Résumés
Résumé
L’enjeu de l’habitation en ruralité est démontré eu égard aux besoins des aînés qui souhaitent y vieillir. Pour ceux disposant de revenus modestes, les choix et l’accès à une habitation adaptée et abordable sont restreints. Nos observations sur le rôle des intervenants en action collective dans le développement d’habitations sont issues de projets de recherche menés depuis 2008 dans les Municipalités amies des aînés. En réponse aux enjeux actuels de la ruralité en habitation pour aînés, deux modèles d’habitations communautaires viables en ruralité sont présentés en lien avec le rôle des intervenants sociaux et en action collective.
Mots-clés :
- habitation communautaire,
- résidence pour aînés,
- ruralité,
- municipalité,
- intervenants communautaires
Abstract
The challenge of rural housing for seniors is recognized in light of their needs and their desire to age in their own community. For low-income seniors, access to affordable and adapted housing is a crucial issue. Our observations on the role of social actors who intervene in the community regarding housing development stem from research projects led in Age-Friendly municipalities since 2008. In answer to the current issues related to senior housing in rural areas, two sustainable community-based models are presented with regard to the role of social and community interveners in collective action.
Keywords:
- community-based dwelling,
- senior’s housing,
- rural life,
- municipality,
- social stakeholders
Corps de l’article
Introduction — Principaux enjeux touchant l’habitation pour les aînÉs au Québec
Cet article vise à faire ressortir, sur la base de recherches cumulatives sur les Municipalités amies des aînés (MADA), d’une part les enjeux spécifiques en matière d’habitation pour les aînés qui vivent en ruralité et d’autre part, les rôles particulièrement importants joués par les intervenants sociaux et en action collective à différentes étapes d’un projet d’habitation.
Dans la foulée des travaux sur les Villes amies des aînés, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a identifié huit dimensions[1] du vieillissement actif comme autant de déterminants sociaux de la santé des aînés, parmi lesquels figure la question de l’habitation. Partant des besoins des aînés, l’approche des MADA telle que développée au Québec (Garon et al., 2012 ; Paris et al., 2013) permet de comprendre les ramifications de la problématique du logement des aînés. Il faut éviter de considérer l’habitat comme un élément isolé puisqu’il est tout aussi important de faciliter l’accès aux services de soutien communautaire et de santé, à des commerces de proximité et à des moyens de transport, pour permettre aux aînés de se maintenir chez eux. À mesure que les aînés voient leurs capacités diminuer, l’habitation doit être ajustée à leurs nouveaux besoins pour continuer à leur procurer un milieu de vie sain, adapté, abordable et sécuritaire, favorable au maintien de leur participation à la vie en société, contribuant à préserver leurs liens sociaux et leur santé.
Pour que la situation du logement évolue, plusieurs programmes et paliers de gouvernement doivent être impliqués et les milieux doivent également se mobiliser pour orchestrer les interventions de manière à répondre aux nouvelles réalités. La démarche MADA s’est avérée une excellente façon de rassembler des acteurs provenant de différents secteurs autour d’enjeux locaux qui affectent les conditions de vie des aînés. La constitution d’un comité de pilotage intersectoriel dès le début de la démarche MADA représente un mécanisme puissant pour harmoniser les visions et coordonner l’action.
De nos observations et résultats de sondages et d’évaluations menés depuis 2008 dans les MADA émergent les rôles endossés par les différents intervenants pour mener à bien les plans d’action sur lesquels figurent, entre autres, des actions sur l’habitation.
Nous verrons plus précisément quels sont les enjeux d’habitation qui suggèrent une intervention prompte, mais réfléchie dans les milieux et comment les intervenants sociaux et en action collective y participent.
Depuis que le Québec a pris conscience du vieillissement marqué et accéléré de sa population, relativement peu d’interventions publiques de niveau national ont visé à repositionner la question du logement adapté et abordable pour les aînés comme une priorité, malgré l’enjeu démographique. Certains programmes permettent de construire ou d’adapter les habitations. Très utilisé en milieu urbain, le programme AccèsLogis Québec permet de livrer des logements de qualité à un prix abordable. Cependant, les conditions de participation à ce programme sont difficiles à remplir pour les petites municipalités rurales, notamment en raison de la nécessaire contribution à fournir par le milieu.
La palette de choix résidentiels pour les aînés du Québec est relativement restreinte. En effet, le Québec est l’une des provinces canadiennes où l’offre de formules d’habitation pour aînés (HA) est la moins diversifiée. Les grandes résidences privées ont investi le marché du logement locatif pour aînés. Elles sont surtout installées en zones urbaines, là où la densité de population leur assure des revenus suffisants pour générer des profits. Elles attirent souvent les aînés des régions périurbaines avoisinantes qui ont les moyens financiers de se payer ces appartements avec services. Cependant, de nombreuses personnes n’y ont pas accès financièrement.
Au Canada, un ménage qui consacre plus de 30 % de son revenu brut pour se loger rencontre un problème d’abordabilité du logement (Statistique Canada, 2016). Des statistiques récentes indiquaient que la précarité financière chez les Québécois de 65 ans et plus est associée à des besoins impérieux[2] en matière de logement (Société d’hypothèques et de logement (SCHL), 2016). Ainsi, 8,3 % de la population totale du Québec se trouve en besoin impérieux de logements alors que chez les aînés, ce sont 9 % qui vivent une telle situation, soit 11,6 % des femmes aînées et 5,8 % des hommes aînés. Encore aujourd’hui, les femmes de 65 ans et plus sont plus nombreuses à vivre sous le seuil de pauvreté[3] (12,3 %) que les hommes du même âge (8,2 %) (Fréchet et al., 2014). Notons également que plus une résidence pour aînés est grande, plus il coûte cher d’y résider. Il en coûte en moyenne 262 $ de moins par mois pour un appartement de 3 1/2 pièces dans une résidence privée de 10 à 49 unités que pour l’équivalent dans une résidence de 90 unités ou plus (1 434 $/mois versus 1 696 $/mois) (SCHL, 2017). Ainsi, pour plusieurs aînés, l’accès à un logement de qualité, aux services de soutien à domicile ou à une habitation avec services est restreint par des considérations financières.
Les coopératives d’habitation (Coop-H) et les organismes à but non lucratif en habitation (OBNL-H) arrivent à créer des milieux adaptés pour les aînés, à coûts abordables, pour des personnes autonomes et semi-autonomes. Les services de soutien à domicile y sont souvent proposés par des entreprises d’économie sociale, ce qui permet d’offrir un tarif préférentiel en fonction des revenus de chaque client. Toutefois, le nombre de places y est relativement limité (Bravo et al., 2015).
Enfin, la ruralité revêt de nombreux défis, tels l’isolement physique et social et la dévitalisation qui, couplés au vieillissement de la population, prennent une teinte nouvelle (Dupont, 2015). La dévitalisation, par exemple, cumul d’une densité démographique en décroissance et d’un indice de développement négatif, est à la fois cause et conséquence de l’exode des aînés (Ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire (MAMROT), 2010). Le déclin démographique entraîne lui-même des conséquences économiques, sociales, politiques et environnementales telles que la disparition de commerces et services de proximité et, conséquemment, de lieux de rencontre formels et informels (MAMROT, 2010). La diminution des services de proximité affecte d’une façon particulière les aînés, qui ont tendance à réduire la distance parcourue pour répondre à leurs besoins lorsque leur santé physique ou cognitive décline (Lord et al., 2009). On assiste alors à un exode des aînés du grand âge vers les centres urbains, où sont concentrés les commerces et services (Lachance et Payeur, 2012).
L’équipe de recherche sur les MADA s’est engagée sur différents projets de recherche et d’évaluation depuis 2008, dont plusieurs touchant le domaine de l’HA (Lavoie et al., 2016 ; Bigonnesse et al., 2014 ; Bigonnesse et al., 2011). Une revue de littérature sur le sujet de l’habitation a permis de démontrer que les aînés, plus particulièrement ceux vivant en ruralité, et les femmes âgées disposent d’un accès fort limité à des habitations abordables et adaptées à leurs besoins (Lavoie et al., 2016). Parmi les plus importantes entraves au fait d’accéder à une habitation avec services, les coûts représentent le frein majeur. C’est la raison pour laquelle l’habitation communautaire (HC), qui est en mesure d’offrir des logements moins onéreux, apparaît comme la voie privilégiée à explorer pour arriver à créer des formules adaptées à la fois aux aînés moins fortunés (coût) et au milieu rural (taille).
Les MADA, l’intervention collective et l’habitation
Des études de cas pour évaluer l’implantation de la démarche MADA dans sept projets pilotes au Québec nous ont permis d’observer les conditions favorables à une réussite optimale des MADA (Garon et al., 2014). La participation au comité de pilotage d’acteurs en provenance de secteurs diversifiés (municipal, institutionnel, communautaire, associatif), dont certains représentent des domaines spécifiques comme le transport ou l’habitation, s’est distinguée comme un facteur de succès important. Dans ces comités, la portée des actions se trouvait augmentée par l’aboutissement des partenariats issus de la dynamique ainsi créée (Garon et al., 2014). Fait à noter, différents intervenants en action collective se sont impliqués dans les comités de pilotage MADA, notamment les organisateurs communautaires et les agents de développement rural.
En 2015, un sondage réalisé auprès des 759 MADA du Québec a recueilli un taux de réponse de 47,7 %. Plusieurs aspects de la démarche ont été questionnés. Nous avons pu établir que la thématique de l’habitation est abordée par 81 % des municipalités (n=362) lors des consultations, qu’elle a été inscrite au plan d’action par 70 % d’entre elles (n=326), mais que la mise en oeuvre semble plus ardue, puisque 38 % seulement des municipalités réalisaient des projets en habitation (n=276) (Garon et al., 2017).
Le rÔle des intervenants en action collective et intervenants sociaux
Les intervenants en action collective et les travailleurs sociaux maîtrisent plusieurs des compétences essentielles à l’élaboration, au développement et à la mise en oeuvre de projets d’HC (pour aînés ou non) et possèdent souvent un réseau de partenaires intersectoriels à mobiliser.
Qu’ils soient organisateurs communautaires (OC), agents de développement local ou territorial (ADLT), ou encore chargés de projet au sein d’un groupe de ressources techniques (GRT), les intervenants en action collective partagent de nombreuses compétences pouvant servir un projet collectif d’HC. Chacun de ces acteurs joue ou pourrait jouer un rôle particulier à chacune des étapes d’un projet d’HC pour aînés.
Parmi ces rôles, on retrouve celui d’identifier les problématiques du milieu puis de sensibiliser et conscientiser le milieu à propos de ces enjeux (Centre de santé et services sociaux-Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke (CSSS-IUGS), 2009). Ce rôle est essentiel au démarrage du projet afin de mettre en lumière le besoin d’HC et de le faire reconnaître par la population, les partenaires et les élus (Comeau et al., 2015). Une fois le besoin nommé et reconnu, les OC et ADLT se doivent de mobiliser les ressources et les acteurs locaux pour faire naître la concertation locale autour du projet (Solidarité rurale du Québec, 2010 ; CSSS-IUGS, 2009). Les chargés de projets des GRT, professionnels du développement d’HC, ont un rôle spécifique de coordination entre les différents professionnels, les instances publiques, les entrepreneurs et les promoteurs. Ainsi, les différents intervenants en action collective ont pour mission d’accompagner les groupes citoyens ou les organismes promoteurs, dans leur champ de compétences respectif (Comeau et al., 2015 ; Solidarité rurale du Québec, 2010 ; Association des groupes de ressources techniques du Québec (AGRTQ), s. d.). Les OC et les chargés de projet des GRT portent également une mission éducative ; ils accompagnent les organismes ou groupes porteurs afin de leur permettre d’acquérir une complète autonomie et une capacité de prise en charge du projet, notamment en expliquant le processus d’élaboration et de développement de projets d’HC pour aînés de même qu’après l’entrée dans les logements, avec un accompagnement à l’apprentissage de la vie associative et la gestion démocratique (Comeau et al., 2015). Concrètement, cela s’exprime par un accompagnement du conseil d’administration lors de délibérations, de prise de décisions ou encore de gestion de conflits ainsi que par de la formation aux codes et procédures de réunions et assemblées, entre autres.
Quant à lui, le travailleur social en intervention individuelle auprès d’aînés en perte d’autonomie ou de proches aidants occupe une position privilégiée pour connaître les besoins des aînés et de leurs proches et pour s’en faire porte-parole. Il est tout aussi bien placé pour déceler leurs forces et pour les mobiliser au profit du projet collectif d’HC (Paris, 2015 ; Comeau et al., 2015).
Les travailleurs sociaux oeuvrant dans un organisme communautaire pour aînés, pour proches aidants ou encore en lien avec l’HC peuvent également contribuer à la réalisation d’un projet d’HA innovante. Des projets d’une telle ampleur et d’une si grande importance pour une communauté nécessitent la participation de partenaires multiples et l’appui d’organismes sensibles à la cause des aînés (Comeau et al., 2015). Que ce soit en apportant un soutien matériel, financier ou humain, en relayant l’information concernant le projet aux aînés, au public et aux partenaires ou simplement en marquant leur soutien au projet par des lettres d’appui, les organismes communautaires et les intervenants sociaux qui y oeuvrent peuvent apporter un soutien non négligeable à un projet d’HC.
Les intervenants sociaux et en action collective ont en commun d’être bien « réseautés » dans leur communauté et partagent des compétences pour mobiliser les citoyens, élus, leaders locaux et organismes partenaires. C’est en se faisant parfois porte-parole, parfois motivateurs, mobilisateurs, défenseurs ou accompagnateurs que les intervenants sociaux et en action collective peuvent agir sur les enjeux d’habitation adaptée et abordable pour les aînés, enjeux encore plus présents en milieu rural. Ainsi, les intervenants sociaux et en action collective sont appelés à mobiliser leurs compétences et leurs ressources pour soutenir le développement de projets d’HC pour aînés. Les études de cas dans les projets pilotes MADA (2008-2013) démontraient déjà que la présence d’OC apportait une force dans la démarche, par exemple en mobilisant les acteurs locaux et les groupes concernés selon leurs capacités et ressources, en traduisant au comité de pilotage la signification de l’approche du développement des communautés appliquée à MADA, en se faisant porte-parole des aînés et en facilitant la formation de partenariats afin que tous oeuvrent dans la même direction. D’ailleurs, le dynamisme issu de ces relations avec les collaborateurs a été identifié comme un pilier dans la démarche MADA (Garon et al., 2014).
De plus, les comités de pilotage MADA où était impliqué un OC ont suscité une collaboration plus étroite entre élus, administration municipale, réseau de la santé et des services sociaux, organismes et associations d’aînés. Ce noyau de leaders locaux possède des atouts considérables qui peuvent être mis à profit dans le développement d’une offre plus diversifiée d’habitations innovantes, abordables, accessibles pour les aînés désireux de vivre et vieillir en milieu rural.
Un besoin pour des modÈlEs diversifiÉs, adaptÉs et abordables
La tendance actuelle dans le secteur privé de l’HA cause un problème d’accessibilité aux ressources pour les aînés vivant en milieu rural de même que ceux à revenus faibles ou modestes. Le logement communautaire pourrait contrebalancer le marché privé avec une offre de logements abordables, voire subventionnés, pour des ménages à faible revenu.
L’habitation communautaire, à but non lucratif, se décline sous deux formules principales : organismes sans but lucratif en habitation (OSBL-H) et coopératives d’habitation (Coop-H). Le logement communautaire inclut souvent une part de logement social (subventionné) se destinant à des clientèles spécifiques (Morin et al., 2008). Elle convient bien aux municipalités de plus petite taille ; au Québec, la majorité des OSBL-H comptent 30 logements ou moins tandis que la majorité des Coop-H en comptent 17 ou moins (Morin et al., 2008). Cette formule d’habitation offre un logement de qualité, dans un milieu de vie sain, sécuritaire et dynamique, en plus de favoriser l’inclusion et la mixité sociale.
Au Québec, l’offre en HA est peu diversifiée. Regarder ce qui se fait ailleurs permet d’enrichir la gamme de bonnes pratiques desquelles s’inspirer pour développer de nouveaux modèles et répondre à des besoins précis. Deux modèles internationaux ont été retenus pour cet article. Ils présentent des pistes de solutions alternatives aux enjeux de l’abordabilité et de l’accessibilité en milieu rural. Le premier modèle est la Maison-Centre de services (Service House)[4], le deuxième est la Petite maison (Small House)[5]. Pour chacun de ces modèles, des exemples concrets de pratiques d’intervenants en action collective lors du développement du projet ou dans sa direction sont donnés. Au moins un exemple rural existe au Québec pour chacun de ces deux modèles.
La Maison-Centre de services
La Maison-Centre de services, d’inspiration scandinave, intègre les services à domicile (popote roulante, aide à l’entretien ménager, aide au ménage, etc.) et le service d’habitation au sein d’une même organisation. Le service d’habitation couvre l’ensemble du continuum de soins, de l’habitation pour aînés autonomes à des soins assidus pour aînés en lourde perte d’autonomie (Scheidt, 2012). Cette formule où les soins prodigués évoluent avec les besoins permet aux aînés de demeurer dans le même établissement, avec leurs proches, leur évitant l’épreuve du relogement alors que des aînés doivent déménager pour trouver réponse à leurs besoins dans un établissement plus spécialisé. En milieu rural, ces établissements sont souvent éloignés géographiquement les uns des autres.
Dans ce modèle, la philosophie de soins est axée sur le milieu de vie et l’autonomie (Regnier et Scott, 2001). Les établissements de plus grande taille optent pour le regroupement des résidents en petites unités. On répartit plusieurs aires communes dans l’ensemble de l’immeuble. Ces dernières sont ainsi plus faciles d’accès pour les aînés à mobilité réduite, plus nombreuses et d’une plus grande diversité d’usage. La participation aux activités organisées ou de la vie quotidienne est fortement encouragée, car elles permettent de maintenir les capacités fonctionnelles (Scheidt, 2012).
Le regroupement de l’ensemble des services à domicile au sein d’une seule organisation en facilite l’accès et la coordination via un guichet unique. Pour les communautés éloignées où serait développée une telle organisation, cela permet d’augmenter l’offre et l’accessibilité des services à domicile et de proximité, notamment le service alimentaire et la popote roulante, difficiles à offrir sur de vastes territoires. Cependant, considérant l’organisation actuelle des différents services au Québec, un modèle de ce type nécessite de multiples partenariats, tant avec les services de la santé et les services sociaux qu’avec les organismes communautaires à vocations diverses. Les intervenants en action collective sont d’une grande importance sur ce point. Comme nous l’avons vu dans les projets pilotes MADA, leur intervention permet de concerter les partenaires autour d’un objectif commun, tel que celui d’offrir une gamme de services complémentaires en un seul endroit.
Des exemples de ce type d’habitation existent au Québec, démontrant la possibilité de s’approcher de ce modèle. On retrouve par exemple un centre de loisirs pour aînés qui a élargi sa mission pour y intégrer un OSBL-H pour aînés autonomes, en milieu urbain (Gatineau[6]). En milieu rural (Bellechasse[7]), un OSBL-H offre un continuum complet en HA, des appartements pour aînés autonomes jusqu’à la fin de vie. Situé dans un bâtiment multifonctionnel, cet OSBL-H et ses partenaires offrent une gamme de services communautaires, culturels, de loisirs, éducatifs et administratifs aux aînés résidant dans l’établissement de même qu’à l’ensemble de la population de la municipalité. Enfin, au Témiscamingue, l’organisme d’aide à domicile est également propriétaire de trois résidences pour aînés[8] (autonomes, semi-autonomes, et de répit et convalescence). Le CSSS, par son organisateur communautaire, s’est grandement impliqué dans les différents projets d’acquisition et développement de cet organisme.
La Petite Maison
La formule Petite Maison est elle aussi d’inspiration scandinave. Cette formule propose un milieu de vie à échelle familiale pour une clientèle en perte d’autonomie modérée à grave. Les Petites Maisons sont habituellement équipées de matériel médical et technique pour accommoder les aînés à mobilité réduite (Cutler et Kane, 2009). Un à deux employés par quart de travail remplissent les fonctions de préposé aux bénéficiaires et à l’entretien ménager, de cuisinier, d’animateur en loisir et d’assistant pour les professionnels de passage pour des consultations (Roberts, 2015).
La philosophie d’aménagement et de soin de la formule Petite Maison repose sur la volonté de créer un milieu de vie chaleureux et familial (Rabig et al., 2006). Aménagée dans une maison plain-pied, elle accueille en général entre 8 et 12 résidents. On souhaite l’établissement d’une relation de confiance et d’intimité entre le personnel, les résidents et leurs proches dans le but d’offrir des soins personnalisés (Roberts, 2015). Les résidents sont invités à proposer des activités et à prendre part à la réalisation des tâches du quotidien comme l’entretien du potager, la préparation des repas et le soin des animaux de compagnie (Sloane et al., 2001).
Ce modèle se destinant habituellement à des aînés en perte d’autonomie avancée, le niveau de soins et le matériel technique et médical nécessaires en font augmenter les coûts. Cependant, en optant pour de l’habitation à but non lucratif (HC), il est possible de faire diminuer ces coûts pour les résidents, par exemple par des campagnes de dons. Le logement communautaire peut également être admissible à certaines subventions au logement pour des résidents à faibles revenus.
La taille réduite de ce modèle permet son implantation dans des milieux à plus faible densité démographique. Cela permet également l’établissement d’une plus grande proximité relationnelle et une personnalisation des soins impossible à atteindre avec les nombreux résidents des résidences de grande taille.
Dans le développement de ce type d’habitation, les intervenants sociaux et en action collective sont importants en tant que porte-parole des aînés en perte d’autonomie et de leurs proches. Ils sont également très aidants lors de l’établissement d’ententes de service et de protocoles d’intervention entre l’HA et le réseau de la santé et des services sociaux, ainsi qu’avec les autres dispensateurs de soins et services.
Au Québec, ce modèle pourrait répondre à des besoins en HA identifiés dans des municipalités rurales de comté (MRC) regroupant des villages peu populeux. Pour contrer l’enjeu des coûts de gestion et de certification qui causent tant de souci aux RPA de petite taille, un mode de gestion inspiré de l’initiative de la United Mississippi Methodist Senior Services pourrait être adopté. Cette organisation a mis en place une constellation de 10 Petites Maisons gérées par une même organisation, ce qui permet des économies d’échelle lors d’achat d’équipements et en matière de gestion et d’administration (Cutler et Kane, 2009). Ainsi, un seul OSBL pourrait gérer un regroupement de maisonnettes dispersées sur l’ensemble d’une MRC.
Conclusion
Les objectifs de cet article étaient d’abord de rapporter les principaux enjeux de l’habitation pour les aînés qui désirent vieillir en ruralité, puis d’explorer le rôle que peuvent jouer les différents intervenants sociaux et en action collective face à ces enjeux. La question des revenus a été relevée et, parallèlement, le coût du logement en résidence pour aînés, puisque c’est le premier obstacle que rencontrent les aînés qui doivent se reloger. L’enjeu de la diversification des modèles d’habitation a également été évoqué ; le développement actuel des HA au Québec fait une large place aux résidences à but lucratif, alors que les Coop-H ou OBNL-H offrent des opportunités souvent méconnues. Enfin, les enjeux particuliers liés à la ruralité, notamment la dévitalisation et l’exode rural des jeunes et des grands aînés sont à prendre en compte lorsqu’on se penche sur le vieillissement en milieu rural. Face à ces enjeux de taille, nous avons présenté les différents rôles que peuvent jouer les intervenants sociaux et en action collective dans le développement de formules alternatives d’HA. Enfin, nous avons présenté deux formules alternatives d’HC présentant une valeur ajoutée pour le milieu rural québécois.
Parmi les précurseurs de ces modèles en milieu rural au Québec se trouve monsieur Gaston Michaud, lui-même organisateur communautaire. Membre fondateur de La Brunante à Racine, sa perspicacité et sa persévérance auront guidé la création d’un des fleurons en matière d’HC pour aînés. Il a accompli, pour les aînés en ruralité, une oeuvre de vie : « On ne déracine pas un vieux chêne, c’est pareil pour une personne âgée. Il faut la maintenir enracinée dans son milieu de vie » (Gaston Michaud[9]).
Parties annexes
Notes biographiques
Suzanne Garon, sociologue et professeure titulaire à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke, est également chercheure régulière au Centre de recherche sur le vieillissement (CIUSSS de l’Estrie-CHUS). En tant que chercheure principale de l’équipe MADA-Québec, elle s’intéresse aux effets et retombées du programme Municipalités amies des aînés au Québec, dont les aspects novateurs issus des initiatives des MADA au Québec. Elle est directrice du Centre collaborateur de l’OMS sur les villes et communautés amies des aînés, rattaché au CDRV.
Garon, S., Paris, M., Beaulieu, M., Veil, A. et Laliberté, A. (2014). Collaborative partnership in age-friendly cities: two case studies from Quebec, Canada. Journal of Aging and Social Policy, 26(1-2), 73-87.
Christyne Lavoie est agente de recherche au sein de l’équipe MADA-Québec au Centre de recherche sur le vieillissement du CIUSSS de l’Estrie-CHUS depuis 2014 et chargée de cours en gérontologie à l’Université de Sherbrooke. Diplômée à la maîtrise en service social (profil gérontologie) de l’Université de Sherbrooke, elle a travaillé principalement sur l’habitation communautaire, l’habitation pour aînés, le développement des communautés et la ruralité.
Lavoie, C., Paris, M., Garon, S. et Morin, P. (2016), Multiplier les modèles d’habitation innovants pour une meilleure santé des aînés et des communautés. Intervention, 143, 61-75.
Marie Boivin est organisatrice communautaire au CIUSSS de l’Estrie-CHUS. À titre d’organisatrice communautaire, elle a participé à l’élaboration et au développement d’habitations communautaires pour aînés dans le quartier Rosemont à Montréal entre 1994 (première phase) et 2003 (phase II et III), puis à Sherbrooke, dans un projet d’habitation communautaire pour les personnes à risque d’itinérance. Elle a de plus été élue à la mairie d’Orford en novembre 2017.
Anne Veil est professionnelle de recherche au Centre de recherche sur le vieillissement du CIUSSS en Estrie-CHUS, au sein de l’équipe de recherche sur les Municipalités amies des aînés au Québec (MADA-Québec). Détentrice d’une maîtrise en travail social axée sur l’évaluation de programmes sociaux liés à la santé, elle travaille dans ce champ d’activités depuis 1994. Elle a participé à plusieurs projets de recherche et évaluations de programmes qui touchent la santé des populations ainsi que les services de soutien auprès de différents groupes sociaux, et depuis 2000 jusqu’à ce jour, auprès de personnes aînées.
Notes
-
[1]
Les huit dimensions des Villes amies des aînés sont : espaces extérieurs et bâtiments, transport, habitat, participation sociale, respect et inclusion sociale, engagement citoyen, communication et information, soutien communautaire et services de santé (OMS, 2007).
-
[2]
Un ménage éprouve des besoins impérieux en matière de logement si ce dernier est soit 1) pas abordable, 2) de mauvaise qualité ou 3) de taille insuffisante compte tenu de la composition du ménage et que le ménage ne peut s’offrir un logement acceptable au loyer médian de sa localité pour 30 % ou moins de son revenu avant impôts (SCHL, 2014).
-
[3]
À titre indicatif, en 2010, Retraite Québec fixait le seuil de faible revenu à 21 772 $ avant impôt pour une personne vivant seule.
-
[4]
Traduction libre
-
[5]
Traduction libre
-
[6]
Le Faubourg Jean-Marie Vianney
-
[7]
L’Oasis de Saint-Damien (MRC de Bellechasse)
-
[8]
Les trois formules de résidences sont gérées par la Table de concertation des personnes âgées du Témiscamingue.
-
[9]
Voir une capsule vidéo documentaire sur La Brunante au : http://madaquebec.com/fr/bons-coups/habitat/433-des-modeles-inspirants-d-habitations-pour-aines
Bibliographie
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