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La transplantation hépatique reste l’unique moyen de pallier durablement les insuffisances hépatiques graves et leurs conséquences. En effet, il n’existe pas de technique de suppléance artificielle des fonctions hépatiques comparable à l’hémodialyse pour l’insuffisance rénale. Bien que la transplantation soit une intervention chirurgicale lourde, les progrès réalisés dans la sélection des candidats, les techniques chirurgicales et les traitements immuno- suppresseurs font que le taux de survie à un an excède en moyenne 80 %. Entre 700 et 800 transplantations hépatiques sont réalisées chaque année en France. Cependant, le manque de donneurs conduit au décès de 5 % à 15 % des candidats à la transplantation pendant la période d’attente.

Critères de sélection des receveurs

Le manque de donneurs conduit à sélectionner les candidats qui ont les meilleures chances de succès. La plupart des équipes écartent les candidats pour lesquels les chances de succès sont faibles (inférieures à 50 % à un an), considérant qu’il serait illogique d’attribuer un greffon à un malade ayant un pronostic réservé, alors que ce greffon aurait pu être attribué à un receveur ayant un meilleur pronostic.

Maladies chroniques non tumorales du foie

Les maladies parenchymateuses chroniques (cirrhoses) représentent les indications les plus fréquentes de la transplantation hépatique. Quelle que soit l’étiologie de la cirrhose, une transplantation est envisagée lorsqu’il existe à la fois une insuffisance hépatique sévère (taux de prothrombine inférieur à 50 %) non réversible et une ou plusieurs complications graves, telles qu’une ascite réfractaire, une infection du liquide d’ascite, une encéphalopathie chronique ou des hémorragies digestives récidivantes. Certains critères additionnels sont propres à chacune des étiologies. Ainsi, en cas de cirrhose alcoolique, la transplantation n’est envisagée qu’au terme d’une période d’abstinence d’au moins six mois, période minimale indispensable pour s’assurer qu’il n’y a pas eu d’amélioration spontanée. En cas de cirrhose en rapport avec une hépatite virale B, l’absence de réplication virale, qu’elle soit spontanée ou induite par un traitement antiviral, est un préalable indispensable à la transplantation.

Les affections primitives des voies biliaires, cirrhose biliaire primitive et cholangite sclérosante primitive, sont presque toujours associées à une cirrhose secondaire au stade où une transplantation est envisagée. Les indications de la transplantation sont alors comparables à celles des cirrhoses en général. Cependant, indépendamment de ces complications, une bilirubinémie supérieure à 150 µmol/l pendant plusieurs semaines et, en cas de cholangite sclérosante primitive, des épisodes répétés d’angiocholite justifient à eux seuls une transplantation. La fréquence respective des différentes indications de transplantation est représentée sur la Figure 1.

Figure 1

Répartition des indications de transplantation dans le service d’hépatologie de l’hôpital Beaujon entre 1995 et 2001.

Répartition des indications de transplantation dans le service d’hépatologie de l’hôpital Beaujon entre 1995 et 2001.

Alcool : cirrhose alcoolique ; VHB : cirrhose en rapport avec une infection par le virus de l’hépatite B ; VHC : cirrhose en rapport avec une infection par le virus de l’hépatite C ; CHC : carcinome hépatocellulaire ; CHC/VHC, carcinome hépatocellulaire développé sur une cirrhose d’étiologie virale C ; biliaire : maladie des voies biliaires ; autres : autres affections chroniques du foie.

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Tumeurs du foie

Le carcinome hépatocellulaire (CHC), tumeur primitive du foie la plus fréquente, est dans la plupart des cas associé à une cirrhose sous-jacente. La transplantation permet de traiter à la fois le CHC et la cirrhose. Toutefois, elle ne peut être envisagée que pour des tumeurs de petite taille (un nodule unique de moins de 5 cm de diamètre ou deux ou trois nodules de moins de 3 cm) [1]. En effet, même en l’absence de localisation extra-hépatique décelable, les tumeurs plus volumineuses récidivent fréquemment. La récidive est probablement liée à la présence de cellules tumorales circulantes [2]. Chez les malades ayant une tumeur de petite taille et une cirrhose compensée, la résection chirurgicale est une alternative à la transplantation. Cependant, la résection laisse en place un foie cirrhotique et le taux de récidive à cinq ans atteint 80 % environ [3]. Les données les plus récentes suggèrent que les résultats de la transplantation sont supérieurs, avec une survie sans récidive aux alentours de 70 % à cinq ans [4].

En dehors de tumeurs rares dont la progression est particulièrement lente, comme les tumeurs neuro-endocrines, les autres tumeurs primitives ou secondaires du foie représentent en principe une contre-indication à la transplantation en raison d’un risque élevé de récidive précoce.

Insuffisances hépatiques aiguës

Chez la plupart des malades, les insuffisances hépatiques aiguës se corrigent rapidement et sans séquelles du fait de la régénération hépatique. Cependant, chez certains malades, la progression ou la persistance de l’insuffisance hépatique conduit à la constitution d’un oedème cérébral qui peut entraîner le décès en quelques heures ou quelques jours. Dans cette situation, une transplantation doit être réalisée en urgence, ce qui justifie une procédure d’attribution prioritaire des greffons. En règle générale, on prend la décision de transplantation lorsqu’il existe à la fois une encéphalopathie sévère (confusion ou coma) et une diminution marquée des facteurs de coagulation (facteur V inférieur à 20 % chez des sujets de moins de 30 ans ou inférieur à 30 % chez des sujets de plus de 30 ans) [5]. Les principales causes d’insuffisance hépatique aiguë conduisant à la transplantation sont les hépatites virales aiguës B, les hépatites médicamenteuses et certaines hépatites de cause indéterminée.

Contre-indications à la transplantation

Ces contre-indications peuvent être en rapport avec la maladie hépatique elle-même, lorsque le risque de récidive de la maladie initiale compromet la survie à quelques mois, ou avec des affections extra-hépatiques concomitantes qui représentent un risque opératoire majeur (insuffisance cardiaque ou insuffisance respiratoire chronique). Les progrès réalisés dans le domaine des traitements anti-rétroviraux font que l’infection par le VIH, lorsqu’elle est contrôlée, ne constitue plus, à elle seule, une contre-indication formelle à la transplantation, à condition qu’il n’y ait pas de virémie détectable, que le taux de lymphocytes CD4+ soit supérieur à 200/mm3 et qu’il n’y ait pas eu d’infection par des agents opportunistes [6, 7].

Techniques de transplantation hépatique

La transplantation orthotopique totale, technique la plus courante, consiste à transplanter un greffon entier, prélevé chez un sujet en état de mort cérébrale (donneur cadavérique) à la place du foie natif. Au cours des dernières années, le manque de donneurs a conduit à développer des techniques alternatives : le partage du greffon cadavérique pour deux receveurs (split) et la transplantation par donneur vivant.

La transplantation par donneur vivant est fondée sur les quatre principes suivants : chez la plupart des individus, le foie peut être séparé chirurgicalement en deux parties autonomes, droite et gauche ; chez un individu normal, on peut réséquer une partie importante du parenchyme hépatique (jusqu’aux deux tiers environ), la partie restante se régénérant rapidement ; lorsqu’on transplante un greffon partiel de petite taille, celui-ci se régénère pour atteindre une taille proche de celle d’un greffon complet ; enfin, des équipes expérimentées peuvent réaliser une hépatectomie chez un sujet sain avec une morbidité faible et une mortalité inférieure à 1 %. Paradoxalement, le fait que le donneur soit génétiquement apparenté ne semble pas modifier l’incidence du rejet. Globalement, les résultats pour le receveur sont comparables à ceux de la transplantation par donneur en état de mort cérébrale. Toutefois, il s’agit d’une intervention chirurgicale lourde pour le donneur, avec un taux de complications sévères de l’ordre de 15 % à 20 % [8].

Par analogie avec la transplantation par donneur vivant, la technique du foie partagé (ou split) consiste à séparer le foie d’un donneur cadavérique en deux parties autonomes [9]. Cette technique nécessite de réaliser les deux transplantations hépatiques en même temps. En raison de ces difficultés, les greffons ne peuvent être partagés que dans moins de 25 % des cas.

Rejet et traitement immunosuppresseur

Les différents types de rejet

Le rejet aigu, transitoire, est le plus fréquent. Malgré le traitement immunosuppresseur préventif, il s’observe dans 20 % à 25 % des cas, principalement au cours des deux à trois premières semaines [10]. En l’absence de tests diagnostiques non invasifs fiables, le diagnostic repose sur la biopsie du greffon. Chez plus de 90 % des malades, le rejet aigu peut être traité efficacement par des bolus de corticoïdes et/ou une augmentation transitoire de l’immunosuppression de fond [11]. Il est important de noter que la survenue d’un épisode de rejet aigu n’a pas d’influence délétère sur le fonctionnement ultérieur du greffon [12].

Le rejet chronique, plus rare (moins de 5 % des patients), est caractérisé par une disparition progressive des canaux biliaires intra-hépatiques de petite taille (ductopénie) et une artérite diffuse. Lorsqu’il est installé, ce rejet reste peu sensible à l’augmentation de l’immunosuppression et s’accompagne à terme d’une perte fonctionnelle du greffon [13].

Traitement immunosuppresseur

En dehors de cas exceptionnels, un traitement immunosuppresseur permanent est nécessaire pour prévenir le rejet. Cependant, les doses d’immunosuppresseurs peuvent être diminuées, rapidement au cours des premières semaines, puis plus lentement ensuite. Dans les premières semaines, on utilise des associations d’immunosuppresseurs (induction possible par des anticorps antirécepteurs de l’interleukine-2, corticoïdes, anticalcineurines, antiprolifératifs) pour obtenir un niveau élevé d’immunosuppression avec des doses réduites de chacun des agents et peu d’effets secondaires. Les corticoïdes, responsables de nombreux effets secondaires, sont interrompus dans les quatre premiers mois.

À distance de la transplantation, les anti-calcineurines (ciclosporine et tacrolimus ou FK506) sont les immunosuppresseurs de base. Dans la majorité des cas, ils sont suffisants en monothérapie pour prévenir efficacement le rejet. Cependant, leurs effets secondaires peuvent conduire à en limiter les doses, ce qui justifie, en compensation, de les associer à un agent antiprolifératif tel que le mycophénolate mofétil [14]. Éventuellement, on peut remplacer les anticalcineurines par de la rapamycine, seule ou en association avec le mycophénolate mofétil. D’autres agents immunosuppresseurs, tels que le FTY720 ou le FK778, ayant des mécanismes d’action différents de ceux des anticalcineurines, sont en cours de développement.

Facteurs limitant les résultats de la transplantation

Les résultats de la transplantation hépatique sont limités par les complications péri-opératoires et, plus à distance, par des complications chirurgicales, la récidive de la maladie initiale, le rejet chronique, les effets secondaires des immunosuppresseurs et les complications liées à l’état d’immunodépression. Certaines de ces affections peuvent éventuellement être corrigées par une retransplantation.

Complications péri-opératoires et chirurgicales

La mortalité péri-opératoire reste de l’ordre de 5 % à 10 %. Elle est principalement liée à des infections bactériennes ou fongiques. Parmi les complications chirurgicales, les thromboses de l’artère hépatique sont les plus graves. Elles s’observent chez 5 % des malades, environ, et ont pour conséquence une ischémie puis une nécrose plus ou mois étendue des voies biliaires (dont la vascularisation est exclusivement artérielle) [15]. Les complications biliaires sont plus fréquentes (10 % à 20 % environ), mais habituellement moins graves. Il s’agit principalement de sténoses anastomotiques qui peuvent être traitées par voie endoscopique ou par réparation chirurgicale [16].

Récidive de la maladie initiale

La récidive de l’hépatite chronique virale C sur le greffon est presque constante. On estime que 10 % à 30 % des malades ont à nouveau une cirrhose cinq ans après la transplantation [17]. Toutefois, la progression de l’hépatite est très variable d’un sujet à l’autre. Les malades infectés par des virus de génotype 1b (le plus fréquent dans les populations occidentales) semblent avoir une récidive plus agressive. De même, les récidives sont d’autant plus sévères que le donneur est âgé [18]. L’efficacité des traitements antiviraux est plus faible que chez les malades non immunodéprimés. Cependant, les résultats préliminaires concernant l’association d’interféron pégylé et de ribavirine sont encourageants [19].

En cas d’hépatite chronique virale B, la récidive est plus rare, mais progresse beaucoup plus rapidement. L’administration conjointe d’immunoglobulines spécifiques anti-HBs et d’un antiviral (lamivudine) a permis, au cours des dernières années, de réduire l’incidence des récidives aux alentours de 10 % à 15 %, au lieu de 30 % avec les immunoglobulines anti-HBs seules [20, 21]. Cependant, l’administration prolongée de lamivudine est limitée par l’apparition fréquente (jusqu’à 30 % par an) de souches de virus résistants. L’adéfovir semble régulièrement efficace sur ces mutants.

En cas de cirrhose alcoolique, malgré l’application des critères de sélection, environ 50 % des malades reprennent une consommation d’alcool après la transplantation [22]. Cependant, l’expérience montre que la majorité des malades, qui avant la transplantation avaient une consommation excessive d’alcool, parviennent à réduire celle-ci après l’intervention. Globalement, la survie est comparable à celle des malades transplantés pour une cirrhose non alcoolique, au moins dans les cinq à dix premières années.

Pour la cirrhose biliaire primitive et la cholangite sclérosante primitive, la récidive s’observe respectivement dans 10 % à 15 % et 20 % à 25 % des cas. Elle est relativement insensible aux traitements immunosuppresseurs et peut nécessiter une retransplantation.

En cas de CHC, le risque de récidive augmente avec la taille et le nombre des nodules. Pour les malades ayant des tumeurs de petite taille, le taux de récidive à cinq ans se situe aux alentours de 10 % à 20 %. Les récidives sont souvent multifocales et rapidement progressives.

Effets secondaires des agents immunosuppresseurs

Les principaux effets secondaires des agents immunosuppresseurs sont résumés dans le Tableau I. Il est important de noter que certains de ces effets (tremblements et hirsutisme) ne font que réduire la qualité de vie alors que d’autres, comme les complications cardiovasculaires, contribuent notablement à réduire l’espérance de vie [23, 24].

Tableau I

Principaux effets secondaires des agents immunosuppresseurs.

Principaux effets secondaires des agents immunosuppresseurs.

MMF : mycophénolate mofétil.

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Complications néoplasiques liées à l’état d’immunodépression

Les traitements immunosuppresseurs augmentent le risque de développer un cancer de novo, quel qu’en soit le type. Certains cancers tels que les lymphomes, le sarcome de Kaposi ou les cancers cutanés sont particulièrement fréquents. Globalement, le risque de cancer de novo se situe aux alentours de 20 % à 10 ans et 50 % à 15 ans.

Complications infectieuses liées à l’état d’immunodépression

Les complications infectieuses graves, bactériennes et fongiques, se manifestent essentiellement pendant la période post-opératoire précoce. Malgré le traitement immunosuppresseur, les infections sévères sont rares à distance de la transplantation, y compris les infections par des agents opportunistes. Les traitements antiviraux (gancyclovir, acyclovir et valacyclovir) ont fortement diminué l’incidence des infections par le cytomégalovirus.

Résultats

Espérance de vie

Quelle que soit l’indication de la transplantation, la courbe de survie est marquée par un infléchissement initial correspondant à la mortalité post-opératoire précoce. Au-delà des trois à six premiers mois, la courbe de survie tend à devenir horizontale. À cinq ans, la survie des malades transplantés pour une cirrhose décompensée est de l’ordre de 70 % à 80 %. La survie des malades transplantés pour un CHC est un peu plus faible, de l’ordre de 60 % à 70 % à cinq ans. La différence est liée aux récidives tumorales, responsables d’une décroissance plus tardive de la courbe de survie. La survie des malades transplantés pour une insuffisance hépatique aiguë est de l’ordre de 60 % à cinq ans. Dans ce cas, la mortalité post-opératoire précoce est plus élevée (Figure 2).

Figure 2

Espérance de vie à trois ans après transplantation hépatique entre 1995 et 2001 dans le service d’hépatologie de l’hôpital Beaujon.

Espérance de vie à trois ans après transplantation hépatique entre 1995 et 2001 dans le service d’hépatologie de l’hôpital Beaujon.

Cirrhoses sans carcinome hépato-cellulaire (ligne rouge) : 72 % ; carcinome hépatocellulaire (ligne verte) : 62 % ; hépatites fulminantes et subfulminantes (ligne pointillée bleue) : 65 %.

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Qualité de vie

Les malades transplantés pour une cirrhose retrouvent dans la majorité des cas une autonomie complète dans la vie quotidienne. Les contraintes liées au traitement immunosuppresseur et à la surveillance médicale sont relativement faibles [25]. Malgré cela, seule une minorité des malades peut reprendre une activité professionnelle en raison d’une interruption prolongée de celle-ci avant la transplantation et de la difficulté à trouver un emploi adapté.

Conclusions et perspectives

La transplantation hépatique, bien qu’elle représente une intervention chirurgicale lourde, améliore notablement le pronostic des cirrhoses décompensées, des CHC de petite taille et des formes les plus graves d’insuffisance hépatique aiguë. Elle permet, dans la majorité des cas, la restauration d’une qualité de vie proche de la normale avec des contraintes médicales réduites. Le principal facteur limitant est l’accès à la transplantation, en raison du déséquilibre entre le nombre de candidats potentiels et le nombre de donneurs. Ces résultats justifient les efforts pour tenter d’augmenter le taux de prélèvement chez les sujets en état de mort cérébrale et d’optimiser l’attribution des greffons aux malades qui ont le plus de chances d’en tirer un bénéfice. Des recherches doivent également être consacrées au développement de traitements immunosuppresseurs ayant moins d’effets secondaires à long terme.