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Le champ de la protection et des droits de la jeunesse connaît actuellement au Québec, comme dans plusieurs pays occidentaux, des mutations importantes (McTavish et al., 2022). Malgré les singularités qui marquent leur contexte d’origine, force est de constater que les politiques publiques, les différents services de protection de l’enfance et de prise en charge des mineurs – qu’il s’agisse du cadre de protection ou du cadre pénal –, les pratiques professionnelles et les corpus législatifs qui encadrent ces pratiques font l’objet de vives critiques dans les espaces publics et les milieux de pratiques et de recherches (Featherstone, White et Morris, 2014 ; Mullins, 2011).
Ces dernières décennies, ces critiques ont donné lieu à la mise sur pied d’importantes Commissions d’enquêtes dans plusieurs États. À la lumière des témoignages des différents acteurs/trices impliqué·es dans ce champ de pratiques et de la présentation de résultats de recherches sur les institutions chargées d’appliquer les politiques et les lois de protection de la jeunesse, les constats partagés sont partout alarmants : judiciarisation excessive et préférentielle (inflation législative), judiciarisation et criminalisation des problèmes sociaux, pratiques discriminatoires et ciblage de populations socialement défavorisées, racialisées, discriminées et confinées à la périphérie du marché de l’emploi, conditions de travail pénibles pour les praticien·nes, manque d’effectifs, souffrance vécue par les enfants, les adolescent·es, les familles et les communautés, lois d’exception comme première et parfois seule porte d’entrée dans les services jeunesse et familles, reconnaissance explicite et transnationale de la fragilisation du filet social, absence de mécanismes d’imputabilité dans le cadre de pratiques qui donnent lieu à des lésions de droits, absence de politiques de reddition de comptes, obstacles systémiques et institutionnels aux réformes et transformations des pratiques, reproduction des inégalités sociales et surreprésentation des Noir·es, des Autochtones, des familles monoparentales, précarisées, marginalisées, (Cénat et al., 2021 ; McCormick, Schmidt et Terrazas, 2017 ; Caldwell et Sinha, 2020 ; Morris et al., 2018 ; Child Welfare, 2021).
Si ces différents diagnostics d’institutionnalisation de pratiques problématiques sont parfois avancés dans les recherches et que les appels aux grandes réformes de ces systèmes et les recommandations se multiplient, les manifestations concrètes de ces processus administratifs, juridiques et sociaux dans lesquels prennent part des institutions et des acteurs/trices agissant·es, révèlent toute l’histoire sociopolitique des tensions entre protection, contrôle et punition dans les systèmes de protection de la jeunesse et les institutions de prise en charge des personnes mineures qui demeurent dans l’ombre.
Les systèmes de protection de la jeunesse et de prise en charge des mineur·es s’inscrivent dans un continuum d’institutions d’État dont les fonctions sociales ont été principalement régulatrices. Le développement de ces systèmes est à cet égard intimement lié aux dispositifs politiques d’ingénierie sociale, aux différents aspects sélectifs de la prise en charge et du contrôle social des populations dont les caractéristiques spécifiques peuvent varier selon les contextes, les savoirs, les discours et les représentations des sphères publiques et des sphères privées et des rapports entre les populations vulnérabilisées, la famille et l’État.
L’État a réduit l’accès aux services dans tous les secteurs dont la santé et les services sociaux ; ce qui n’est pas sans conséquences sur les jeunes, leur famille et les professionnelles. Les nouvelles normes de gestion ont participé aux changements des conditions de pratiques en matière d’intervention sociale (Bourque et Grenier, 2018 ; Parazelli et Ruelland, 2017). Le champ de la protection de la jeunesse n’a pas échappé à ces changements. En plus des difficultés d’accès aux services de première ligne, augmentant les listes d’attente, les pratiques de gestion par résultats et les quotas de performance, couplées à la pénurie de personnel, contribuent aux difficultés des intervenantes.
À l’instar de ces tendances observables dans d’autres champs de l’intervention sociale, la judiciarisation dans les systèmes de protection de la jeunesse est en constante augmentation. À la Chambre de la Jeunesse de la Cour du Québec par exemple, le nombre de dossiers judiciarisés a crû d’environ 20 % au cours de la décennie 1990-2000, puis de 266 % entre 2006 et 2015 (Pleau, 2013 ; Bernheim, 2023). Le nombre de signalements n’a pourtant que légèrement augmenté au cours de cette période (Bernheim, 2023) et la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) énonce explicitement le caractère exceptionnel du recours judiciaire en la matière. Cette augmentation de la judiciarisation est cohérente avec celle observée en matière sociale au Québec (Bernheim, 2022) et dans d’autres pays du Nord global. Cette judiciarisation du social constitue un des piliers de l’État néolibéral (Wacquant, 2010), fondé sur l’individualisation et la responsabilisation (Thomas, 2010 ; Commaille, 1997). Niant la dimension structurelle et socioéconomique des problèmes sociaux, l’État néolibéral mobilise et instrumentalise, de manière transversale, les institutions sociales et judiciaires – police, tribunaux, prisons, centres jeunesse, établissements de santé et de services sociaux, protection de la jeunesse.
Pour Loïc Wacquant (2010), cet usage des institutions publiques vise non seulement la gestion des risques, mais aussi le maintien des privilèges des classes dominantes. Il s’ensuit que la judiciarisation du social se situe à l’intersection des mécanismes sociaux et politiques de domination – classe, genre, race (Crenshaw, 2011 ; Biland, 2019 ; Bernheim, 2023 ; Sandefur, 2008). La dimension coloniale des pratiques judiciaires est également de plus en plus reconnue dans une diversité de domaines du droit (Wilson, 2023 ; Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics), y compris dans celui de la protection de la jeunesse où elle s’inscrit dans le prolongement des politiques comme celles liées aux pensionnats (Commission de Vérité et de Réconciliation 2015 ; Caldwell et Sinha, 2020).
Dans un tel contexte, l’étude de l’évolution des systèmes de protection de la jeunesse et de prise en charge des familles et des personnes mineures ne peut faire l’économie de s’interroger sur les contextes et les enjeux liés à l’usage de la justice civile et pénale. Documentant les pratiques judiciaires, les effets de la judiciarisation et de la pénalisation, la mise en oeuvre des droits des parents, des jeunes, des enfants, dans le cadre des processus judiciaires, plusieurs articles de ce numéro spécial interrogent le rôle du droit et de la justice au regard des pratiques actuelles dans le champ de la protection de la jeunesse. La question des droits est d’ailleurs transversale dans ce numéro spécial – les pratiques au sein des systèmes de protection et de prise en charge des personnes mineures mettent en cause, en dehors de tout processus judiciaire, les droits des familles, ceux de la jeunesse et ceux des peuples autochtones.
Comme l’illustrent les différentes contributions de ce numéro, l’évolution des systèmes de protection de la jeunesse révèle des tensions qui traversent l’ensemble de nos sociétés, notamment en ce qui a trait aux pratiques discriminatoires. Les différentes manifestations de ces tensions restent toutefois encore à ce jour un angle mort à la fois des discours publics et de la production de savoirs et méritent cette attention critique particulière.
Ce numéro s’ouvre par un article de Karine Croteau qui s’interroge sur l’empreinte persistante du colonialisme dans le contexte sociohistorique des services de protection au Québec et sur les conceptions occidentales de la santé, de la parentalité et de l’intervention sociale qui structurent les pratiques de protection de la jeunesse. À partir d’une valorisation des savoirs, des expériences et des trajectoires de parentalité des mères innues qui sont ou ont été en contact avec des travailleuses sociales et des institutions du système de protection de la jeunesse, l’autrice s’interroge sur les préjudices que causent ces conceptions qui structurent les pratiques des institutions. Elle explore les pistes de transformations qui pourraient permettre l’accroissement d’une sécurisation culturelle dans un contexte où les mères innues et les familles autochtones demeurent surreprésentées dans le nombre de signalements au Québec.
Le second texte interroge l’expérience des familles Noires au sein des systèmes de protection de la jeunesse au Québec. Comme l’autrice précédente au sujet de l’expérience des mères innues et de l’empreinte persistance du colonialisme, les chercheur.es Alicia Boatswain-Kyte, Barbara Francia Dejean et Tonino Esposito rappellent comment l’expérience de ces familles et la surreprésentation des enfants Noirs signalés à la Direction de la protection de la jeunesse au Québec sont encore trop rarement examinées sous l’angle du racisme anti-Noir et du profilage racial. Leur article permet d’illustrer comment le profilage racial, en tant que pratique institutionnelle, est (re)produit dans le traitement différentiel des enfants Noirs et que les efforts déployés pour remédier à ces inégalités dans ce domaine (comme dans celui de la santé en général, de l’éducation et de la justice) ont été largement insuffisants. Plusieurs études ont montré la présence de préjugés lors de la prise de décision des intervenants de la protection de la jeunesse. Très peu se sont intéressées, comme ce texte, à la discrimination raciale exercée par ce système de protection. La contribution majeure de ce texte est ainsi d’adopter une perspective antiraciste pour reconnaître la disparité raciale dans ces systèmes de protection de la jeunesse et de mieux comprendre le traitement différentiel et le maintien des inégalités structurelles.
Alexandra Vincent constate, quant à elle, que les mères victimes de violence conjugale sont considérées par les intervenantes sociales, puis par les tribunaux, comme étant en défaut de protection par rapport à leurs enfants. À partir d’une revue de la littérature, Vincent brosse un portrait du traitement sociojudiciaire de la violence conjugale en protection de la jeunesse. Elle constate que non seulement la violence des pères n’est généralement pas considérée au moment d’évaluer leurs capacités parentales, mais que le fait d’être victimes de violence constitue pour les mères une preuve de leur incapacité. Il s’ensuit que les mères font l’objet d’une surveillance et d’un contrôle accrus, alors que les pères violents bénéficient de pratiques d’intervention plus permissives. Ces constats démontrent l’absence d’analyse structurelle permettant de replacer les violences conjugales dans leur contexte social traversé par les rapports de pouvoir entre les genres.
Si les droits des mères innues, des familles et enfants Noir.es, des mères victimes de violence conjugale et des personnes mineures semblent fragiles, voire bafoués, dans la prise en charge sociale, comme l’illustrent plusieurs textes de ce numéro, le constat est le même concernant le système de justice, selon plusieurs études publiées dans ce numéro. À travers les récits de mères et d’avocates de la défense, Emmanuelle Bernheim et Delphine Gauthier-Boiteau dépeignent un processus judiciaire éprouvant, marqué par un rapport de force déséquilibré et des ordonnances difficiles à mettre en pratique, que ce soit en raison de l’indisponibilité des services ou les courtes échéances. Les avocates racontent comment les ordonnances judiciaires ont souvent pour effet d’appauvrir les mères, rendant encore plus difficile pour elles de récupérer la garde de leurs enfants. L’expérience douloureuse de la Chambre de la jeunesse se cristallise pour plusieurs mères en une perte de confiance en la justice. Ce qui en mène certaines sur les chemins de la dépression et du désespoir, d’autres à renoncer à leurs droits et aux contacts avec leurs enfants. Dans le contexte intersectionnel qui anime l’esprit de ce numéro spécial, l’article de Bernheim et Gauthier-Boiteau soulève des interrogations très fortes sur la capacité de la justice à administrer les questions sociales de manière égalitaire.
Le constat est le même pour Marilyn Coupienne qui affirme que le système judiciaire perpétue les rapports de pouvoir et inégalitaires. En analysant les procès-verbaux d’audiences lorsque le tribunal déclare la sécurité ou le développement de l’enfant compromis pour négligence, Coupienne montre comment la capacité de défendre ses droits est inégale devant une intervention sociale coercitive. En effet, à partir du temps de parole et des documents présentés en cour, l’autrice illustre comment les familles en situation de précarité socioéconomique peuvent être sans ressources devant la protection de la jeunesse.
Dans leur article portant sur la lésion de droits – mécanisme prévu par la Loi sur la protection de la jeunesse permettant à la Chambre de la jeunesse ou à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse de reconnaître et de remédier à une violation des droits de l’enfant dans le cadre de l’intervention sociale – Valérie Costanzo et Mona Paré montrent, à partir de l’étude d’un échantillon de décisions judiciaires, que la Direction de la protection de la jeunesse est, dans tous les cas, à l’origine de la violation, mais surtout que le recours n’a, dans les faits, qu’un effet limité. Les autrices constatent que les décisions judiciaires constituent surtout une constatation formelle d’une violation de droits ayant déjà eu lieu – droit aux services, droit à la participation et à la consultation, droit à la diligence, respect de l’intérêt de l’enfant et des ordonnances judiciaires. Les mesures correctrices ordonnées par la cour – informer la direction de la DPJ, ordonner des soins et services, recommander ou ordonner des changements structuraux, blâmer la DPJ, exiger des excuses – apparaissent, pour Costanzo et Paré, accessoires. Dans un contexte où les ressources publiques sont de plus en plus rares, notamment en protection de la jeunesse, le pouvoir de la Chambre de la jeunesse en matière de lésion de droit est dans les faits bien limité. Ces constats remettent en question la capacité réelle de la justice à assurer la mise en oeuvre du respect des droits des personnes mineures sous protection de la jeunesse, et plus particulièrement de leur meilleur intérêt.
Évoquant un « continuum de la contrainte », Géraldine Bugnon et Olivia Vernay évoquent les liens entre défaut de protection, surveillance et contrôle, comme si protection et contrainte constituaient, au sein des institutions, les deux faces d’une même pièce. À partir de l’étude de dossiers civils et pénaux, les autrices démontrent que, derrière la rhétorique de la protection, il est plutôt question des déviances des jeunes ou de celles de leurs parents. Le continuum de la contrainte renvoie à la gamme de mesures d’intensité variable ordonnées par les tribunaux à des fins de protection – détention, placement en milieu fermé, curatelle éducative, supervision ou interdiction de contacts – dont les personnes mineures protégées peuvent elles-mêmes faire les frais, d’autant plus qu’elles peuvent être prises en charge tantôt par la justice pénale, tantôt par la justice civile. Bugnon et Vernay montrent ainsi que les logiques d’action à l’oeuvre dans les deux systèmes sont similaires, de même que protection de la jeunesse et justice pénale visent des objectifs communs.
Marie Dumollard, Isabelle Lacroix, Isabelle-Ann Leclair-Malette et Rosita Vargas Diaz interrogent également les effets de ce continuum de la contrainte à travers l’analyse des liens entre les modes de placement en milieux restrictifs, les pratiques d’encadrement et les expériences juvéniles de transition vers l’âge adulte. À partir du point de vue des jeunes placés sous la Loi de la protection de la jeunesse dans des centres de réadaptation au Québec, elles montrent comment l’institutionnalisation dans ces milieux, aux éléments carcéraux, complexifie les processus de sortie de placement et le parcours de ces jeunes dans leur processus d’autonomisation lors de la transition à l’âge adulte. Elles soutiennent et illustrent que les pratiques de contrôle, qui peuvent faciliter l’adoption de comportements appropriés dans ces milieux, ont des effets contraignants qui n’encouragent ni le développement du pouvoir d’agir ni la participation significative des jeunes au moment de leur sortie.
Nicolas Sallée s’intéresse au recours controversé de l’isolement, comme moyen de production de la discipline, dans les unités de garde qui accueillent, au Québec, les jeunes placés sous détention provisoire ou ceux condamnés à des peines de placements et de surveillance – prévues par la loi fédérale sur le système de justice pénale des adolescents. En interrogeant le recours à ce type de mesures à des fins disciplinaires et les pratiques de « traitement de l’indiscipline » dans ces établissements, l’auteur offre une vue unique sur les pratiques « d’isolement sans le dire » dans les institutions publiques québécoises d’exécution des peines pour les mineurs. Ce texte illustre les ambivalences structurelles et les tensions constitutives de l’enfermement des jeunes qui marquent ces pratiques, malgré la croissance de l’encadrement juridique de ces procédures disciplinaires controversées. Son originalité est de situer simultanément le cas québécois dans sa singularité et sa continuité historique et au sein des débats plus larges et actuels sur les théories pénales de la « réhabilitation ». Cela lui permet de mettre en évidence les relations complexes entre réhabilitation, discipline et droit(s), ici comme ailleurs.
Plusieurs textes de ce numéro spécial questionnent l’évolution des systèmes de protection de la jeunesse et de prise en charge des mineur·es sous l’angle des champs de pratiques professionnelles, des contraintes à l’action et des transformations en acte. Sur le plan des pratiques professionnelles, les changements politiques, législatifs et organisationnels ont historiquement modulé les conditions de travail et de pratique. Au cours des dernières décennies, au Québec comme ailleurs, les nouvelles méthodes de gestion introduites, au nom de l’efficience, de l’imputabilité et de la limitation des coûts, ont bouleversé les manières de faire, tout comme la marge de manoeuvre des différents acteurs et actrices de ce champ de pratique. Les réformes successives des services sociaux dans la plupart des pays désindustrialisés et postindustriels – là où le secteur manufacturier a été remplacé par des économies numériques et de services – ont même conduit certains chercheurs à identifier le passage à un nouveau régime, soit un déplacement du régime professionnel à un régime de « care management ». Ce passage a été introduit sous l’égide de paradigmes de la Nouvelle Gestion publique (NGP), méthode imposée dans les différentes administrations publiques de tous les pays désindustrialisés et postindustriels depuis les années 1980.
Derrière cette méthode de gestion se trouve une philosophie de performance sans fin jamais atteinte par les organisations qui affecte l’ensemble des conditions de la pratique, les finalités de l’intervention et les conditions de suivi (ex. augmentation du nombre de cas [case load], limitation de l’autonomie et du jugement professionnel, sentiment de non-reconnaissance sur le plan professionnel, modifications des pratiques pour atteindre les cibles, parfois même infraction au code de déontologie). Cette méthode de gestion n’est pas sans conséquence sur les systèmes de protection de la jeunesse, puisqu’elle produit un univers de contrôle sans précédent des intervenantes sociales. Certaines études rapportent un niveau de détresse généralisée chez les travailleuses sociales depuis la dernière réforme du réseau de la santé et des services sociaux au Québec.
Dans leur texte portant sur le point de vue des gestionnaires sur la réforme du système de santé et des services sociaux, Doris Chateauneuf et Annie Vaillancourt décrivent les impacts de la réforme du système de santé et des services sociaux sur la protection de la jeunesse. Les gestionnaires y affirment que les changements structurels et les modes de gestion ont fait en sorte que, pour plusieurs, la porte d’entrée des services est devenue la Protection de la jeunesse. Le texte expose également certaines failles dans les modes de gestion ainsi que la pression exercée sur les intervenants dans un contexte de pénurie et de transformation des problèmes sociaux.
Nathalie Plante montre les contradictions présentes dans le système de protection. À partir d’entretiens semi-dirigés, elle expose les contradictions entre les discours professionnel, managérial, légal et féministe. Elle explique, entre autres, comment les discours légal et managérial s’imposent au discours professionnel et fait la démonstration de la prévalence sélective du discours légal. Plante fait également état d’un déplacement du discours féministe et professionnel responsabilisant les victimes de violence.
Finalement, les transformations des modes de gestion ont manifestement eu des conséquences qui dépassent les travailleuses du réseau de la santé et des services sociaux. En s’inspirant de la théorie de Renault, le texte de Martine Ringuette, Patricia Ringuette et Isabelle Chouinard dresse un historique de la mobilisation des familles d’accueil en vue de leur reconnaissance et, par le fait même, de leur professionnalisation. Cette reconnaissance a été obtenue à la suite du jugement Grenier et au droit à la syndicalisation des familles d’accueil. En 2009, la Loi sur la représentation des ressources de type familial et des ressources intermédiaires ainsi qu’un nouveau cadre de référence en 2014 créent une catégorie particulière de travailleurs. Cette professionnalisation constitue, selon les autrices, un déni de reconnaissance pour ces familles qui font l’objet de contrôles plus importants de la part de l’État. En effet, la reconnaissance des familles d’accueil a été accompagnée par une logique managériale imposant des outils standardisés et des tâches administratives.
L’ensemble des contributions de ce numéro dévoile les tensions et constats soulevés dans le cadre des Commissions d’enquête sur les systèmes de protection de la jeunesse. Les auteurs et autrices documentent les problématiques et les défis auxquels font face aujourd’hui ces systèmes à partir de différentes échelles d’analyse. En favorisant l’interdisciplinarité et les croisements théoriques, une attention particulière est donnée à la mise en contexte de ces différents enjeux, leur lien avec l’histoire et leur contexte de production, tout en permettant de rendre compte des tendances observées dans les milieux de pratiques et le vécu quotidien des acteurs et actrices qui agissent et vivent au contact de ces institutions. Ces contributions permettent d’éclairer la part d’ombre de l’histoire de ces systèmes, en multipliant notamment les regards, les points de vue et les savoirs sur ces institutions, leurs histoires, leurs transformations et les manières de faire.
Parties annexes
Notes biographiques
Jade Bourdages est professeure à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal. Elle s’intéresse aux processus de stigmatisation et de criminalisation des jeunes en milieux urbains.
Mélanie Bourque est professeure au Département de travail social de l’Université de Sherbrooke. Elle s’intéresse aux transformations des politiques publiques et particulièrement aux réformes du système de santé et des services sociaux et de leurs conséquences sur le contexte de pratiques de travail social.
Emmanuelle Bernheim est professeure titulaire à la Section de droit civil de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en santé mentale et accès à la justice.
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