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Voilà un ouvrage qui arrive à point nommé avec les orientations de la récente politique gouvernementale en matière de services aux personnes ayant une déficience intellectuelle, à leur famille et à leurs proches : De l’intégration sociale à la participation sociale (MSSS, 2001). Comme son nom l’indique, cet ouvrage aborde la question des pratiques émergentes dans le domaine de la déficience intellectuelle et présente un état de situation sur les plus récents développements théoriques en matière d’intervention en déficience intellectuelle ; les thèmes de la participation et de la démocratisation des pratiques sont au coeur de cet ouvrage.
Sous la direction de Jean-Pierre Gagnier et Richard Lachapelle, respectivement professeur et chercheur au Département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières et directeur adjoint des services professionnels et de réadaptation au Centre de réadaptation en déficience intellectuelle (CRDI) Normand-Laramée de Laval, cet ouvrage collectif de huit chapitres, auquel 13 auteurs ont collaboré, représente « la partie publique de l’expérience de réflexion, d’échange et de confrontation de points de vue sur les avenues possibles pour soutenir et accentuer la démocratisation des pratiques dans le domaine de la déficience intellectuelle » (p. 8). Il invite à un renouvellement des pratiques au sein des établissements du secteur public dans le contexte d’un nouveau paradigme en émergence, celui de la nécessité « des changements de rapport entre l’organisation, les clients et la communauté favorisant une meilleure participation et une plus grande démocratie » (p. 4). Mais loin de s’en tenir à des débats théoriques, plusieurs chapitres comportent également un volet pratique important.
Le premier chapitre : De l’exclusion à la participation démocratique des personnes présentant une déficience intellectuelle, sous la plume de Mireille Tremblay, donne le ton à l’ouvrage. Traçant le portrait de l’évolution des « idéologies » et des pratiques en déficience intellectuelle au xxe siècle, elle montre comment, aujourd’hui, la notion de participation sociale invite les intervenants à franchir une nouvelle étape en soutenant la participation citoyenne des personnes ayant une déficience intellectuelle. Pour l’auteure, ce droit de participation ne doit pas se limiter aux décisions les concernant plus spécifiquement (participation au plan d’intervention, participation au sein des instances du réseau public), mais doit s’étendre à une véritable participation citoyenne aux affaires publiques.
Déjà, on comprend que ce nouveau « paradigme » appelle à une modification profonde du rôle de l’intervenant. Non seulement doit-il revoir la nature de ses rapports avec l’usager de façon à lui permettre de participer davantage à ses choix de vie, mais cela implique également d’intervenir dans la communauté dans le cadre d’une approche plus communautaire. Le chapitre deuxième, signé par Carmen Dionne, Michel Boutet et Francine Julien-Gauthier, montre comment, tout en continuant de tenir en compte des caractéristiques personnelles des personnes (cognitives, de personnalité), l’intervenant doit considérer les caractéristiques de l’environnement, qu’il soit physique ou humain, afin que celui-ci concoure à l’intégration et à la participation sociale des personnes. Cette double prise en compte doit ainsi amener l’intervenant à soutenir non seulement la personne ayant une déficience intellectuelle, mais également les parents, les proches et les autres intervenants du milieu, bref, à soutenir les « milieux de vie » de la personne dans ce que les auteurs appellent une perspective « écologique ». Les auteurs proposent ensuite des outils d’intervention à cet égard.
Relatant une recherche-action réalisée avec et auprès de parents de personnes ayant une déficience intellectuelle, le chapitre de Jérôme Guay et Yolande Thibodeau vient appuyer cette nécessité de travailler avec l’entourage de la personne, en particulier avec les parents et les proches. Cette nouvelle approche implique, pour l’intervenant, la nécessité d’accepter de se remettre en question, de partager son pouvoir, de reconnaître l’expertise des parents et de la considérer dans son intervention. Cette transformation de la pratique place celle-ci dans un contexte devenu beaucoup plus complexe pour l’intervenant. Ainsi, la relation traditionnelle intervenant / usager doit dorénavant tenir compte de plusieurs éléments et faire place à une multitude de relations à entretenir avec l’environnement de la personne. Elle soulève également la question des nombreux niveaux d’imputabilité (à l’organisation, à son supérieur, aux parents, à la communauté).
Le chapitre de Pierre Fortin, Renée Proulx et Jean-Pierre Gagnier, en plus de bien faire ressortir les distinctions entre morale, déontologie et éthique, montre comment, dans ce nouveau contexte, la dernière peut aider à relever les défis posés à l’intervenant et à éclairer la prise de décision dans des situations délicates ou complexes. Si ce nouveau paradigme appelle au développement de nouveaux rapports entre le praticien, la personne ayant une déficience intellectuelle et la communauté, il appelle aussi à une modification des rapports entre l’organisation et les praticiens. Trois chapitres traitent de cette question.
Dans Des pratiques de gestion à revoir (chapitre 3), Marc Cardinal oppose un nouveau modèle au modèle « classique » issu de la révolution industrielle, dans lequel « le haut dirigeant planifie et organise (conçoit le travail), le cadre intermédiaire contrôle, coordonne et dirige (administre le travail), le personnel concrétise (exécute le travail) » (p. 101). Issu de plusieurs courants, le nouveau modèle en émergence propose que la conception, l’administration et l’exécution du travail soient désormais « l’affaire de tous » (p. 103). Ce nouveau mode de fonctionnement implique notamment une décentralisation des décisions vers les paliers inférieurs de l’organisation, la mise à contribution de l’ensemble du personnel aux orientations et le remplacement de la fonction de contrôle par celle de « l’autocontrôle d’équipe ». Il s’agit en somme de passer d’un modèle bureaucratique et hiérarchique à un modèle plus collectif et plus décentralisé dans lequel le dirigeant accepte de déléguer des responsabilités, mais dans lequel le subordonné accepte aussi de se responsabiliser davantage.
Dans la même veine, le chapitre de Jean-Pierre Gagnier, traitant de la supervision, montre comment les mutations souhaitées dans les pratiques d’intervention appellent également à une mutation « fondamentale » dans les pratiques de supervision. Ainsi, pour l’auteur, il faut désormais passer de la supervision individuelle traditionnelle, dans laquelle le superviseur est le détenteur unique du savoir, à une supervision de groupe dans laquelle les savoirs pratiques de l’intervenant sont mis à contribution. On démontre également comment la supervision, dans la perspective où elle est « un espace de parole et de réflexion » (p. 176), devient un lieu essentiel de soutien à l’intervention, surtout dans un contexte où les mutations vers la démocratisation des pratiques d’intervention en cours comportent une bonne dose d’inexploré pour les intervenants. En outre, ce chapitre traite brièvement des compétences requises pour exercer le rôle de supervision dans ce nouveau contexte et des défis qu’il pose. Il se termine par des questionnements intéressants, sans toutefois y répondre, quant à la nécessité de pouvoir intégrer, dans les modalités de supervision, les autres partenaires du milieu que sont les intervenants d’autres organisations, les parents et les proches des personnes ayant une déficience intellectuelle, dans le contexte où leur expertise est dorénavant sollicitée afin d’accroître l’intégration et la participation sociale des personnes.
Enfin, dans De la mobilisation des équipes de travail (chapitre 7), Daniel Boisvert et Richard Lachapelle, après avoir dressé un portrait de l’évolution des différents modèles d’organisation du travail dans le secteur de la santé et des services sociaux (du modèle « néo-taylorien de type unidisciplinaire » au modèle « responsabilisé de type transdisciplinaire »), nous présentent un chapitre d’une facture beaucoup plus pratique sur le développement des « équipes autonomes », issues du dernier modèle, dans lequel « il ne s’agit plus simplement de redéfinir les rôles pour produire encore plus […], mais d’une vision fondée sur la participation valorisante de tous à toutes les étapes de la production des services, [dont] une implication accrue des acteurs-terrains » (p. 208). On y traite des valeurs à la base de ces équipes autonomes, du processus de mobilisation de l’équipe, de la programmation des activités, etc.
Signé par Claude Belley, le dernier chapitre propose une ouverture à l’économie sociale comme « option stratégique » dans le contexte actuel de redéfinition des rôles entre les secteurs public, privé et de l’économie sociale. Illustrant les limites de l’intervention publique et du secteur privé à but lucratif dans deux domaines d’intervention stratégiques pour les personnes ayant une déficience intellectuelle, les ressources résidentielles et le travail, l’auteur présente l’économie sociale non pas comme une solution unique et univoque, mais comme une alternative possible pouvant apporter une contribution intéressante, notamment dans ces deux domaines d’intervention. Par ailleurs, ce clin d’oeil à l’économie sociale s’inscrit bien dans la nouvelle philosophie d’intervention préconisée tout au long de l’ouvrage, à savoir la nécessité d’impliquer davantage les personnes ayant une déficience intellectuelle, les familles et le milieu dans la recherche de solutions aux problèmes rencontrés, ceci dans une perspective de démocratisation et de « collectivisation des pratiques » pouvant conduire à une construction conjointe de l’offre et de la demande de services.
En somme, Pratiques émergentes en déficience intellectuelle appelle au renouvellement des pratiques en déficience intellectuelle à l’intérieur du réseau des établissements publics et invite à une rupture par rapport au modèle dominant « producteur / consommateur » dans lequel la personne et sa famille ne constituent que des clients plus ou moins passifs. Misant sur de nouveaux rapports entre intervenants et usagers, intervenants et parents et intervenants et communauté d’une part, mais aussi entre gestionnaires et intervenants, ce nouveau modèle en émergence appelle donc à la mise à contribution des savoirs et des expertises de l’ensemble des personnes concernées par l’intervention.
Nul doute que cet ouvrage constitue un apport important pour le renouvellement des pratiques, en déficience intellectuelle certes, mais tout autant dans d’autres domaines puisque ce dont il est question ici est la démocratisation des services publics, mettant en évidence des thèmes comme la participation des usagers et de la communauté, la démocratisation des relations de travail, la décentralisation et l’espace local comme terrain de partenariats pour répondre aux besoins en tenant compte davantage des réalités locales. Si l’on peut parfois reprocher à l’ouvrage quelques redondances d’un chapitre à un autre (mais souvent inévitables dans le contexte d’ouvrages collectifs), ce dernier demeure bien construit et de lecture facile. De plus, comme plusieurs chapitres comportent des contenus parfois très pratiques, cet ouvrage intéressera aussi bien des intervenants, des gestionnaires, des étudiants que des chercheurs et, plus globalement, toute personne qui s’intéresse au renouvellement des pratiques d’intervention sociale.