Corps de l’article

1. Introduction

La formation initiale à l’enseignement au Québec comprend quatre années universitaires où alternent une formation théorique touchant, entre autres, les didactiques (français, mathématique…), la pédagogie, la psychologie et une formation pratique avec l’obligation de 700 heures de stage. Le baccalauréat en adaptation scolaire et sociale de l’Université de Sherbrooke prépare les personnes étudiantes[1] à intervenir au primaire (6 à 12 ans), au secondaire (13 à 17 ans) et à la formation aux adultes auprès d’élèves handicapés ou en difficulté d’apprentissage ou d’adaptation (EHDAA). Dans le cadre de cette formation, les personnes étudiantes ont l’obligation, en complément aux stages, d’intervenir à la Clinique Pierre-H.-Ruel d’orthopédagogie rattachée à l’institution. Cette clinique est un dispositif spécifique à l’Université de Sherbrooke, encadrée et réalisée dans ses murs. Il s’agit d’un service orthopédagogique offert à la communauté: les personnes étudiantes de 2e année observent les interventions réalisées par les personnes étudiantes de 3e année et ces dernières interviennent auprès d’un élève ayant des besoins, durant treize semaines (55 minutes/semaine). Chaque séance est accompagnée d’entretiens pré-intervention (30 minutes) et post-intervention (30 minutes) centrés sur l’analyse réflexive (théorique et critique) et didactique des interventions réalisées et celles à venir. Il s’agit d’une occasion supplémentaire de formation en contexte professionnel (Correa Molina et Gervais, 2011).

Depuis quelques années, un projet pilote de Clinique-mobile se développe pour les personnes stagiaires (P. S.). Le projet consiste à sortir l’offre de service de la Clinique Pierre-H.-Ruel des murs universitaires et d’aller dans les écoles. Ainsi, lors de leur stage final (prise en charge complète de la tâche d’une personne enseignante durant 70 jours consécutifs), les P. S. peuvent choisir de participer à ce projet pilote. Cette option leur permet d’élaborer et de mener, à terme, un service orthopédagogique pour deux élèves issus de leur milieu de stage. Ce volet du stage représente 10 % de leur tâche, soit l’équivalent d’une demi-journée par semaine[2]. Les 90 % restant se déroulent comme un stage ordinaire, c’est-à-dire que la P. S. est accompagnée par une personne enseignante-associée et une personne superviseure (P. Sup.). Pour le volet du stage consacré à la Clinique-mobile, la P. S. doit donc, avec l’aide de l’équipe-école, choisir deux élèves ayant des besoins non satisfaits par les services en place à l’école (ex.: un élève qui a un suivi orthopédagogique en français, mais pas en mathématiques). Une fois les deux élèves choisis, la P. S. doit s’assurer de bien définir les besoins de chaque élève pour établir un plan d’action et le réaliser. À la fin du stage, elle produit un bilan pour chacun des deux élèves faisant état des interventions effectuées et des recommandations pour la suite. Dans ce volet du stage, la modalité de supervision choisie est celle en dyade et non en triade étant donné que les élèves suivis ne le sont pas par la personne enseignante-associée de l’école.

La P. Sup. joue donc un rôle important dans l’accompagnement de cette P. S. pour ce volet du stage. En effet, les personnes stagiaire et superviseure se voient chaque semaine afin de discuter, entre autres, des interventions effectuées et à venir. Tout comme la Clinique Pierre-H.-Ruel (Correa Molina et Gervais, 2011), la Clinique-mobile semble un terrain fertile pour lier théorie et pratique et valoriser un regard réflexif sur des actes d’enseignement effectifs et spécifiques que mettent en oeuvre les P. S. (Balslev, 2016). Dans un tel contexte, la P. Sup. guide les interactions menées lors des entretiens hebdomadaires, notamment dans sa fonction d’accompagnement (Dionne et al., 2021). Étant donné que certaines modalités de supervision sont spécifiques et novatrices à ce volet du stage par rapport au stage standard du programme d’adaptation scolaire et sociale à l’Université de Sherbrooke, ce regard sur la pratique d’une P. Sup. permettra de mieux comprendre ses interventions dans un tel contexte de supervision.

Cette étude de cas s’insère dans des préoccupations de recherche plus larges portant sur l’étude d’une meilleure compréhension du travail des personnes intervenant en formation initiale dans différents contextes de formation. Nous cherchons depuis quelques années, entre autres, à mieux saisir le rôle des personnes formatrices et superviseures dans différents types de dispositifs mis en oeuvre dans le cadre de la formation initiale en enseignement (ex.: formation didactique, jeux de rôles, stage ou clinique). Notre porte d’entrée pour l’étude de l’apport de ces dispositifs est l’analyse de notre agir professionnel (Marchand et al., 2022) puisque nous sommes nous-mêmes des personnes formatrices et superviseures. Cette lunette d’analyse est exploitée dans le présent projet afin de mieux comprendre le rôle de la P. Sup. pour le volet Clinique-mobile du stage de 4e année lors de la formation initiale en adaptation scolaire et sociale de notre institution.

2. Cadre contextuel

Le stage de 4e année dont il est question ici s’insère dans un contexte de renouvellement ministériel des compétences professionnelles à développer chez les personnes étudiantes/stagiaires en enseignement. D’ailleurs, un nouveau référentiel des compétences professionnelles de la profession enseignante vient d’être mis en oeuvre au Québec (Gouvernement du Québec, 2020). Ce dernier est en continuité avec le précédent, mais il comporte des changements significatifs en accordant «[u]ne plus grande importance […] aux connaissances relatives au mode d’apprentissage des élèves, aux savoirs disciplinaires et aux programmes d’études de même qu’aux stratégies didactiques et pédagogiques à mobiliser» (p.  11). Il est mentionné que:

L’activité professionnelle exige donc des capacités de raisonnement, de jugement et de réflexion en fonction du contexte précis d’intervention et des intentions d’apprentissage poursuivies. Agir en professionnelle ou en professionnel, c’est être appelé à faire des choix et à prendre des décisions de manière autonome et intelligente, c’est-à-dire adaptée à la situation dans laquelle on intervient. Pour ce faire, le personnel enseignant doit être capable de poser un regard critique et réflexif sur ses activités et de déterminer par lui-même, en basant notamment son jugement sur les connaissances et les valeurs propres à son domaine d’activités, les actions qui conviennent à des situations d’enseignement et d’apprentissage relativement changeantes au gré des interactions en classe.

Gouvernement du Québec, 2020, p. 28

Cette visée ministérielle fait écho à la vision d’un praticien réflexif (Thomas et Correa Molina, 2020), mais selon certaines recherches, elle semble être un angle mort dans la formation initiale des personnes étudiantes: les travaux de Bednarz et al. (2019), Venet et al. (2012) et Nguyen (2011) mettent en évidence que plusieurs activités de la formation initiale se centrent sur les tâches en amont de l’acte d’enseigner, comme l’élaboration d’une planification détaillée. En effet, peu d’occasions semblent favoriser la préparation et la gestion dans le feu de l’action d’une activité en classe (ex.: formulation de la consigne, d’étayage ou de relance, gestion des imprévus). Ce volet lié à l’activité quotidienne d’une personne enseignante est pris en charge essentiellement par les stages lors de la formation initiale. Cependant, certains auteurs (Martin, 2002; Cody, 2013; Malo, 1997; Morales Perleza 2016; Perrenoud, 2001) ont constaté que les personnes étudiantes en enseignement éprouvaient des difficultés à faire des liens entre les théories apprises et les actes d’enseignement réalisés en stage. Cet enjeu d’arrimer théorie-pratique fait partie des facteurs ayant motivé l’implantation de la Clinique-mobile. Les modalités mises en place pour le volet Clinique-mobile du stage visent à mettre en exergue les liens entre formation théorique et formation pratique par le choix de la modalité en dyade, de la fréquence élevée des entretiens réflexifs et du visionnement de l’enseignement effectif de manière hebdomadaire durant environ quatre mois. De plus, la P. Sup. ciblée par cette étude est une personne d’expérience ayant porté différents chapeaux, combinant expérience du terrain et enseignement universitaire de didactique des mathématiques et de supervision (stages et cliniques).

Même si le rôle de la P. Sup. est considéré central à la formation des P. S., plusieurs auteurs mentionnent qu’il est souvent sous-estimé et réduit trop fréquemment à sa fonction de personne responsable de l’évaluation de la P. S. (Dionne et al., 2021; Burns et Badiali, 2015; Gouin et Hamel, 2015; Lapointe et Guillemette, 2015). D’ailleurs, les fonctions d’accompagnement et d’évaluation que doivent prendre celles-ci révèlent des tensions (Maes et al., 2018). Le rôle de la P. Sup. peut se traduire d’ailleurs selon différentes fonctions, incluant celle d’accompagnement et d’évaluation. Dionne et al. (2021) ont procédé à une recension des études en la matière et ils ont dégagé un cadre d’analyse déclinant les pratiques de supervision selon cinq fonctions: accompagnement, médiation, collaboration, évaluation et administration. Ainsi, une des visées de cette étude est d’en apprendre davantage sur la fonction d’accompagnement des P. Sup. Tout comme ceci est le cas dans d’autres pays, les balises entourant le rôle de la P. Sup. restent implicites à plusieurs égards (Colognesi et Van Nieuwenhoven, 2017), d’où notre objectif de recherche de mieux comprendre la fonction d’accompagnement mise en place par une P. Sup. lors du volet Clinique-mobile du stage.

3. Cadre conceptuel

Afin d’étudier le rôle de la P. Sup., plusieurs cadres peuvent être envisagés (Dionne et al., 2021; Gervais et Desrosiers, 2005; Portelance et al., 2008; Burns et al., 2016; Cohen et al., 2013). Ces différents travaux mettent en évidence les compétences propres aux personnes superviseures, les fonctions caractérisant leurs pratiques ou les tensions pouvant exister entre la fonction d’accompagnement et d’évaluation. Mais, dans cette étude, étant donné que nous nous intéressions plus spécifiquement à la fonction d’accompagnement, nous devions envisager un cadre nous permettant de décrire cette fonction. Paul (2009) décrit la fonction d’accompagnement que peut prendre la P. Sup. comme «se joindre à quelqu’un (dimension relationnelle) pour aller où il va (dimension temporelle et opérationnelle) en même temps que lui: à son rythme, à sa mesure, à sa portée» (p. 95-96) et il dégage cinq principes entourant cette fonction en matière de postures: de non-savoir, de dialogue, d’écoute, tierce et émancipatrice (Paul, 2016). Jorro (2016) a aussi dégagé cinq postures[3] possibles qu’une P. Sup. pouvait adopter, mais cette fois-ci lors d’«entretiens à chaud» (Correa Molina, 2008). Étant donné que les modalités mises en place par le volet Clinique-mobile du stage se rapprochent de l’activité menée lors des «entretiens à chaud», le cadre de Jorro (2016) semble plus propice pour cette étude de cas. De plus, puisque notre équipe de recherche a exploité et bonifié précédemment ce cadre pour décrire des pratiques de formation (Marchand et al., 2022), nous poursuivons nos réflexions pour cette étude avec ce même cadre.

Le schéma page suivante (figure 1) illustre cinq postures qu’une personne formatrice, ici la P. Sup., peut adopter lors de la formation initiale. Ces cinq postures peuvent se manifester à travers différents gestes qui apparaissent ici sous chacune des postures.

La première posture que peut prendre la P. Sup. est celle du «pisteur». Dans cette posture, elle traite de l’organisation logistique (ex.: les consignes en lien avec les travaux) et de l’instauration du déroulement des entretiens (ex.: buts et étapes prévues). Il y est donc question de la «planification» logistique du stage, de la gestion des rétroactions exigées de la part de la P. S. quant à la «recherche de traces» tout au long du stage permettant à la P. Sup. d’évaluer sa progression et de poser des gestes de «contrôle» afin de vérifier ou de diriger le travail de celle-ci.

La deuxième posture est celle du «traducteur». Par cette posture, la P. Sup. rend accessible à la P. S. des points aveugles de sa pratique (ex.: conceptuel, didactique ou pédagogique) ou des cadres théoriques pouvant appuyer sa pratique. Celle-ci peut se manifester par des gestes de «conception» en amont des entretiens hebdomadaires en anticipant, en formulant ou en structurant les contenus didactiques et disciplinaires de celui-ci. La posture de traducteur se manifeste aussi lors de l’entretien, par des gestes de «désignation» afin de nommer les contenus disciplinaires et didactiques soulevés par la P. S., par des gestes d’«explication» pour décrire/clarifier ces contenus en jeu dans les interventions et par des gestes d’«institutionnalisation» en les validant.

Figure 1

Les postures et gestes professionnels de la personne formatrice, adaptés des travaux de Jorro (2016) et Pana-Martin (2015) et de Marchand et al. (2022)

Les postures et gestes professionnels de la personne formatrice, adaptés des travaux de Jorro (2016) et Pana-Martin (2015) et de Marchand et al. (2022)

-> Voir la liste des figures

La posture de «médiateur» est la troisième que peut prendre la P. Sup. afin de mettre en lien, entre autres, le volet théorique et le volet pratique. Elle peut se manifester par des gestes de «mise en relation» entre des ressources didactiques, professionnelles et personnes-ressources pouvant les soutenir dans leur stage. Les gestes de «conseil» sont effectués lorsque la P. Sup. partage son expérience, son point de vue professionnel sur les interventions ou sur les enjeux périphériques du stage. Et, enfin, nous retrouvons les gestes de «lâcher-prise» lorsque la P. Sup. propose un espace d’échange sur les enjeux précédemment mentionnés et demande à la P. S. de prendre une décision selon son point de vue professionnel.

La posture de «régulateur» intervient lorsque la P. Sup. permet à la P. S. d’identifier ses points d’appui, de s’autoévaluer ou de mener ensemble une évaluation formative de la situation afin d’entrevoir des pistes possibles d’action pour la suite. Celle-ci se manifeste par des gestes de «valorisation» des réussites de la P. S. autant d’un point de vue pratique que théorique ou encore par des gestes de «rassurance» en lien avec les interventions réalisées ou des contraintes du milieu (ex.: aucune intervention n’est parfaite). Cette posture peut aussi se manifester par des gestes d’«ajustement» permettant à la P. S. de s’adapter aux besoins observés ou à la complexité de la situation de stage.

Enfin, la P. Sup. peut prendre une posture d’«enquêteur[4]» en mobilisant une écoute active et constructive afin de donner la parole à la P. S. Elle implique une lecture critique et bienveillante de la situation par des gestes de «questionnement» afin de mieux connaître ou comprendre les réflexions et les pratiques de la P. S. Les gestes de «problématisation» se retrouvent également sous cette posture. Ils soulignent les décalages observés entre les intentions, les pratiques effectives, leur impact sur les apprentissages des élèves et les défis d’une situation donnée.

En considérant plus spécifiquement les modalités de supervision mises de l’avant pour ce volet du stage et en prenant appui sur les postures et les gestes professionnels de Pana-Martin (2015), de Jorro (2016) et Marchand et al. (2022), la question spécifique de cet article est la suivante: quelles postures et quels gestes caractérisent les interactions d’une P. Sup. avec une P. S. oeuvrant dans le cadre du volet Clinique-mobile du stage réalisé lors de la dernière année de la formation initiale en adaptation scolaire et sociale?

4. Méthodologie

Cette étude a pour but de documenter les différents postures et gestes utilisés lors de l’accompagnement d’une P. S. de 4e année au baccalauréat en adaptation scolaire et sociale de l’Université de Sherbrooke dans le développement de son savoir agir, pour le volet Clinique-mobile du stage. Pour ce faire, nous avons choisi de réaliser une étude de cas (Karsenti et Demers, 2018) en analysant les pratiques effectives d’une P. Sup. lors des entretiens hebdomadaires avec la P. S. Cette approche méthodologique, interprétative et exploratoire pour cette étude de cas intrinsèque se situe dans un continuum qualitatif-quantitatif et elle est propice à notre étude «puisqu’elle permet, entre autres, de choisir des cas particuliers dans lesquels les interactions étudiées sont susceptibles de se manifester […], dans l’observation d’un phénomène ou dans la découverte de nouveaux faits» (Karsenti et Demers, 2018, p. 290). L’analyse des échanges réalisés par la P. Sup. se fonde sur une analyse interprétative des gestes qu’elle adopte lors de ces entretiens du nouveau volet Clinique-mobile du stage.

4.1 Description des modalités de supervision du volet Clinique-mobile du stage

Deux spécifications sont ici mises en exergue pour mieux comprendre les modalités novatrices mises en place dans ce volet du stage.

Premièrement, dans le cadre du stage ordinaire de 4e année en adaptation scolaire et sociale, la P. Sup. rencontre, dans son milieu de stage, la P. S. à seulement deux reprises sur une période d’environ quatre mois. Elle observe ainsi les pratiques effectives de la P. S. à deux reprises (1 h/visite) dans une fonction d’évaluation. Les autres contacts avec elle sont par le biais de comptes-rendus hebdomadaires et de travaux écrits. Ces modalités de supervision semblent limiter les occasions pour adopter d’autres fonctions (Dionne et al., 2021) et contribuer à l’impression que les fonctions d’évaluation et d’administration sont les seules fonctions d’une P. Sup. (Gouin et Hamel, 2015; Lapointe et Guillemette, 2015). Comme les visites servent entre autres à l’évaluation et que les travaux sont aussi évalués par la P. Sup., il en découle que la fonction de l’évaluation prend beaucoup de place dans un tel contexte (Dionne et al., 2021). Sa fonction d’accompagnement se limite aux échanges écrits basés sur les pratiques déclarées de la P. S. Dans le cas du volet Clinique-mobile, la P. Sup. discute chaque semaine avec la P. S. et elle voit environ 20 heures de l’enseignement de cette dernière,

La deuxième spécification qui distingue la supervision dans le cadre de la Clinique-mobile est l’alternance et la fréquence d’une réflexion sur les pratiques effectives réalisées dans le cadre du stage, totalisant environ sept heures d’entretiens réflexifs. Cette spécificité peut permettre à la P. Sup. de construire son jugement professionnel du développement des compétences professionnelles dans un processus itératif incluant plusieurs boucles entre la prise de données, l’interprétation et le jugement d’appréciation provisoire de ces dernières (Maes et al., 2023).

Plus spécifiquement, chaque semaine, la P. S. intervient auprès de ses élèves[5]. Elle doit se filmer et transmettre ses enregistrements à la P. Sup. pour leurs visionnements avant l’entretien hebdomadaire. Lors des entretiens, elles discutent des interventions effectuées et de celles à venir. Chaque entretien de ce dispositif a été enregistré pour cette étude. Au total, dans notre étude de cas, 7 heures 15 minutes d’entretiens répartis sur dix rencontres ont ainsi été enregistrés.

Voici un schéma mettant en évidence ces deux modalités spécifiques au volet Clinique-mobile versus au stage ordinaire:

Tableau 1

Modalités du stage Clinique-mobile versus le stage ordinaire de 4e année[6]

Modalités du stage Clinique-mobile versus le stage ordinaire de 4e année6

-> Voir la liste des tableaux

Considérant ces deux modalités de supervision, la fonction d’évaluation prend moins de place proportionnellement à la totalité des échanges réalisés lors des entretiens en dyade, en complémentarité avec les deux visites programmées, laissant plus d’espace aux autres fonctions comme celle de l’accompagnement. Nous pensons, par conséquent, que cela peut avoir une incidence sur les opportunités et la variété des postures et des gestes qu’elle peut endosser afin de porter un regard critique sur les pratiques mises en oeuvre par la P. S. Le présent article a justement pour but d’apporter des pistes de réponses à cette prémisse. Ainsi la P. Sup. semble avoir un rôle plus central (fréquence et spécificité) dans le développement des compétences professionnelles et non seulement dans l’évaluation de ces dernières.

4.2 Description de la P. Sup. et de la P. S. de ce projet

D’abord, la majorité des personnes superviseures de stage en adaptation scolaire et sociale à notre institution sont des praticiens en service qui peuvent provenir de différents horizons (ex.: personne enseignante, orthopédagogue, enseignante ressource ou conseillère pédagogique). Ces personnes reçoivent des formations ponctuelles par notre institution. D’autres personnes proviennent du milieu universitaire (personnes formatrices), mais de manière marginale. Il est à noter que cette diversité dans les profils des personnes superviseures n’est pas propre à notre institution et en ce sens reflète ce qui se fait au Québec.

La P. Sup. faisant l’objet de cette étude est une personne d’expérience qui est également contractuelle depuis une dizaine d’années à notre institution. Ainsi, son profil est atypique par rapport à celui de la majorité des personnes superviseures du programme. Cette superviseure enseigne divers cours de didactique des mathématiques (géométrie, mesure, arithmétique et interventions en mathématiques). Elle fait de la supervision à la Clinique Pierre-H.-Ruel et en stage depuis environ quatre ans. Elle est impliquée, plus globalement, à la formation initiale en participant, par exemple, aux diverses rencontres institutionnelles. Elle a aussi établi plusieurs collaborations avec des collègues oeuvrant en didactique des mathématiques. Et par conséquent, elle partage une vision commune à plusieurs membres de l’équipe professorale visant une formation «par la didactique» (Lajoie et Saboya, 2013) et non «à la didactique». Ainsi, la superviseure est sensibilisée à la réflexion sur l’enseignement/apprentissage, entre autres par l’analyse des tâches ou des interventions répertoriées dans la littérature ou par leur analyse conceptuelle. Des liens explicites peuvent être faits avec des concepts didactiques auxquels les personnes stagiaires auront été initiées dans le cadre de leur formation initiale «par la didactique», car elle connaît bien les contenus abordés. La P. Sup. participant à cette recherche est d’ailleurs l’une des auteures de cet article. Au moment d’enregistrer les entretiens, la superviseure savait qu’une analyse de ses échanges serait effectuée, mais elle ne connaissait pas encore l’angle sous lequel elle serait envisagée.

La P. S. est une étudiante de 4e année et elle exerce le rôle d’ortho-pédagogue. Elle connaît la superviseure depuis deux ans. En effet, celle-ci l’a déjà supervisé à la Clinique Pierre-H.-Ruel en plus de lui avoir enseigné deux cours de didactique des mathématiques (60 heures de géométrie et de la mesure; 30 heures d’intervention en mathématiques). La stagiaire connaît donc très bien les attentes de cette superviseure et vice-versa.

La stagiaire a dû intervenir auprès de deux élèves de 4e année du primaire (neuf ans) ayant des besoins en mathématiques. Les besoins ciblés sont liés à l’organisation en résolution de problèmes et au concept de fraction. Elle a choisi de travailler la représentation de fractions à travers divers problèmes. Par exemple, elle pouvait demander à l’élève de représenter des fractions d’une collection et de nommer la fraction manquante (ex.: «J’ai 36 muffins, 1/3 sont au chocolat, 5/9 sont au bleuet et les autres sont aux carottes. Combien de muffins aux carottes y avait-il?»). Dans le cadre de ce stage, les travaux demandés aux personnes stagiaires par notre institution intègrent la remise de quatre planifications de séances de classe durant les quatre mois de stage. D’autres travaux en lien avec le développement de leurs compétences sont exigés, mais comme elles sont en stage à temps plein, il n’y a pas d’exigence de remettre à l’écrit la planification de toutes les interventions de classe. Cette exigence ne serait pas viable et ne représenterait pas la réalité du terrain. Ainsi, il en est de même pour le volet Clinique-mobile. Les entretiens portent par conséquent sur les interventions réalisées ou à venir et les échanges portent sur différentes considérations de celles-ci. L’analyse didactique des interventions réalisées pouvant être faite est in situ durant les entretiens ou après coup avec la stagiaire si cela semble pertinent.

4.3 Cueillette et traitement des données

Dix entretiens de supervision effectués dans le cadre du volet Clinique-mobile, totalisant 7 heures 15 minutes d’entretiens, ont été enregistrés et retranscrits afin d’en permettre l’analyse. Après un premier traitement des données en lien avec l’ensemble des entretiens (visionnement et mise en parallèle), nous avons retenu deux entretiens représentatifs de la diversité des postures et gestes que la superviseure a endossée durant ces dix séances. Il est évident que les postures et gestes peuvent différer selon le moment du stage, mais notre intention dans cette étude n’était pas d’analyser leur évolution, mais surtout de les décrire dans un tel contexte de supervision. Pour l’analyse, nous nous focalisons ainsi sur deux entretiens totalisant presque deux heures d’échanges. Les entretiens analysés sont le premier et le sixième. Le premier entretien a été choisi, car il place les attentes et le fonctionnement pour l’ensemble des entretiens par la superviseure et il lance le service orthopédagogique offert par la stagiaire. Pour ce qui est du sixième entretien, il a été choisi parce qu’il met en branle la fin du service offert qui se termine trois semaines plus tard, ce qui en fait un moment charnière de la supervision.

Une fois les entretiens choisis, l’analyse a été réalisée en quatre temps. Dans un premier temps (T1), nous nous sommes approprié le cadre chacune de notre côté: nous avons revisité les postures et les gestes établis lors de nos recherches antérieures et nous nous sommes assurées qu’ils étaient clairement définis, compris et qu’ils nous semblaient opérationnels pour l’analyse des entretiens visés par cette étude. Dans un deuxième temps (T2), les entretiens ont été transcrits et un premier codage a été effectué par l’auteure qui n’est pas la superviseure. Pour ce faire, chacune des transcriptions a été analysée en attribuant un ou plusieurs codes de postures et de gestes à chacune des prises de parole. Le codage était émergent, et donc si un nouveau geste ou une nouvelle posture était repéré, la chercheure en prenait note. Chacun des codages était accompagné d’une courte explication (tableau 2):

Tableau 2

Extrait de verbatim et de codage effectué

Extrait de verbatim et de codage effectué

-> Voir la liste des tableaux

Dans un troisième temps (T3), la superviseure a, à son tour, codé les deux entretiens en tenant compte du codage fait préalablement. Elle a reçu les deux entretiens codés et elle a fait l’exercice à son tour afin de valider ou invalider le codage réalisé. À cette étape, le codage était aussi émergent. Dans un quatrième temps (T4), nous avons discuté et statué au sujet de notre codage des postures et des gestes de ces deux entretiens. La figure 2 illustre les temps de l’analyse.

Figure 2

Les temps de l’analyse

Les temps de l’analyse

-> Voir la liste des figures

5. Analyse

Les résultats présentés dans cette section ont pour but de décrire les postures et les gestes que la superviseure a adoptés dans le cadre de ces fonctions d’accompagnement lors d’un échantillon de deux entretiens réalisés auprès de la stagiaire dans le cadre du volet Clinique-mobile du stage. À l’aide des verbatim des deux entretiens ciblés, il nous a d’abord été possible de constater que la répartition des échanges est sensiblement égale entre la superviseure et la stagiaire. Les paroles de la P. S. occupent autant de place que ceux de la superviseure ou même davantage. Pour le premier entretien, la stagiaire a dit un total de 14 112 mots, représentant 53 % des mots dits lors de cet entretien. Pour le sixième entretien, la répartition était similaire, soit un total de 8 280 mots pour la stagiaire, représentant 55 % des mots dits lors de cet entretien. Ce premier constat met en évidence la manière dont la fonction d’accompagnement se traduit ici quant à une répartition équivalente des échanges entre la superviseure et la stagiaire lors de ces deux entretiens réalisés à des moments différents du stage (au début et pratiquement à la fin).

Globalement, durant ces deux entretiens, les contenus didactiques et mathématiques des échanges se caractérisent par des discussions sur les différents sens des fractions (ex.: partie-tout, partie-collection, rapport), le matériel (ex.: jetons, dessin) ou encore les modèles de représentation (ex.: surface, longueur), la manière de représenter les nombres dans le problème (ex.: en chiffres ou en lettres), l’endroit où est placée la question dans le problème, etc. Par la nature de ces discussions, il est possible d’observer qu’il s’agit d’éléments faisant partie de la formation initiale qui sont réinvestis ici dans le cadre de ce volet du stage. Il est question de l’analyse des variables à tenir en compte et des enjeux conceptuels. Ces discussions sont réalisées en lien avec l’enseignement, mais également avec l’apprentissage des élèves. La nature de ces échanges semble être en cohérence avec la vision mentionnée précédemment du praticien réflexif et, plus spécifiquement, la mise en place d’une vigilance didactique (Butlen et al., 2016). Mais, quelles ont été les postures de la superviseure durant ces entretiens hebdomadaires? Le graphique ci-dessous (figure 3) fournit une vision globale de celles-ci pour ces deux entretiens.

Figure 3

Graphique présentant les postures utilisées

Graphique présentant les postures utilisées

-> Voir la liste des figures

D’abord, il est possible d’observer que les cinq postures sont présentes lors de ces deux entretiens, mais que la posture de pisteur est négligeable. Il est possible d’émettre l’hypothèse que cette posture est plus difficile à observer lors des entretiens puisque celle-ci réfère davantage à des postures endossées lors de moments en amont ou en aval de ces entretiens avec la stagiaire, phases sur lesquelles nous ne nous sommes pas attardées pour cette étude.

Pour le premier entretien, ayant duré environ 75 minutes, il est possible de constater (tableau 3) qu’il y a eu 134 manifestations de postures.

Tableau 3

Répartition des postures et des gestes associés pour le premier entretien

Répartition des postures et des gestes associés pour le premier entretien

-> Voir la liste des tableaux

La posture d’enquêteur est la plus souvent endossée par la superviseure (35 % des postures: 47/134) et plus spécifiquement le geste de questionnement est majoritairement ressorti (42/47). Le geste de questionnement est, toutes postures confondues, le geste le plus employé, qui représente 32 % des gestes observés. Ce geste semble être valorisé dans les échanges réalisés par cette superviseure, mais nous pourrions aussi l’attribuer au fait qu’il s’agit du premier entretien et que plusieurs éléments sont à établir. Ce constat donne, toutefois, le ton pour la suite des entretiens. Le questionnement pouvait être de deux natures différentes. Le premier type de questionnement portait sur des faits en lien avec le déroulement des interventions orthopédagogiques ou sur les productions des élèves (21/42). Voici un exemple emblématique illustrant ce geste par la superviseure où elle cherche à comprendre le raisonnement employé par un élève en lien avec un problème du type: «J’ai 36 muffins, 1/3 sont au chocolat, 5/9 sont au bleuet et les autres sont aux carottes. Combien de muffins aux carottes y avait-il?»

1.34 Sup.: OK, quelle a été leur stratégie pour aller chercher le tiers, est-ce qu’elles ont cherché à faire trois paquets de muffins identiques ou elles sont plutôt allées: j’ai trois muffins, j’en prends un, j’ai trois muffins, j’en prends un? 

Ce questionnement, portant sur des faits d’observation, est spécifique aux tâches demandées et aux élèves rencontrés. Un deuxième type, représentant la moitié des questionnements proposés par la superviseure (21/42), portait plutôt sur l’analyse de la pratique effective de la stagiaire, de la compréhension des élèves ou de l’anticipation des contenus à aborder pour les prochaines séances. Voici des extraits illustrant ce geste:

1.43 Sup.: Selon toi, est-ce que c’est un problème de stratégie ou d’organisation?

1.63 Sup.: Qu’est-ce que t’en déduis sur sa compréhension […]?

1.84 Sup.: Bien, elle a l’air confiante cette élève-là… qu’est-ce que ça te dit sur le contrat didactique qu’elle te dise «ton problème, il ne marche pas»?

Il est possible d’observer que les postures de traducteur (25/134 donc 19 %), de médiateur (26/134 donc 19 %) et de régulateur (28/134 donc 21 %) sont sollicitées de manière similaire par la superviseure pour ce premier entretien. Le geste d’explication est celui qui s’est principalement manifesté dans la posture de traducteur (15/25). En voici un exemple faisant suite à une description d’une résolution inadéquate d’un élève par la stagiaire: «1.10 Sup.: OK, fait, il n’y a pas de distinction entre la quantité qu’il y a dans le nombre, puis la position.»

Dans la posture du médiateur, la superviseure pose le plus souvent des gestes de conseil (17/26). En voici un exemple où elle alimente la discussion sur les choix didactiques pour faire une affirmation sur la compréhension de l’élève:

1.49 Sup.: C’est ça. Fait que je pense que si on veut vraiment valider si elle est capable de sélectionner les bonnes données. Bien pour ça, faudrait qu’il en manque ou qu’il y en ait en surplus dans le problème. C’est vraiment ça qui nous permettrait de dire, parce que sinon les élèves habituellement comprennent assez vite que: «je prends toutes les données du problème».

Enfin, pour cet entretien, lorsque la superviseure endosse la posture de régulateur, elle pose le plus souvent des gestes de valorisation (19/28). En voici deux exemples qui se complètent:

1.204 Sup.: Fait qu’écoute, belle lancée, c’est intéressant ce que t’as fait. J’aime les problèmes que tu leur as présentés.

1.205 Sup.: Je pense que t’as bien su utiliser les variables didactiques sur les problèmes pour être capable d’aller chercher de l’info.

Ainsi, dans ce premier entretien, la superviseure adopte toutes les postures et 14/15 des gestes de notre catégorisation. Mais la posture de l’enquêteur est la plus endossée. Parmi les gestes, ce sont les gestes de questionnement, de valorisation, de conseil et d’explication qui ont été les plus employés.

Maintenant, en ce qui concerne le deuxième entretien de notre échantillon (l’entretien 6 du stage), moins de postures ont été observées (52) étant donné qu’il était moins long que le précédent (environ 40 minutes), voir le tableau 4.

Tableau 4

Répartition des postures et des gestes associés pour le sixième entretien

Répartition des postures et des gestes associés pour le sixième entretien

-> Voir la liste des tableaux

Dans ce cas, la posture d’enquêteur diminue pour laisser davantage de place à la posture de médiateur (16/52 donc 31 %) et de régulateur (14/52 donc 27 %). Pour ces deux postures, deux gestes sont majoritaires et il s’agit des mêmes que pour le premier entretien (les gestes de conseil et de valorisation). Voici un extrait illustrant le geste de conseil:

6.40 Sup.: Fait que je te conseille vraiment de faire cet exercice-là, de regarder le nombre [d’interventions restantes] puis d’essayer de voir un peu vers quoi tu veux t’en aller pour clore ça. […] j’aime bien essayer de leur montrer les progrès qu’ils ont faits. Tu sais, leur donner un problème qui est un peu plus difficile que le tout premier qu’ils ont fait, mais qui est dans la même veine. Pis là tu les laisses aller, là ils font, puis là ils t’expliquent tout ça, puis après ça, tu sais, faire la comparaison: regarde on avait eu un problème presque semblable au début… regarde ce que tu avais fait et regarde ça maintenant ce que tu fais.

Maintenant, par ses gestes de valorisation, la superviseure souligne les bons coups qu’elle a pu observer dans la pratique effective de la stagiaire, dans ces choix didactiques réalisés ou anticipés pour la suite des interventions. Rappelons que la prise en charge complète des interventions orthopédagogiques pour chacun des élèves suivis dans le cadre de la Clinique-mobile est assumée par la stagiaire. Il s’agit probablement d’une des raisons pour laquelle la superviseure opte fréquemment pour cette posture et celle de régulateur. Voici un exemple illustrant ce geste où la stagiaire vient de mentionner à la superviseure qu’elle s’était construite une feuille de référence pour des exemples de relances, de questions, à proposer à l’élève dans l’action:

6.36 Sup.: Bien, c’est une stratégie intéressante que tu t’es créé une petite banque avec quelques questions pour t’aider à y réfléchir. Je trouve que c’est une stratégie bien intéressante, c’est parce que ça peut être une façon pour toi, tu sais, de tranquillement intégrer ces formulations de questionnement dans ta pratique. Un moment donné, tu ne regarderas plus ta feuille.

Pour cet entretien, nous retrouvons majoritairement quatre des cinq postures, la posture d’enquêteur étant moins fréquente que lors du premier entretien. Cependant, ce sont les trois mêmes gestes qui sont les plus fréquents, mais pas nécessairement dans le même ordre: le conseil, la valorisation et le questionnement. Ce constat pourrait représenter une piste à explorer, pour d’éventuelles recherches, afin de caractériser le type d’accompagnement de cette superviseure lors de ce type d’entretiens.

Globalement, sur deux heures d’entretiens parmi les sept heures réalisées dans le cadre de ce stage Clinique-mobile, il a été possible de déterminer que les cinq postures de notre cadre d’analyse ont été employées par la superviseure, totalisant 186 gestes. Aucune nouvelle posture ou nouveau geste ne semble avoir émergé de cette analyse. La catégorisation précédente a semblé être suffisante pour cette étude. Ces entretiens réalisés en alternance, chaque semaine, portaient spécifiquement sur les interventions réalisées dans le cadre de la Clinique-mobile en passant principalement par le questionnement, les conseils et la valorisation. La nature de ces gestes mettait en jeu la pratique effective de la P. S., ses réflexions en lien avec sa pratique, son analyse de la situation de chacun des élèves (compréhension et productions) ainsi que sur l’anticipation des séances d’intervention à venir.

6. Discussion

Dans le cadre contextuel, il a été question du défi de la formation initiale, de valoriser la préparation des personnes étudiantes pour leur savoir agir dans le feu de l’action comme la formulation de questions, de relances ou d’étayages. L’analyse précédente met en évidence que les postures et les gestes de la superviseure incitent la P. S. à porter un regard analytique sur les éléments de son enseignement. En effet, ce regard concerne de manière spécifique les interventions réalisées dans le cadre de la Clinique-mobile, il porte sur sa pratique effective, et de manière continue et évolutive d’une semaine à l’autre, s’étalant sur la totalité des quatre mois de son stage. Il a été possible de constater que les postures d’enquêteur, de régulateur et de médiateur mettaient en jeu directement les savoirs agir de la P. S. et les fondements de ses savoirs agir. La stagiaire avait entièrement à sa charge l’orchestration du service orthopédagogique offert à ces élèves, elle était autonome dans cet enseignement et la superviseure était une personne-ressource régulatrice et modératrice de ces actions.

Dans le cadre de ce dispositif de Clinique-mobile, la superviseure semble avoir l’occasion de prendre plusieurs postures et de faire plusieurs gestes pouvant valoriser le développement d’un praticien réflexif (Thomas et Correa Molina, 2020). Cela nous semble moins le cas dans le cadre d’un stage ordinaire puisqu’il y a beaucoup moins d’occasions pour la P. Sup. d’échanger avec la stagiaire; ce qui réduit d’autant la possibilité de prendre différentes postures, surtout que ces moments sont principalement consacrés à l’évaluation. Nous pensons donc que les modalités mises en place lors du volet Clinique-mobile du stage semblent permettre à la stagiaire d’obtenir un accompagnement tout au long de son stage, de manière hebdomadaire et collaborative, pouvant compter sur une P. Sup., allant au-delà de sa fonction d’évaluation avec une visée spécifique de lier la théorie et la pratique. De plus, le profil de la superviseure ciblée par cette étude de cas vient également influencer ces postures et gestes ainsi que de leurs natures réflexives et didactiques.

Plus globalement, cette étude offre une porte d’entrée sur le processus itératif de construction du jugement professionnel tel qu’élaboré par Maes et al. (2023) en mettant en lumière les postures et les gestes endossés par la superviseure pour sa prise d’information, pour son interprétation et son jugement d’appréciation provisoire pouvant mener à sa prise de décision finale. Ces postures et ces gestes ayant pu émerger des modalités de supervision mises en place par ce volet du stage semblent avoir contribué à une diminution de la tension entre les fonctions d’accompagnement et d’évaluation (Maes et al. 2018). Enfin, par ces presque deux cents gestes d’accompagnement et par leur nature didactique et pédagogique, cette fonction est en cohérence avec le nouveau référentiel des compétences professionnelles ministérielles (Gouvernement du Québec, 2020) et les capacités constitutives de la «compétence réflexive» à développer chez les stagiaires (Chaubet et al., 2013).

7. Conclusion

Il a été mentionné dans le cadre que d’autres recherches portent sur les diverses fonctions de la P. Sup. et donc il serait pertinent de confronter ces données à d’autres cadres. Nous pourrions ainsi analyser la pratique d’accompagnement de cette superviseure ou d’une autre en considérant les cinq balises qui semblent pertinentes dans cette fonction: l’instauration d’un cadre relationnel positif et sécurisant, la mise en avant des talents du stagiaire, l’adaptation à ses besoins et aux défis rencontrés, le soutien de ses apprentissages en situations informelles et formelles et l’intégration du stage dans un contexte et un réseau donné (Colognesi et al., 2021). Une autre piste d’étude pourrait être d’étudier les postures et gestes des personnes superviseures ou formatrices dans le cadre d’autres approches de formation et d’en dégager leur effet sur le développement des compétences professionnelles ou, plus spécifiquement, sur les savoirs didactiques impliqués dans cette pratique réflexive. La tension entre la fonction d’accompagnement et d’évaluation évoquée précédemment serait une autre piste pertinente à explorer (ex.: un tel dispositif permet-il d’amenuiser cette tension?).

Enfin, en prenant un pas de recul, l’implantation de ce volet Clinique-mobile du stage de 4e année s’insère parmi d’autres activités de formation initiale, théoriques et pratiques, et comme le mentionne Tremblay-Wragg (2013), il y a un paradoxe qui persiste entre les approches mises de l’avant lors de la formation initiale et celles valorisées en enseignement:

Selon le programme de formation à l’enseignement, les futurs enseignants doivent concevoir et piloter des situations d’enseignement-apprentissage ouvertes, signifiantes et variées. Or, il appert que la prédominance de l’enseignement magistral dans les cours universitaires ne favorise pas le développement de certaines compétences professionnelles et, plus particulièrement, n’encourage pas l’utilisation d’approches variées en classe de stage. Ainsi, une contradiction est présente entre les attentes du MELS à l’égard des compétences attendues chez les futurs enseignants et les pratiques en milieu universitaire.

p. XIII

Même si cette citation date de quelques années, elle nous apparaît encore d’actualité. Nous pensons que des dispositifs, novateurs, comme la Clinique-mobile peuvent permettre aux personnes stagiaires d’essayer d’autres approches, ce qui réduirait un peu cet écart. À cet effet, il serait intéressant, pour une prochaine étude, d’aborder la lunette des personnes stagiaires afin d’en dégager ce qu’elles retirent d’un dispositif comme la Clinique-mobile pour leur développement professionnel.