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Avec cet ouvrage, Isabelle Olry-Louis et Caroline Arnoux-Nicolas proposent de s’attarder aux transitions et bifurcations professionnelles, alors que les parcours scolaires et professionnels sont de moins en moins linéaires. Cette diminution de la linéarité peut être imputable à plusieurs phénomènes sociaux et personnels, incluant l’évolution des conditions de travail et des carrières, ainsi que les attentes personnelles. Les autrices nous invitent à nous questionner sur la nature particulière des transitions, qu’elles soient souhaitées ou non. Cette recension présentera dans un premier un résumé objectif du contenu de l’ouvrage, puis un point de vue sur celui-ci sera offert.
Présentation
Dans l’ouvrage, les autrices présentent les transitions et bifurcations professionnelles selon trois grands points de vue: les cadres théoriques, les études empiriques et les méthodes de recherche et d’intervention pouvant être utilisées dans ce contexte. Cette division sera également utilisée dans le cadre de cette recension d’ouvrage.
Les cadres théoriques
En amorçant cette section, les autrices suggèrent qu’il est plus difficile qu’on ne le pense de dépasser l’intuition et de définir les termes de transitions et de bifurcations. C’est néanmoins l’objectif de cette section.
Le premier chapitre est consacré à la transition. Ce terme est utilisé dans de nombreux domaines, mais il semble y avoir un point commun à la définition de ce qu’est une transition. Il s’agit d’un moment où le mouvement vers le changement est amorcé, mais où l’issue demeure incertaine. Les autrices présentent ensuite la façon dont est considérée la transition selon différentes perspectives théoriques: la psychologie de l’orientation et de la formation, les perspectives développementales et les approches psychosociales. Dans le cadre de l’ouvrage, la perspective psychosociale est retenue pour considérer les transitions, qui impliquent généralement trois processus: le remaniement identitaire, l’acquisition de connaissances et la construction de sens. La dernière partie du chapitre présente deux grandes formes et situations de transitions, que sont la primo-orientation – vécue par des individus plus jeunes et ayant moins d’expérience – et l’orientation lors de la vie adulte – vécue par des individus ayant une expérience de travail.
Le deuxième chapitre porte sur les parcours de vie et les bifurcations. Les autrices présentent d’abord l’approche des parcours de vie, qui accorde une importance particulière aux changements contextuels se déroulant dans les différentes sphères de vie des individus. L’approche sociologique des bifurcations est ensuite présentée, où l’intérêt est placé sur le contexte global d’une situation et son influence sur le parcours de vie de l’individu. Les bifurcations sont dépendantes du contexte global et des opportunités qu’il offre. Ces opportunités peuvent être prévisibles ou non, et volontaires ou non. D’une façon ou d’une autre, une bifurcation représente un tournant significatif dans l’existence de l’individu.
Le troisième chapitre s’attarde au sens des transitions. Il cherche dans un premier temps à définir le terme de «sens», utilisé dans de nombreux contextes, puis à le réunir à celui de transitions, qui sont propices – tout comme les bifurcations – aux remises en question et au remaniement du sens. Les autrices débutent en présentant le sens selon diverses perspectives psychologiques, puis lient le sens à des concepts d’orientation (carrière, parcours, transition). Elles interrogent ensuite la façon dont se construit le sens lors de transitions, puis terminent le chapitre en soulignant que la transition peut à la fois être une quête de sens et une perte de sens. La conclusion revient sur le «sens des transitions», construit à la jonction du passé, du présent et du futur, à partir des gains ou des pertes associés à la transition.
Les études empiriques
Afin d’approfondir la compréhension des concepts de transition et de bifurcation, cette deuxième section de l’ouvrage s’intéresse à des études empiriques menées sur ces concepts.
Le quatrième chapitre porte sur le sens des transitions académiques, plus précisément celle vers l’université et celle suivant la fin des études doctorales. Les autrices présentent les différents acteurs et processus impliqués dans ces transitions qui – bien que socialement normées et attendues – sont exigeantes sur les plans psychologique et social. Pour chaque transition académique, l’ouvrage explore plus en profondeur une étude empirique menée sur le sujet, afin de mieux comprendre le sens accordé à ces transitions par les individus qui les vivent. Les autrices soulignent également l’importance d’accompagner activement les individus dans ces transitions, en considérant à la fois leurs besoins, attentes et enjeux propres.
Le cinquième chapitre est consacré au sens des transitions et bifurcations professionnelles dans le domaine artistique, mais également plus largement aux mobilités durant la carrière. Les autrices expliquent que les carrières artistiques sont souvent attrayantes, mais propices aux bifurcations, étant caractérisées par des durées variables et des revenus inégaux. Elles s’intéressent autant aux bifurcations vers les carrières artistiques qu’à partir de celles-ci, en approfondissant des cas concrets. Le chapitre se poursuit en présentant le sens de la carrière et des mobilités. À partir d’études empiriques qualitatives, les autrices explorent le sens donné au travail et aux mobilités. Il semble que ce sens soit évolutif et soumis à plusieurs facteurs d’influence (p. ex. caractéristiques individuelles, activités menées, relations professionnelles).
Les méthodes de recherche et d’intervention
L’introduction de cette section souligne à quel point il peut être difficile d’étudier le sens des transitions, qui sont par nature fugaces et susceptibles de se transformer. L’étude de transitions implique d’accompagner la personne dans la création de sens, par exemple en interrogeant la place donnée aux différentes sphères de vie ou aux priorités durant la phase de transition.
Le sixième chapitre vise à apporter des pistes méthodologiques afin d’étudier les transitions, que ce soit de façon quantitative ou qualitative. En plus de présenter des méthodes (p. ex. analyse thématique) ou instruments (p. ex. entretien de recherche) pouvant être utilisés, les autrices mettent de l’avant des modèles d’analyse. Elles expliquent également les avantages et limites propres à chaque type de méthodologie utilisé, afin d’accompagner les personnes chercheures dans le choix le plus approprié à l’étude qu’elles souhaitent mener.
Le septième chapitre se penche davantage sur les méthodes d’intervention pour accompagner les transitions vécues par les individus. Les autrices présentent des perspectives issues de l’approche de la psychologie existentielle et différentes thématiques à aborder avec un individu pour l’amener à dépasser la transition et y trouver du sens, notamment la responsabilité face à la transition et les choix réalisés. Dans la deuxième partie du chapitre, il est question de la façon dont les dimensions évaluatives soulevées dans le sixième chapitre peuvent être mobilisées pour enrichir l’intervention. Elles peuvent par exemple fournir des outils pour clarifier la perception de l’individu, ses ressources psychologiques et le soutien dont il dispose dans son environnement. Le chapitre se conclut avec une étude de cas présentant l’accompagnement d’un individu lors d’une transition à la fois personnelle et professionnelle.
Point de vue
L’ouvrage Le sens des transitions et des bifurcations professionnelles d’Isabelle Olry-Louis et Caroline Arnoux-Nicolas représente une lecture intéressante pour toute personne intéressée par la recherche et l’intervention en contexte de transition. Il s’agit d’une thématique qui peut être pertinente pour plusieurs domaines, mais semble l’être particulièrement en orientation professionnelle, où les transitions sont un enjeu central de la recherche et la pratique. Les autrices brossent un portrait des transitions et des bifurcations qui, sans être exhaustif, favorise la compréhension de ces deux concepts. En ce sens, la section portant sur les études empiriques présente certaines limites. Alors qu’il est intéressant d’explorer en profondeur un nombre limité d’études, il aurait été important de réaliser un survol plus large de la littérature existante sur le sujet. Cela aurait favorisé une meilleure compréhension du choix de ces études en rapport avec un éventail plus large des écrits scientifiques sur ce thème. Il s’agit d’une limite qui est reproduite dans d’autres sections, alors que seulement certaines perspectives ou approches sont présentées, sans être situées par rapport à l’ensemble de la littérature disponible.
Cela étant dit, une force importante de l’ouvrage est le mélange de théorie et de pratique qu’il présente et met en relation. Au-delà de simplement présenter la théorie, les autrices démontrent un souci d’expliquer – et de montrer – en quoi cette théorie permet d’éclairer et de contribuer à la pratique. Cette particularité fait de l’ouvrage une référence pertinente autant pour les personnes chercheures que praticiennes s’intéressant aux concepts de transitions et de bifurcations. Les autrices ont également la capacité de présenter les concepts de façon claire, malgré une structure d’ouvrage un peu complexe, alors que le fil entre les sections – ou même à l’intérieur d’une même section – est parfois difficile à suivre. Ce va-et-vient entre la théorie et la pratique est une force, mais représente aussi une limite, alors qu’à certains endroits, la structure ne permet pas de les départager adéquatement.
En somme, l’ouvrage représente une base intéressante pour tout domaine se penchant sur les transitions et les bifurcations. Il permet de s’initier à ces concepts en présentant à la fois des éléments théoriques et pratiques et leur influence mutuelle.