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NPS – D’où est venue l’idée de cette coopérative ?
C’est venu d’un besoin. Je me sentais seule avec mon enfant et chaque fois que je voulais aller dans un restaurant, je trouvais ça compliqué. Nous étions plusieurs jeunes mères à vivre ça. Se promener avec nos enfants dans des poussettes, c’était difficile. Lorsque tu es mère monoparentale et que ton enfant a un an, ce n’est pas facile. Lorsque l’enfant est tout petit bébé, c’est amusant, mais lorsqu’il a un an, c’est plus difficile. L’espace se réduit avec des enfants en bas âge. Nous sentions que nous étions limitées dans nos mouvements, pas seulement financièrement. Les poussettes ne passent pas toujours dans les rangées et si les enfants pleurent, ça dérange tout le monde.
Nous nous sommes dit que ça serait bien de mettre sur pied un restaurant familial. Nous ne voulions pas aller dans un restaurant comme MacDonald’s. Nous ne voulions pas encourager ça. Nous voulions aussi que ce soit dans le quartier. Puis en plus, il n’y avait rien ici. C’est un quartier quasi désertique en ce qui concerne les commerces de services. Nous avons fait un travail de fond. Nous sommes d’abord allées suivre un cours au Cercle d’emprunt de Montréal pour apprendre à faire un plan d’affaires, ce qui demande du temps. En plus, nous avons fait une étude de marché. C’est là que nous nous sommes rendu compte que notre projet répondait à un vrai besoin. Il existait même une étude de la Ville de Montréal qui concluait qu’un restaurant serait viable dans le quartier et serait même un atout majeur pour sa revitalisation. C’était comme dans un rêve. Tout au long de la réalisation du plan d’affaires, qui a duré au moins un an, nous avons fait un travail de collecte de données, nous avons même fait un sondage. Nous avons interrogé des informateurs clés et lu plusieurs autres études ; tout indiquait que notre projet était viable. Nous sentions que nous étions là au bon moment. C’était parfait parce que nous ne voulions pas imposer notre projet à la communauté. Nous voulions que ce café de quartier y prenne vie naturellement. C’est comme ça que cela s’est passé. Nous avons fait des demandes de subventions et nous les avons obtenues, souvent à notre grande surprise ! Tout s’est mis en place facilement, mais il ne faut pas croire que tout était donné. Nous avons travaillé énormément : bâtir le plan d’affaires nous a demandé beaucoup d’heures de travail, souvent en plus de s’occuper des enfants. Mais nous avions le sentiment que les choses se mettaient en place naturellement. Même le local ne pouvait être plus adéquat avec ce que nous voulions faire. Le jardin est immense et il y a des arbres. Nous y avons aménagé une aire de jeux pour les enfants. C’est vraiment agréable ! Nous avons même gagné le concours québécois en entrepreneuriat, même si, avant de commencer le projet, nous n’y connaissions rien ! Au plan local, nous avons reçu le prix d’économie sociale ; alors qu’au régional, nous avons obtenu le prix d’économie sociale et coopérative. En plus, à tout cela s’est ajouté le prix coopératif Desjardins, à l’échelle du Québec. Nous avons reçu beaucoup de reconnaissance, mais tout s’est passé très bien ; presque comme dans un conte de fées.
NPS – Au départ, est-ce que vous connaissiez bien l’économie sociale ?
Au début, nous ne connaissions rien à l’économie sociale. C’est en faisant la recherche de financement que nous l’avons découvert. Nous trouvions que ça correspondait bien à ce que nous voulions faire. Par ailleurs, les programmes de subvention en économie sociale n’accordaient rien à la restauration. Il a fallu trouver la façon de bien démontrer que nous y correspondions. Nous étions parmi les premiers à être subventionnés dans la restauration. Nous sommes un peu devenues un exemple. Maintenant, il y en a davantage.
Depuis la mise en oeuvre du projet, nous travaillons avec une équipe assez ferrée. Nous sommes 12 à faire vivre ce projet ! Mais nous ne faisons pas tous du temps plein. Nous travaillons beaucoup par affinités, nous partageons les mêmes valeurs : nous sommes altermondialistes. Il faut avoir les mêmes valeurs si on veut fonctionner en coopérative. Tous les gens qui travaillent ici donnent beaucoup de leur temps au projet ; ils y font leur bénévolat. Nous sommes tissées très serré ! Le travail d’équipe est très important !
NPS – Pourquoi avoir choisi de bâtir une coopérative ?
Pour partager ! Nous ne voulions pas faire de profit avec ça. Nous voulions partager les profits et les responsabilités. C’est un café de quartier qui, idéalement, appartient au quartier. Nous ne voulons pas le porter à bout de bras. Nous aimerions que les gens en fassent leur projet… tout en gardant les mêmes valeurs. Nous ne nous voyons pas directrices de ce projet pour le reste de notre vie ; nous avons d’autres expériences à vivre. Personnellement, je fais des études en sociologie. Je pense même faire ma maîtrise.
NPS – Comment vous divisez-vous le travail ?
Tout le monde touche à tout. Ceux qui sont ici depuis plus longtemps ont tous des tâches administratives, sauf ceux qui n’en veulent pas. Il y a un noyau de six ou sept personnes qui font à la fois de la gestion et des tâches de services. Nous fonctionnons avec quatre sous-comités : nourriture, gestion, activités culturelles et activités sociales. Les décisions se prennent en sous-comité et sont présentées à l’ensemble des membres. C’est le cas, entre autres, pour les menus et les expositions. Les sous-comités jouissent d’une grande autonomie. Nous nous faisons confiance. Par contre, s’il y a des décisions plus générales à prendre ou si un problème survient, nous en discutons ensemble et prenons le temps de faire le tour de la question. Mais nous ne faisons pas de réunion qui s’éternise. Nous essayons toujours d’arriver à un consensus. De mémoire, je pense que nous n’avons jamais eu à voter. Nous réglons nos problèmes comme ça. Par exemple, nous avons eu une réunion avec les CDEC et on nous a dit que notre masse salariale est trop élevée. Nous sommes payés neuf dollars de l’heure, ce n’est pourtant pas la mer à boire. Et nous ne pouvons pas couper dans les heures de travail, car c’est très achalandé. Donc, nous essayons de trouver des solutions en groupe. Puis, juste le fait d’en parler, c’est bien. Nous nous rendons compte que même si nous devions couper dans les salaires, tous continueraient à travailler ici. Il y a un vrai sentiment d’appartenance. Nous sommes tous contents d’en faire partie. Nous savons que c’est une expérience de travail comme aucune autre, que nous n’avons pas de patron. Nous avons de l’autonomie et nous pouvons être créatif. Si nous voulons faire des projets, bien allez, on y va !
NPS – Quel genre d’activités culturelles et sociales organisez-vous ?
En collaboration avec d’autres organismes du quartier, nous collaborons à la mise sur pied de fêtes de quartier. Il y a aussi l’usine Grover où se trouve un groupe d’artistes qui espèrent mettre sur pied une coopérative. Avec eux, nous avons participé à plusieurs activités culturelles comme des lectures de contes, du théâtre et même des concerts de musique actuelle. Ce n’est pas toujours facile de rejoindre la population défavorisée du quartier, mais nous essayons avec la mise sur pied d’activités gratuites comme des pièces de théâtre. C’est aussi moins cher que chez MacDonald’s pour les repas pour enfants, mais nous ne sommes pas leur premier choix. Par contre, tranquillement, nous voyons un changement. Nous commençons à voir des gens venir seuls le matin et prendre leur café au comptoir, parler avec les serveurs ; il se crée des liens. La fin de semaine, il y a plus de gens du quartier. Nous essayons d’être ouverts à plus de gens possible, mais nous ne pouvons pas aller les chercher par la main. Nous sommes aussi un point de chute pour les paniers biologiques. De plus, nous prêtons notre local pour des rencontres citoyennes, quoique ce ne soient pas nous qui les organisons ; ce sont des gens ou des groupes qui veulent davantage de rencontres politiques. C’est dans ce cadre qu’Option Citoyenne est venue présenter sa plate-forme dans le quartier. Nous avons aussi notre petit journal. Nous y annonçons les activités prévues au Café et dans le milieu. Nous y ajoutons aussi une recette facile et peu coûteuse, en plus d’une rubrique santé, comme un court article sur une plante médicinale. Ce mois-ci, c’est l’échinacée. Le journal est imprimé gratuitement par une imprimerie du coin et tiré à 5 000 exemplaires.
(Pendant l’entrevue, un jeune homme d’une quinzaine d’années s’approche de nous et vient saluer Catherine. Ils échangent quelques mots. Nous remarquons qu’il est différent, qu’il a une légère déficience intellectuelle. L’école a contacté le Café pour expliquer son parcours : un parcours d’immigration et d’abandon. Le jeune s’est attaché au personnel. Il vient tous les jours pour échanger, voir le monde et, parfois, on lui donne quelques petites tâches à faire.)
NPS – Est-ce que ce café ressemble à ce que vous vouliez mettre sur pied ?
Oui, mais il a aussi changé et là, toutes les trois, nous avons su rester ouvertes au changement. Il y a beaucoup de gens qui ont apporté à ce projet. Et c’est ça qui est bien.
Nous avons vraiment l’impression d’apporter quelque chose de nouveau dans le quartier. C’est un endroit calme et reposant où on peut oublier que nous sommes dans un des quartiers les plus pollués de Montréal. La nourriture est saine : elle est faite ici même, avec des fruits et des légumes que nous nous procurons au marché, nous faisons nos sauces et il n’y a pas de friture. Nous essayons d’offrir la meilleure qualité, mais à un prix abordable. Nous voulons aussi partager nos recettes avec les gens du quartier. Si les gens aiment ce qu’ils mangent chez nous, nous leur disons comment le cuisiner ; nous ne gardons pas de secret. L’un des gros problèmes dans le quartier, c’est la sécurité alimentaire. Une infirmière nous expliquait que plusieurs personnes en situation de pauvreté ne savent pas cuisiner. Pour se nourrir, ils sont obligés d’acheter des plats cuisinés, des boîtes de conserve et d’autres mets préparés. Oublions les légumes frais. J’ai lu des études de cas auprès d’une trentaine de femmes qui ont vécu à l’époque de la crise : elles racontaient aussi qu’elles n’avaient pas appris à cuisiner. Elles ont appris à coudre et d’autres choses, mais la cuisine, c’était plutôt le domaine de leur mère. En plus, dans le quartier, il y a peu de fruits et légumes dans les épiceries. Ils sont chers et souvent défraîchis. Dans le cadre de notre participation à une table sur la sécurité alimentaire en collaboration avec le CLSC des Faubourgs, il a été question de former un groupe d’achats. Comme nous avons un gros volume d’achats, nous pourrions aider. Il a aussi été question d’organiser du transport gratuit pour aller au marché Jean-Talon, afin que les gens aient accès à des fruits et légumes moins chers, ou de faire venir des producteurs dans le quartier. Nous étions d’accord pour prêter notre cour, puisque c’est un bel espace. Nous pouvons aussi prêter notre savoir pour le choix des producteurs.
NPS – Avez-vous d’autres projets que vous aimeriez réaliser ?
Oui, il y en a même qui sont en train de se réaliser, mais dont je ne peux pas parler pour ne pas nuire aux démarches en cours. Mais il y en a d’autres que nous aimerions voir se réaliser, comme l’achat du local, pour que nous soyons certains de demeurer dans le quartier. Mais je ne suis pas convaincue que ça fonctionne. Le propriétaire ne semble pas très intéressé à vendre et, en plus, nous n’avons pas d’argent. Mais des projets, nous en avons toujours…