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Brigitte – Tu disais?
Mario – Attends que je me rappelle...
Brigitte – C’était en hiver...
Mario – Ah oui, en hiver, on était en hiver, on était en février.
Ah oui, là ça me revient... Ouh, puis c’est pas drôle. Puis là,
j’étais sur le dernier mois, mais j’étais encore en contraintes.
Brigitte – Temporaires?
Mario – Temporaires. On m’appelle pour aller chercher mon
chèque, on est le 28 février, il fait moins 35. À la fin du mois,
plus d’argent! Et pas mangé assez... Je suis allé à pied, puis
là je m’en allais, puis j’ai fait du pouce, espérant que... puis
qu’est-ce que je voyais à travers les windshields? Je voyais
des consciences qui baissaient les yeux.
Cet ouvrage d’une facture inédite est le fruit d’une collaboration entre une équipe de chercheurs sous la supervision de Christopher McAll, des patriciens en psychiatrie, en sciences infirmières, en organisation communautaire et en travail social et d’une compagnie de théâtre d’intervention Mise au jeu. En effet, à partir de l’histoire d’une quarantaine de personnes rencontrées en entrevue, l’équipe a cherché à mettre de l’avant les diverses situations d’indignité vécues par les personnes en situation de vulnérabilité sociale en performant différentes scènes théâtrales. Cette vulnérabilité sociale mise en scène à travers le propre récit des personnes est une occasion de plonger et d’explorer plus profondément dans leur quotidien l’expérience de l’aide sociale, de saisir leurs difficultés de logement, mais aussi de les voir, le plus souvent, composer avec de lourds problèmes de santé mentale. À partir de là, les principaux résultats sont exposés dans des scènes, laissant découvrir la sensibilité de ces personnes comme humain expérimentant au quotidien dans l’intimité de leur chair, les souffrances qui les ont menés à la perte éventuelle de leur logement et aux contraintes d’une vie errante. Écriture théâtrale, performance sur scène, récit des personnes font l’objet d’analyse et se croisent dans ce livre, pour rendre compte d’une démarche originale de recherche et de diffusion des résultats.
Cet ouvrage d’une intelligence rare présente un avant-propos, un prologue, un épilogue, des références et notices biographiques. De même, le corpus de l’ouvrage comprend en sa globalité la fresque théâtrale en quatre actes : Acte 1 – La passoire (Scène 1 / La porte tournante; Scène 2 / Le tribunal; Scène 3 / À la belle étoile; Discussion : Autour du logement); Acte 2 – Les compétences (Scène 1 / L’atelier; Scène 2 / La cuisine; Scène 3 / La pente; Discussion : Compétence et reconnaissance); Acte 3 – Trajectoires de santé (Scène 1 / Être (ou ne pas être) malade; Scène 2 / Chez le médecin; Scène 3 – De retour au tribunal; Discussion : Santé mentale, stigmatisation et pauvreté); Acte 4 – Sur le quai de la gare (Scène 1 / Le windshield; Scène 2 / Le contact; Scène 3 / L’arrivée; Discussion : Une discussion ouverte).
L’originalité méthodologique se retrouve dans le jeu des actants humains jouant leur propre vie, ce qui montre ainsi la profondeur de leur souffrance existentielle transposée par cette pièce de théâtre s’avérant une technique didactique et participative audacieuse d’expression de soi. De même, s’il ne fait nul doute que l’expérience de l’itinérance puisse être douloureuse et stigmatisante, sa révélation dans un contexte théâtralisé, agit comme une réelle catharsis. Ainsi, cette approche du loisir thérapeutique par le déploiement théâtral favorise la prise de parole des « personnes sujettes à l’appauvrissement et à la stigmatisation et les difficultés d’agir de ceux qui interviennent auprès d’elles, une fois mises en scène et soumises à la délibération, portent en elles des possibilités insoupçonnées d’exister et d’agir » (McAll, 2012 : 136). La démarche du théâtre d’intervention permet, dans un style tragico-comique, de révéler tour à tour; la force subversive des préjugés, des stéréotypes, des blessures émotionnelles et du mépris vécus par les personnes tout en exposant leur fragile humanité. Sortir de cette incompréhension, de cette indifférence ou de cette crainte de l’enfermement constitue la voie par laquelle les intervenant.e.s font vis-à-vis de ses tragédies humaines, tout en retissant dans la confiance réciproque les liens nécessaires pour atténuer, voire mettre un terme à ces situations d’indignité humaine.
Les auteur.e.s de cet ouvrage réussissent à communiquer avec justesse l’effet de stigmatisation et de discrimination de ces humains confrontés au jugement social par ce mépris inhérent des uns et des autres, comme l’illustre bien ce bref témoignage :
C’est là que je me sens jugée et c’est là que je me sens défavorisée puis dévalorisée, parce que je vis une situation précaire et difficile. […] Je ne me plais pas, j’essaie de m’en sortir, mais il y a beaucoup, beaucoup de préjugés par rapport aux gens sur l’aide sociale, et ces préjugés-là, souvent, c’est par rapport à la santé mentale
Ibid., p. 82
De là, toute l’importance que ces humains souffrants puissent bâtir leurs structures motivationnelles en vue de se responsabiliser et, par voie de conséquence, que les éléments doctrinaux psychiatriques, entre autres choses, puissent établir des formes d’appropriation d’autrui, c’est-à-dire « l’appropriation du corps dans sa capacité de travailler ou de reproduire, l’appropriation de l’esprit dans sa capacité de réfléchir et de décider » (Ibid., p. 104). Il s’agit de savoir déchiffrer en contexte de pratique que ces humains souffrent du profond sentiment de ne pas exister face au regard des autres en raison d’une société impersonnelle, indifférente et surcybernétisée qui fait d’eux des numéros à manipuler par une technobureaucratie fratricide. Dans ces conditions, le processus de rétablissement s’avère une voie inéluctable en cherchant tout d’abord à donner la priorité d’autodétermination à ces humains en situation de fragilisation existentielle et de pauvreté économique. Ceux-ci ont pleinement le potentiel de se rétablir selon « la philosophie du rétablissement […] fondée sur la conviction que par-delà les symptômes destructeurs de la maladie mentale, toute personne peut réorienter sa vie, lui donner un sens et en améliorer la qualité » (Ibid. p. 89). Cela sous-entend également que la vision élargie du rétablissement doit permettre « que la personne puisse satisfaire ses besoins fondamentaux : se loger, se nourrir, se vêtir et être reconnue en tant que “personne”. Sur cette base, il lui sera possible de renouer avec l’espoir et de faire des projets pour redonner un sens à sa vie » (Ibid., p. 90). En d’autres termes, ces humains souffrants sont en mesure de lever le voile sur les obstacles qui les empêchent de développer une qualité de vie décente et devenir ainsi les maîtres d’oeuvre de leur propre transformation existentielle pour un avenir meilleur.
L’équipe de recherche de McAll a le mérite certain d’ouvrir des brèches intéressantes sur les diverses quêtes existentielles des personnes rencontrées et sur la déconstruction du préjugé tenace sur l’habituelle croyance de l’incurabilité des troubles de la santé mentale. Cet ouvrage est donc appelé à devenir un outil pédagogique de référence de première instance. À ce titre, il est à espérer qu’il servira de modèle exemplaire pour d’autres projets de ce type, où les professionnels de la santé de première ligne pourront construire et animer eux aussi, avec cette clientèle particulière, d’autres pièces de théâtre susceptibles d’être jouées dans différentes régions du Québec. Une telle prise en charge encouragera d’autres humains aux prises avec des problèmes situationnels semblables à prendre haut et fort le pavé en se prévalant du droit fondamental à l’exercice expressif de la parole afin de les libérer des angoisses qui les emprisonnent parce qu’elles les empêchent de devenir des humains authentiques dans toute leur vérité ontologique. En ce sens, ce livre est une invitation toute cordiale à dépasser nos propres limites renfermant nos préjugés afin d’améliorer un peu plus la situation sociale des personnes vulnérables en santé mentale au bénéfice de chaque citoyen.ne québécois.e comme valeur personnelle et sociale nécessaire à partager.