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Une part conséquente des remarques de Saül Karsz est fondée sur l’usage intempestif et souvent incantatoire de la notion d’empowerment. Le pouvoir évocateur de cette notion constitue effectivement un piège puisqu’il tend à confondre l’intention, aussi généreuse soit-elle, avec la manifestation, beaucoup plus circonscrite, du phénomène à l’étude. C’est la raison pour laquelle nous avons cherché au cours des dernières années à préciser les aspects du réel que désigne concrètement cette expression. Cette démarche nous a conduit à adopter la formulation plus spécifique de « développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités » (DPA). Voyons maintenant dans quelle mesure cette définition plus spécifique permet de clarifier le positionnement de ce champ d’études à l’aune des observations de Saül Karsz.
Globalement, les remarques de l’auteur portent sur quatre principaux thèmes. Le premier pose en filigrane l’importante question du rôle du développement des connaissances dans la conduite du changement. Le deuxième porte sur la définition précise de la notion de « pratiques sociales ». Le troisième interroge le positionnement idéologique associé à l’adoption d’une logique centrée sur le DPA. Le dernier concerne la possible illusion de toute-puissance qui serait inhérente à cette façon d’appréhender le réel.
Quelle est la fonction du développement des connaissances dans la conduite du changement ?
Le choix de l’expression « développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités » oriente explicitement ce champ d’études vers la finalité de production du changement. En effet, l’étude du DPA et de ses éventuelles applications dans le champ des pratiques sociales vise explicitement à mieux comprendre et éventuellement à reproduire cette modalité particulière de contribuer à la résolution des problèmes sociaux contemporains. Dans ce contexte précis, les questions théoriques se trouvent soumises à un impératif de fécondité. En matière de conduite de changement, la pertinence du développement des connaissances est appréciée en fonction de sa capacité à bonifier l’action ; celle-ci constituant également une source constante d’actualisation de renouvellement des connaissances. Nous sommes ici dans une logique de « praxis scientifique » dans laquelle la finalité de « connaître le réel » est subordonnée à celle de le transformer.
Reconnaissons-le, cette centration sur la production du changement « enferme » concrètement la finalité plus générale du développement des connaissances dans un carcan pragmatique aux limites certaines. Bien que pertinentes du point de vue du développement des connaissances, les interrogations sur le sens exact à donner à l’expression « pratiques sociales » ou l’étendue potentielle de la notion de « régulation » n’apparaissent comme des nécessités que dans la mesure où les réponses à ces questions sont indispensables à la conduite effective du changement. Bref, l’approfondissement théorique est soumis à l’impératif de production du changement. L’intérêt pour le « viable » prime ici clairement sur la recherche du « vrai ».
Cette limite est-elle souhaitable ou même nécessaire ? Dans le domaine des pratiques sociales, la conduite parallèle du développement des connaissances et de la production du changement réduit considérablement le potentiel de renouvellement des pratiques. On se retrouve constamment devant des logiques autonomes qui conduisent d’un côté à l’édification d’un corpus de connaissances passablement éthérées et de l’autre à un amoncellement échevelé de « projets pilotes » majoritairement éphémères. Indépendamment de la richesse et de la pertinence des savoirs ainsi produits, leurs difficultés à se fertiliser mutuellement constituent un obstacle quotidien à la production de solutions viables pour faire face aux problèmes sociaux de notre temps. Nous sommes donc devant un impératif de fécondité mutuelle qui exclut la seule ambition de « savoir pour savoir » ou la frénésie « d’agir pour agir ». Aussi légitimes soient-elles dans leurs domaines respectifs, ces finalités s’avèrent peu compatibles avec la production efficiente de connaissances dans le champ des pratiques sociales. L’ampleur et l’étendue des problèmes sociaux contemporains imposent aux chercheurs et aux praticiens de mutualiser leurs efforts autour de la finalité praxéologique de « savoir pour agir/agir pour savoir ». Si elle laisse toute sa pertinence au développement de connaissances fondamentales tout comme à l’ajustement continu des pratiques, cette finalité dessine le contour d’un espace commun indispensable à la fécondité des connaissances produites de part et d’autre. C’est à partir de cet a priori explicite que nous allons maintenant examiner plus en détail les principales observations de Saül Karsz.
Pratiques sociales ou pratiques d’interventions sociales ?
Du strict point de vue du développement des connaissances, le champ des pratiques sociales ne se limite évidemment pas à la seule question de l’intervention. De la même manière, il est clair que l’expression « pratiques sociales » regroupe des éléments suffisamment distincts dans leurs fondements sociohistoriques, leur mode de fonctionnement et leurs impacts pour justifier un traitement séparé. Par contre, du point de vue de la conduite du changement, tout ce qui interfère dans la régulation des relations entre les membres d’une collectivité relève de l’intervention et justifie une appréhension commune des différentes composantes des pratiques sociales sous l’angle de leur contribution pragmatique au maintien ou dépassement du statu quo. Sur le plan de la rigueur conceptuelle, il faudrait utilement disposer d’une typologie des différentes formes d’interventions propres à chaque composante des pratiques sociales. La manière dont le législateur intervient dans la résolution ou la production des problèmes sociaux est effectivement bien différente de celle qu’adopte le gestionnaire d’institutions ou le travailleur de rue. En l’absence d’une telle typologie, la distinction entre « pratiques sociales » et « pratiques d’interventions sociales » relève plus de l’angle d’analyse adopté que d’un positionnement conceptuel achevé. À tout le moins, l’usage générique de l’expression « pratiques sociales » offre l’avantage d’inclure le sens commun que l’on accorde à cette expression sans exclure la possibilité de lui attribuer ultérieurement un contenu plus spécifique. En ce qui concerne plus particulièrement les différentes formes d’accompagnement des personnes et des collectivités, nous avons choisi de retenir l’expression « praticiens du social » de manière à souligner la grande étendue des modalités d’intervention dans le domaine de la relation d’aide et à éviter d’alimenter les distinctions corporatistes et disciplinaires qui, comme le relève Saül Karsz, s’avèrent souvent arbitraires.
Les fondements idéologiques de l’appréhension des pratiques sociales sous l’angle du DPA
En matière de pratiques sociales, comme dans beaucoup d’autres domaines, tout positionnement repose sur un substrat idéologique ou moral ; la distinction entre ces deux termes étant effectivement plus une question de formalisation que de fondements. Dès lors, quels sont les fondements idéologiques de l’appréhension des pratiques sociales sous l’angle du DPA ? Dans ce domaine, le consensus entre les auteurs est encore à élaborer. On peut toutefois tenter de regrouper les différentes postures en présence autour de trois pôles essentiels. Le premier renvoie à la recherche prioritaire du bien commun, le deuxième concerne l’importante place accordée à l’exercice du libre arbitre et le troisième consacre le passage à l’action comme le point névralgique de toute démarche de résolution des problèmes sociaux.
Pour ce qui est de la recherche prioritaire du bien commun, indépendamment des différentes manières d’appréhender le DPA, on retrouve la conviction selon laquelle les problèmes sociaux sont engendrés par les conditions structurelles qui encadrent l’accès et le mode de distribution des ressources collectives. En d’autres termes, la résolution des problèmes sociaux passe par la transformation des modalités actuelles de distribution et d’accès aux ressources collectives. En ce sens, l’analyse des problèmes sociaux sous l’angle du DPA réfute ce que nous avons appelé ailleurs « l’hypothèse des carences », c’est-à-dire l’idée selon laquelle les difficultés éprouvées par les personnes et les collectivités seraient liées à la présence d’une ou de plusieurs carences (de connaissances, de compétences, de santé psychologique, de capacité d’organisation, de solidarité, etc.). Le corollaire d’une telle affirmation implique que des difficultés ainsi définies peuvent être résolues par un traitement approprié destiné à corriger les déficits identifiés. Comme le mentionne Saül Karsz, une telle position revient à nier la matérialité des conditions structurelles à l’oeuvre au sein du réel. De manière très concrète, l’adhésion à l’hypothèse des carences ne peut conduire qu’à une forme d’aliénation puisqu’elle revient à placer la responsabilité du changement sur les épaules d’acteurs (personnes accompagnées ou intervenants) qui ne peuvent en avoir l’entière maîtrise. L’idée de « développement du pouvoir d’agir » permet d’ailleurs explicitement de démasquer ce glissement prescriptif puisqu’elle se distingue clairement de l’injonction d’un « devoir d’agir » parfois suggéré dans certaines utilisations du terme « empowerment ».
Cette affirmation de la nécessité du changement structurel a toutefois ceci de particulier qu’elle accorde une place centrale à l’exercice du libre arbitre dans la définition du changement à entreprendre et de ses modalités. En d’autres termes, si la résolution des problèmes sociaux nécessite de « changer le monde », il n’est pas pour autant question d’en prescrire à l’avance la direction, le rythme ou la modalité. La définition du DPA renvoie explicitement à l’exercice d’un meilleur contrôle sur ce qui est important pour soi, ses proches ou sa communauté. En ce sens, telle que nous la comprenons ici, l’analyse des problèmes sociaux sous l’angle du DPA réfute également ce que nous avons appelé « l’hypothèse du grand soir », c’est-à-dire l’affirmation selon laquelle la finalité première des pratiques sociales devrait être de se consacrer préalablement à la transformation des structures actuelles d’accès et de distribution des ressources ; celle-ci étant considérée comme la condition nécessaire, souvent présentée comme suffisante, à la résolution des problèmes sociaux.
Concrètement, la mise en pratique du principe d’exercice du libre arbitre dans l’analyse des problèmes sociaux sous l’angle du DPA se traduit par l’impérieuse nécessité de négocier la définition du problème et des solutions avec les personnes concernées. Une telle démarche implique donc d’appréhender les composantes structurelles des problèmes sociaux sous l’angle particulier des impacts personnels et collectifs qu’ils entraînent du point de vue des personnes concernées. En ce sens, cette façon de concevoir les pratiques sociales privilégie ouvertement le changement émergent sur le changement prescrit. Cela n’exclut en rien ce que Saül Karsz appelle « les luttes politiques décidées » dans la mesure où celles-ci correspondent à la voie choisie par les personnes concernées. Si l’on accorde à la notion de « politique » son sens premier de « gestion de la cité », on peut aisément reconnaître qu’il existe mille et une manières de contribuer à changer le monde au quotidien. Selon nous, le rôle premier du praticien du social consiste à faciliter ces différentes formes de changements politiques telles qu’elles s’affirment au gré des parcours personnels et collectifs.
L’actualisation de cette approche simultanée des enjeux structurels et personnels s’articule autour de la conviction du caractère central du passage à l’action dans la production du changement individuel et collectif. C’est dans la mise en place des multiples modalités concrètes du « faire par moi-même » ou du « faire ensemble » que se construit progressivement une alternative personnelle ou collective viable qui permet de s’affranchir du statu quo. Cette action, forcément stratégique, suppose une appréciation très fine des déterminismes à l’oeuvre et des marges de manoeuvre envisageables. Elle est donc à l’opposé de la naïveté suggérée par Saül Karsz. Pouvoir agir suppose de cesser de s’agiter et de s’appuyer sur ce qui est disponible ici et -maintenant (les connaissances, les compétences, les ressources, etc.) pour obtenir ce qui est recherché à terme. Ce cheminement praxéologique impose plutôt que d’exclure la prise en compte de l’épaisseur sociohistorique des forces structurelles en présence et de leur puissance de détermination.
Il est clair que certains de ces obstacles nécessiteront parfois de s’engager dans une démarche de transformation à long terme qui peut impliquer la formation de coalitions articulées autour d’un projet politique rassembleur (exemple : le projet de loi pour l’élimination de la pauvreté au Québec). Toutefois, l’abondante littérature accumulée au cours des vingt dernières années sur les effets des interventions centrées sur le DPA permet aisément de constater que les opportunités pour les praticiens du social de « changer le monde au quotidien » sont nombreuses et que leur choix ne se résume pas à une pseudodualité entre le statu quo subi et la lutte partisane, aussi décidée soit-elle.
Or, ces opportunités sont essentielles à plus d’un titre. Tout d’abord, elles constituent le seul espace à partir duquel le changement peut concrètement être initié. Quand bien même le DPA recherché nécessiterait une démarche collective de longue haleine, il ne peut se décliner qu’à partir des marges de manoeuvre disponibles ici et maintenant. Comme nous le verrons plus loin, le fait de subordonner la conduite du changement à la disponibilité de ressources encore inaccessibles revient à produire un surcroît d’impuissance perçue ou effective. Par ailleurs, les multiples possibilités d’initier le DPA recherché sont également autant d’occasions d’actualiser et d’enrichir les compétences personnelles et collectives déjà disponibles. C’est là une base indispensable à la restauration ou au renforcement du statut d’acteur des personnes aux prises avec des situations incapacitantes et donc à l’exercice plus effectif d’une citoyenneté vigilante. De plus, ces occasions ciblées de passage à l’action constituent la matière première d’une démarche d’action conscientisante, véritable espace d’apprentissage praxéologique au sein duquel se développent ou se renouvellent des connaissances stratégiques essentielles à la conduite du DPA recherché. Enfin, ces démarches ponctuelles de changement, dans la mesure où elles sont stratégiquement bien profilées, offrent simultanément des expériences de succès et les conditions nécessaires pour ébranler les bases d’un statu quo plus profondément ancré. Bien évidemment, le fait de se saisir de ces opportunités de changement au quotidien ne constitue qu’une prémisse à la conduite d’un DPA individuel ou collectif. Loin de l’illusion de toute-puissance suggérée par Saül Karsz, la démarche de DPA ressemble plutôt à un parcours accidenté riche en enseignements qui produit des résultats parfois très éloignés de l’intention initiale.
Le développement du pouvoir d’agir : ni impuissance, ni toute-puissance
L’expression « développement du pouvoir d’agir » renvoie de manière non équivoque à un processus et donc à une démarche progressive dont le point de départ est l’absence réelle ou perçue de marges de manoeuvre permettant de progresser vers le changement visé. En ce sens, Saül Karsz a raison de souligner que cette façon d’appréhender les pratiques sociales « implique qu’agir en vue d’un déblocage reste toujours possible ». Mais la perspective de dégager des marges de manoeuvre ne se réduit nullement à la question de l’utilisation ou du développement de compétences personnelles ou collec-tives. Les prises de position publiques, l’exercice d’une pression concrète sur les instances décisionnelles, les actions collectives planifiées, la formation de coalitions, la désobéissance civile, etc., sont autant d’outils disponibles à la conduite du changement recherché dans la mesure où ils s’avèrent stratégiquement compatibles avec le DPA négocié avec les personnes concernées.
S’il s’agit effectivement d’élargir les possibles, cela ne signifie pas pour autant que cela soit au prix d’un renoncement aux ressources nécessaires au changement. Lorsque ces ressources sont actuellement inaccessibles, alors la première étape consiste à en débloquer l’accès et non à en assumer l’absence. Le refus de l’impuissance perçue ou effective ne passe pas par la négation des contraintes structurelles en présence, mais par leur démontage ou leur dépassement stratégique et systématique. Cet effort de déblocage est toutefois strictement aligné sur la cible de changement visée. Et ce, pour éviter de conditionner le passage à l’action à la réunion d’un ensemble de conditions dont l’ampleur et la finalité dépassent largement la conduite du DPA recherché. Dans le cas contraire, on ne fait que troquer une source d’impuissance ponctuelle (« je/on ne voit pas ce qui est possible ici et maintenant ») pour une autre fondée sur des convictions déterministes (« tant que telle ou telle condition structurelle n’aura pas été modifiée, aucune évolution significative de la situation n’est réalistement envisageable ») beaucoup plus délétères du point de vue de la conduite du changement.
Ce refus d’une impuissance de principe, qui ne laisse d’autre alternative que de subir le statu quo ou de s’engager dans une lutte macrosociale de longue haleine, ne constitue pas pour autant une prétention de toute-puissance, pour la simple raison qu’il y a une grande différence entre « pouvoir agir » et « obtenir ce que l’on veut ». Contrairement à la notion d’empowerment, l’expression « développement du pouvoir d’agir » désigne plus spécifiquement un passage entre une impossibilité d’agir perçue ou effective sur ce qui est important pour soi, ses proches et sa communauté et un engagement concret dans une démarche de changement centrée sur l’atteinte de la situation recherchée. Nulle prétention ici à faire abstraction de la nécessaire confrontation avec le réel. Bien au contraire, la démarche DPA offre de multiples occasions de se confronter avec la complexité du réel et d’apprendre progressivement à y négocier stratégiquement les modalités du changement que l’on cherche à produire
Par ailleurs, l’illusion de toute-puissance repose sur la croyance du pouvoir absolu de la volonté alors que l’approche centrée sur le DPA suppose l’adhésion aux principes pragmatiques de la négociation des enjeux mutuels. Si la confrontation directe entre des groupes divergents n’est pas exclue, elle n’est pas érigée en principe directeur, mais constitue plutôt une option parmi d’autres pour faire progresser le changement dans la direction souhaitée. Enfin, une grande part de l’efficacité d’une approche centrée sur le DPA, repose sur la définition précise de la cible de changement visée. Or, cette définition se modifie constamment au fur et à mesure de la progression de la démarche de changement.
Ce qu’on voulait au début est rarement ce qu’on recherche effectivement par la suite. Tout d’abord, parce que le passage à l’action conduit à une modification parfois importante des représentations que l’on avait de la cible à atteindre. Ensuite, parce que la prise en compte des enjeux des autres acteurs conduit à dégager des espaces d’actions temporairement consensuelles qui débouchent sur des résultats distincts, mais compatibles avec ceux initialement anticipés. Également, parce que la progression concrète en direction de la cible de changement conduit presque toujours à en affiner la définition. Enfin, parce que les bénéfices tangibles réalisés au cours de la démarche de changement en direction du DPA recherché s’avèrent souvent suffisamment conséquents pour que la question de l’atteinte définitive de la cible de changement initiale s’avère moins mobilisatrice.
Tous ces éléments conduisent à constater que l’idée d’exercer « un plus grand contrôle sur ce qui est important pour soi, ses proches ou sa communauté » est aux antipodes de l’illusion de toute-puissance. Il s’agit d’une finalité beaucoup plus pragmatique qui tente de prendre appui sur la complexité du réel et son caractère dynamique pour dégager des marges de manoeuvre susceptibles de produire des résultats tangibles dans la direction du changement souhaité.
Une ambition mesurée, pragmatique et « potentiellement » féconde
L’analyse des pratiques sociales sous l’angle particulier du DPA n’a d’autre ambition que de contribuer au renouvellement des pratiques dans la perspective d’oeuvrer à la résolution des problèmes sociaux. C’est là, assurément, une finalité plus mesurée que celle qui consiste à vouloir « penser le monde contemporain et ses enjeux », mais elle n’en est pas moins urgente et indispensable. En la matière, le bilan des pratiques traditionnelles apparaît pour le moins décevant. Si les modalités actuelles d’intervention s’avèrent parfois dommageables, ce n’est pourtant pas faute d’avoir été pensées. Il y a certainement là des enseignements à tirer. On ne devrait notamment jamais oublier qu’en matière de pratiques sociales, nos approximations engendrent souvent un surcroît de souffrance pour les personnes que nous accompagnons. Voilà qui devrait nous encourager à porter autant d’attention aux dimensions pragmatiques de nos positions qu’à leurs propriétés rhétoriques.
Nous l’avons déjà souligné, ces dernières années consacrées à l’étude des résultats théoriques, empiriques et pratiques dans le domaine du DPA nous ont convaincu que, bien loin de constituer une simple remise au goût du jour de notions éculées, la notion d’empowerment pointe dans la direction d’un phénomène potentiellement riche d’enseignements pour le renouvellement des pratiques sociales. Si, pour le moment, il convient de n’évoquer que la pertinence « potentielle » de ce champ d’études, c’est qu’il lui reste encore à faire la démonstration rigoureuse de sa capacité à contribuer de manière efficiente à l’affranchissement des personnes en difficulté. Dans ce domaine, comme dans bien d’autres, il n’est pas plus judicieux de se contenter des pétitions de principe, aussi généreuses soient-elles, que d’une lecture trop exclusivement abstraite. Le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités est un phénomène qui se manifeste régulièrement dans un grand nombre de situations habituellement considérées comme sans issue selon les principes théoriques qui fondent la plupart de nos pratiques sociales. Néanmoins, les faits sont têtus. À nous de savoir en tirer les enseignements susceptibles de nous aider à aider.
Parties annexes
Notice biographique
Yann Le Bossé est professeur titulaire au Département des fondements et pratiques en éducation et directeur du Laboratoire de recherche sur le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités (LADPA), à l’Université Laval. Ses travaux se concentrent sur l’analyse des pratiques sociales et, plus particulièrement, sur la contribution potentielle de l’approche centrée sur le pouvoir d’agir des personnes et des collectivités (empowerment). Il collabore également à l’articulation et à l’approfondissement de la psychologie communautaire au Québec. En 2008, il a publié « L’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités : une alternative crédible ? ». En ligne : <http://anas.travail-social.com/>, consulté le 14 juillet 2008. En 2007, il a publié, en collaboration M. Chamberland, A. Bilodeau et B. Bourassa, « Formation à l’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités (DPA) : étude des modalités optimales de supervision », Travailler le social, nos 38-39-40, 133-157.