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L’ère de la protéomique contemporaine commence en 1994. Cette année-là, Mark Wilkins définit pour la première fois le protéome comme un ensemble de protéines codées par un génome. Aujourd’hui, nous entendons par étude du protéome, l’analyse systématique des protéines, analyse qui englobe identification, quantité, structure et fonction à l’échelle d’un organisme, d’un organe, d’un tissu, d’une cellule ou d’un organite [1, 2]. Le but de ces études est de mieux comprendre les fonctions des protéines à l’état normal et pathologique.
L’intérêt pour la protéomique humaine a été renforcé par le décryptage du génome humain et l’identification d’environ 30 000 gènes. Le nombre de protéines est beaucoup plus élevé. En tenant compte des épissages alternatifs et des modifications post-traductionnelles, ce nombre s’élève à ~106, allant de 102 à 108 copies/cellule [3, 4]. Si l’on admet que 1 à 2 % des ces polypeptides sont exprimés dans la cellule à un instant donné, leur identification représente pour les chercheurs un travail de titan.
Cette tâche est encore plus complexe si l’on admet que la vision linéaire des processus cellulaires proposée en 1941 par Beadle et Tatum [5] : un gène → une protéine → une fonction, est trop schématique pour apprécier l’ensemble des mécanismes cellulaires et/ou des phénomènes pathologiques. Aujourd’hui, un autre concept est énoncé : tout processus biologique est multifactoriel. Ce concept implique l’identification de complexes protéiques fonctionnels incluant différentes modifications post-traductionnelles (sites de phosphorylation, de glycosylation…) ou encore la recherche d’une expression différentielle des protéines en fonction du temps ou après une stimulation. La protéomique représente un outil prometteur pour la recherche clinique. L’identification de biomarqueurs protéiques, pour de meilleurs diagnostics ou pronostics, est en plein essor [6, 7] et l’identification de complexes protéiques offrira une plus grande diversité thérapeutique dans le traitement des cancers, des maladies neurodégénératives, auto-immunes, rénales… Cependant, la grande complexité des échantillons, la difficulté d’obtention de préparations reproductibles, ainsi que l’étendue des concentrations des protéines (dynamic range pouvant atteindre 1012) font qu’entreprendre une étude de sérum/plasma humains constitue un défi formidable.
Ce défi est rendu possible par les progrès technologiques réalisés au cours des dernières années dans les méthodes de séparation des protéines et leur identification (spectrométrie de masse, prix Nobel de Chimie en 2002). Une nouvelle technologie qui associe la chromatographie d’affinité et la spectrométrie de masse (SELDI-ToF), présentée dans deux articles de ce numéro, semble très prometteuse ((→) m/s 2005, n° 8-9, p. 722 et p. 759).
D’autres approches sont également développées. L’une d’entre elle, utilisant des puces à protéines recombinantes pourrait être appliquée aux maladies auto-immunes ((→) m/s 2005, n° 8-9, p. 759).
Une dynamique sans précédent dans le développement méthodologique laisse également espérer des solutions nouvelles pour l’analyse des complexes membranaires d’une part, et pour la détection et la quantification des protéines faiblement abondantes, d’autre part [8]. Par ailleurs, le problème de la sensibilité de la spectrométrie de masse demeure (toute identification nécessite des quantités de protéine > 1 fmol). Actuellement, les progrès réalisés dans la précision et la sensibilité des appareils de mesure (nouveaux spectromètres de masse : trappes ioniques et spectromètres de masse à transformée de Fourier) permettent d’améliorer notablement les performances de l’identification.
Le domaine le plus récent de l’application de la spectrométrie de masse est celui de l’imagerie tissulaire. Il est possible aujourd’hui de réaliser un profil de protéines dans des coupes de tissus, ou encore d’identifier des petites molécules (lipides, peptides ou autres métabolites) dans les compartiments sub-cellulaires [9, 10].
D’autres développements méthodologiques visant à augmenter les capacités d’analyse (analyse à haut débit) verront le jour. Dans un futur proche, on peut espérer que l’analyse protéomique sera applicable à des micro-échantillons biologiques pour une meilleure compréhension des pathologies.
Parties annexes
Références
- 1. Gershon D. Mass spectrometry: gaining mass appeal in proteomics. Nat Methods 2005 ; 2 : 465-72.
- 2. Thongboonkerd V. Proteomics in nephrology : current status and future directions. Am J Nephrol 2004 ; 24 : 360-78.
- 3. Godovac-Zimmermann J, Kleiner O, Brown LR, Drukier AK. Perspectives in spicing up proteomics with splicing. Proteomics 2005 ; 5 : 699-709.
- 4. Roxo-Rosa M, Davezac N, Bensalem N, et al. Proteomics techniques for cystic fibrosis research. J Cyst Fibros 2004 ; 3 (suppl 2) : 85-9.
- 5. Singer M, Berg P. George Beadle : from genes to proteins. Nat Rev Genet 2004 ; 5 : 949-54.
- 6. Srinivas PR, Kramer BS, Srivastava S. Trends in biomarker research for cancer detection. Lancet Oncol 2001 ; 2 : 698-704.
- 7. Bensalem N, Ventura AP, Vallee B et al. Down-regulation of the anti-inflammatory protein annexin A1 in cystic fibrosis knock-out mice and patients. Mol Cell Proteomics 2005 online.
- 8. Kleiner O, Price DA, Ossetrova N, et al. Ultra-high sensitivity multi-photon detection imaging in proteomics analyses. Proteomics 2005 ; 5 : 2322-30.
- 9. Chaurand P, Schwartz SA, Caprioli RM. Imaging mass spectrometry : a new tool to investigate the spatial organization of peptides and proteins in mammalian tissue sections. Curr Opin Chem Biol 2002 ; 6 : 676-81.
- 10. Touboul D, Brunelle A, Halgand F, et al. Lipid imaging by gold cluster time-of-flight secondary ion mass spectrometry : application to Duchenne muscular dystrophy. J Lipid Res 2005 ; 46 : 1388-95.