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Cette Nouvelle est dédiée à notre collègue et ami, le Dr Jean-Paul Thiéry, ancien professeur à l'Université Paris VI et microscopiste électronicien de renom.
On compte environ 2 500 cas par an aux États-Unis d’insuffisance hépatique aiguë (hépatite fulminante) et 150 cas en France. Elles correspondent à une atteinte aiguë de la fonction hépatocellulaire, due à une nécrose massive des cellules hépatiques d’étiologie diverse : toxique (aflatoxine B[1], phalloïdine[2], méthotrexate, paracétamol) ou virale. L’hépatite fulminante se traduit par l’effondrement des principales fonctions physiologiques du foie induisant une encéphalopathie avec oedème cérébral mortel en quelques heures. Sans traitement, 80 % des patients décèdent de cette atteinte neurologique irréversible. La transplantation hépatique en urgence reste la meilleure thérapeutique, mais la rareté des greffons hépatiques compatibles immédiatement disponibles sur place explique que la mortalité des patients en attente de greffe de foie se situe entre 10 % et 15 %.
Durant la période d’attente entre le diagnostic et la réalisation de la greffe de foie, on dispose de traitements palliatifs visant principalement à détoxifier le plasma du patient (hémodiafiltration) et à diminuer l’oedème cérébral et le métabolisme général (hypothermie). Ces traitements sont généralement peu efficaces et ne font que retarder l’échéance fatale. On a donc mis au point des appareils dénommés communément foie bioartificiel (BAL) [1] destinés essentiellement à remédier de manière temporaire à la déficience du foie et à empêcher une dégradation de l’état général du patient pendant cette période d’attente de greffe.
Ces appareils fonctionnent selon le principe de l’hémodialyse : ils comportent une colonne de charbon végétal activé et une colonne de résine échangeuse d’ions (ayant pour fonction d’adsorber les molécules toxiques), et surtout un bioréacteur hépatique (BRH). Le BRH est en fait une culture en masse d’hépatocytes séparée du plasma du patient par une membrane semi-perméable (Figure 1). Les premiers appareils étaient formés d’une « cartouche » cylindrique contenant quelques centaines de microtubes (d'une longueur de 35 cm et d'un diamètre de 760 μm) dans lesquels circule le plasma du patient [2, 3]. La paroi de ces microtubes est une membrane semi-perméable en acétate/nitrate de cellulose permettant les échanges entre le plasma et les cellules hépatiques dans l’espace entre les microtubes. Ces cellules adhèrent à la surface de microbilles de Cytodex 3, ce qui favorise leurs propriétés fonctionnelles.
Dans les hépatites fulminantes, les fonctions physiologiques du foie natif étant pratiquement inexistantes, le BRH doit contenir au moins 200 g d’hépatocytes actifs (20 % du foie), soit environ 2.1010 cellules. Diverses sources d’hépatocytes ont été testées : une lignée continue d’hépatocytes humains en culture (HepG2 clone C3A) d’origine tumorale [2], des hépatocytes humains immortalisés (SV40 ou télomérase) [4], avec le risque de passage de cellules cancéreuses chez le patient, ou des hépatocytes primaires de porc, mais ces cellules hébergent le génome d’un rétrovirus endogène (PERV) qui peut se multiplier dans des cellules humaines, d’où un risque de zoonose [3]. Malgré des résultats très encourageants, les risques encourus par l’utilisation de telles cellules ont conduit les autorités responsables à la suspendre [6,7].
Nous ne disposons pas à l’heure actuelle de lignées d’hépatocytes humains normaux ne comportant pas de risques et pouvant fournir en culture in vitro de telles quantités de cellules. Une possibilité séduisante serait d’utiliser des hépatocytes humains fonctionnels obtenus in vitro à partir de la différenciation de cellules souches embryonnaires humaines (hESC). En effet, sous forme indifférenciée, ces hESC s’autorenouvellent en théorie de manière illimitée in vitro et sont pluripotentes [8]. Les premières lignées d’hESC n’ont été isolées qu’en 1998 [9] et l’on connaît peu de choses sur leur potentiel hépatique. De nombreuses équipes à travers le monde, dont la nôtre, tentent de mettre au point des approches expérimentales permettant de programmer les processus d’engagement et de différenciation des hESC en hépatocytes [10] (Figure 2). In vitro, les hESC peuvent s’organiser en agrégats tridimensionnels, appelés corps embryoïdes, au sein desquels l’induction des trois feuillets primordiaux de l’embryon s’opère de manière spontanée et anarchique. Il est possible d’obtenir à partir de telles structures des cellules présentant certaines caractéristiques hépatiques [11-14], mais en proportion extrêmement faible, ce qui limite l’intérêt de cette approche.
La mise au point de systèmes de culture in vitro dans lesquels l’orientation des hESC en hépatocytes peut être modulée directement sans l’étape intermédiaire des corps embryoïdes est un prérequis indispensable pour développer des approches fiables et reproductibles conduisant à l’amplification d’hépatocytes différenciés. L’obtention de cellules hépatiques par ce type d’approche a été décrite en utilisant des inducteurs de différenciation (dexaméthasone, butyrate de sodium, diméthylsulfoxyde ou trichostatine A) [12]. Les populations cellulaires analysées présentent en effet une morphologie épithéliale et expriment des marqueurs phénotypiques ainsi que des activités enzymatiques typiques d’hépatocytes. Cependant, la fonctionnalité de ces cellules in vivo n’a jamais été démontrée.
Les hépatocytes ayant une origine dans le feuillet embryonnaire endodermique, une autre approche consiste à induire la différenciation séquentielle des hESC d’abord en endoderme définitif, puis en hépatocytes. Chez la souris, la différenciation des cellules souches embryonnaires en endoderme définitif [15] puis en hépatocytes n’a été décrite que très récemment [16]. Cependant, bien que la fonctionnalité de ces cellules ait été suggérée in vitro par des tests biochimiques, leur fonctionnalité in vivo n’a été rapportée que par une seule équipe [17]. Chez l’homme, la nature moléculaire des facteurs inducteurs de l’endoderme demeure largement inconnue. En outre, plusieurs marqueurs de l’endoderme définitif sont aussi exprimés par les tissus extra-embryonnaires, en particulier l’endoderme primitif et ses dérivés (endodermes viscéral et pariétal), ce qui complique la caractérisation. Enfin, ces marqueurs sont intracellulaires et ne peuvent donc être utilisés pour isoler les cellules d’intérêt. Un seul article a récemment décrit l’obtention d’endoderme définitif de manière convaincante [18]. En présence d’Activine A[3], 80 % des hESC se différencient en endoderme définitif, et le récepteur CXCR4 (dont le ligand est SDF-1 ou CXCL12) spécifique de ce tissu permet de purifier la population cellulaire d’intérêt. Il reste à développer des méthodes efficaces fondées sur l’utilisation de molécules inductrices de la différenciation pour obtenir, à partir de cet endoderme, une culture pure et massive d’hépatocytes ne présentant pas les inconvénients précédemment mentionnés. Les essais cliniques du BAL pourraient alors être relancés pour le traitement des insuffisances hépatiques aiguës avec plus de sécurité car il n’y a pas de contact direct entre les hépatocytes en culture dans le BRH et le patient, les échanges s’effectuant au travers d’une membrane semi-perméable. En outre, il serait inutile d’entreprendre une immunodépression permanente contrairement à la transplantation d’hépatocytes dans le foie d’un patient pour remplacer la population déficiente. Diverses pathologies hépatiques moins graves que l’hépatite fulminante (insuffisance hépatique chronique et maladies métaboliques du foie) pourraient aussi bénéficier de l’apport de cellules hépatiques différenciées à partir des hESC.
Parties annexes
Notes
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[1]
Les mycotoxines sont des composés chimiques toxiques, produits par certains champignons. Il existe de nombreux composés de cette sorte, mais seul un nombre limité se retrouve régulièrement dans les aliments pour l’homme ou les animaux tels que les céréales. Il existe cinq groupes de mycotoxines dont les aflatoxines.
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[2]
Toxine du champignon amanite phalloïde.
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[3]
de la famille TGF-β.
Références
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