Corps de l’article
Dans les numéros précédents, nous recevions des articles nous aidant à mieux comprendre les transformations actuelles de l’orientation gestionnaire de l’administration publique des services sociaux et de santé. Dans le présent numéro, nous retrouvons une entrevue et quelques articles montrant comment certains travailleurs tentent de contrer la désappropriation en cours de leurs actes professionnels et comment favoriser une plus grande appropriation des actes sociaux des personnes en situation de marginalité, ou au bas de la hiérarchie institutionnelle. Voyons d’abord brièvement le contenu du dossier thématique.
Dossier thématique
Dans ce numéro, nous vous offrons un dossier consacré aux personnes âgées. Présenté par Michèle Charpentier, professeure à l’École de travail social à l’UQAM, et Anne Quéniart, professeure en sociologie à l’UQAM, ce dossier comporte six articles abordant surtout les contextes de fin de carrière et de fin de vie. Les questions d’autonomie et de vulnérabilité traversent plusieurs articles de ce dossier. Je renvoie d’ailleurs le lecteur au contenu de la présentation du dossier qui rend compte de la situation actuelle des personnes âgées dans notre société en transformation. Là aussi, la question de la place occupée par les personnes âgées dans les pratiques d’intervention est posée et discutée.
L’entrevue
L’entrevue de ce numéro a été réalisée auprès de Marjolaine Goudreau du Regroupement, échanges, concertation des intervenants et des formatrices en social (RÉCIFS) par Claudelle Cyr, agente d’analyse, de liaison et de formation du Regroupement intersectoriel des organismes communautaires de Montréal (RIOCM). Le RÉCIFS est un nouveau regroupement d’intervenants sociaux oeuvrant au sein de centres de santé et services sociaux (CSSS) québécois, et dont l’inauguration officielle a été marquée le 25 mai 2011 à Montréal. Cette entrevue nous informe du contexte organisationnel qui prévaut dans ces établissements depuis la dernière réforme du système de la santé et des services sociaux il y a six ans. Madame Goudreau fait le récit des expériences partagées de ses collègues de travail qui ont senti le besoin de prendre la parole publiquement afin de dénoncer l’état actuel de dégradation des conditions de travail sur le plan de l’autonomie professionnelle. Face aux exigences de productivité évaluées essentiellement selon le rendement statistique des interventions, ou à l’imposition de programmes venus d’en haut sans consultation sur l’orientation, mais parfois sur l’exécution, on comprend mieux pourquoi ces intervenants tentent de résister à la déprofessionnalisation de leurs actes de travail. Le RÉCIFS illustre bien comment la « méthode Toyota » empruntée par le gouvernement actuel pour gérer l’administration publique tend à créer plus de problèmes qu’elle est censée en résoudre.
Article en perspectives
Dans ce numéro, nous présentons un article dans la rubrique « Perspectives étatiques ». Il traite spécifiquement des problèmes relatifs au processus d’évaluation d’un programme en santé publique, celui associé à la promotion de saines habitudes de vie en lien avec le mouvement des pratiques fondées sur les données probantes.
Perspectives étatiques
Cet article provient de Céline Poissant, agente de planification, de programmation et de recherche (APPR) à la Direction de santé publique et d’évaluation de l’Agence de la santé et des services sociaux de Lanaudière. Il s’intitule L’évaluation en santé publique hors des sentiers balisés de la performance prescrite. Est-ce possible et est-ce utile ? L’intérêt principal de cet article réside dans le fait qu’il illustre bien l’écart toujours présent entre le travail prescrit et le travail réel, au sein d’institutions telles que les CSSS, où domine actuellement le fantasme du contrôle des actes de travail des individus dans le contexte de la nouvelle gestion publique (NGP). Mais ici, il s’agit non pas de laisser dans l’ombre cet écart sous la forme de pratiques silencieuses, mais de l’analyser publiquement, et ce, malgré l’orientation dominante d’adaptation des travailleurs aux exigences d’efficacité et de mise en oeuvre du programme minant la réflexivité critique. Autrement dit, plutôt que de répondre à la commande des gestionnaires de son institution en fonction des attentes en vogue fondées sur la seule recherche de données probantes, le choix de l’auteure fut de recourir à l’angle d’analyse des représentations sociales pour rendre compte des représentations individuelles et collectives de l’approche intégrée, globale et concertée (IGC) initialement préconisée pour la mise en oeuvre du programme.
Il s’agissait plus d’accompagner les acteurs impliqués dans une démarche participative et formative que d’évaluer l’adéquation stricte de leurs actes de travail aux objectifs de résultats définis par d’autres. C’est pourquoi les entrevues réalisées auprès des acteurs impliqués avaient pour but de voir comment les répondants comprenaient le sens de l’approche qui leur avait été soumise, ainsi que le processus de son appropriation et de sa mise en oeuvre : « Les entraîner momentanément hors de la logique omniprésente de l’efficacité des pratiques appuyée sur la mesure standardisée d’indicateurs de résultats et la comparaison avec des “données probantes” reconnues en amont. » L’idée étant de pouvoir identifier des enjeux associés non pas à la bonne application du programme telle qu’elle était planifiée, mais à l’expérience professionnelle et collective des acteurs impliqués dans l’application du programme.
L’auteure expose aussi les résultats de cette démarche en révélant des tensions chez les acteurs rencontrés en regard des objets d’évaluation en jeu dans le cas lanaudois. Et en montrant l’hétérogénéité des positions des acteurs concernant leur distance critique envers les approches positivistes et autoritaires de certaines pratiques d’évaluation en vogue. Bref, un article qui nourrit de façon stimulante des questions importantes entourant le renouvellement démocratique des pratiques d’évaluation de programmes d’intervention sociale.
Note de recherche
Dans le même esprit d’appropriation des processus de recherche menant à la définition des problèmes des personnes en situation de pauvreté, Éric Gagnon, chercheur au Centre de santé et de services sociaux de la Vieille-Capitale, et Vivian Labrie, chercheure autonome, nous livrent une note de recherche intitulée, Des recherches vers un Québec sans pauvreté au goût des acteurs concernés : bilan d’une consultation. Afin de respecter l’esprit de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, selon lequel la participation citoyenne des personnes vivant la pauvreté est importante, les auteurs de cet article se sont engagés dans une démarche de consultation auprès de quatre groupes d’acteurs sur les types de recherches qui devraient être entreprises sur la pauvreté et l’exclusion sociale. Quatre groupes d’acteurs ont été ciblés et sollicités par la voie d’un questionnaire : des personnes en situation de pauvreté, des intervenants sociaux oeuvrant auprès d’elles, des intervenants gouvernementaux et des chercheurs. Des 39 personnes qui ont répondu à leur questionnaire, 16 ont accepté de discuter en groupe des pistes d’analyse préliminaires des chercheurs. L’article présente les diverses thématiques et les débats qui ressortirent des échanges et des regards croisés portés sur le sujet. Parmi celles-ci, mentionnons les questions idéologiques entourant la responsabilisation des personnes en situation de pauvreté versus le rôle joué par d’autres acteurs sur la production de ces situations, la pertinence de la participation des différents acteurs à cette démarche et la compréhension des intérêts mutuels.
Les auteurs concluent que cette démarche participative a permis de traiter des préjugés, de remettre en question des évidences, de mettre en lumière certains présupposés théoriques, idéologiques, et ainsi donner plus de rigueur à l’analyse des situations de pauvreté. Là aussi, le mouvement d’appropriation des actes sociaux que tente d’amorcer cette recherche participative contribue à mettre en lumière certains enjeux démocratiques des pratiques de recherche traitant des personnes qualifiées d’exclues.
Écho de pratique
Désirant partager avec nous un bilan de sa pratique engagée dans l’intervention sociopsychanalytique, Françoise Inizan-Vrinat, membre de l’Association pour la gestion des activités sociales et psychologiques (AGASP) — Groupe Desgenettes (Paris, France), nous offre un article traitant des expériences d’application d’un dispositif d’expression collective des élèves sur leur vie scolaire en France. S’inscrivant dans l’optique d’une socialisation des jeunes, elle présente d’abord les fondements théoriques sous-tendant le dispositif dont le concept « d’actepouvoir » indiquant ici une problématisation liée aux questions de démocratie participative. Comment des élèves du primaire et du secondaire peuvent-ils exercer leur part de pouvoir dans leur institution scolaire ? Est-ce possible et comment ? Voilà les questions auxquelles l’auteure répond en abordant autant les aspects méthodologiques de façon pratique que les effets produits et les pièges pouvant être rencontrés avec ce type bien spécifique de médiation. L’auteure termine son article avec une réflexion sur les transformations des rapports à l’autorité et sur la nécessité d’en mesurer l’impact sur les jeunes et la société.
Bonne lecture !
Parties annexes
Note biographique
Michel Parazelli est professeur à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal et rédacteur en chef de la revue Nouvelles pratiques sociales. À titre de chercheur, il est membre de Villes Régions Monde, le réseau interuniversitaire d’études urbaines et spatiales (VRM), et de la Chaire de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté (CRIEC). Oeuvrant principalement dans le champ de l’intervention sociale en milieu urbain, il s’intéresse aux dynamiques d’appropriation de l’espace dont celles associées aux pratiques identitaires des personnes marginalisées (jeunes de la rue et sans-abri) ainsi qu’aux pratiques gestionnaires des espaces publics face à la présence des sans-abri. En 2002, il a publié La rue attractive : parcours et pratiques identitaires des jeunes de la rue, et en 2004, L’imaginaire urbain. La ville comme espace d’expériences identitaires et créatrices, tous deux publiés aux Presses de l’Université du Québec.