Corps de l’article

1. Introduction

Au plan national, le Conseil d’information et d’éducation sexuelles du Canada (CIESCAN, 2019) reconnaît depuis plusieurs années l’importance de rendre accessible une éducation à la sexualité complète, positive et inclusive à l’ensemble de la population. À l’enfance et à l’adolescence, l’école occupe un rôle central dans la mise en oeuvre de cette éducation à la sexualité (CIESCAN, 2019). Dans le cadre de ses Lignes directrices canadiennes pour l’éducation en matière de santé sexuelle, le CIESCAN (2019) encourage d’ailleurs les ministères de l’éducation des différentes provinces à mettre en place une éducation à la sexualité dans les écoles dès le début du primaire et jusqu’à la fin du secondaire. Depuis septembre 2018, le Québec est désormais en mesure de répondre à cette directive canadienne avec l’ajout des contenus obligatoires en matière d’éducation à la sexualité développés par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES, 2017). L’ensemble des écoles québécoises primaires et secondaires doit dorénavant inclure ces contenus dans leur cursus scolaire, lesquels regroupent neuf thématiques dont l’une est la violence sexuelle (MEES, 2018).

La violence sexuelle représente un enjeu important de santé publique et un problème social largement répandu (Organisation des Nations unies, 2016). Selon les Centers for Disease Control and Prevention, le terme de la «violence sexuelle» recouvre un continuum de manifestations de comportements sexuels non consensuels; cette définition inclusive intègre ainsi plusieurs formes de violence sexuelle telles que le harcèlement sexuel, l’exhibitionnisme, la coercition sexuelle, l’exploitation sexuelle, les attouchements sexuels non désirés et l’agression sexuelle (Basile, Smith, Breiding, Black et Mahendra, 2014). Or, les recherches menées à ce jour documentent presque exclusivement la prévalence de l’agression sexuelle telle qu’entendu au sens légal; seulement quelques études ont documenté la prévalence du harcèlement sexuel. À l’échelle mondiale, les résultats d’une méta-analyse indiquent ainsi que 18,0 % des femmes et 7,6 % des hommes ont vécu une agression sexuelle durant l’enfance ou l’adolescence (Stoltenborgh, van IJzendoorn, Euser et Bakermans-Kranenburg, 2011). Une prévalence comparable est observée au Québec, puisqu’une étude menée auprès d’un échantillon représentatif de la population révèle que 22,1 % des femmes et 9,7 % des hommes ont été victimes d’agression sexuelle avant l’âge de 18 ans (Hébert, Tourigny, Cyr, McDuff et Joly, 2009). Les données issues d’une étude réalisée auprès d’un échantillon représentatif de jeunes du deuxième cycle du secondaire, âgés en moyenne de 15 ans, estime que 15 % des filles et 4 % des garçons rapportent avoir vécu une agression sexuelle (Hébert, Daspe, Blais, Lavoie et Guerrier, 2017). Qui plus est, 60,3 % des filles et 35,6 % des garçons rapportent avoir subi du harcèlement sexuel par les pairs depuis le début de leur cheminement à l’école secondaire (Boivin, Lavoie, Hébert et Gagné, 2014). La violence sexuelle subie durant l’enfance ou l’adolescence peut engendrer une multitude de répercussions possibles chez les personnes victimes, ces répercussions pouvant même perdurer jusqu’à l’âge adulte (Young et Widom, 2014). Notamment, des études rapportent que les jeunes d’âge mineur ayant subi de la violence sexuelle sont plus à risque de manifester des symptômes de stress post‑traumatique (Fergusson, McLeod et Horwood, 2013; Hébert, Amédée, Blais et Gauthier-Duchesne, 2019; Hébert, Daspe, Blais, Lavoie et Guerrier, 2017), de même que des idéations suicidaires et des tentatives de suicide à l’adolescence ou à l’âge adulte (Hébert, Amédée, Blais et Gauthier-Duchesne, 2019; Miller, Esposito-Smythers, Weismoore et Renshaw, 2013; Pérez-Fuentes, Olfson, Villegas, Morcillo, Wang et Blanco, 2013). De plus, les personnes ayant vécu une agression sexuelle avant l’âge de 18 ans sont plus à risque de vivre à nouveau de la violence au cours de leur vie (Collin-Vézina, Daigneault et Hébert, 2013; Hébert, Cénat, Blais, Lavoie et Guerrier, 2016). Étant donné l’ampleur de la violence sexuelle commise envers les jeunes et les répercussions associées, des interventions préventives s’avèrent primordiales.

Parmi les pratiques préventives développées au cours des dernières années, une vaste majorité s’adresse aux jeunes en milieu scolaire et vise à augmenter leur niveau de connaissances liées à la violence sexuelle ainsi qu’à développer leurs habiletés préventives (Del Campo et Fávero, 2020; Fryda et Hulme, 2015; Walsh, Zwi, Woolfenden et Shlonsky, 2018). Il est pourtant largement reconnu que l’approche écologique est une avenue à préconiser pour la prévention de la violence, puisqu’elle offre un cadre global qui tient compte de l’environnement dans lequel évoluent les jeunes (Kenny et Wurtele, 2012; Nation, Crusto, Wandersman, Kumpfer, Seybolt, Morrissey-Kane et Davino, 2003; Organisation mondiale de la santé et International Society for Prevention of Child Abuse and Neglect, 2006; Wurtele, 2009). Par conséquent, les programmes préventifs devraient non seulement viser les jeunes, mais également les familles et les milieux scolaires. En tant que milieu de vie important des adolescentes et des adolescents, l’école représente en effet un lieu privilégié pour prévenir la violence sexuelle (Greco, Guilera et Pereda, 2017). Dans le cadre de son approche «École en santé», le gouvernement québécois reconnaît d’ailleurs que l’implication de l’équipe-école, soit l’ensemble du personnel scolaire, est une condition essentielle afin de promouvoir la santé et le bien-être des jeunes (Martin et Arcand, 2005). En les côtoyant de manière quotidienne, les membres du personnel scolaire ont l’occasion d’avoir un lien significatif avec les jeunes et jouent un rôle essentiel en ce qui concerne la promotion de comportements égalitaires, la prévention et le dépistage de la violence sexuelle (Edwards, Sessarego, Mitchell, Chang, Waterman et Banyard, 2020; McMahon, Steiner, Snyder et Banyard, 2019). Ainsi, plusieurs études précisent la nécessité que le personnel enseignant et non enseignant soit en mesure de percevoir les indices possibles d’une situation de violence sexuelle, de recevoir de manière appropriée les dévoilements des jeunes victimes, puis de les référer à des ressources d’aide et de soutien dans l’école ou la communauté (Bergeron et Hébert, 2011; Kenny, Capri, Thakkar-Kolar, Ryan et Runyon, 2008; Wurtele, 2009).

La Stratégie gouvernementale pour prévenir et contrer les violences sexuelles 2016‑2021 (Secrétariat à la condition féminine, 2016) et les Lignes directrices canadiennes pour l’éducation en matière de santé sexuelle (CIESCAN, 2019) soulignent toutes deux le besoin d’informer et d’outiller adéquatement l’ensemble des personnes concernées par l’éducation à la sexualité et la prévention de la violence sexuelle. Or, les informations disponibles suggèrent une insuffisance des formations destinées au personnel scolaire à l’égard de cette problématique. Ainsi, bien que leur importance dans la prévention de la violence sexuelle soit largement reconnue, ces professionnelles et professionnels se sentent toutefois peu outillé·e·s pour y faire face. Dans la foulée de la nouvelle obligation en matière d’éducation à la sexualité en milieu scolaire, la Fédération des syndicats de l’enseignement (2018) avait d’ailleurs décrié publiquement le manque de formation du personnel enseignant dans ce domaine et le besoin d’être mieux outillé afin de dispenser adéquatement les contenus prescrits par le MEES. Selon les résultats d’une étude canadienne menée auprès de 294 membres du personnel enseignant, seulement 36 % avaient reçu une formation quelconque pour enseigner auprès des jeunes divers contenus en éducation à la sexualité, lesquels incluaient la violence sexuelle (Cohen, Byers et Sears, 2012). Au plan québécois, une étude indique que 76,2 % des membres du personnel scolaire ont déjà reçu les confidences d’une victime adolescente alors que seulement 28,6 % avaient auparavant participé à une formation sur la violence sexuelle dans le cadre de leur travail (Bergeron, Hébert et Gaudreau, 2017). Le bilan de la première année d’expérimentation du projet pilote en éducation à la sexualité du MEES démontre d’ailleurs que la violence sexuelle demeure l’une des thématiques avec laquelle le personnel scolaire est le moins à l’aise (Jetté, 2017). En définitive, la pertinence de rendre disponible au personnel scolaire une formation dans ce domaine est indéniable.

1.1 Évaluation de programmes de formation s’adressant au personnel scolaire

Alors qu’une évaluation rigoureuse permet de vérifier l’atteinte des objectifs d’un programme et de porter un jugement sur la valeur de celui‑ci (Brousselle, Champagne, Contandriopoulos et Hartz, 2011), une insuffisance d’études évaluatives dans le domaine de la violence sexuelle est observée (Hébert, Daigneault, Langevin et Jud, 2017; National Sexual Violence Resource Center, 2011). Ainsi, peu de programmes de formation portant sur cette problématique s’avèrent disponibles pour le personnel scolaire et très peu ont été évalués formellement (Rheingold, Zajac et Patton, 2012). Seulement quatre programmes de formation ayant fait l’objet d’une évaluation des effets ont été repérés dans la littérature, dont trois proviennent des États‑Unis. Parmi ces formations évaluées, deux ciblent spécifiquement la prévention de la violence sexuelle et s’adressent aux professionnelles et professionnels oeuvrant auprès des jeunes (cf. Rheingold, Zajac, Chapman, Patton, de Arellano, Saunders et Kilpatrick, 2015), ou encore au corps enseignant du primaire et du premier cycle du secondaire (cf. Randolph et Gold, 1994). Une autre aborde quant à elle la violence dans les relations amoureuses et la violence sexuelle auprès du corps enseignant du deuxième cycle du secondaire (cf. Edwards et al., 2020). Enfin, la dernière étude évaluative repérée a été menée au Québec; celle‑ci visait à vérifier les effets d’une formation dans le domaine de la violence sexuelle et destinée au personnel en milieu scolaire secondaire. La formation évaluée dans le cadre de cette recherche était celle d’un Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS). D’une durée de 13 heures, elle avait pour but de permettre au personnel scolaire d’acquérir une compréhension globale de la problématique de la violence sexuelle afin qu’il puisse intervenir auprès de l’ensemble des élèves (Bergeron, 2012). Les résultats démontrent des gains significatifs au niveau des connaissances liées à la violence sexuelle, des attitudes exemptes de préjugés et du sentiment d’autoefficacité un mois après la formation (Bergeron, 2012). Parmi ces évaluations de programme, une majorité a mesuré les connaissances et les attitudes vis-à-vis de la violence sexuelle, alors que le sentiment d’autoefficacité a plus rarement été pris en considération. Bien que les changements relatifs aux connaissances et aux attitudes à la suite de la participation à un programme préventif représentent des indices prometteurs de changements au niveau comportemental (Jones, 2014), le sentiment d’autoefficacité joue également un rôle essentiel dans l’adoption d’un comportement (Bartholomew, Markham, Ruiter, Fernàndez, Kok et Parcel, 2016).

Considérant la nouvelle obligation en matière d’éducation à la sexualité dans les écoles secondaires québécoises, le rôle important de l’équipe-école pour la prévention de la violence sexuelle auprès des jeunes et l’insuffisance des formations disponibles pour le personnel scolaire, un programme de prévention a récemment été développé, lequel s’intitule Empreinte – Agir ensemble contre les agressions à caractère sexuel. Le présent article vise à présenter les résultats de l’évaluation des effets de la formation adaptée spécifiquement pour le personnel scolaire dans le cadre de ce nouveau programme québécois, répondant ainsi à la nécessité de documenter les effets réels des programmes de prévention.

1.2 Description du programme Empreinte

Le programme Empreinte – Agir ensemble contre les agressions à caractère sexuel (Bergeron, Fradette-Drouin, Hébert, CALACS Agression Estrie, CALACS Châteauguay, CALACS Entraid’Action… Regroupement québécois des CALACS, 2017; Bergeron, Hébert, Fradette-Drouin, CALACS Agression Estrie, CALACS Châteauguay, CALACS Entraid’Action, … Regroupement québécois des CALACS, 2017) est le résultat d’un projet partenarial entre le milieu de la recherche et le milieu communautaire, où ont été impliquées deux chercheures de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), le Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, 26 CALACS ainsi que le Service aux collectivités de l’UQAM. Il a été développé en concordance avec les contenus obligatoires en éducation à la sexualité du MEES, spécifiquement avec le thème de la violence sexuelle (MEES, 2018). Les approches écosystémique et féministe ont été préconisées au sein de ce programme. Ainsi, la violence sexuelle y est comprise comme un rapport de pouvoir exercé principalement par les hommes sur les femmes et les enfants; il s’agit d’un problème d’ordre social. Destiné aux jeunes de niveau secondaire, aux membres du personnel scolaire et aux parents, le but du programme Empreinte est ainsi de réduire la tolérance sociale à l’égard de la violence sexuelle dans les milieux scolaire et familial. Pour ce faire, trois volets complémentaires composent le programme: six ateliers en classe pour les jeunes animés par les CALACS, une formation pour le personnel scolaire et six capsules vidéo pour les parents disponibles sur le Web (www.programmeempreinte.com).

La formation du programme Empreinte s’adresse aux membres du personnel scolaire, enseignant et non enseignant, des écoles secondaires. Elle se déroule en une journée, ce qui totalise six heures de formation, et est offerte par les intervenantes des CALACS. Au préalable, ces dernières ont participé à un atelier s’échelonnant sur deux jours, dont le but était l’appropriation du contenu, du déroulement et des activités pédagogiques prévues dans l’ensemble du programme Empreinte. Cette formation vise l’acquisition d’une compréhension globale de la violence sexuelle afin que l’équipe-école contribue à prévenir cette problématique et à intervenir adéquatement auprès de l’ensemble des élèves. Trois blocs thématiques composent la formation. Le premier vise à présenter le programme, c’est‑à‑dire son émergence, son processus de co-construction et sa structure. Le second bloc constitue l’une des parties centrales de la formation puisqu’il vise à définir la violence sexuelle, à traiter de l’ampleur de la problématique ainsi que des mythes et préjugés qui y sont associés en plus d’aborder la notion de consentement sexuel et de son application dans différents contextes. De même, il porte sur le vécu d’une personne victime, les conséquences possibles de la violence sexuelle, les attitudes aidantes à adopter en tant que personne confidente auprès des élèves ainsi que le rôle actif que chaque personne peut jouer en tant que témoin d’une situation de violence sexuelle. Enfin, le troisième bloc de la formation vise à amener le personnel scolaire à réfléchir aux façons d’intervenir auprès des élèves face à des situations ou à des manifestations de violence sexuelle ainsi qu’à leur rôle actif dans la prévention de cette problématique dans l’école.

1.3 Objectifs de l’étude

Au cours de la première année d’implantation du programme Empreinte, les trois volets ont été soumis à une évaluation. Le présent article traite exclusivement de l’évaluation des effets de la formation de ce programme. Les objectifs ciblés sont: 1) dégager les effets à court terme produits par la formation sur les connaissances des participantes et participants, sur leurs attitudes et sur leur sentiment d’autoefficacité au regard de la violence sexuelle; 2) établir le degré d’appréciation des membres du personnel scolaire à l’égard de la formation; 3) vérifier la fidélité d’implantation de la formation.

2. Méthodologie

2.1 Procédures

Cette étude évaluative utilise un devis quasi expérimental de type pré‑post qui inclut un groupe de comparaison (Haccoun et McDuff, 2009) et une mesure de relance. Deux groupes indépendants de participantes et participants ont été constitués sans répartition aléatoire. D’abord, le groupe expérimental (GE) est formé du personnel scolaire ayant participé à une session de formation. La participation à l’évaluation n’était pas une exigence pour s’inscrire à la formation. Le groupe témoin (GT) se compose du personnel scolaire qui était susceptible de participer à une session de formation ultérieurement dans l’année scolaire ou qui ne participait pas à la formation. Les deux critères d’exclusion pour ce second groupe étaient les suivants: 1) avoir déjà participé à la formation du programme Empreinte depuis le début de l’année scolaire; 2) que le volet des ateliers en classe ait débuté auprès des jeunes dans l’école.

Pour constituer l’échantillon, l’étude a fait appel à des volontaires et a ainsi utilisé une méthode d’échantillonnage non probabiliste (Beaud, 2016). Le recrutement du personnel scolaire s’est effectué de septembre 2017 à mai 2018 auprès de 13 écoles secondaires réparties dans 9 régions administratives du Québec; le recrutement a été réalisé dans des écoles différentes pour le GE et le GT. Pour le GE, l’équipe de recherche a envoyé par courriel une invitation à participer à l’étude aux personnes inscrites à la formation (n = 56). Pour le GT, la lettre d’invitation a été acheminée par courriel à la direction de l’école, qui s’engageait à la diffuser auprès de l’ensemble du personnel scolaire. Selon les informations fournies par les écoles, l’invitation a été transmise à 753 membres du personnel scolaire, mais il demeure impossible d’estimer avec justesse le nombre de personnes ayant réellement été exposées à cette lettre d’invitation. Au total, 87 membres du personnel scolaire répartis entre le GE et le GT ont accepté de participer à l’étude et ont rempli minimalement le questionnaire prétest.

En ce qui concerne la collecte des données, le GE a répondu à un questionnaire à trois reprises, soit une semaine avant la tenue de la formation (prétest), à la fin de la formation (post-test) et deux mois après la formation (relance). Un délai de sept à dix jours entre le prétest et le post-test est observé. De son côté, le GT a rempli deux questionnaires, soit le prétest et le post-test, avec un délai moyen de 15 jours entre les deux temps de mesure. Le projet de recherche avait obtenu l’approbation éthique du comité institutionnel d’éthique et de la recherche des êtres humains de l’institution d’appartenance de la chercheure principale.

2.2 Participantes et participants

L’échantillon final est constitué de 79 membres du personnel scolaire répartis entre le GE et le GT (respectivement 34 et 45). L’âge moyen du personnel scolaire se situe à 42,47 ans (ÉT = 9,14). Les personnes s’identifiant au genre féminin (70,9 %) sont plus nombreuses que les personnes s’identifiant au genre masculin (24,0 %). En ce qui concerne la fonction actuelle du personnel scolaire, près de la moitié de l’échantillon (46,8 %) est composé d’enseignantes et d’enseignants. Autrement, 20,3 % occupent une fonction en intervention psychosociale et 7,6 % occupent une fonction de direction d’école. En moyenne, les participantes et participants ont 14,13 années d’expérience professionnelle (ÉT=8,92) dans cette fonction.

2.3 Mesures

La collecte des données s’est effectuée par le biais d’un questionnaire en ligne, et exceptionnellement par une version papier pour le questionnaire rempli à la fin de la formation par le GE. Tous les items du questionnaire proviennent de la recherche évaluative de Bergeron (2012); les instruments mesurant les connaissances, les attitudes et le sentiment d’autoefficacité ont été créés par l’autrice. L’élaboration de ceux‑ci s’est réalisée en conformité avec les étapes proposées par DeVellis (1991), où la validité de contenu a notamment été vérifiée par un comité d’expertes. Le questionnaire de la présente étude comporte cinq sections et est disponible pour consultation dans le rapport d’évaluation global du programme Empreinte (Bergeron, Hébert, Brodeur, Bouchard, Jodoin, Julien et Regroupement québécois des CALACS, 2018).

«Profil sociodémographique» – Lors du prétest, une série de questions a permis de recueillir les informations descriptives suivantes: l’âge, le genre, le diplôme obtenu, la fonction professionnelle actuelle, le nombre d’années d’expérience professionnelle, la formation reçue concernant la violence sexuelle dans le cadre du travail, les confidences reçues d’une jeune victime d’agression sexuelle et les signalements faits à la Direction de la protection de la jeunesse en cas de soupçons d’agression sexuelle dans le cadre du travail.

«Connaissances liées à la violence sexuelle» – Cette section compte 26 questions portant sur la violence sexuelle, notamment en lien avec la définition et la prévalence de cette problématique, la loi entourant le consentement sexuel, les conséquences possibles ainsi que les réactions à privilégier. Dix questions comportent des réponses à choix multiples et 16 autres incluent un choix de réponses dichotomiques. Parmi ces dernières, une vignette présente une jeune victime dévoilant une situation de violence sexuelle; le personnel scolaire doit répondre par «Oui» ou «Non» aux six items s’y rapportant afin indiquer si ceux‑ci correspondent à des réactions adéquates. Afin de réduire le biais d’accoutumance, deux versions différentes mais équivalentes ont été utilisées pour le prétest et le post-test (cf. Bergeron, 2012). Enfin, les réponses ont été recodées de manière dichotomique (valeur de 0 pour une mauvaise réponse et de 1 pour une bonne réponse), générant ainsi un score global pouvant se situer entre 0 et 26; un score élevé signifie un niveau élevé de connaissances. En raison de la nature dichotomique des items recodés, il était inopportun d’effectuer une analyse de l’alpha de Cronbach pour ce construit.

«Attitudes vis-à-vis de la violence sexuelle» (α = ,55) – Cette section mesure les attitudes adéquates, c’est‑à‑dire exemptes de préjugés, du personnel scolaire à l’égard de la violence sexuelle. Elle contient 20 items dont les réponses se situent sur une échelle allant de «Fortement en désaccord» (1) à «Fortement en accord» (5). Voici deux exemples d’items: «Les jeunes qui subissent une agression sexuelle l’ont cherchée» (item inversé) et «Il est compréhensible que les victimes hésitent à dévoiler l’agression sexuelle». Un score total variant entre 20 et 100 est possible, où un score plus élevé traduit des attitudes plus adéquates.

«Sentiment d’autoefficacité vis‑à‑vis de la violence sexuelle» (α = ,92) – Cette section compte 18 items dont les réponses varient sur une échelle allant de «Je me sens incapable de pouvoir le faire» (1) à «Je suis certain ou certaine de pouvoir le faire» (10). Le personnel scolaire doit indiquer à quel point elle ou il se sent capable d’accomplir ce qui est décrit, tel que de «Discuter des préjugés à propos des agressions sexuelles avec les jeunes» et de «Réagir sans porter de jugement face à un ou une jeune victime d’agression sexuelle». Le score global peut se situer entre 18 et 180; un score élevé réfère à un plus grand sentiment d’autoefficacité.

«Réactions d’appréciation» (α = ,93) – Cette section a été complétée uniquement par le GE au post-test. Les réactions d’appréciation ciblent quatre sous-dimensions, soit le contenu de la formation, les méthodes pédagogiques utilisées, l’utilité de la formation et les formatrices. Les personnes indiquent à quel point elles sont en accord avec chacun des 13 items, à l’aide d’une échelle allant de «Pas du tout» (1) à «Complètement» (5). Le score total peut s’étendre entre 13 et 65; un score élevé indique une plus grande appréciation envers la formation.

2.4 Fidélité d’implantation

La fidélité d’implantation fait référence au degré avec lequel un programme a été mis en action comme prévu (Dusenbury, Brannigan, Falco et Hansen, 2003). Pour la présente étude, le dosage et l’adhérence sont les deux dimensions examinées. Le dosage correspond à la durée réelle des sessions de formation alors que l’adhérence fait référence au respect des thèmes et des activités prévues dans la formation (Dusenbury et al., 2003). Ainsi, la fidélité d’implantation a été vérifiée à l’aide d’une grille d’uniformité remplie par les formatrices lors de chaque session de formation. Une première section était remplie durant la formation de manière à indiquer le temps réel consacré à chaque activité. Une deuxième section était remplie à la fin de la formation et comportait la liste des 13 thèmes principaux; pour chaque thème, les formatrices indiquaient à quel point le contenu présenté correspondait au contenu prévu dans le guide de la formation en se rapportant à une échelle allant de «Pas du tout» (1) à «Complètement» (5).

2.5 Analyses

Parmi les 87 membres du personnel scolaire ayant accepté de participer à l’étude, 8 personnes ont été retirées de l’échantillon et n’ont pas été considérées dans les analyses subséquentes pour les raisons suivantes: 6 personnes ont rempli partiellement le questionnaire prétest et deux personnes détenaient des patrons de réponses problématiques (valeurs aberrantes). Des tests du Chi-carré et des Tests-t pour échantillons indépendants ont ensuite été menés afin de comparer les participantes et participants des deux groupes (GE vs GT), et ce, pour l’ensemble des variables au prétest. Aucune différence significative n’a été observée, suggérant ainsi une équivalence des deux groupes à ce temps de mesure. Enfin, un ratio minimal de réponses de quatre items sur cinq devait être atteint pour les différentes échelles afin que le score moyen soit utilisé dans les analyses suivantes. Des analyses de variance (ANOVAs) mixtes ont été effectuées afin d’examiner les effets produits par la formation au niveau des connaissances, des attitudes et du sentiment d’autoefficacité. Pour ces analyses, l’êta carré partiel (η2 p) a été utilisé afin de mesurer la taille d’effet des résultats obtenus. Selon les indications de Cohen (1988), un indice de 0,01 désigne un effet faible (η2 p = 0,01), un résultat de 0,06 équivaut à un effet moyen (η2 p = 0,06) alors qu’une grande taille d’effet est décelée par un êta carré partiel de 0,14. Afin de vérifier si les effets observés chez le personnel scolaire se maintenaient dans le temps, des Tests‑t pour échantillons appariés ont ensuite été réalisés. Des analyses descriptives ont été menées dans le but d’établir le degré d’appréciation du personnel scolaire envers la formation évaluée.

3. Résultats

3.1 Effets de la participation à la formation

Les résultats des ANOVAs mixtes 2 (GE vs GT) x 2 (prétest vs post-test) sont présentés au tableau 1. D’abord, l’analyse révèle une interaction significative entre le groupe et le temps en ce qui concerne les connaissances sur la violence sexuelle (F(1, 68) = 10,42; p = ,002; η2 p = 0,13). Précisément, les résultats des tests simples indiquent une différence entre les deux groupes au post-test (p = ,003) de même qu’un effet lié aux temps pour le GE (p = ,000). Ainsi, les connaissances du personnel scolaire ayant bénéficié de la formation augmentent de manière significative entre le prétest (M = 21,88; ÉT = 1,98) et le post-test (M = 23,56; ÉT = 1,74) tandis que les connaissances du personnel scolaire n’ayant pas participé à la formation demeurent plutôt stables dans le temps. Pour cette variable, l’indice êta carré partiel obtenu (η2 p = 0,13) suggère que l’effet est de taille moyenne (Cohen, 1988).

Tableau 1

Effets de la participation à la formation selon le groupe (GE vs GT) et le temps (prétest vs post-test)

Effets de la participation à la formation selon le groupe (GE vs GT) et le temps (prétest vs post-test)

*p ≤ ,05; **p ≤ ,01; ***p ≤ ,001

a Pour l’échelle de l’autoefficacité, le nombre de participant·e·s est de 30 pour le GE et de 35 pour le GT.

Note: Le score entre parenthèses correspond à l’étendue des scores possibles.

-> Voir la liste des tableaux

La participation à la formation du programme Empreinte est également associée à une augmentation des attitudes adéquates vis‑à‑vis de la violence sexuelle, puisqu’une interaction significative entre le groupe et le temps est décelée (F(1, 68) = 38,11; = ,000; η2 p = 0,36). Les tests simples révèlent une différence entre le score au prétest et celui au post-test chez le GE (p = ,000), passant de 86,20 (ÉT = 5,55) à 93,39 (ÉT = 4,70). Une différence entre les groupes est aussi observée au post-test (p = ,000), où le GE obtient un score moyen plus élevé que le GT (M = 87,74; ÉT = 6,77). Selon les indications de Cohen (1988), une grande taille d’effet est observable en ce qui concerne les attitudes (η2 p = 0,36).

Au regard du sentiment d’autoefficacité vis‑à‑vis de la violence sexuelle, le fait de participer à la formation est aussi associé à des gains importants quant à cette variable, car une interaction significative entre le groupe et le temps est observée (F(1, 63) = 33,23; p = ,000; η2 p = 0,35). Les résultats des tests simples suggèrent un effet lié aux groupes pour le post-test (p = ,001) et une différence entre les deux temps de mesure pour le GE (= ,000). En ce sens, le score moyen des participantes et participants du GE s’accroît significativement entre le prétest (M = 127,83; ÉT = 27,57) et le post-test (M = 152,06; ÉT = 16,19), alors qu’aucun changement significatif n’est décelé chez le second groupe n’ayant pas participé à la formation. La taille d’effet obtenue pour cette dernière variable (η2 p = 0,35) indique un effet de grande amplitude (Cohen, 1988).

3.2 Maintien des effets de la participation à la formation

Afin de vérifier le maintien des acquis dans le temps, les analyses ont été effectuées auprès des 26 membres du personnel scolaire ayant participé à la relance deux mois après la formation. Tels que présentés au tableau 2, les résultats ne révèlent aucune différence significative entre le post-test et la relance quant aux connaissances (t(25) = 1,10; p = ,280), aux attitudes (t(25) = 1,46; p = ,156) et au sentiment d’autoefficacité (t(25) = 1,12; p = ,275). Ces données suggèrent que les effets relatifs à la participation à la formation se sont donc maintenus deux mois après la formation.

Tableau 2

Maintien des effets de la participation à la formation après deux mois pour le GE (n = 26)

Maintien des effets de la participation à la formation après deux mois pour le GE (n = 26)

Note : Le score entre parenthèses correspond à l’étendue des scores possibles.

-> Voir la liste des tableaux

3.3 Appréciation du personnel scolaire envers la formation

Le score moyen d’appréciation est de 4,60 (ÉT = 0,38) sur une échelle maximale de 5, ce qui indique une appréciation très positive de la part des participantes et participants envers la formation du programme Empreinte. Les résultats démontrent que le personnel scolaire a grandement apprécié la manière dont les formatrices ont présenté la formation (M = 4,82; ÉT = 0,31) ainsi que les méthodes pédagogiques utilisées et le matériel remis dans le cadre de cette dernière (M = 4,60; ÉT = 0,45). En additionnant la fréquence des réponses «Beaucoup» et «Complètement», on constate que 94,1 % du personnel scolaire ont jugé la formation satisfaisante et 94,1 % la recommanderaient à d’autres membres du corps enseignant et en intervention psychosociale.

3.4 Fidélité d’implantation de la formation

Au total, six sessions de formation du programme Empreinte ont eu lieu, chacune ayant été dispensée par un CALACS différent. Toutes les formatrices avaient reçu la documentation nécessaire pour prodiguer la formation et avaient assisté à l’atelier d’appropriation du programme, sauf une personne; cette dernière a néanmoins co-animé la session de formation avec une intervenante ayant suivi cet atelier d’appropriation. Alors que la durée prévue de la formation est de six heures (360 minutes), la durée réelle moyenne a été de près de cinq heures (295 minutes), ce qui correspond à un dosage de 81,9 %. En prenant en considération exclusivement les blocs centraux de la formation (blocs 2 et 3; le bloc 1 vise la présentation du programme), le dosage augmente à 89,2 %. Selon une classification récemment utilisée dans une étude évaluant la fidélité d’un programme (cf. Leclair, Paquette et Letarte, 2017), ces pourcentages indiquent un niveau élevé de fidélité (≤ 60 % est peu fidèle; entre 61 % et 74 % est moyennement fidèle; ≥ 75 % est très fidèle) (Berman et McLaughlin, 1976, cités dans Dusenbury, et al., 2003). L’écart observé s’explique principalement par la durée réduite pour l’introduction et la présentation détaillée du programme Empreinte (bloc 1); ces sections ne sont pas directement liées aux objectifs d’apprentissage. Quelques minutes ont aussi été retranchées de manière transversale dans les différentes activités. En ce qui a trait à l’adhérence, la moyenne globale du degré de correspondance entre le contenu prévu dans le programme de formation et le contenu transmis se situe à 3,91 (ÉT = 1,04) sur une échelle maximale de 5. Selon les informations fournies par les formatrices, le manque de temps et la nécessité d’adapter la formation aux besoins du groupe sont deux éléments qui ont influencé le niveau d’adhérence. Somme toute, les résultats suggèrent que la fidélité d’implantation au regard de l’adhérence aux activités et aux thèmes est très satisfaisante.

4. Discussion

Cette étude visait à évaluer les effets de la formation du programme Empreinte – Agir ensemble contre les agressions à caractère sexuel destinée au personnel, enseignant et non enseignant, d’écoles secondaires. Cette formation a pour but de permettre l’acquisition d’une compréhension globale de la violence sexuelle afin que l’équipe-école contribue à prévenir cette problématique et à intervenir adéquatement auprès de l’ensemble des élèves. Les résultats obtenus démontrent que la participation à la formation a permis aux membres du personnel scolaire d’accroître leurs connaissances liées à la violence sexuelle, leurs attitudes exemptes de préjugés ainsi que leur sentiment d’autoefficacité. Les gains obtenus à la suite de la participation se sont d’ailleurs maintenus deux mois après la formation. Enfin, les réactions d’appréciation envers la formation ont été très positives et la majorité du personnel scolaire la recommanderait à d’autres membres du personnel enseignant et en intervention psychosociale.

Les résultats de l’évaluation confirment que les membres du personnel scolaire ayant participé à la formation du programme Empreinte ont acquis de nouvelles connaissances liées à la violence sexuelle. Ces nouvelles connaissances concernent notamment l’ampleur et la définition de la violence sexuelle, les mythes et préjugés qui y sont associés, le consentement sexuel, les ressources disponibles, le vécu d’une victime et les conséquences possibles de la violence sexuelle. Tel que précisé par Rheingold et al. (2015), l’amélioration des connaissances liées à la violence sexuelle constitue une première étape importante permettant de sensibiliser les professionnelles et professionnels oeuvrant auprès des jeunes quant à cette problématique.

Qui plus est, les membres du personnel scolaire ayant bénéficié de la formation du programme Empreinte ont également amélioré de manière significative leurs attitudes vis‑à‑vis de la violence sexuelle. En ayant pu développer des attitudes adéquates à l’égard de cette problématique, le personnel scolaire est donc plus susceptible de déployer des attitudes aidantes face à une situation de dévoilement, telles que de croire une personne qui affirme avoir été victime d’une violence sexuelle, ne pas minimiser l’événement et lui dire qu’elle n’est pas responsable de l’agression. Ces attitudes positives contribuent à répondre à la recommandation émise par plusieurs, laquelle souligne que les professionnelles et professionnels oeuvrant auprès des jeunes doivent être en mesure de recevoir de manière appropriée le dévoilement d’une jeune victime (Bergeron et Hébert, 2011; Kenny, Capri, Thakkar-Kolar, Ryan et Runyon, 2008; Wurtele, 2009).

Selon la théorie sociocognitive, un individu qui croit détenir les aptitudes et les habiletés nécessaires pour accomplir un comportement aura fait une évaluation positive de son autoefficacité et sera plus motivé à s’engager dans celui‑ci (Bandura, 2007). Ainsi, l’augmentation significative du sentiment d’autoefficacité chez le personnel scolaire ayant participé à la formation (GE) suggère que la formation du programme Empreinte permet au personnel scolaire de se sentir davantage capable d’accomplir des comportements liés à la prévention et à l’intervention dans le domaine de la violence sexuelle auprès des jeunes. En se sentant davantage capables d’accomplir ces comportements, les membres du personnel scolaire pourraient être plus enclins à discuter de la violence sexuelle avec les jeunes, à prévenir cette problématique, à reconnaître une situation de violence sexuelle, à intervenir comme témoin et à offrir un soutien aux victimes. L’étude de Blume, Ford, Baldwin et Huang (2010) souligne d’ailleurs que lorsqu’une formation permet l’augmentation des connaissances et du sentiment d’autoefficacité, les participantes et participants ont alors plus tendance à transférer leurs apprentissages dans le cadre de leur travail. Ainsi, cet effet positif sur le sentiment d’autoefficacité contribue à l’atteinte de ces recommandations, c’est‑à‑dire que le personnel scolaire soit capable de percevoir les indices possibles d’une situation de violence sexuelle et qu’il soit en mesure de référer les jeunes à des ressources d’aide et de soutien (Bergeron et Hébert, 2011; Kenny, Capri, Thakkar-Kolar, Ryan et Runyon, 2008; Wurtele, 2009).

Qui plus est, les résultats de l’étude indiquent que le personnel scolaire est directement confronté à la violence sexuelle vécue par les jeunes, mais que très peu ont pourtant bénéficié d’une formation spécifique dans ce domaine. En effet, plus de quatre personnes sur cinq (86,1 %) n’avaient jamais participé à une session de perfectionnement sur cette problématique alors que 35,4 % avaient déjà reçu les confidences d’une jeune victime d’agression sexuelle et que 17,7 % avaient déjà fait, dans le cadre de leur travail, un signalement à la Direction de la protection de la jeunesse à la suite de soupçons d’agression sexuelle. Or, des données comparatives s’observent à travers la littérature. Les résultats de deux études canadiennes suggèrent en effet un manque de formation des professionnelles et professionnels oeuvrant auprès des jeunes; la première mentionne que 36 % du personnel enseignant interrogé avaient reçu une formation en matière d’éducation à la sexualité (Cohen, Byers et Sears, 2012) et la seconde signale que 28,6 % du personnel scolaire questionné avaient participé à une formation portant précisément sur la violence sexuelle (Bergeron, Hébert et Gaudreau, 2017). Il importe aussi de rappeler qu’au Québec la Fédération des syndicats de l’enseignement (2018) a décrié le manque de formation du personnel enseignant quant à cette problématique tout en appelant à être mieux outillé afin que les contenus enseignés en éducation à la sexualité prescrits par le MEES le soient adéquatement. Le bilan de la première année d’expérimentation du projet pilote ministériel souligne d’ailleurs que la violence sexuelle demeure l’une des thématiques avec laquelle le personnel scolaire est le moins à l’aise (Jetté, 2017). Face à ces constats, il semble incontournable d’offrir un programme de formation tel qu’Empreinte afin d’outiller l’équipe-école à prévenir la violence sexuelle et à intervenir auprès des jeunes.

Différentes conditions d’efficacité pour les programmes de prévention ont été recensées dans la littérature scientifique et parmi celles‑ci figurent le dosage ou l’exposition suffisante au programme (Nation et al., 2003). Dans le cadre de la présente démarche évaluative, les résultats liés à la fidélité d’implantation indiquent un dosage très satisfaisant, particulièrement pour les blocs centraux de la formation associés aux objectifs d’apprentissage (dosage à 89,2 %). De même, les résultats suggèrent un niveau élevé d’adhérence aux activités et aux thèmes. Puisque l’implantation d’un programme est renforcée par la formation et l’encadrement adéquat des personnes qui le dispensent (Durlak et DuPre, 2008; Nation et al., 2003), il est possible de croire que l’atelier d’appropriation offert aux formatrices et les outils d’animation qui leur ont été remis ont contribué à l’atteinte d’une adhérence très satisfaisante. D’autre part, la littérature indique également que certaines adaptations sont inévitables et nécessaires lors de la mise en oeuvre d’un programme, notamment afin de mieux répondre aux besoins spécifiques du public cible (Durlak et DuPre, 2008; Joly, Tourigny et Thibaudeau, 2005). Ainsi, il est possible de conclure que les niveaux de dosage et d’adhérence obtenus ont été suffisants pour produire des gains à court terme au niveau des connaissances liées à la violence sexuelle, des attitudes et du sentiment d’autoefficacité. Dès lors, le format prévu de la formation du programme Empreinte s’avère une avenue prometteuse pour développer le savoir, le savoir-être et le savoir-faire du personnel scolaire en lien avec la violence sexuelle, et ce, même avec une session de formation quelque peu adaptée.

Ainsi, les résultats de la présente évaluation permettent de conclure que la formation du programme Empreinte – Agir ensemble contre les agressions à caractère sexuel est efficace pour améliorer les connaissances, les attitudes et le sentiment d’autoefficacité du personnel scolaire au regard de cette problématique. De même, elle a été fortement appréciée par la population cible. Il est donc recommandé de la rendre disponible à un grand nombre d’équipes-écoles à travers le Québec notamment, mais sans s’y limiter, aux membres des équipes qui seront plus directement concernés par la mise en oeuvre des contenus obligatoires en éducation à la sexualité. Qui plus est, cette nouvelle formation s’avère prometteuse puisqu’elle s’arrime avec diverses recommandations gouvernementales. D’une part, elle contribue à la création et au renforcement de liens entre l’école et la communauté, tel que le suggère l’approche québécoise «École en santé» (Martin et Arcand, 2005). Effectivement, ce programme de formation est conçu pour être offert par les CALACS, c’est‑à‑dire des organismes communautaires spécialisés dans le domaine de la violence sexuelle faite envers les femmes et les adolescentes. D’autre part, elle permet au personnel concerné dans le milieu de l’éducation d’être mieux outillé face à la problématique de la violence sexuelle, tel que conseillé par le Secrétariat à la condition féminine (2016) dans la Stratégie gouvernementale pour prévenir et contrer les violences sexuelles 2016‑2021.

4.1 Limites et recommandations

Malgré ces contributions importantes, la présente étude comporte certaines limites. La première réside dans la taille de l’échantillon. En effet, un échantillon de plus grande taille aurait permis de comparer les effets de la formation du programme Empreinte sous l’angle de certaines caractéristiques individuelles du personnel scolaire, telles que le genre et la fonction actuelle. Une autre limite concerne le recours à un échantillon de volontaires, en ce sens où il est possible que les personnes plus sensibilisées face à la problématique de la violence sexuelle aient été plus enclines à s’inscrire à la formation et/ou à participer à l’étude. Toutefois, la présente limite a été contrôlée par la vérification de l’équivalence entre les groupes et par le recours à un devis méthodologique prévoyant une comparaison entre les groupes à travers les temps de mesure. Enfin, la consistance interne de l’échelle des attitudes vis‑à‑vis de la violence sexuelle amène une dernière limite quant aux résultats issus de ces données au plan de la fidélité.

En ce qui a trait aux recommandations ciblant les futures études évaluatives, il serait pertinent de reconduire l’évaluation de la formation du programme Empreinte auprès d’un échantillon de plus grande taille afin d’effectuer des comparaisons quant à ses effets selon les caractéristiques individuelles des participantes et participants. De même, il serait souhaitable de documenter les effets à plus long terme produits par cette formation. Par ailleurs, les futures études évaluatives auraient avantage à opter pour une approche méthodologique mixte, puisque celle‑ci permet d’approfondir la compréhension des effets d’un programme et de corroborer les résultats obtenus (Pluye, Nadeau, Gagnon, Grad, Johnson‑Lafleur et Griffiths, 2009). Par exemple, dans le contexte de la présente évaluation, il aurait été intéressant d’inclure des entrevues individuelles auprès du personnel scolaire afin de documenter les changements observés sur leurs pratiques professionnelles et de dégager les effets inattendus produits par la formation. Une dernière recommandation concerne l’inclusion du transfert des apprentissages en tant que variable. En effet, cela permettrait de documenter dans quelle mesure les acquis relatifs à la participation à une formation sont réutilisés par le personnel scolaire dans le cadre de leur travail auprès des jeunes.

5. Conclusion

En lien avec les efforts de prévention de la violence sexuelle auprès des jeunes, la formation des membres du personnel dans les écoles secondaires québécoises est essentielle (CIESCAN, 2019; Secrétariat à la condition féminine, 2016). Pourtant, peu de formations abordant cette problématique sont disponibles pour le personnel scolaire et très peu ont fait l’objet d’une évaluation formelle. Les résultats de la présente étude indiquent ainsi que la vaste majorité du personnel scolaire n’avait jamais participé à une session de perfectionnement en lien avec la violence sexuelle alors qu’une proportion importante est directement confrontée à cette problématique dans le cadre du travail. En ce sens, le développement de formations portant sur la violence sexuelle et destinées spécifiquement aux membres de l’équipe-école est nécessaire. De même, il est primordial d’évaluer ces nouveaux programmes de formation afin de vérifier s’ils permettent réellement l’atteinte de leurs objectifs et s’ils sont efficaces pour produire les effets escomptés (Brousselle, Champagne, Contandriopoulos et Hartz, 2011). Dans ce contexte, l’étude évaluative actuelle suggère que la formation du programme Empreinte est une avenue prometteuse pour outiller le personnel scolaire au regard de la problématique de la violence sexuelle.