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Au Québec, le défi commun aux mouvements communautaires et à l’organisation communautaire en CSSS-CLSC, c’est de contribuer au renouvellement de la démocratie et de l’État social en contexte de mondialisation néolibérale. Cela exige d’allier protestation et proposition, résistance et construction.

Si la Révolution tranquille a permis de mettre sur pied un ensemble de services publics, elle nous a aussi donné les moyens d’une affirmation individuelle beaucoup plus poussée, aux dépens souvent des solidarités qui nous avaient permis de bâtir cet État social. Tout en reconnaissant que le Québec se distingue par l’importance de ses politiques sociales, il faut reconnaître que la société québécoise est marquée par l’idéologie libérale qui valorise les gagnants et le « chacun pour soi » pour tirer son épingle du jeu de la mondialisation. La guignolée du temps des Fêtes occupe plus de place dans les médias que la mise en oeuvre – d’ailleurs encore à faire ! – de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

Ceux et celles qui croient qu’un autre monde est possible, où le don sera reconnu à sa juste valeur et la solidarité occupera une place de choix, doivent s’imposer une réflexion collective sur le renouvellement de la démocratie et de l’État social au Québec.

L’État social hérité de la Révolution tranquille

Les groupes populaires et la première génération des CLSC sont nés en pleine turbulence de mouvements citoyens revendicateurs et de collectivités locales en rapide transformation. Récupération par l’État des cliniques populaires, les CLSC ont permis que, dès le milieu des années 1980, le territoire québécois soit desservi en entier par 148 établissements dispensant des services de santé, des services sociaux et des services communautaires dispensés, dans la quasi-totalité, par des professionnels de l’organisation communautaire. Pratique de travail social en dehors des cadres de la profession, l’organisation communautaire en CLSC a recruté ses premiers artisans et artisanes dans les rangs communautaires. Formés dans diverses disciplines, ils étaient enracinés dans leur milieu et préoccupés de faire participer les populations à la définition des services sociaux et de santé. Les rapports entre établissements publics et groupes communautaires sont loin d’avoir partout la même profondeur et les mêmes complicités, mais il est clair que l’État québécois a assumé ses responsabilités sociales en « s’inspirant du mouvement communautaire […] Ce qui, d’un point de vue, est une “appropriation” du mouvement communautaire par l’État peut être perçu, d’un autre point de vue, comme l’influence du mouvement communautaire sur l’État » (White, 2001 : 36-37).

Virage communautaire et retour de l’économie sociale

Les services d’organisation communautaire des CLSC ont constitué une forme de soutien de l’État québécois à la consolidation d’un mouvement communautaire autonome. Les organisations volontaires d’éducation populaire et les groupes populaires issus des années 1960 et 1970 ont revendiqué, dès les années 1980, leur reconnaissance comme organismes communautaires. En 1988, la Coalition des organismes communautaires du Québec (COCQ), dénonçant l’absence « de politique claire, exige la reconnaissance effective de l’action communautaire autonome et, par voie de conséquence, […] le soutien financier qui s’ensuit » (COCQ, 1988 : 15).

Ces revendications arrivent au moment où la crise des finances publiques ébranle les assises d’un État social reposant essentiellement sur les services publics. Les gouvernements se tournent vers des modes d’intervention collective de type communautaire misant sur les réseaux naturels de solidarité. Au même moment, les mouvements sociaux cherchent des alternatives à une solidarité gommée par la bureaucratisation. La CSN organise le congrès d’orientation « Avec le monde » (1983), la FTQ lance le Fonds de solidarité (1983) et les groupes communautaires se retrouvent à Victoriaville au colloque « Fais-moi signe de changement » (1986). Moment clé pour l’action communautaire, ce colloque a fourni aux intervenantes et intervenants communautaires en CLSC l’occasion d’organiser la résistance à la réduction de leurs pratiques aux seuls programmes de santé. De cette démarche naît en 1988 la communauté de pratiques qu’est le Regroupement québécois des intervenantes et intervenants communautaires en CLSC.

Il est maintenant possible de tracer un bilan plus que positif des années 1980-1990 au Québec sur le front de la promotion et de la reconnaissance de l’action communautaire :

  • les organisations communautaires ont connu une croissance remarquable en nombre et, grâce aux politiques publiques, en moyens financiers ;

  • des entreprises d’économie sociale, associatives et coopératives, renouvellent le modèle de prise en charge des besoins sociaux par l’entrepreneuriat collectif et la création de nouveaux services de proximité ;

  • des structures de représentation sectorielle (tables régionales des organisations volontaires d’éducation populaire, tables régionales des organismes communautaires, Chantier de l’économie sociale, etc.) et territoriales (corporations de développement communautaire, regroupements des organismes communautaires, Comité aviseur de l’action communautaire autonome, etc.) sont en place pour assurer la promotion et la représentation des organismes à tous les niveaux ;

  • les organisations communautaires ont maintenant voix au chapitre dans les instances de développement (centres locaux de développement, sociétés d’aide au développement des collectivités, etc.) et l’État les consulte ;

  • la mise en place en 1997 du Comité sectoriel de main-d’oeuvre – économie sociale et d’action communautaire (CSMO-ÉSAC) a permis de produire des études qui campent les enjeux de précarité des conditions de travail ainsi que des outils pour une gestion plus saine des groupes ;

  • les services d’organisation communautaire des CLSC ont été partenaires de ces processus et, alors qu’on avait craint leur disparition, ils ont été reconnus comme constitutifs du modèle CLSC et leurs effectifs se sont maintenus.

Ce trop bref retour sur l’histoire récente met en évidence la double dynamique qui a rendu possible la position actuelle des divers mouvements communautaires québécois :

  • d’une part, les communautés locales québécoises, démontrant une solide capacité d’action citoyenne, ont mis en oeuvre des projets répondant à leurs problématiques collectives ;

  • d’autre part, l’État social québécois a soutenu ces initiatives locales en adoptant des politiques favorables à l’épanouissement de l’action citoyenne.

Miser sur nos acquis pour relever les défis du néolibéralisme

Les choix de l’État québécois au cours des cinq dernières années indiquent cependant que la page est en train de se tourner, aussi bien dans les CSSS-CLSC que sur le terrain des groupes autonomes. La spécialisation des actions par secteur et l’affaiblissement de la référence aux territoires locaux qui sont les aires de mobilisation citoyenne font en sorte que nous risquons un recul de notre capacité de pression sur l’État en faveur des exclus. Les débats autour d’un projet alternatif de société ont aussi été affaiblis par l’échec des grandes utopies mobilisatrices. L’école d’été de l’Institut du Nouveau Monde en 2006 a pourtant démontré que les jeunes du Québec s’intéressent à ces enjeux (http://www.inm.qc.ca/node/768) : il y a un espace pour la mobilisation citoyenne.

Organisateurs et organisatrices communautaires en CSSS-CLSC, groupes d’action communautaire et entreprises d’économie sociale sont confrontés à des défis communs : renforcer la capacité d’action démocratique des gens sur la base de notre expertise territoriale et soutenir les expertises sectorielles sans nous laisser définir par la normativité bureaucratique des pratiques exemplaires (best practices) ni par les contraintes du financement public. Si les États valorisent le communautaire pour réaliser des économies, le milieu communautaire a la responsabilité de se donner les moyens de maintenir un rapport de force pour contrer toute forme de déresponsabilisation collective devant la pauvreté. Nous devons créer des contre-pouvoirs avec des gens ordinairement exclus. Générer de la démocratie et imposer des perspectives d’intérêt public, c’est le point de jonction entre l’organisation communautaire en CSSS-CLSC et des organisations communautaires autonomes.

L’avenir de l’action communautaire passe aussi par l’amélioration des conditions de travail des intervenantes et intervenants des groupes communautaires. Prôner la solidarité sociale exige d’appliquer les mêmes principes dans nos propres rangs. La reconnaissance professionnelle de l’organisation communautaire en CLSC et des éducatrices en CPE démontre que de bonnes conditions de travail n’éloignent pas des enjeux de solidarité. La revendication d’un financement qui permette de rémunérer convenablement les gens du communautaire n’a rien de corporatiste.

Nous avons tout à gagner d’alliances entre groupes communautaires et organisateurs et organisatrices communautaires des CSSS-CLSC à la fois pour maintenir une complicité dans le développement et la consolidation des organismes communautaires autonomes et pour exiger des CSSS qu’ils maintiennent des services d’organisation communautaire voués au soutien de la mission spécifique des groupes communautaires. Le risque actuellement, c’est que l’organisation communautaire en CSSS-CLSC soit réduite à la « mobilisation » dans des programmes ciblés de santé publique. C’est le milieu plutôt que les programmes qui doit demeurer le référent commun dans la lutte contre la pauvreté et pour la participation des personnes exclues.

Dans la conjoncture où l’économisme tend à réduire la citoyenneté à des rapports de consommation et où le conservatisme social gruge les fonctions de solidarité assumées par l’État, nous avons à raviver les valeurs constitutives de l’action communautaire : une approche globale des personnes, centrée sur les milieux de vie, valorisant la participation et le changement social. Les jeunes sont particulièrement sensibles au développement durable qui repose sur un nouvel équilibre économique, social et écologique. Ce ne sera possible que par une action politique capable de créer et de gérer les rapports de force avec le pouvoir établi. Trois défis urgents à relever pour y arriver.

  1. Établir des contre-pouvoirs par la mobilisation des personnes qui en sont actuellement exclues.

    La grande réussite de l’action communautaire a été de donner la parole à des milliers de personnes qui n’avaient pas l’occasion de la prendre – ce fut le cas notamment au Sommet pour l’économie et l’emploi (1996) où, pour la première fois, les groupes communautaires ont été considérés comme des acteurs sociaux. Nos organisations ont réalisé un travail politique considérable que la professionnalisation ne doit pas nous faire négliger. La formation politique constitue plus que jamais une tâche essentielle pour que la justice et l’équité sociale demeurent les moteurs de notre contribution au bien commun.

  2. Faire reconnaître l’importance d’une approche globale des personnes et des communautés, en nous réappropriant les principes de l’éducation populaire.

    Le développement des expertises et l’impératif d’aligner les missions sur les programmes gouvernementaux vont de pair avec la préoccupation croissante pour l’intersectorialité. Cela devrait nous inciter à réaffirmer l’approche globale qui a toujours fait la force de l’action communautaire. Travailler avec des personnes et non avec des problématiques, les considérer dans toutes les dimensions de leur vie et non comme des clients, les comprendre dans leur milieu de vie et non à partir de nos organisations : voilà la valeur que nous pouvons ajouter à nos pratiques professionnelles. Nous aurions avantage à revenir aux principes d’éducation populaire en gardant l’esprit critique et la volonté de proposer des alternatives.

  3. Avoir les moyens de nos prétentions en nous donnant des instruments structurés pour résister.

    L’obligation pour les groupes de négocier avec les instances étatiques a suscité la création de fédérations territoriales et sectorielles et la mise en place d’un comité national de l’action communautaire autonome. Les modalités particulières de financement de l’action communautaire favorisent actuellement des approches consensuelles plutôt que des instances formelles de décision et de représentation. Le milieu communautaire gagnerait à reconnaître la diversité des orientations qui le traversent et à raffermir sa gouvernance démocratique. Ce serait l’occasion pour les mouvements communautaires de redonner la parole aux bénévoles et aux militantes et militants. Débattre des essentiels, établir des mandats pour mobiliser l’opinion publique et rendre des comptes demeure la voie royale de la solidarité et la base de rapports de force efficaces.