde puis, du jour au lendemain, tu te trouves enfermé dans une chambre. Tu ne vois pas d’horizon. Pendant les études, tu as l’impression que tu es psychologiquement à terre et tu ne peux rien faire. Et, en toute honnêteté, des fois, j’en ai pleuré […]. Tu es comme un homme désarmé.
Homme, Cameroun
À ce sentiment d’impuissance viennent s’ajouter d’autres motifs de stress et d’anxiété liés aux changements dans les modes pédagogiques en ligne, aux contraintes financières et aux problèmes de visas et pour certains d’accès à des services médicaux : « Pendant le confinement, c’est juste l’anxiété et dans ma situation, comme je dis, je suis enceinte, c’est de l’anxiété en fait de ne pas pouvoir aller chez le médecin et que ton conjoint ne peut pas t’accompagner » (Femme, Gabon). Les incertitudes face au déroulement de la pandémie viennent aussi contribuer aux tensions psychologiques :
[…] c’est de ne pas savoir de quoi va être fait demain. Il y a tout le temps des changements […]. On ne sait pas si ça va être positif ou négatif. […] On ne sait pas s’il va y avoir moins de cas. […] On ne sait pas si l’année prochaine on va enfin sortir de ce cercle vicieux.
Femme, France
Les divergences dans l’évaluation de la dangerosité et des risques d’infection par la COVID-19, alimentées par les réseaux sociaux et les informations contradictoires des instances sanitaires, ont dans certains cas augmenté la peur, la méfiance et l’anxiété quant aux contacts sociaux susceptibles de contribuer à la transmission de la COVID-19. À ces préoccupations s’ajoutent les inquiétudes des EI face à la situation de leurs familles restées dans le pays d’origine et, à l’inverse, celles des familles inquiètes pour l’état de santé de leurs enfants à l’étranger, ce qui contribue à créer une atmosphère tendue, en particulier lors des communications par le biais des TIC.
Ennui, sentiment d’isolement et manque de motivation
L’absence d’activités extérieures favorisant la sociabilité (sports, bars, restaurants, concerts, partys, billard, etc.) et la rupture des contacts en présentiel habituels avec les membres de l’entourage (amis, famille, collègues) ont contribué à un rétrécissement des liens interpersonnels et à des sentiments d’ennui et d’isolement que le recours aux TIC n’a pu qu’atténuer momentanément en procurant un soutien social. Pour des EI en résidence universitaire, les mesures de confinement ont entraîné une interdiction des rencontres amicales et, pour ceux et celles qui étaient dans une relation amoureuse sans cohabitation, iels ont réduit les possibilités de rendez-vous, d’activités extérieures et la réalisation de projets. Une absence de motivation, associée à une forme de dépression, est aussi l’un des effets psychologiques rapportés qui ont abouti à une forme de repli sur soi :
Je suis presque déprimé, on a perdu de la motivation. L’un de mes colocs me disait que je devais sortir un peu quand même […]. Il est venu et m’a dit que je passais un peu trop de temps dans ma chambre. Sors aussi ! Sors un peu ! Tu vas mourir ici !
Homme, Cameroun
Loisirs
Les loisirs se sont aussi modifiés avec l’abandon de ceux qui demandaient l’implication dans des activités collectives, comme le rapporte un EI qui a cessé sa participation en tant que guitariste dans un groupe musical. Pour un autre, la photographie d’extérieur a été abandonnée et pour plusieurs, l’écoute de la musique et la lecture ont diminué par manque de motivation et l’atténuation de l’intérêt pour ces passe-temps. À l’inverse, plusieurs loisirs ont été maintenus ou se sont amplifiés. Les loisirs actifs des EI comprenaient la participation à des cours de musique en ligne ou la pratique d’un instrument de musique, le renouvellement de l’intérêt pour des activités : lecture (ouvrages scientifiques ou romans), montage de vidéos, peinture de figurines, fabrication de pain, création de bijoux et ouverture d’une boutique en ligne. Pour combler les plages de temps libre plus fréquentes, des EI se sont adonnés à des sessions de jeux vidéo et de jeux de rôles avec des amis sur Webcam. Le recours à des loisirs passifs pour pallier les moments d’ennui quotidiens incluait le visionnement fréquent d’émissions télévisées et audiovisuelles sur des plateformes de streaming, comme Netflix ou You Tube.
Répercussions du confinement sur la vie spirituelle et la pratique religieuse
La grande majorité des EI n’a pas exprimé d’intérêt pour les pratiques religieuses, mais la fermeture des lieux de prières a perturbé les routines d’EI, chrétiens et musulmans, qui ne pouvaient plus se rendre dans leurs lieux de culte. Iels se sont adapté.e.s à cette situation en recourant aux prières individuelles, en participant à des activités de leur groupe cultuel en ligne ou en privilégiant la lecture de textes bibliques et spirituels pour y puiser réconfort et soutien. Le confinement a été l’occasion d’approfondir leur relation à la divinité et de mener un travail d’introspection :
Il n’y a pas eu forcément d’augmentation de foi en tant que telle, mais peut-être des changements de relation avec mon Dieu […]. C’est comme si tu faisais une introspection en fait. […] Le confinement, c’est un peu ça. Ça nous a tous emmenés à nous regarder.
Femme, Côte d’Ivoire
Le confinement a été aussi l’occasion pour des EI de réfléchir à la maladie et à la mort, rendues plus évidentes avec la COVID-19, et de se poser des questions existentielles sur le sens à donner à leur vie, sur les modes de résilience à privilégier et, pour une minorité, à envisager de nouveaux engagements sociaux, sans pour autant les situer dans une perspective religieuse.
RÉpercussions du confinement sur les habitudes alimentaires et la consommation de substances
Habitudes alimentaires
En confinement, les EI n’ont pas été confronté.e.s à des obstacles pour accéder aux produits alimentaires, à l’exception des paniers d’aliments locaux et de la livraison de commandes de repas. Si la majorité des EI n’a pas changé ses habitudes alimentaires, d’autres ont porté une attention plus grande à la qualité et à la sélection des produits consommés dont certains ont été considérés comme favorisant la prévention de la COVID-19. La préparation de repas plus sains et plus diversifiés et l’apprentissage de nouvelles compétences culinaires ont été adoptés à la suite d’une réflexion sur la sédentarité et la prise de poids constatée. La consommation d’aliments jugés nuisibles à la santé (sucre blanc, aliments industriels, junk food, etc.) a été abandonnée au profit de produits considérés comme plus sains (miel, sirop d’érable, portions de légumes et de fruits).
À l’inverse, des EI relèvent une détérioration de la qualité de leur alimentation avec le recours à une consommation plus grande de produits associés à la malbouffe – biscuits, pâtisseries, boissons sucrées, grignotages, chips –, des changements attribués à l’anxiété, au désoeuvrement et à des conduites alimentaires compulsives.
Consommation d’alcool, de café et de substances
Les habitudes de consommation d’alcool ont aussi changé en quantité et en type de boissons. Pour des EI, l’ingestion a augmenté jusqu’à devenir quotidienne, surtout dans le cas de la bière, parfois remplacée par des boissons considérées comme ayant moins de calories, comme le rhum ou le whisky. La convivialité associée à la colocation, la perte de contrôle et la nostalgie de l’avant-confinement, quand les sorties sociales favorisaient la consommation d’alcool, ont contribué à ces pratiques. Le plaisir procuré par l’alcool et son usage comme moyen de pallier l’isolement sont aussi avancés comme motifs expliquant le recours à une consommation excessive. À l’inverse, d’autres EI rapportent une diminution significative de l’ingestion de boissons alcooliques, voire une abstinence, avec la disparition du contexte social convivial qui soutenait cette habitude.
La consommation de boissons énergisantes est absente, mais pour des EI, celle du café a augmenté. Source d’énergie et de stimulation, ce produit a servi à améliorer leur niveau de vigilance et à favoriser la concentration. Pour d’autres au contraire, son absorption a diminué en l’absence des pauses-café et de ses rituels qui scandaient les temporalités universitaires normales. Une minorité d’EI rapporte une réduction ou une augmentation de l’usage du tabac ; et, pour le cas du cannabis, un emploi plus fréquent est noté pour atténuer les répercussions du confinement.
Discussion
Cette étude qualitative auprès d’EI fréquentant les universités québécoises contribue aux recherches qualitatives internationales quant aux répercussions du confinement sur leur qualité de vie en explorant leurs expériences dans des sphères de vie encore peu explorées. Bien que le confinement n’ait pas modifié le mode de résidence en tant que tel, il a entraîné des adaptations plus ou moins profondes dans l’organisation des routines, variables selon les configurations résidentielles (colocation à plusieurs, à deux ou en couple) : tâches domestiques, finances, gestion des espaces communs, temporalités et suivi des mesures sanitaires. Cette réorganisation s’est accompagnée de tensions, de frictions et de conflits ouverts en particulier dans le cas de la location à plusieurs, ce qui est lié à la complexité de la gestion des relations dans ce cadre. Dans certains cas, la collaboration et la convivialité ont été amplifiées. Parmi les couples, on retrouve aussi des effets contrastés, tensions d’une part et intensification de l’intimité d’autre part. Ces données dressent un portrait nuancé des modalités de gestion du quotidien en confinement et de la diversité des adaptations vécues.
Les entrevues indiquent une détérioration de la condition physique parmi des EI (problèmes musculosquelettiques, prise de poids) due à la sédentarité accrue et à une alimentation déséquilibrée ainsi qu’à la rupture subite dans les routines d’exercice et de sport avec la fermeture des lieux qui leur étaient associés. Ces activités ne remplissaient pas seulement une fonction de régulation physique, mais aussi sociale dans le cadre des rencontres qui aidaient au maintien de la motivation. Si des EI ont renoncé à s’entraîner, d’autres ont fait preuve d’initiative et de résilience en adoptant de nouvelles pratiques comme le yoga ou en développant une routine réorganisée d’exercices à domicile. Les cycles du sommeil pour une minorité d’EI ont été perturbés à la suite des modifications des temporalités quotidiennes et de l’utilisation amplifiée des écrans, mais aussi pour des raisons psychologiques attribuées aux états d’anxiété et de vigilance élevées. Plusieurs facteurs sont à la base de ces troubles (choc culturel, incertitudes face aux études et à l’avenir professionnel, rupture des liens sociaux en présentiel, inquiétudes face à la COVID-19 pour soi et pour la famille restée dans le pays d’origine) et viennent s’ajouter aux précarités liées à la migration (statut résidentiel, visa, contraintes financières, accès aux services de santé). D’autres relèvent certaines répercussions du confinement sur leur santé mentale et psychologique (stress, anxiété, dépression, solitude, manque de motivation, apathie), ce qui recoupe en grande partie les constatations des autres études qualitatives (Kerr, 2022 ; Lai et al., 2022 ; Iftikhar et al., 2022) et les complètent. Néanmoins les EI, dans leur majorité, ne rapportent pas d’états extrêmes permanents. Le fait que notre recherche a été menée plusieurs mois après le confinement pourrait expliquer une atténuation des effets psychologiques moins influencés par le contexte d’urgence.
Les loisirs se sont orientés vers des formes actives avec l’adoption de nouveaux centres d’intérêt (musique, artisanat, lecture) et le recours à des jeux en ligne ou au contraire vers des formes passives avec la consommation élevée de produits audiovisuels en ligne qui ont contribué à une sédentarité accrue. Pour une minorité de EI croyant.e.s, le confinement a perturbé l’accès aux lieux de culte, les obligeant à adopter des pratiques individuelles ou à recourir à des pratiques en ligne. Pour d’autres, cette période critique a contribué à une réflexion et à une introspection sur des enjeux existentiels et sociaux, ce qui suggère qu’elle a pu accélérer un cheminement personnel et contribuer à une maturation plus rapide. Les répercussions sur les habitudes alimentaires indiquent le maintien des pratiques pré-confinement, l’adoption de nouvelles habitudes alimentaires plus saines dans le choix des denrées et les préparations culinaires ou, au contraire, un glissement vers la malbouffe parfois suivi d’une reconversion à une alimentation plus équilibrée. La consommation d’alcool et d’autres substances indique aussi la présence de cheminements variés, problématiques ou plus sains, dépendant des conditions du confinement, mais aussi des fonctions sociales que ces pratiques comportaient avant cette mesure.
Conclusion
Dans son ensemble, cette étude qualitative auprès d’EI montre la diversité des répercussions du confinement et ses effets négatifs sur la qualité de vie dans ses différentes sphères. Elle permet aussi de repérer les stratégies mises en place par cette population pour affronter les conditions adverses et exceptionnelles créées par la COVID-19, surmonter les défis et faire preuve de résilience, afin de s’adapter à ces circonstances et réussir à maintenir une certaine qualité de vie. En prolongement de ces analyses, il serait intéressant d’analyser qualitativement les processus de déconfinement et le retour à la vie normale, afin de cerner les traces que les expériences du confinement auront laissé, et évaluer plus précisément les séquelles sur leur qualité de vie. Ces données peuvent aussi contribuer à orienter des pistes de réflexion pour définir des stratégies d’intervention à mettre en place par les instances universitaires pour assurer une meilleure qualité de vie des EI, en cas d’une crise semblable dans le futur.
Parties annexes
Notes biographiques
Joseph Lévy, anthropologue, est professeur associé au Département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal. Ses publications ont porté sur les stratégies de prévention dans le domaine de la santé sexuelle, les usages des technologies d’information et de communication et la santé sexuelle, les usages et représentations des médicaments, les configurations contemporaines de la famille et du couple, les représentations de la mort, les relations interculturelles et les enjeux éthiques de la recherche. Il est membre du Laboratoire de recherches sur les relations interculturelles de l’Université de Montréal, du Réseau de santé des populations du Fonds de Recherche du Québec-Santé (RRSPQ) et de l’Institut santé et société de l’Université du Québec à Montréal. Il est membre du comité de rédaction de la Revue Frontières de l’Université du Québec à Montréal. josyjosephlevy@gmail.com
Miguel David Guevara Espinar, psychologue, est professeur au Département de la personnalité, de l’évaluation et des traitements psychologiques de l’Université de Salamanque. Ses publications portent sur les utilisations psychosexuelles des technologies de l’information, la prévention de la santé sexuelle, le bien-être psychologique et les droits humains. Il est membre du groupe de recherche reconnu sur l’histoire des droits humains à l’Université de Salamanque. mdgue@usal.es
Jorge Frozzini est professeur au Département des arts, des lettres et du langage de l’Université du Québec à Chicoutimi. Il est également titulaire de la Chaire de recherche du Canada en communication interculturelle et technologies de gestion en contexte pluraliste. Ses intérêts de recherche se situent au croisement des études en communication, des études migratoires, de l’anthropologie du travail, des sciences politiques, des relations interculturelles et de l’étude des technologies comme une façon d’être au monde. Ses intérêts de recherche ainsi que son implication au sein du secteur communautaire et municipal alimentent la plupart des recherches qu’il dirige ou celles auxquelles il collabore au sein de divers groupes de recherche : Laboratoire de recherches en relations interculturelles (LABRRI), Fonds de Recherche du Québec-Santé (RRSPQ), Centre intersectoriel en santé durable (CISD). Cet ensemble contribue aussi à sa participation dans le développement et la mise en place des formations concernant les questions liées à l’(im)migration et les compétences interculturelles. jorge.frozzini@uqac.ca
Farrah Bérubé est professeure et chercheuse agrégée au Département de Lettres et communication sociale de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Depuis 2020, elle assume les fonctions de directrice des programmes de premier cycle en communication sociale. De 2017 à 2019, elle a codirigé le Groupe d’études et de recherches axées sur la communication internationale et interculturelle (GERACII). Ses expertises portent sur la place et le traitement de la diversité dans les médias québécois et canadiens et sur les usages des médias par les migrants (représentation, usage et production). Elle a organisé en 2018 et en 2019 deux colloques au congrès de l’ACFAS dont un sur le thème de l’éthique de la recherche en communication interculturelle et internationale. Avec Caterine Bourassa-Dansereau et Caroline Bouchard, elle a coordonné en 2019 un numéro spécial en deux volumes de la revue Communiquer portant sur la communication interculturelle et internationale. Farrah.Berube@uqtr.ca
Daniel Côté est anthropologue et chercheur à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST). Ses travaux portent sur la réadaptation des travailleurs ayant subi une lésion professionnelle. Sa programmation de recherche porte sur les travailleurs en situation de vulnérabilité et plus spécialement sur les parcours de réadaptation des travailleurs immigrants et sur les enjeux relatifs à la communication interculturelle dans les milieux d’intervention. Il s’intéresse également aux inégalités sociales de santé, à la précarisation du travail et au phénomène de la stigmatisation en portant un regard critique et systémique sur les parcours d’expériences individuelles. Ses plus récents travaux se situent dans une approche collaborative qui engage chercheurs et praticiens dans une démarche de coconstruction des savoirs. Daniel Côté est également professeur associé au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal, chercheur régulier au Laboratoire de recherche en relations interculturelles (LABRRI) et membre de l’Institut universitaire SHERPA. Daniel.Cote@irsst.qc.ca
Jessica Dubé est chercheuse à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST). Elle s’intéresse à la gestion de la santé et de la sécurité́ au travail, notamment l’analyse organisationnelle avec une approche axée sur les liens de l’alliance thérapeutique. Elle étudie depuis quelques années la santé des travailleurs qui cumulent des précarités, la lutte aux inégalités de santé attribuable au travail ainsi que le développement et l’implantation des compétences interculturelles dans les organisations. Elle est la coordonnatrice du Laboratoire de recherche en relations interculturelles (LABRRI). Jessica.Dube@irsst.qc.ca
Note
-
[1]
Cette recherche a été menée en partenariat. Elle a été subventionnée par le CRSH et elle a été évaluée par le comité d’éthique de la recherche de l’UQAC : numéro de certificat CER-2022-744. Nous remercions le Réseau Santé des populations du Québec dont la subvention de départ a permis le développement de ce projet de recherche.
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